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Poésie Amazigh - Les mystères
des chants Ahidous

Par Zaïd Ouchna

Ahidous, cette gavotte collective qui s'y prend à l’occasion des festivités officiant des hyménées ou des mariages est une danse qui spécifie Imazighen un peu partout au Maroc. Une manie musicale plus riche et plus vibrante car elle est très bien élaborée bien qu’elle ne soit pas régie par des données théoriques. Elle est non seulement diversifiée ; mais aussi elle définit des groupes et des régions bien distinctes. Le mysticisme de l’exercice de ses rites et de ses rythmes se transmuent et se modifient légèrement selon la géographie et l’espace. C’est un rituel qui se transmet oralement de génération en génération et ou dodine le quotidien d’une vie artistique très intense en poésie chantée, ondoyée, voire dansée. Sa pratique dans l’isolement à travers le temps a provoqué, dans certains cas, des débâcles de la norme première de cette tradition séculaire. Mais dans d’autres, la force de l’usage répand bien des indices véhiculés par des syntagmes et des aphorismes qui restent incompréhensibles pour nous, les ultimes des communs !


Au sud-est du Maroc l’Ahidous des Ayet Merghad et des Ayet Hdiddou, dont la pratique de ses multiples figures reste tout de même non médiatisée et donc très mal connu par le publique, confine bien des choses non démêlées. J’en conviens, il y’en a d’autres Ihidas, de la même région ou ailleurs, qui ne sont pas vraiment connus des Imazighen qu’autant des autres. C’est pourquoi j’ai pensé qu’un état des lieux s’impose ici, ne serait ce que pour l’abondance en verbe et de créativité en littérature Amazighe.

Il s’agit ici de dépeindre quelques lieds de ce dit Ahidous qui présente des particularités, peut être peu commodes, singulièrement :


- Baybi
- Bayyada
- lfall


Ces vers chantés en l’honneur d’Islan (des mariés) avant des séances d’Ahidous et dans une mélopée, le moins que l’on puisse dire est un véritable envoûtement, dont le sacré est étroitement lié au profane, cachent bien des choses qui restent toujours non élucidé. L’écho conséquent du résonnant s’entend de solides chantres qui les ont fait. S’il y a des musiques dites sacrées, celle-ci en fait bel et bien partie intégrante dans ses répertoires. C’est une récitation polymorphe et complexe de vœux et d’appels à l’immémorial. De ce que nous retenons, par la force de l’usage, c’est qu’il s’agit ici d’un orémus émis d’abord à Baybi puis à « Bayyada » pour la prospérité du couple du jour ! Le symbolisme des vers (voire ci-dessous) confirme cette approche acquise par la voie de la tradition. Mais, d’autres questions interpellent la curiosité de tout un chacun. Pour exemple :
Que signifie au doigt et à l’œil le mot Baybi ? C’est qui Bayyada ? Que signifie «Lfall ?

Pour comprendre ces trois chants d’appel, différends par leur intonation ou mélodie, il faudrait respecter la suite chronologique de l’exercice. C’est à dire commencer par Baybi qui fait effet de référence à « bayyada » et puis terminer par Lfall qui implore l’absent ! Selon beaucoup de témoignages, gravés par la mémoire collective et transmise par voie orale, Baybi est le nom d’un auguste ancêtre Amazigh. Il serait non seulement un exégète ; mais également un emblème qui a pu consolider les rangs de son peuple. On dit qu’il a été trahi, puis assassiné par la recommandation d’un roi arabe à fin de casser les repères de la population dans l’intention de la faire disséminer, la politique de diviser pour régner oblige ! Les conditions qui ont entraîné son mauvais coup étaient d’une sauvagerie extrême. On dit que sa tête figeait des laves de sang, qui auraient sillonné le long de son corps de chaque coté, jusqu’à ce qu’il s'écroule inanimé par terre. Selon les commémorations transmises, les Ayet Merghad et les Ayet Hdiddou avaient blasphémé de porter son deuil tout le temps pour le faire passer à la prospérité. C’est pourquoi les femmes Isett Hdiddou et les Isett Merghad se drapent d’un Abizar sillonné du rouge sang - le sang de Baybi - et du noir en signe du deuil. La femme, la gardienne par éminence de la tradition, accompagne toujours dans son nouveau foyer cet Abizar qui a pour elle une signification et une valeur incommensurable ; mais cela est une autre paire de manche...
Les hommes quant à eux, avant chaque séance d’Ahidous, ils font référence à Baybi d’abord. Ils lui rendent hommage, ils le sollicitent et puis ils lancent des médisances de douleur ; c’est à dire des « Hay, Hay » pour ne jamais oublier Baybi.

Baybi :

A baybi, a baybi !
Keyy ay mi grigh taghuri
A baybi, a baybi
Hayy, hayy ! A wi hayy, hayy !

