De 
                          l'oralité à l'écriture - Introduction 
                          à la poésie Amazigh
                          Introduction par 
                          Cécile Guivarch, suivi d'un entretien avec Ali 
                          Iken 
                         
                        
                        Nigh iyis 
                          nigh aserdun
                          Awa shuf aberem n lawqat
                          Igrid z'man i uaghyul
                          Igrid ughyul i washal.
                        Je suis monté 
                          à cheval, je suis monté à mulet 
                          
                          regardez comme les temps changent 
                          Le destin m'a jeté sur un âne
                          et L'âne m'a jeté par terre. 
                        
(Chanson berbère 
                          - Traduction Souag Mohamed) 
                        
                          
                            Depuis l’enfance, le Maroc m’évoquait 
                            un pays avec des traditions, des coutumes et une langue 
                            arabes fortes. Quelle surprise cet été 
                            lorsque je suis arrivée sur les terres d’un 
                            peuple à la culture amazigh bien présente. 
                            Les berbères, premiers habitants du Maroc, 
                            ont une histoire marquée par les invasions 
                            de différents peuples qui ont introduit leur 
                            culture et leur langue: romains, vandales, la colonisation 
                            française, l’Arabie… et ce qui 
                            m’étonne c’est que cette langue, 
                            cette culture soient toujours bien ancrées 
                            dans ses racines. Prenons pour exemple les peuples 
                            inca ou aztèques : plusieurs siècles 
                            après l’hispanisation ils conservent 
                            seulement quelques bribes de leur culture. Ce n’est 
                            pas le cas pour l’amazigh, les habitants de 
                            ces terres ont su résister et garder leur identité 
                            culturelle. Cette identité, l’homme libre 
                            (amazigh) la transpire, la fait vivre de toutes parts 
                            sur ces terres arides, ces régions montagneuses 
                            où l’on ne peut que s’émerveiller 
                            devant la beauté des paysages et des visages. 
                            Il la transpire, mais il la chante aussi, la poétise. 
                            Il n’est pas rare dans la rue d’entendre 
                            un homme ou une femme réciter un izli, ou de 
                            voir des écoliers évoquer la pluie à 
                            travers des chants. En discutant avec diverses personnes, 
                            poètes, universitaires, je suis peu à 
                            peu parvenue à entendre la voix du barde et 
                            des troubadours, les chants et les izlans d’amour, 
                            les contes et les proverbes pour enfant. De la poésie 
                            classique à la poésie contemporaine, 
                            l’histoire du Maroc se révèle 
                            à travers la poésie. Poésie essentiellement 
                            orale, de génération en génération. 
                            C’est pour cela qu’avec Ali Iken nous 
                            avons pensé à donner un aperçu 
                            de cette poésie, comme une invitation au voyage. 
                            Nous avons contacté, lors de mon séjour, 
                            diverses personnes pour comprendre les différentes 
                            facettes et perceptions de la poésie amazighe 
                            où les thèmes de l’amour, le mariage, 
                            les vices de la société et l’identité 
                            culturelle semblent revenir souvent. Mais avant cela, 
                            voici les propos que nous avons eu avec Ali Iken.
                           
                          
                            
                               
 
                            
                            (Tapis berbère - Photo personnelle : 
                            Cécile Guivarch)  
                            
                         
                        
                              
                            Quand on parle de poésie amazighe (berbère),la 
                            notion d'oralité revient très souvent 
                            Mais qu'entend t-on exactement par oralité? 
                            Est-ce que vous pouvez nous expliquer sous quelles 
                            formes cette oralité s'est manifestée 
                            ? Cette oralité existe- t-elle encore aujourd'hui 
                            ? 
                         
                       
                     
                    Effectivement, la poésie amazighe 
                      demeure foncièrement orale, elle est ancrée 
                      dans la tradition et appartient de ce fait à ce qu’on 
                      peut appeler "la poésie populaire" par 
                      opposition à la poésie écrite présupposée 
                      plus savante. 
                    
