Poésie du monde :
brindilles choisies

 vitrail qui représente un quetzal, l'oiseau presque magique des mayas par Aaron

Cher lecteur, j’espère que tu trouveras plaisir à marcher dans ces feuilles, ces pierres, ces plumes venues des quatre coins du globe, de ses mers et ciels déposés sur la place des francophones.
En cadeau cette petite récolte et ensuite, si le cœur t’en dit, viens toi aussi déposer les poèmes que tu aimes sur le forum de francopolis, dans l’espace offert à la poésie du monde.
Belles découvertes …
Juliette Schweisguth
***



POÉSIE AMÉRINDIENNE


HÉLÈNE SORIS  :
Poésie amérindienne avec Steeve Crow et Charlotte Declue


RENAISSANCE

La neige est une pensée
qui tombe, un souffle continuel
d'ascensions, de boucles,de spirales
de plongeons dans la terre
comme de blanches lucioles
désirant se poser, prises
dans la bourrasque
entre les maisons
plongées comme des mites
dans leur propre lumière
comme un qui s'étonne
que la neige soit une longue mémoire
d'aile qui traverse l'hiver.

Steve Crow
CHANT DE L'EAU

L'eau traverse longuement
notre terrain. Quand
nous trouvons une feuille
ou l'aile d'une libellule
dans l'eau, nous la repêchons .
La remettre signifie qu'autre chose
doit mourir et y être rejeté .
Si l'eau est claire,
nous vérifions qu'aucune impureté
ni rien ne la souille.
 
Steve Crow (Cherokee Irlandais)
vit au nouveau Mexique né en 1949 en Alabama

EN MÉMOIRE DE LUNE

Le chien méchant s'assoit
dans la prairie la plus sombre de la nuit
là où le jour n'atteint jamais la terre.
Ses yeux sont rouges car ils ne voient que la lune
et le sang

Il dort seul
derrière les tables, entre les tabourets
léchant les bottes de chasse ,
songeant au soleil de l'après-midi qui pénètre par la porte
ouverte;
et le poursuit.
Ca le met en colère .

La lune sortit de chez elle et descendit la rue déserte.
Et le chien méchant
le goût des bottes de son maître dans la bouche ,
la suivit .

Le soleil tomba à ses genoux
et chagrina le ciel d'un voile de sang .
Le vent souffla tiède une fois encore, plus froid.

Le chien méchant tua la Lune

Charlotte Declue
Née en Oklahoma . Vit en Kansas
" la poésie amérindienne " éditions les cahiers de poésie rencontre numéro 25



POÉSIE KURDE

NARIM : Poésie kurde avec Emir Kamuran et A. Bedir-Khan

LE SILENCE...

A mon très cher ami
Bernard Dorin


Silence... silence...
Sur les cimes, dans les vallées,
Sur la neige immaculée,
Dans les parcs, dans les plaines...
Le monde retient son haleine.

Les ruisseaux ne murmurent plus
Comme dans les caves,
Comme dans les vignes
C'est le silence, c'est le silence

Le ciel se tait...
Le vent se tait
Comme si c'était un jour d'été...
C'est le silence, c'est le silence
Mais ceci n'est
Qu'une apparence! ...
Interroge-le !
Est-il muet ?
Ecoute-le bien
Entends-le bien
Il te dira combien je t'aime

Sous ma poitrine mon coeur se tait
De nostalgie et d'espérance...
Dans le bonheur, dans la souffrance
Le mot sublime est le silence,
C'est le silence, c'est le silence,
C'est l'ivresse de l'espérance ! ...

Puis-je espérer ? tu seras mienne ?
C'est un mot vain,
Je le sais bien...
Le désespoir dans l'espérance
C'est le silence, c'est le silence

Mais ceci n'est
Qu'une apparence
Interroge-le !
Est-il muet?
Ecoute-le bien
Entends-le bien
Il te dira combien je t'aime

Emir Kamuran

LA CARAVANE

La caravane passe

Entourée d'une cadence,

D'un silence,

D'un rythme sans écho.

Cherchant des sources des coteaux

Comme sur les mers, sans routes, les bateaux.

Sur la page blanche du désert

Où la lumière fond comme le plomb sur la flamme,

Les gazelles regardent de leurs yeux de femme.

La caravane passe

Liant les pays et les races,

Laissant sous leurs pas

Des mesures égales.

