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LES PIEDS DES MOTS

Où les mots quittent l'abstrait pour s'ancrer dans un lieu.


Ce mois d'octobre 2005 :

LES ARIAS D'UNE NUIT INTERDITE

par  RACHID DZIRI

Le ventre sous mes aisselles, je cherche l'issue vers un espace meilleur. Je porte ma douleur, et me love à même les jambes, tourne autour de ma mortification qui me colle comme une ombre. Mon simulacre siamois. Mes afflictions sont muettes, c'est dur de les extérioriser. Quelque chose m’atteint aux entrailles, me vilipende. Une nausée me torture, impossible de vomir. Tout me devient verroterie, sans la moindre valeur. J’assène mes regards autour de moi dans ce misérable galetas de quatre pouces; une horloge suspendue au mur crasseux, un métronome superfétatoire qui n’a pour rôle que de décorer le chevet de mon lit. Ici, tout objet atteste la sclérose de la vie qui règne dedans. Le bruit ahurissant d’une musique discrédite les moments sereins d’après vingt heures auxquels je me suis accoutumée. J'ouvre la fenêtre pour chasser l’asphyxie qui m’assaille. Une odeur rance règne à l'intérieur du ghetto où l’on m’a barricadée. Dehors les gens gémissent dans un tollé de cris, jacassent leurs préoccupations quotidiennes, cavalcadent dans une harmonie quasi instinctive; j’appelle inlassablement quant à ma voix, elle se perd dans une cacophonie insupportable. J’étouffe. J’attends la fin de mes jours et je ne comprends pas. Des sanglots proviennent du fond de ma gorge et mes yeux se truffent de gouttelettes de larmes non autorisées, non souhaitées. J’attends, et chaque minute est une séance de torture. Une pâleur voile mon visage de vingt ans. Je dégouline par inertie. Je n'ai nullement envie d'être à la merci de quiconque. Je perds confiance en tout. Je ferme la fenêtre et m'aplatis sur un sofa ancien qui authentifie la putréfaction et la décadence, dont le crin sortait de partout. Tout me dérange et me ronge sans répit.
La lumière sassée de la chambre me procure un peu de quiétude. J'essaie de me déplanter par force de cet agencement dans lequel je m’enterre. Je ne sais comment m’y prendre ni quand. Il me faut l'aplomb des grandes garces incontestées des lieux discrets pour prendre une décision. Esseulée au fond de ma mansarde, des images asthéniques d’un temps trépassé déferlent amicalement dans ma tête, j’essaie d’en saisir les plus transparentes. Ce que je prouve? Une nostalgie pour certains jours magnifiquement accomplis.
J’ai l’impression que le monde se paralyse, s’arrête d’avancer à cause de moi. Moi l’intrépide, l'androgyne malgré moi, malgré ceux qui me portent les préjudices les plus illégaux. Tout le monde attend mon entrée en scène, mon enterrement. Je devrai sacrer le jour promis, celui de mon jugement dernier.
Une évidence hors du commun m’investit, me refaçonne à mon insu et refait de moi l’implacable être du foyer qui m’occupe. Je me construis en dehors des formes jubilatoires à l’orée des affronts bien tacites. Je suis à bout de souffle, mes nerfs crépitent, mon corps bave comme une vieille limace, se métamorphose et s’acclimate aux arias de cette nuit, ces choses entassées au fond de moi-même.

Du haut de ma mansarde, j’entends la voix du bourreau qui gère l’intérieur de la maison, crie, hurle et menace. Tout le monde s’y soumet, pas par respect comme voulaient les normes et les bienséances de la vie mondaine, mais par peur d’être le bouc émissaire. Mon instruction fut interrompue au moment où j’avais commencé à tenir tête à mon géniteur. « Une petite morveuse née d’hier vient m’apprendre comment formuler mes phrases, conne vas !», disait-il souvent. Je suis tout sauf mondaine. Je me perds dans le tumulte des hilarités obscènes des scélérats présents dans le logis qui m’engouffre, de celles dont les goujateries est leur marque déposée, ventrues impitoyablement meurtrières, grosses limaces, sangsues des temps modernes.
Eventrée par un mal qui a pris l’habitude d’essorer mes tripes, il ne m’est dans mes possibilités qu’endurer en essayant d’éviter une crise de nerfs qui pourrait m’enfoncer plus dans le désarroi et l’accoutumance. Je suis mon instinct, me regarde et ai pitié de la conne qui m’épie dans la glace. Derrière moi, les regards s’enivrent de ricanements goguenards, ceux de la flétrissure et de l’avilissement. Mes assistantes m’envient à mort, elles rêvent d’être à ma place, d’être moi-même. Par leurs agaceries, elles appellent la défloration, le sexe et l’acte simiesque. Je les imagine toutes en train de subir la torsion voluptueuse, la flagellation phallique pour leur apprendre que ceci n’est pas le prestige de la femme, ni l’aspiration d’une jeune fille qui sait son devoir vis-à-vis d’elle-même et à l’égard des autres ; à l’égard surtout de la dignité de la bienséance, de la décence. Cohorte de gens enragés par l’idée qui m’a tellement répugnée au point de rompre les liens internes de ma famille, au point de mettre en cause mon appartenance, mon identité, tout mon être.
Que de stryges autour de moi aux aguets, des masses de chairs aux tentacules grêlés de signes étanches, au visage  contingent et aux yeux de goule.  Elles attendent le moment de me sauter dessus. Ces masses vivantes me harcèlent, me scalpent m’étirent dans tous les sens ; elles m’écartèlent en raison de me faire belle, de me rendre valable pour une nuit indésirable. Joie inconvenante. J’avoue être, de ma part, excédée de toute cette manigance incongrue. Tel est le constat auquel je me réfère sans cesse, et telle est justement la persévérance qui m’a énormément coûtée.