C’est une poésie chantée 
                      ou récitée, un espace qui n’a besoin 
                      ni de papier pour le griffonner ni d’encre pour le 
                      réciter. Une poésie davantage liée 
                      aux mécanismes de la mémoire, au chant, à 
                      la musique et à la danse qu’à l’écrit. 
                      La voix, l’instrument, le mouvement du corps sont 
                      ses propres supports. Ses traces sont gravées sur 
                      le visage de l’air. C’est aussi une poésie 
                      exigeante qui impose des normes rituelles stylistiques et 
                      sociales. Ainsi les gestes, les inflexions de la voix, les 
                      intonations, les silences, les réactions des auditeurs, 
                      les états d'humeur de l'aède, le genre de 
                      fête, de rencontre et de rite, les instruments ..etc. 
                      sont les ingrédients qui concourent à la composition 
                      de l'oralité de cette poésie. Le papier n’a 
                      pas de place, même dans le cas où le poète 
                      est un lettré ou scribe de ses propres textes le 
                      moment est à l’improvisation et au « 
                      par cœur ». Par exemple, au sud, les poètes 
                      chanteurs appelés « rrways »sont en majorité 
                      des scribes de leurs textes, une scribalité basée 
                      sur la mémoire.
                    
                      Paul Zumthor dans son "Introduction à la poésie 
                      orale" (1983.Paris.le seuil) fait une distinction entre 
                      trois formes d'oralité : l'oralité 
                      primaire, l'oralité 
                      secondaire et l'oralité 
                      médiatisée. Le paradoxe est qu’au 
                      Maroc, nous sommes en passe de tout écrire. L'oralité 
                      primaire, d'ici peu de temps, ne sera donc que du passé 
                      même si la scribalité, tout en portant en son 
                      sein des éléments de l'écriture et 
                      de l'oralité, est incapable d’assumer un vrai 
                      passage à l’écrit. Les fautes d’orthographe 
                      et de grammaire, l’absence de la ponctuation, les 
                      diverses normes de transcription, les trois alphabets pour 
                      l’écriture (arabe, latin et tifinagh) sont 
                      là pour attester de la présence permanente 
                      de cette oralité.
                    
                      Cette oralité se manifeste aussi dans la fragmentation 
                      de la langue amazighe en plusieurs parlers. Au Maroc on 
                      en distingue trois : le rifain, le tachelhit et le tamazight. 
                      Actuellement malgré les efforts et les progrès 
                      de la standardisation entamés par les associations, 
                      les artistes, les écrivains et l’école, 
                      un nombre de poètes continuent à écrire 
                      dans leur parler régional. Ceci n’est pas le 
                      cas dans la nouvelle, par exemple, où le passage 
                      à l’écrit est qualitativement important. 
                      Avant tout, la poésie amazighe est à écouter, 
                      à voir et non pas à lire. Paradoxalement la 
                      fixation graphique (qui, bien entendu, s'avère vitale 
                      et d'une extrême urgence pour l'ensemble du mouvement 
                      culturel amazigh) avec tout ce qu’elle propose de 
                      « salutaire » par ses formes, sa ponctuation 
                      et ses genres de spatialités demeure dans l’incapacité 
                      d’exprimer le génie poétique de l’oralité. 
                      L'aède amazigh, n'est vraiment maître de ses 
                      rimes que devant son public.Le grand public ne cherche pas 
                      à lire Tabaàmrant ou Zayd Lisyour mais à 
                      les écouter et à les voir.
                    
                      M.Aufray, en distinguant entre la parole et l’oralité, 
                      écrit dans sa thèse sur les littératures 
                      océaniennes que l'oralité "est 
                      une forme de communication sociale caractérisée 
                      par des modes de production et de transmission qui lui sont 
                      propres. L'oralité doit être envisagée 
                      comme une performance qui est définie par des circonstances, 
                      temps, lieux, contextes sociaux, par le statut et le rôle 
                      des participants,interprètes et auditeurs et par 
                      les modes d'interactions entre ceux-ci". 
                    
 
                     
                       
                        Donc si 
                          je comprends bien, le passage de l’oral à 
                          l’écrit ne se fait pas sans difficultés, 
                          ça m’intrigue tout de même de savoir 
                          ce qui a amené les poètes amazighes vers 
                          l’écrit. Vous avez une explication ?
                          
