Assises, face à face, dans la
chaleur du bar enfumé, elles parlaient peu, gagnées par un certain bien-être voisin
de l’indifférence, de l’absence. Le bruit sourd des conversations feutrées
ajoutait une note de confusion voire
d’irréalité…
Cet homme qui passe à côté d’elles,
frôle leur table : c’est LUI et, ce n’est pas LUI. Elle ne sait plus.
Elle questionne son amie du regard… Un regard sans parole, sans
réponse…
Elle est certaine que c’est LUI... Elle l’a reconnu sans même le voir… Et
pourtant, il est plus mince, plus jeune : il est comme un souvenir
d’enfance un peu artificiellement vieilli…
Elle l’avait revu, il y a quelques années, très différent du jeune
garçon qu’elle avait aimé, lesté d’un léger, allons soyons honnêtes, d’un
certain embonpoint, le visage empâté par la bonne chère, rougi par de trop
nombreux verres.
Elle l’avait bien reconnu, ce jour là…
C’était le même sourire mi-ironique, mi-timide, à peine une légère
esquisse des lèvres ! Les mêmes yeux bleu-violet pleins de rires, de rêves.
Mais là, elle hésite… Il est lui même, sans embonpoint, sans cette
autre chose qu’elle ne sait pas définir… Mais l’expression du visage …
Cette expression là, non, elle ne la reconnaît pas : un visage vide, sans
chaleur, sans lumière, une photo ratée !
Avant qu’elle ait réfléchi, elle tend la main, touche son bras et c’est
ce visage vide qui se tourne vers elle.
Hagard ? non pas vraiment ! ni même surpris... Indifférent
comme s’il ne la reconnaissait pas mais «savait» malgré
tout !
Alors, elle le suit, la main posée sur son bras,
elle trouve ce geste naturel comme un
pas placé dans l’empreinte d’un autre
pas, un pas venu du passé lui aussi.
«Attends» dit-elle… Avertir l’amie, qui, d’un battement de
paupières répond : silence à silence.
Elle se retourne : où est-il ?
A-t-il disparu encore une fois ? Elle l’a perdu ! Son
regard s’affole, interroge sans le voir la foule des buveurs.
Où est-il ?
Son regard cherche, prie, cherche encore…
Une main lui fait signe : « là bas » !
Oui ! là bas, dans un fauteuil, le dos à la salle et serrant dans
la main un bouquet de fleurs qu’il lui tend.
Il ne lui a offert des fleurs que rarement et d’un geste tellement
embarrassé et gauche, qu’ils en riaient tous les deux !
Le journal est là sur la table… ouvert à la page nécrologies.
Elle ne le lit même pas, le referme : ELLE SAIT
Rose Vissac, est née et vit à TAVEL, petite bourgade du Gard non loin d'AVIGNON, région où
l'on fabrique le fameux vin rosé de TAVEL. Professeur de lettres en lycée à
Avignon, elle continue de s'occuper du caveau familial "AU PALAI MIGNON " où l'on peut
déguster non seulement du rosé, mais du blanc et du rouge ; ce qui ne l'empêche
d'écrire...
NB. palaï en patois du Languedoc = quartier et non
palais.
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