Keyyin d amezwaru a baybi !
Keyy ay mi neqqar i ger-i taduli
A baybi !
Ad ak-âwdegh a baybi taguri
A baybi !
Ih awi hay, hay,hay !

Traduction

Baybi, oh ! Baybi
Pour toi, je révèle ma sollicitation
Baybi, à toi ma prévenance première
J’implore ta couverture avérée
Je renouvelle ton invocation
Baybi, oh ! Baybi


Puis ils enchaînent, mais dans un autre balancement, par l’invocation de « Bayyada » pour grappiller le rituel chant de « Lfall ». Selon des témoignages recueillis auprès des chantres âgés, auprès des initiés activistes du terrain et à mon sens en tant qu’héritier de cette tradition, il n’y a pas dans la liste des noms le terme « Bayyada ». C’est pourquoi la piste d’un mot composé est privilégiée. En explorant les Amawal Amazighs (les dictionnaires), il y a une possibilité de déchiqueter son véritable sens à condition d’inclure la complainte précédente ; c’est à dire Baybi. Je ne prétends pas par contre, apporter ici une variante définitive ; mais seulement une tentative qui servirait peut être d’ouvroir au travail d’un marteau plus pointu.
Selon cette version donc, le terme « Bayyada » serait alors la composition de trois mots distincts dont :


- le verbe BA ou IBA (les deux), signifie selon l’Amawal : perte de, disparition de
- le nom AYYAD veut dire(d’après Amawal) : écouteur, contemple
- le démonstratif A est largement connu

Bayyada s’écrirait convenablement par : Ba ayyad-a ; il donnerait en français : la perte de cet écouteur ou la disparition de cet écouteur. Le démonstratif A (cet), oriente à l’appel précédent, c’est à dire à Baybi. Donc, l’écouteur ou Ayyad serait vraisemblablement Baybi.

Lfall, chanté dans un souffle mystique exceptionnel, est un appel nous l’avons dit, à la prospérité de la vie des mariés ( islan). Sa pratique remonte loin dans des gouffres des âges car ses vers chantés sont un amalgame de rites et de croyances, conformément aux cycles des incursions. Il véhicule, à lui seul, bien des antinomies culturelles qui méritent une étude particulière.
Si l’on se réfère au dictionnaire, la racine du syntagme « Lfall » a subit une modification en lui-même. L’article « L » du début, qui est un empreint le confirme. En effet, il nous explique déjà les sens suivant :
Sfilew veut dire : émettre un vœux (un vœux pieux), ce qui est dans le sens du contexte, et qui montre que l’article « L » inféré a disparu. Nous en concluons qu’un rapprochement avec le sens arabe du mot est exclu.


Il y a le sens des autres verbes, mais de la même racine, qui incitent encore à un autre volet de la conjoncture, dont :


- Efel, signifiant : couvert (d’un toit)
- Sfel : se couvrir d’un toit.


Ce qui laisse à croire qu’on fait appel par le dit « Lfall » à une couverture tout court pour les nouveaux mariés, en implorant l’absent ! Une version qui trouve ses jalons dans l’indication donnée par le sens du récit ci-dessous.


Lfall n Isli


A ba ayyad-a, a ba ayyad-a !

A k-isney rebbi tanaka
N lanbya negh tin siyyadna Muhemd
Ayed iâezzan , a wenna igan tssabub
I yayt uhidus a wenna igan tsa...
A ba ayyad-a, a ba ayyad-a !

Innew a wa, i saâed a rebbi i waddegh
Ighweman, tgim-as adu-nnes
D amm win ildjigen
Ildjigen n teghebula
A ba ayyad-a, a ba ayyad-a !

Ad ihdu rebbi tawengimet
A ki-tdaâe a rasul llah d amezwaru
A ki-tdaâe, a bayyada
A ba ayyad-a !

Wenna isebbeben a yafrah
A ken-i-d-ngulu,
A k-igg mulana
D aghbalu ikerrzen akal
A ba ayyad-a, a ba ayyad-a !

Traduction
Le vœu du marié :

Au nom de cet écouteur trépassé
J’émets mon vœu le meilleur
Que tu suives, la trace des apôtres !
Ou alors, celle de Mahomet est en vue
Pour toi l’arrangeur de cet Ahidous
Oh ! le contemple défunt

Au nom de cet écouteur trépassé
J’adjure l’aléa sublime
Au profit du marié du jour,
A l’image du rosier prospère
Sa racine puise dans une eau de source
Une eau fraîche et abondante
Oh ! le contemple défunt

Au nom de cet écouteur trépassé
J’adjure l’aléa sublime
Au sort d’eau de source abondante
Elle irrigue les labeurs et les plantes
Oh ! le contemple défunt

Lfall n teslitt


A ba ayyad-a, a ba ayyad-a !
I suttegh-am lfall ad igg
Amm yat ddilit ur ilkim ufus
Ad tger ifer iâezzan
Ad as-telkemd a yazur i waghbalu
Ad as-telkemd
A ba ayyad-a, a ba ayyad-a !