                       
                     
                    Je ne parlerai pas des facteurs socio-économiques 
                      ni du contexte idélogique et historique de l'apparition 
                      et du développemnt de la conscience identitaire amazighe 
                      je dirai simplement que parmi les leviers de l’émergence 
                      de la poésie écrite, on peut citer la publication 
                      des normes graphiques et linguistiques de cette langue et 
                      aussi la réédition des collectes et études 
                      qui ont été réalisées par des 
                      amazighisants étrangers tels que De Laporte (1840), 
                      Hans Stumme (1895), Emile Laoust (1930,1940), Henri basset 
                      (1882), André Basset (1920), Arséne Roux (1942),... 
                      Mais il ne faut pas oublier que le passage de l'oral à 
                      l’« écrit » a été 
                      initié depuis des siècles dans les confréries 
                      du sud. Parmi les centaines de manuscrits sur diverses disciplines 
                      de la poésie, la poésie religieuse occupe 
                      une place importante. Le premier manuscrit recensé 
                      remonte au 17e siècle, il s'intitule "l'océan 
                      des larmes" d’Alawzali.
                    
                      L'écriture à ses conditions, ses références, 
                      ses règles, ses exigences et ses formes. Elle se 
                      passe de tout paramètre kinesthésique. Elle 
                      se défend par ses propres moyens. Elle est métalangage. 
                      Elle n'a que du noir et du blanc pour vivre dignement ou 
                      mourir. Ce qui ne veut pas dire que tout ce qui est écrit 
                      est bon ou meilleur que tout ce qui est oral. Beaucoup de 
                      textes oraux (même hors de leur contexte naturel) 
                      sont plus concis plus imagés et plus beaux que d’autres 
                      qui sont écrits. 
                    
                      Comment alors passer à l’écrit sans 
                      perdre la richesse de l’oralité ou une partie 
                      de cette richesse ? N’y aura-t-il pas risque d’une 
                      rupture totale avec le lecteur ? L’auditeur / ou spectateur 
                      peut-il se convertir en lecteur ? Beaucoup de questions 
                      qui sont préoccupantes pour le poète amazigh.
                     
                    
                    (Chants et danses des Enfants d'Imilchil 
                      - Photo personnelle Cécile Guivarch)
                     
                       
                        On parle 
                          beaucoup de l’oralité pour la poésie 
                          amazighe, mais existe t-il d'autres formes d’expression 
                          poétique ?
                          
                       
                     
                    L'oralité est à l'origine 
                      de toute la poésie pas seulement amazighe. L'homme 
                      ne s'est jamais passé de la poésie, c’est 
                      l'un des premiers moyens après ses doigts qui lui 
                      a permis d'apprivoiser la cruauté et la beauté 
                      du monde. L'écriture est une invention, la parole 
                      est une nature, l'absence de la plume aiguise le génie 
                      de la mémoire. Le troubadour peut réciter 
                      de mémoire des milliers de vers, sûrement que 
                      les trouvères du 12éme et du 13éme 
                      siècle du nord de la France faisaient la même 
                      chose. Tous nos poètes qui sont à cheval entre 
                      la modernité et la tradition,- exemple de Moustaoui 
                      Mohamad et de Taws Omar; enseignants tous les deux,- sont 
                      souvent des poètes-chanteurs bien ancrés dans 
                      « l’orature » ; néologisme désignant 
                      la littérature orale.
                    
                      Hormis le travail ancestral de scribalisation ou celui fait 
                      par des étrangers ou par des chercheurs et amateurs 
                      autochtones l'authentique et vrai passage de l'oral à 
                      l'écrit n’a commencé chez nous qu’avec 
                      les poètes contemporains qui ont pris en charge la 
                      défense de leur culture, de leur langue et de leur 
                      identité amazighe.
                    
                      Les moyens de communications modernes, malgré la 
                      marginalisation et l'oppression dont cette culture a toujours 
                      était victime, ont beaucoup facilité la tâche 
                      aux poètes pour produire et diffuser leurs textes. 
                      Le premier recueil de poésie amazighe "Le phare" 
                      d’Ahmed Amzal est publié en 1968, le deuxième, 
                      un recueil collectif édité en 1975 par l'association 
                      AMREC sous le titre "Cascades", en 1976 un autre 
                      recueil "les chaînes" de Mohammed Moustaoui. 
                    