Le soleil est blanc, un morceau de cristal

Escortée par des ombres vives et berçantes,

Pensant à la nuit aux fraîcheurs caressantes

La vie a le rythme du pas des chameaux.

Tel un ciel hivernal par ses astres, les hameaux.

Des visages maigres et des regards sombres,

Leurs nuits sont longues et leur fatigue brève,

Cultivant la lumière et récoltant l'ombre.

Ils consolent leur espoir sur l'oreiller du rêve.



A.    Bedir-Khan
 




POÉSIE AMAZIGH


ALI IKEN  : Les chants et contes de Mririda, jeune hétaïre berbère, ont été recueillis en 1927 par un instituteur français René EULOGE et publié dans un ouvrage intitulé "Les Chants de la Tassaout - Mriridi Naït Attik" paru à Casablanca en octobre 1986.( asays.com )

Mririda

On m'a surnommée Mririda, Mririda,
Mririda, l'agile rainette des prés...
Je n'ai pas, je n'ai pas ses yeux d'or
Je n'ai pas, je n'ai pas sa blanche gorge,
Je n'ai pas, je n'ai pas sa verte tunique.

Mais ce que j'ai comme elle, Mririda,
Ce sont mes zerarit, mes zerarit
Qui volent jusqu'aux bergeries,
Ce sont mes zerarit, mes zerarit
Dont on parle dans toute la vallée
Et de l'autre côté des montagnes,
Mes zerarit qui émerveillent et font envie...

Car dès mes premiers pas parmi les champs,
J'ai pris doucement les rainettes agiles,
Craintives et frissonnantes dans mes mains,
Et j'ai pressé longtemps leur gorge blanche
Sur mes lèvres d'enfant et puis de jeune fille.

Ainsi m'ont-elles transmis la vertu merveilleuse
De cette baraka qui leur donne un chant,
Un chant si clair, si vibrant et si pur
Par les nuits d'été baignées de lune,
Un chant pareil à celui du cristal,
Pareil au bruit clair de l'enclume
Dans l'air plus sonore qui précède la pluie...

Et grâce au don que m'a fait Mririda
On me nomme: ... Mririda, Mririda...
Celui qui me prendra pourra sentir
Dans sa main, dans sa main battre mon coeur,
Comme souvent sous mes doigts j'ai senti
Battre le coeur affolé des rainettes...

Dans les nuits baignées de lune,
Il m'appellera Mririda, Mririda,
Le doux sobriquet qui m'est cher.
Pour lui je lancerai mes zerarit aiguës,
Mes zerarit stridentes, prolongées,
Qu'admirent les hommes et jalousent les femmes,
Et telles que jamais n'en connut la vallée...

tiré de Les chants et contes de Mririda
La fibule

« Grand-mère ! Grand-mère ! depuis qu’il est parti,
Je ne songe qu’à lui et je le vois partout…
Il m’a donné une belle fibule d’argent,
Et lorsque j’ajuste mon haïk sur mes épaules,
Lorsque j’agrafe le pan sur mes seins,
Lorsque je l’enlève, le soir, pour dormir,
Ce n’est pas la fibule, mais c’est lui que je vois !
-Ma petite fille, jette la fibule et tu l’oublieras
Et du même coup tu oublieras tes tourments…
-…Grand-mère, depuis bien des jours, j’ai jeté la fibule,
Mais elle m’a profondément blessé la main.
Mes yeux ne peuvent se détacher de la rouge cicatrice,
Quand je lave, quand je file, quand je bois…
Et c’est encore vers lui que va ma pensée !
-Ma petite fille, puisse Dieu guérir ta peine !
La cicatrice n’est pas sur ta main, mais dans ton cœur »


tiré de Les chants et contes de Mririda


note de Juliette :
pour en savoir davantage sur la poésie amazigh, lire sur vues de francophonie la série d'articles par Ali Iken et Cécile Guivarch

premier opus:
De l'oralité à l'écriture - Introduction à la poésie Amazigh


second opus :
Poésie Amazigh - Les mystères des chants Ahidous




POÉSIE MAYA

AARON:  Un poème maya avec Jose Luis de Leon Diaz

être indien maya dans une revue d'histoire, c'est chouette
on vit au grand air, on bâtit des pyramides et des légendes
les femmes rêvent de nous...¨
être indien aujourd'hui n'est pas aussi facile
surtout quand on est indien
né indien
********