Ihurma-kwen a yiggurramen
Ittuzurnin, ula win Fas, ula win dra
Ula azaghar, ad am-d-awin
A taghurramet ssaâed izilen
Ad am-d-awin
A ba ayyad-a, a ba ayyad-a !

A rebbi sdumett
Ad ur ttales i wazdugh
A rebbi sdumet
A ba ayyad-a, a ba yyad-a !

A rebbi lfall n kuyuwen
Ad igg mayed ran,
Ad igg mayed ran
A ba ayyad-a, a bayyada !

Traduction
Le vœu de la mariée :

Au nom de cet écouteur trépassé
J’émets mon vœu pour la mariée
Au sort d’une vigne prospère
Sa racine puise d’une eau profonde
Oh ! le contemple défunt

Au nom de cet écouteur trépassé
J’implore tous les sains
Ceux du sud à Derâa,
comme Amazighs, ceux des plaines
Faites que la mariée dégote l’euphorie
Oh ! le contemple défunt

Au nom de cet écouteur trépassé
J’implore qu’elle préserve le foyer
Qu’elle ne troque plus de manoir !
Oh ! le contemple défunt !

Azzenzey : le chant de l’aurore

Azzenzey ou la romance de l’aurore, est chanté dans un rythme très long et mystique à l’appontement des mariés au levé du jour dans l’enceinte de la kermesse de l’Ahidous ; après la première nuit qu’ils passent ensemble. Cette sorte de chorale mixte, composée d’hommes et de femmes, récitant des vers en guise de présages pour une union pleine d’amour et à une fécondité abondante du couple. Une pratique qui tire ses révérences dans les profondeurs d’un passé bien reculé. Cette mélodie fantasmagorique s’harmonise avec le souffle de l’auditeur pour l’emmener loin hors de l’espace, dans un cosmos virtuel et indécis. La voix rock des hommes se mêle à celle douce des femmes, aux levés des jours des étés, pour proférer des vers qui implorent l’absent et qui lancent des auspices du futur. C’est pour que le marié s’immisce d’avantage dans la vigie des modalités qui mènent la cadence à la peuplade dont il est issu. C’est aussi pour évoquer le devoir du marié à ne pas se laisser lassé devant des revers du règne. On lui lance des recommandations à entretenir le symbole qu’érige le père comme la mère.
Ici, les chantres sont aussi invoqués. Ils sont à consolider, eux, les porte-parole de la résolution des ascendants.
Pour la mariée, on lui lance des vœux pour une vie pleine de béatitude et pour que l’amour puisse répondre à l’appétence. Ce rituel donne du mou aux apostilles pour protéger le jardin du roi ; c’est à dire le foyer du marié. La fidélité roide et l’abnégation mettent sur pied la couverture et la délivrance.




Azzenzey


Iffu lhal ur iffu, sell’ i wdida n islan (iysan !)
Iffu lhal ur iffu teffeghm-id a laxyal
I nkerd a mayed ignan, uwigh-k-id a yamlal
A wa sbah-k, amm uyellid a yisli
I rebbi tmeqqured zarwen a gar tanbatt
I rebbi tmeqqured dat agh nagel tanbatt
I rebbi a yurhim, i rhem baba ula mma
I rhem winna kkaten-in a genza digh nitni
I nkerd a tafruxt n uyellid a tislitt
I rebbi a tarbatt-inew mayed am-ir’ wul
Aâerrim amezyan a mma-new ayed agh-ir’ wul
A yurti n uyellid a buwyadir iâlan
Iwragh dikk zzeâfran, timrigh deg-i tayri
Aâri-nnes i mayed ignan, ikkumec ard iffu lhal


Traduction
A peine le jour se lève qu’on entend le corridor des assortis
A peine le jour se lève que j’aperçois des merveilles
Réveilles-toi l’apathique, j’accompagne l’allégorique
La révérence solennelle soit sur le marié !
J’adjure votre stature contre le vilain règne
J’adjure votre dimension devant la relâche du règne
J’adjure le mécène, qu’il veille sur le père et sur la mère
Qu’il couve les chantres, eux de plus à leurs tours
Ravives-toi la fille du roi, oh ! la mariée
Je te crie grâce ma fille, quelle est ton appétence ?
Mon cœur est épris d’un jeune célibataire, ma mère !
Le jardin du roi au rempart rudement vertigineux
Ton safran s’est jauni, et en moi l’amour a pétrit
Prospère qui reste aliter, feuillé jusqu’au réveil

 

 

Zaïd Ouchna pour Francopolis,
recherche par Ali Iken
septembre 2005.





 

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Créé le 1 mars 2002

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