                    
                      Actuellement les recueils publiés se comptent par 
                      dizaine, ils sont souvent écrits en caractères 
                      latins ou araméens(dits arabes) dans les normes de 
                      la poésie traditionnelle ou en vers libres. On cite:"Les 
                      amoureux" de Hassan Id belkacem,"les cicatrices" 
                      de Ali Azaykou,"les signes" de Jouhadi Lhoussin,"les 
                      fleurs célestes" de Taous Omar,"J'écrirai 
                      sur le roc" de Ahmed Ziyani, "La parole m'a enseignée" 
                      de Fadma Ouriachi (poétesse), "Donne moi mon 
                      rêve" de Mayssa Rachida (poétesse), "les 
                      feuilles de l'année " de Najib Zouhri., etc.
                     
                       
                        
                          Mais j'ai entendu parler du tifinagh, l'écriture 
                          amazighe,dans le passé aucun poète n'aurait 
                          utilisé le tifinagh? Pouvez-vous nous parler 
                          un peu du tifinagh ? 
                          
                       
                     
                     
                      A l’exception des textes isolés, les seuls 
                        recueils écrits en caractères tifinaghs 
                        (je parle toujours du Maroc) et en même temps en 
                        latin sont ceux qui ont été édités 
                        dernièrement par l’IRCAM (l’Institut 
                        Royal de la Culture Amazigh). 
                        
                        Le tifinagh est l’écriture antique des berbères 
                        (amazighs). C’est un alphabet consonantique que 
                        les touaregs utilisent encore de nos jours. Il date d'après 
                        l'hypothèse de Gabriel Camps depuis le VI siècle 
                        avant J.C. Les anciennes inscriptions, qui sont au nombre 
                        de plus de 1200, relevées au Sahel ,en Afrique 
                        du nord et aux Îles Canaries sont rédigées 
                        dans cet alphabet qu’on appelle aussi le « 
                        libyque ». Les spécialistes distinguent entre 
                        trois variantes du tifinagh : le tifinagh oriental, le 
                        tifinagh occidental et le tifinagh saharien. Ce dernier 
                        est le seul qui a survécu aux aléas du temps 
                        et de l’histoire. Les touaregs l’ont jalousement 
                        gardé. Chez les autres groupes amazighs, le tifinagh 
                        a résisté en persistant encore sous forme 
                        de motifs de décoration dans les tapis, le tatouage, 
                        l’architecture, la poterie, etc. Il faut attendre 
                        la fin des années 60 pour qu’un sérieux 
                        travail d’aménagement et de diffusion de 
                        cette variante commence, à Paris sous l’égide 
                        de l’Agraw Amazigh (académie berbère) 
                        association fondée par des kabyles et quelques 
                        marocains. Ce néo-tifinagh va être largement 
                        diffusé au Maroc, en Algérie et en Libye 
                        pendant les années 80 et 90. Des amendements s’ajouteront 
                        à ce travail dont les plus en vue sont ceux apportés 
                        par l’Institut Royal de la Culture Amazighe.
                      
                      (Hommage de Taws Omar à Azaykou 
                        en tifinagh - numéro double 3et 4 mars 2005 du 
                        bulletin d'information "INGHMISN N USINAG"del'IRCAM)
                       
                     
                     
                       
                        Des gens 
                          dans la rue récitent des izlan, qu’est 
                          ce qu’un izli ? Quel est son rôle ?
                       
                     
                    
                      Etymologiquement parlant l’izli veut dire « 
                        le fluide ».Comme terme générique 
                        il désigne tout court poème, qu’il 
                        s’agisse de « tamawayt », de « 
                        timnadin », de « taguezzoum » ou autres 
                        mais avec la particularité d’être un 
                        poème de deux vers. C’est un genre très 
                        présent dans la vie quotidienne, chacun peut en 
                        créer à sa guise pour exprimer ses amours, 
                        ses attentes, ses regrets, ses remords, ses exploits, 
                        sa sagesse et ses joies. On peut réciter un izli 
                        à la place d’un proverbe pour interpeller 
                        ou avertir l’autre : le voisin,l’aimé, 
                        l’adversaire ou l’ennemi ..L’izli fortifie 
                        notre éloquence et l’anime. Mais quand il 
                        s’agit d’une fête seuls les poètes 
                        osent « tenir le coup » parce qu’on 
                        est confronté à en improviser une multitude 
                        dans les normes métriques et thématiques. 
                        Le public est là pour nous en juger et nous crier 
                        « Awch !!!Awch !! » dans la face en cas d’une 
                        altération ou mauvaise image. Le producteur de 
                        l’izli est souvent anonyme. Si les izlan des danses 
                        d’ahidous,d’ahwach ou des troupes de chanteurs 
                        sont divers, nombreux et se chantent accompagnés 
                        de refrains ceux de la meule, de la moisson, de la tonte, 
                        de la pollinisation des palmiers et de battage du blé 
                        sont les mêmes. On n’en crée pas d’autres, 
                        ils sont invariables en genre et en nombre et sans refrain 
                        . 
                      
