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Pieds des Mots : Actu 2010 - 2011

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LES PIEDS DES MOTS
         Où les mots quittent l'abstrait pour s'ancrer dans un lieu, un personnage, une rencontre...


MAI 2013

Paul Badin

Choses fuyantes

poème

 collages : Vincent Courtois

 

               Nous ne devrions jamais cesser de donner aux choses fuyantes la brève couronne, la brève scintillation des mots. Même si, ce faisant, nous ne faisons que suspendre des joyaux sur un front inexistant, un abîme 

(Philippe Jaccottet à Gustave Roud,

       Correspondance 1942-76, Gallimard, 2002) 

à Rüdiger Fischer




III-Mnémé (la mémoire)  -  Partie I (avril)

III. Mnémé (la mémoire) Partie II... suite






    Carmen de Georges Bizet, l’opéra national réinvesti par les danseurs espagnols Carlos Saura, Cristina Hoyos, Antonio Gades, Laura del Sol
La Norma de Vincente Bellini et Maria Callas, diva de l’absolu

   Ce saut de quelque soixante années en arrière :
L’enfant avait huit ans. À chaque pas dans la boite de pandore des prés, jaillissait une gerbe de sauterelles aux ailes rouges ou bleues, d’énormes vertes… autant de papillons : Piérides du chou, Grands nacrés, Argus bleus, Grands porte-queue, Grands sylvains
   Pollution oblige, ils ont disparu  

Les grands airs de Giuseppe Verdi : La Traviata (la fête, acte I), Rigoletto (La Donna è mobile), Aïda (l’air des trompettes), et Nabucco (Va pensiero) ce chœur des esclaves à pâmer tous les Italiens qui en ont fait, sous la baguette de Riccardo Muti, leur hymne national préféré

Voilà qu’au voisinage du Mont Gerbier de Joncs, aux sources de Loire, se retrouvent, pas après pas, la même débauche de sauterelles sautillantes, le même butinage en plein vol des papillons
   Terre peu peuplée, peu fréquentée – même l’été –, peu polluée

Comment oublier le Quatuor pour la fin des temps d’Olivier Messiaen donné, par le quatuor Sine Nomine, sous atmosphère plombée, quelques jours avant le déclenchement si médiatisé de la guerre d’Irak ?

Pas un pan, pas un arpent de montagne qui ne soit finement irrigué d’un réseau de murets de pierres taillées, soigneusement emboitées
   Derrière chacun, une langue de terre arable, motte à motte épargnée
   Tout cela reste visible du sentier muletier, dument préservé

Lui est associée la Symphonie concertante pour violon et alto de Wolfgang Amadeus Mozart diffusée à la radio nationale la nuit du 19 au 20 mars 2003, au cours de la veillée déchirante pendant laquelle les B 52 américains commencèrent à pilonner Bagdad, son adagio à pleurer

Comme ce devait être beau quand chaque terrasse hébergeait son jardin, son potager, sa vigne, son verger !

Même la beauté sublime peut, le temps d’une écoute, se faire, bien malgré elle, le reflet du mal absolu, entre les souffrances des innocents et la bêtise infâme, meurtrière, des dirigeants

   Hélas, les jeunes, partis pour la ville, ne cultivent plus les parcelles
Les châtaigniers prolifèrent, leurs racines ébranlent les murets, les sangliers y pratiquent un drôle de labour qui précipite le ravinement de la bonne terre, niant des siècles de labeur et de compagnonnage, entraînant le retour à l’état sauvage

Ils furent trois, époque bénie, plus grands que les autres : Georges Brassens, Jacques Brel, Léo Ferré
Trinité de la chanson, née de la poésie des siècles et du travail des prédécesseurs, au premier rang desquels : Charles Trenet

   La lente descente du silence sur les sentes puis les cimes qui s’assoupissent
   Un âne braie, s’effraie de la chute, brutale en montagne, du crépuscule
   Muscles et nerfs s’octroient un bienheureux relâchement
   Lointaines, les voix se font bribes puis rides à peine perceptibles sur la peau du soir déjà drapée de
  
son habit de nuit

   On se souvient de l’Alhambra…
L’art arabo-andalou, perle de la Méditerranée. Ses deux rives sont les valves également plénières d’une mer féconde en arts et en esprit

La cloche le confirme : les baumes du soir pansent les brûlures du jour, baignent la couche, préparent au sommeil
 
   Après ces jours torrides sous les lames d’été
   Fraîcheur du crachin sur les joues

Apprenti guitariste garde les Recuerdos de la Alhambra de Francisco Tárrega dans les oreilles, le cœur; ils y voisinent avec d’anonymes Jeux interdits… mais les doigtés s’oublient vite
    Raison de plus pourquoi il se souvient

   Le plus beau voyage au Brésil commence à travers sa musique : choro, samba, bossa nova, Heitor Villa-Lobos ; passion de la fête, saudade, paysages exubérants… Merci, l’artiste pour tes trois guitares: brésilienne, portugaise, espagnole

   Le soleil, au soir, fascine les fenêtres, incendie jusqu’à la moelle les chambres fiévreuses

   Le kaléidoscope aveuglé des façades répercute sans ciller les crimes des fournaises

   De Castille en Estrémadure, le vaste plateau, aride, semi désert, s’offre à méditation
Les pailles fourbissent l’or, la lumière brûle, des hameaux s’exhaussent de la roche, nus dans leurs pierres, de rares troupeaux ponctuent la terre, tiennent compagnie aux arbustes compacts, comme eux chichement dispersés

Plus que la grammaire des mots, élire les couleurs, les parfums, les musiques qu’ils dégagent et se répondent

Certains féminins font frissonner l’oreille, donnent la chair de poule : il m’a reconduitE, j’étais amoureusE, confiantE, follement éprisE
   Ah ! ce E muet si bavard !

