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Pieds des Mots : Actu 2010 - 2011

Omar M'habra par Ali Iken -  Khadija Mouhsine - Mohamed Loakira ... et plus

LES PIEDS DES MOTS
         Où les mots quittent l'abstrait pour s'ancrer dans un lieu, un personnage, une rencontre...


Septembre 2011

La  veuve et l’orphelin…     

de

Cecyl

Le nom de la ville, Cuidad Juarès, la cité de la drogue, la cité du meurtre, la cité de l’alcool et de la prostitution. Cuidad Juarès, un nom qui vous  racle la gorge, et vous l’enflamme, tout comme le crépitement infernal d’un AK47.
Cuidad Juarès, la ville natale de Tobias, un petit garçon de 10 ans qui espionne pour un clan de narcotrafiquants, afin de gagner un peu d’argent.

Tobias, il n’a plus de papa, il n’a plus de maman, il n’a plus de famille. Il dort dans une grange, prêtée par un ancien voisin, un ancien ami de ses parents, en rêvant au temps jadis, à l’époque où son papa et sa maman étaient encore en vie.

Tué son papa. Tuée sa maman. Tués tous deux, au même instant, par une rafale tirée au hasard. C’est comme ça qu’ils s’amusent les narcotrafiquants, pour faire passer le temps, entre deux livraisons, entre deux règlements de compte. Ils s’amusent en tirant au hasard, dans les rues solaires de cette citée maudite, n’importe où, n’importe quand.

Le gentil voisin aimerait bien que Tobias retourne à l’école. Mais Tobias sait bien que retourner à l’école, c’est aussi retourner à l’orphelinat. Il ne reste à Tobias que la rue. Il ne reste à Tobias que l’errance du serpent.

Adelina perdit son fiancé, Felipe, par un soir d’été caniculaire. Alors que Felipe rentrait du travail, par malchance, et manque de prudence, il klaxonna un dealer qui traitait dans sa voiture, à l’arrêt, à un stop. Le dealer, par la glace de la portière, pointa un fusil sur Felipe, et lui tira dessus, en explosant le pare-brise. Felipe mourut quelques heures plus tard, sous les yeux meurtris d’Adelina.

 Adelina n’était pas originaire de Cuidad Juarès, elle était venue dans cette ville pour trouver du travail. Il y a toujours du travail à Cuidad Juarès, ce n’est pas parce qu’il y a des meurtres chaque jour, que Cuidad Juarès ne doit pas continuer à vivre.

Adelina travaillait dans une blanchisserie. La patronne de la blanchisserie recevait régulièrement des visites assez musclées du clan dirigeant le quartier. Adelina se cachait, ou fuyait à chaque fois, de peur de se faire violer.

À longueur de journée, Tobias surveillait sa rue. Tous les matins, il voyait Adelina entrer dans la blanchisserie pour travailler. Tobias, assis sagement sur son banc, rêvait de lui et d’Adelina. Il imaginait qu’il était son fils chéri, qu’Adelina était sa maman chérie.

Puis un jour, lors de son rapport journalier au clan, Tobias apprit que la blanchisserie allait bientôt flamber. Il ne comprenait rien aux histoires des grands Tobias, mais comprenait la finalité de leurs histoires. Aussi, il décida d’attendre Adelina devant la blanchisserie, le lendemain matin, avant son ouverture.

À l’arrivée d’Adelina, Tobias se plaça devant elle, et lui dit : « Tu veux être ma maman ? » Adelina se baissa, le regarda dans les yeux, et lui répondit : « Tu n’as pas de maman ? » Tobias se retint de pleurer, et répéta : « Tu veux être ma maman ? » Puis ajouta : « Si tu acceptes d’être ma maman, je te dis un secret. » Adelina acquiesça de la tête, et lui tendit l’oreille. Tobias vint y chuchoter : « Maman, il vaut mieux partir, la blanchisserie va bientôt brûler. »

Adelina se releva, prit Tobias par la main, et rentra tranquillement chez elle. Elle remplit un sac de voyage d’affaires personnelles, fit une rapide  prière d’adieu, et s’en alla aussitôt, en compagnie Tobias, pour la gare routière. « On va où, maman ? » lui demanda-t-il. « On va loin, très loin mon chéri », lui répondit-elle.

Le bus toussota, démarra enfin, puis se mit à rouler dans un grand nuage de poussière. Adelina referma ses paupières, quelques larmes ruisselèrent sur ses joues, puis elle redressa la tête, et caressa les cheveux de Tobias, en lui disant : « Mon petit amour, y’a forcément un endroit dans ce pays, où les garçons de ton âge ne grandissent pas dans la rue, un endroit où la vie est plus précieuse qu’un sachet de poudre blanche, qui n’offre que la mort pour avenir. »

***


Cécyl est né en 1976.  Il vit à Vannes, en Bretagne. L’écriture, la poésie en particulier, s’est imposée à lui, soudainement, à l’âge de 23 ans. «Une inspiration foudroyante, enivrante, mystérieuse et obsédante», explique-t-il. Son profil Facebook lui permet d’adresser ses poèmes à un large public. Occasionnellement, il participe à des recueils collectifs de poésie ou de nouvelles. On retrouve l’ensemble de ses publications sur le blog : cecyl.over-blog.com
Actuellement, il cherche un éditeur pour un court roman  sur le Darfour, intitulé : L’écho des jours fragiles. Texte qui s’inscrit à la croisée des cultures, porté par ce qu’il nomme : la littérature globale.

La veuve et l'orphelin
        pour Francopolis septembre 2011
recherche Éliette Vialle
 

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Créé le 1er mars 2002- rubriques 2010