On m’accommode pour le départ, l’adieu probablement pour un destin acariâtre qui n’a jamais répondu à mes besoins. J’ai envie de rire et pleurer en même temps, de transpercer ma peau de chagrin pour m'en aller là où rien ne m'attend, de me délivrer enfin de mes contraintes et de celles des autres qui m’assaillent constamment. Je râle in petto en dévalant mon corps, et tout se joue à mon détriment. Tel est mon gage. Je lacère ma peau, je pince mon sexe, ce pivot autour duquel s’organise le crime. Je bois mon sang et deviens ma propre sangsue. Ma cavité est un univers restreint qui ne cesse d’empiéter sur mes préoccupations sans mon consentement. C’est un cagibi où s’entassent mes souvenirs avec ce corps qui me supporte. Cette connivence m’a toujours été d’une grande utilité sans quoi je me serais réduite à une simple pacotille. Il y a des particularités auxquelles je tiens vivement et c'est cela qui me ramène à moi. Des particularités sans lesquelles je ne suis rien, une verroterie cantonnée autour de son mal. Je n’ai à mon service que ma désobéissance. Les signes qui me rouent proviennent communément de mon bourreleur.
Au fond de cette alcôve les formes de civilité manquent implacablement. C'est une accablante imperfection de la vie familiale, une déformation des bienséances. Mes fées ont disparu au moment où la difformité a trouvé son chemin vers ma pièce. La licitation d’un corps bat son plein à l’annonce des sorcières. Mon corps se fond, se noie ostensiblement, arpente l’espace réduit qui se claquemure autour de lui. Il s’investit dans la source des fulgurances. Sa seule marge d’action est de tâtonner son pouls le plus occulte, de voir comment fonctionne l’envers des choses. J’abrite en moi le cri fauve des nuits enluminées par une joie apocryphe, à peine à son alpha. Je la nie et renie ; elle m’enfourche et me porte préjudice au fond fin de mon être. On se hait intra-muros.  Dans le tumulte agaçant des harpies qui occupent mon logis, ma voix se hausse pour clamer un peu ma solitude, tout le monde prend congé de moi.
La vie dehors m’appelle de temps à autre. Elle me hante et me rend de plus en plus tributaire d’un système auquel je ne comprends rien. Ceux que j’entends de ma cage jacasser sans cesse me semblent nobles et dignes de liberté. J’appelle alors mon mal, je le bichonne et en fais mon effigie ; l’ombre constante de mon for intérieur. Je ressens se développer en moi un sentiment pareil  à celui d'une anarchie absolue. Je deviens la diablesse de ceux qui m'entourent comme j’étais toujours l’incongrue pour mon bourreau, mon géniteur. On satanise mes propos, mes gestes et le sourire innocent que j’esquissais chaque fois qu’on me parle. Chez moi j’ai toujours été l’hôtesse, la passagère qui évacuerait tôt ou tard les lieux. Ma vie serait ailleurs dans tous les cas. Je serais la honte de mon foyer. On me fait acquiescer puisque je n’avais pas le choix. On pensait mieux que moi, à mon insu tout le monde avait déjà programmé mon soi disant bonheur. J’imagine mes crises de nerfs et la torpeur qui retenait le souffle de ma marâtre. On est volontairement divergentes l’une et l’autre, jamais le même sort.

Certes, tout ceci ne m’importe plus maintenant. Le monde dans lequel je suis née m’était étrange comme le sentiment que je ressens aujourd’hui pour certains qui m’entourent. J’attends que la nuit fasse irruption pour que je torche dans ma conscience les visages qui me hantent. Il m’arrive des fois de les avaler, de les dégueuler ensuite, puis de les broyer sous mes sandales en toute tranquillité. J’ai peur pour moi-même, et pour ceux qui m’affectionnent. La nuit, mon gué propice vers l’accomplissement, la métamorphose en fait. Je me lie d’amitié avec les hallucinations qui nichent dans ma tête, je les dorlote et en fait mes scènes habituelles. Demain est une autre réalité qui n’aura pas de place dans ma vie. Qui sait !
(…)


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                recherche Stéphane Méliade



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