Poème de moi enfant


sous cette peau
il y a la peau douce d’un enfant
qui dort à peine
qui porte sur le dos
qui marche jusque dans ses rêves:
ses pieds sont deux fruits sans écorce
sa charge est un volcan
son chemin est de pierres.

et cet enfant
depuis des années
se lève
à la première lueur du jour
et sort derrière sa mère.

le village reste en contrebas
ses ruelles comme des serpents
ses maisons comme des poules
son église longue et blanche
comme un lapin dans l’herbe.

là-haut, il y a sa propriété privée
son morceau de volcan
ses goyaves gorgées de miel et de moineaux
ses papayes suspendues comme des ruches
sa terre à moitié stérile
comme une mère approchant la ménopause.

l’enfant est un guerrier
il porte sur ses mains une fronde et une machette
pour vaincre la nature
et chasser les animaux de la forêt
l’enfant est un poète
il porte sur sa langue des centaines de mots
pour donner un nom aux choses:
au pin ; pin
au chêne vert ; chêne vert
au ravin ; caisse de balafon
aux oiseaux ; avions
aux insectes ; dindon, vachette etc…
l’enfant est un esclave
il porte sur le front
la trace du mecapal (*)
comme le bétail est marqué.

quand il grimpe le volcan, il est fourmi
cachée dans le bleu et le vert

en contrebas du village il y a la vallée
large est plate comme un lac
et au milieu, la ville
blanche comme un bateau
avec ses rues droites
ses églises hautes
ses cloches qui secouent le verre du ciel quand elles sonnent
son parfum de violette dans un vieux livre
sa bouche édentée de patronne.

l’enfant ne la voit pas

il monte
il sue, il court derrière l’ombre de sa mère.

l’enfant et la mère arrivent à leur morceau de terre
l’enfant et la mère le fertilisent de sueur et d’espérance
il monte aux arbres
se déplace sur les branches comme un écureuil
coupe les fruits
elle ramasse.

plus tard,
ils descendront ensemble, laissant le volcan dans le dos
à pas lent, comme des bêtes de bât
elle, courbée sous le poids de la corbeille
lui, sous le poids du sac.

demain
ils quitteront à nouveau le village
mais pour aller à la ville
à pieds
ployés sous la charge
transpirant comme des bêtes
en continuant de transpirer au marché, le soleil sur la tête
en transpirant ils rentreront au village
parfois
il n’y ira pas au marché
il attendra sa mère dans un coin de rue
il viendra à sa rencontre
en sautillant comme un ballon heureux.

ceci est une partie de l’histoire de l’enfant
qui un jour cessera
il ne sera plus ni enfant ni paysan
il respirera profondément
comme quand il descendait la charge à la maison
et se releva digne comme un arbre.

pourtant
malgré le temps et l’apprentissage d’un métier
au dedans de lui-même
au plus profond
cet enfant l’accompagne toujours.


Jose Luis de Leon Diaz

* mecapal , bandeau au front qui sert à porter les charges


Jose Luis de Leon Diaz était un indien maya. Un qui a eu de la chance, il a pu étudier et devenir instituteur. Il a écrit quelques nouvelles et romans et aussi quelques poèmes.
Il n'avait qu'un défaut. Il voulait aider les pauvres de son pays.
Il est arrêté en 1984, à l'âge de 42 ans, et depuis on n'a jamais su de lui...
Jusqu'en 1999, où on a retrouvé sa trace...
dans les archives de la police ...

J'ai feuilleté environ 50 pages de ces archives. Dans trois ou 4 cas, le détenu a été libéré(e). c'est écrit au crayon, en dessous. Dans tous les autres cas, la marque au crayon indique le chiffre 300, toujours le même, qui est probablement le code pour dire qu'on a envoyé le détenu chez Jésus.