Ici, le souffle de la terre s’exprime en tonalités chaudes, les ocres dansent, la solitude s’habite de l’intérieur, le silence grise la couronne éloignée des cimes, les os retiennent leur vigueur, les chairs respirent plus vaste, frugalité et exubérance s’aimantent, se repoussent, se reprennent, s’aquarellent

Curieuse langue que la française qui confie à l’E (rendu) muet (depuis trois siècles seulement !) la troublante musique de la féminité…
   Le palais savourant cette exquise voyelle

La ville actuelle plonge ses racines dans la ville romaine : murailles, ponts, chaussées, aqueduc, temple, théâtre, amphithéâtre, cirque, arc de triomphe, villas, thermes, nécropole… Merida, l’Emerita Augusta
Tant qu’elle ne moisit point en ses cryptes ni ne monnaie ses trouvailles, elle y puise sa raison de vivre: le théâtre. L’art, la grandeur d’âme, ne s’épanouissent ni dans le profit ni dans le rétroviseur

Parvenir à la moelle du mot, exciter son nerf, libérer ses arômes, exhaler son sens, non pour contraindre ni éliminer, pour irradier

Élégance des coupes de verre, transparence des anses, finesse des colliers, richesse des boucles d’oreilles d’or torsadé, précision sculptée des terres cuites, pièces de monnaie, cuillers à dessert d’argent
  
Poésie à trois temps : 1. lent dépôt des scories, 2. distillation des pépites dans l’alambic du verbe,
3. patiente remontée de mots de vie

Semblable art de vivre, il y a deux mille ans, relevait d’un degré d’avancement tel qu’il ne pouvait que tomber en décadence, ce qu’il fit
(Les six arts antiques et l’art de penser et de vivre en société – la philosophie et son corollaire la démocratie – portés à incandescence quelques siècles plus tôt par les Grecs, que lui restait-il à accomplir ?)
   Fascinant modèle que nous nous évertuons encore à imiter
   L’hypnose est mortifère
   Reste que la fréquentation de tels vestiges procure un intense plaisir

Impossible d’oublier la petite jupe plissée bleu marine sur chemisier blanc de la jeune étudiante blonde qui débarqua au collège, un certain quinze septembre

Malgré de hautes luttes et de belles victoires, un peu partout, en auront-elles jamais fini, les femmes, de soulever la chape d’oppressions que les hommes font peser sur elles depuis les millénaires ?

Elle ne savait pas comment arrêter le moteur de la Simca 900 que le papa avait demandé au garagiste de lui remettre, en état de marche, le matin même, pour qu’elle rejoigne son premier poste en Anjou
   Il s’est empressé, lui qui avait une Simca 1000
Son copain Pied noir s’est précipité lui aussi, il avait lui aussi une Simca 1000 ; heureusement, il préférait les brunes 

   Loi naturelle : loi de survie des végétaux, animaux et humains
Survivre. Chez les pacifiques : se débrouiller, respecter l’autre, se protéger des incursions dans son domaine privé
Chez les parasites et les belliqueux : choisir la voie adverse, abuser l’autre, utiliser la séduction, la violence ou les deux

 Cela fait près d’un demi-siècle qu’il s’empresse. L’envoûtement n’a pas cessé, malgré quelques orages saisonniers, coups de vent de rigueur

   Certains à l’aura négative, dégradent la terre en boue
   D’autres à l’aura positive, la transmuent en glaise, sculptent quelques bonheurs avant de s’effacer
   Quant à en faire de l’or, même les génies, vous savez…

Qui ne donnerait des mois entiers pour retourner en arrière, juste quelques jours, le temps de croiser la lycéenne de dix-huit ans, l’étudiante de vingt qu’il ne connut que plusieurs années plus tard ?

Une fois de plus, l’Évangile propose sa belle leçon : Soyez aussi avisés que le serpent. Aussi candides que la colombe. (Matthieu, 10, 16) 4

   Trop sérieux, l’aîné, pour ne pas souhaiter qu’elle fût un peu frivole
   Son milieu de fratrie lui convenait à merveille

Dans l’amitié, celle dont le temps est le ciment et la ligne de crêtes l’horizon, se découvrent, nécessairement, un jour, la ligne de fracture de l’autre et, par ricochet, la sienne propre ; ou l’inverse
Alors, l’échange porte ses fruits les plus doux, étranger aux prises de bec, au duel des soliloques, ouvert aux radiations solaires

   Folie de rester amoureux à cet âge, qui plus est de la même épouse
Si rare ? Hors normes, bizarre, vieux jeu… Pour un peu, les couples fidèles passeraient pour tarés, minables, coincés… Quoi encore ?

   C’est peut-être ça, un couple : quelque chose d’évident

   Ces jours anniversaires, moments d’exquise gravité
Dire qu’il n’a jamais rencontré une telle innocence gravée dans la durée… Elle n’a pas changé, lui davantage. Est-ce avantage ?

C’est parfois inadéquat… mais quelle inégalable fraîcheur sur ses tensions volcaniques, ses tropismes inaboutis


Impossible d’imaginer tout ce à quoi votre compagne/compagnon peut penser lorsque vous lui dîtes : si ça continue, on va bientôt pouvoir…



à suivre en JUIN...

Paul Badin, Choses fuyantes
Partie II pour Francopolis

       Mai 2013, recherche Gerty
 

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est de nous partager l'âme d'un lieu,  réel ou imaginaire,  où votre coeur est ancré... ou une aventure.... un personnage.

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Créé le 1er mars 2002- rubriques 2010