(je vous rappelle qu'on estime à plusieurs centaines de milliers les gens tués dans les années 80 au Guatemala)




POÈME NAHUALT

JEAN-MARC LA FRENIÈRE : Un poème nahualt

 un enfant à sa mère

quand je meurs
enterre-moi sous le foyer
quand tu pleureras
si on te demande pourquoi
tu diras c'est la fumée
***


POÉSIE CHILIENNE

AARON:   2 poèmes chiliens avec Pablo Neruda

Aujourd’hui il y a cent ans c’est la naissance de Néruda.
Sa mère était la Cordillère des Andes, son père le Pacifique, son enfance la pluie.
Tout cela a fait Néruda, l’immense poète du siècle dernier,
le Charlie Chaplin du cinéma, le Picasso de la peinture. le poète de la force vitale
celui qui faisait la collection des proues de navire échouées sur les plages du Pacifique
(il a habité au bord de l’Océan de nombreuses années)
celui que pas un dictateur n’a réussi à mater
celui dont tout le monde en Amérique connaît un poème par coeur
qu’il soit péon, midinette ou ministre
...
Néruda est mort quelques jour après Allende dans un hôpital, d’un cancer
pendant que les escadrons de Pinochet purifiaient Santiago
en pissant dans sa maison et en détruisant ses livres et ses collections.

Son dernier poème, il l’a écrit sur le lit d’hôpital quelques jours avant la mort
ou quelques heures sa dernière pensée est pour Matilda, sa femme, sa compagne, sa moitié-vie.
On devine dans l’écriture la douce somnolence des agonisants mais beau jusqu’au dernier mot

***

Mathilde, les ans ou les jours
endormis, fiévreux
ici ou là,
cloué
la moelle cassée
éveillé peut-être
ou perdu, endormi:
chambres d’hôpital, fenêtres étrangères
blouses blanches et discrètes
l'engourdissement dans les pieds.

Puis ces voyages
et ma mer à nouveau
ta tête à mon chevet,

tes mains volantes
dans la lumière, dans ma lumière
sur ma terre.

Ce fut tellement beau de vivre
quand tu vivais

Le monde est plus bleu, plus terrestre
la nuit, quand je dors
énorme, dans le creux de tes mains.

Pablo Neruda

********






note de Juliette :
pour lire d'autres poèmes de Pablo Neruda traduits par Aaron,
voici ces deux liens :

Traduction des poèmes de Pablo Neruda sur francopolis

8 poèmes de ce recueil, "Arte de Pájaros" traduits par Aaron
(Arte de Pájaros n’a pas été publié en français)





Le pied

Le pied d’un enfant ne sait pas qu’il est pied
il pense être pomme ou papillon

Ce sont les choses familières
vitres, pavés, rues, escaliers,
chemins de terre battue
qui lui apprennent qu’il ne peut pas voler
ou qu’il pas un fruit rond sur une branche.

Très vite la bataille est perdue
il est vaincu
fait prisonnier
et condamné à vivre dans une chaussure.

Petit à petit, il découvre le monde
sans lumière
sans connaître l’autre pied,
lui aussi incarcéré,
explorant la vie comme un aveugle.

Ses ongles sont des grappes de quartz
qui durcissent et deviennent
matière opaque, cornue
et les petits pétales d’enfants
s’aplatissent et prennent la forme
de reptile sans yeux
têtes triangulaires du ver-de-terre.
Se couvrent de cals
de minuscules volcans de la mort
d’inacceptables cors.

Mais cet aveugle continue de marcher
sans trêve, sans halte
heure après heure
un pied après l’autre
devenu la propriété d’un homme
ou d’une femme
en haut
en bas
dans les champs, les mines
les grands magasins, les ministères
devant
derrière
dehors
dedans
à peine le temps d’être nu
dans un moment d’amour
ou de rêve
le pied et sa chaussure
marche, marchent
jusqu’à ce que l’homme entier s’arrête.


Maintenant il est en terre
mais il ne le sait pas
parce que tout est obscur
dans cet endroit
il n’a jamais su qu’il n’était plus pied
et si on l’enterrait pour qu’il devienne pomme
ou pour qu’il puisse voler.

Pablo Neruda
(traduit de Estravagario)


POÉSIE INDIENNE

YVES HEUTÉ : 2 poèmes indiens avec Fortunatos Ramos

Fortunato Ramos
est un poète indien de Humahuaca, petit bourg des Andes au nord de l’Argentine, où je l’ai rencontré.
Il est tout à la fois instituteur itinérant, musicien, conteur traditionnel et paysan.
Chantre reconnu de la condition indienne, il a toujours refusé de renier sa condition de pauvre pour une gloire qu’il estime être la porte de la trahison.
Il parle, écrit et chante dans le langage des indiens, un espagnol très terrien et très simple.
Il m’a donné l’autorisation verbale de traduire et de publier ses poèmes en français.
(Noemi Coronel, de Salta qui m’a aidé à en traduire ses « indianismes » m’avait averti que si jamais je lui demandais à lui, indien, une autorisation écrite, j’allais passer par la fenêtre ! )

Traduits de Obras Completas, (poèmes posthumes) par Yves Heurté

Ne te moque pas

Ne te moque pas de l’indien
qui descend des montagnes
laissant ses chèvres et ses douces brebis,
ses terres à l’abandon.
Ne te moque pas de l’indien si tu le vois muet
un peu fruste et tout assommé de soleil.

Ne te moque pas si à travers rues
tu le vois trottant comme un lama
une guanaco apeuré, un âne rétif
poncho et chapeau sous le bras.

Ne méprise pas l’indien si au plein du soleil
tu le trouves tout emmitouflé dans sa laine
et trempé de sueur.
Pense, ami, que celui-là descend de là-haut
où un vent de glace entaille les mains
et fait éclater les cals des pieds.

Ne ris pas de l’indien si tu le vois
mâchant son maïs cuit
ou cette viande dure qu’il a traîné jusqu’ici, sur cette place,
par quelque sentier glacial ou le long d’un fleuve.

Le voilà qui descend vendre ses cuirs, vendre sa laine
pour acheter son sucre, ramener sa farine.
Il aura même sur lui sa monnaie et son manger
pour ne rien devoir te demander.

Ne te paye pas de sa gueule d’indien qui vit sur sa frontière
par là-bas, vers le col de Zenta,
car si tu vas par ses montagnes
il t’ouvrira les portes de sa cahute
te versera son alcool de maïs et te passera son poncho.
Près de ses gosses, tu mangeras ce qui lui reste
et rien en échange.

Ne te paye pas la gueule de cet indien qui cherche le silence
et fait monter ses fèves entre les caillasses d’ardoises
là-bas, sur ces hauteurs où rien ne pousse.

Car c’est ainsi que survit l’indien sur sa propre terre
sa terre mère, sa Pachamama.
****

Jamais enfant

Mon sourire est sec et ma face sérieuse,
mon dos large, mes muscles durs,
mes mains crevassées par un froid cruel.
Je n’ai que huit ans mais je ne suis pas enfant.

Derrière mes brebis, je marche par les monts
je descends ma charge jusqu'à ma cabane
où je souffle le feu, où je tue le temps
en tressant des cordes.
Jamais le temps d’être un enfant.

Mes ans filent, toujours les mêmes.
Maïs bouilli ou lait salé, voilà mes caramels.
Mes joujoux sont le bouc ou le chien des brebis.
J’ai si peu vécu et toujours pas enfant.

Mon avion est un vieux corbeau
mon camion un âne au pas lent.
Mon copain c’est Zorro qui vient voler mes chèvres.
Pour me consoler je me dis : « Enfant, tu pourrais l’être ! »

J’ai la tête d’un vieux et le pas d’un pépé.
Mes talons coupés par les pierres
mon poncho déchiré par le vent,
tout me crie : « Tu n’es pas enfant ! Tu n’es pas enfant » !

Pour moi, pas de Rois Mages,
adieu, la « journée de l’enfance ».
Jamais la veine
d’être un gosse !

Fortunato Ramos
traduction Yves Heurté

***



POÉSIE CHINOISE

HÉLÈNE SORIS : Un poème chinois contemporain avec Ai Qing


J'aime cette terre
Même si j'étais un oiseau
avec mon gosier enroué je chanterais
cette terre fouettée par les tempêtes
ces fleuves où déferlent nos colères et nos peines
ce vent furieux qui n'en finit pas de souffler
et cette aube infiniment tendre venue de la forêt...
Enfin avec la mort
je laisserais mes plumes se décomposer dans la terre
Ah! pourquoi mes yeux sont-ils toujours embués de larmes
Parce que j'aime cette terre d'un amour très profond...

17 novembre 1938
Ai Qing
Traduit par Zhang Yunshu




création de composition-photo par  Aaron


 Vous avez aimé le voyage ?
Si oui, ça tombe bien, une suite vous sera proposée dans un prochain numéro.

recherche Juliette Schweisguth , novembre 2005        


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