                        L’izli le plus courant dans l’Atlas est celui 
                        de 20 syllabes 10 syllabes chaque vers en voici quelques 
                        uns que je vous traduis.
                      
                        1-Awa maghf ay ajjerg ad i tneqqad
                        Mr k ikkisgh ur i isxub ighf adu.
                       *-Maudite dent osant me faire 
                        du mal
                        Comment ne t’ai-je pas arraché ?
                      
                        2 –Amm udfel illan g làamud 
                        ayd gigh
                        da y i yessumum wenna righ amm uzal
                       *-Telle la neige des pentes 
                        est ma peine
                        mon aimé tel un soleil me fait fondre.
                      
                        3 -Hagh ak rrkub ay amazan teddud
                        tinid asn i waynhubba àmigh a.
                       *-Messager tiens tes frais 
                        de voyage va dire
                        à mon aimé que je n’ai plus de regard.
                      
                        4 –Gigh tin ughanim ur digi 
                        adif
                        A y ! azwu ur digi may tessergigid. 
                      * -suis tel le roseau sans 
                        moelle
                        prière ! ô vent arrête tes souffle 
                        !
                      
                        Les izlan les plus médiatisés à travers 
                        les chants des troupes musicales du moyen Atlas sont ceux 
                        de l’amour en voici 4 pour illustration (traduits 
                        par Tassadit Yacine.A.L voir awal n 23.2001)
                      
                        1 -Taghagh làafit g imi taghagh 
                        ul
                        Ur c issexsay a làejb a xs way-drix.
                      
                        *-La bouche me brûle, me brûle aussi le 
                        coeur
                        rien ne peut éteindre ce feu extraordinaire que 
                        mon aimé
                      
                        2 –Nekkin t-tafuyt a mi gix 
                        amezdugh
                        nekkin g wacal nettat g igenwan.
                      
                        * -Du soleil je suis le compagnon
                        Moi sur la terre et lui dans le ciel.
                      
                        3 –Mr i yettir usmun inw tifednin
                        ad as bbix awd adar gex ahizun!
                       *-Que mon ami me demande mes 
                        orteils
                        je lui couperai tout mon pied 
                        et deviendrai boiteux.
                      
                        4 –Asid wul inw illa ghur 
                        wayd rix
                        adday ur i hadr ammi tteddux gg id
                      
                        *–La lumière de mon cœur
                        est entre les mains de mon aimé
                        quand il n’est pas là, je vais comme dans 
                        la nuit
                      
                        Le plus long izli d’après mes petites recherches 
                        d’amateur est celui de 18 syllabes le vers .En voici 
                        un de ma traduction :
                      
                        -Awas igan i tmeddakwelt inw tabanka 
                        tasi tighanimin
                        Isnal t i buàrgub a tterrez tadawt ns is tra leksawi
                      
                        *Oh! Que j’aimerais voir mon amante porter le 
                        tablier la faux aux mains !
                        s’échiner le dos aux tertres prix de cette 
                        robe qu’elle demande.
                        
                     
                     
                       
                        Quels 
                          sont les thèmes abordés dans la poésie 
                          classique et contemporaine ?
                          
                       
                     
                    La poésie traditionnelle (orale) 
                      est plus descriptive, elle est clairement liées aux 
                      sujets qu’elle aborde. Elle établit des constats 
                      et propose des solutions. Une « tamedyazt » 
                      (le long poème) est fait d’un prologue religieux 
                      d’un sujet ou deux ou trois, en l’occurrence 
                      sa matière puis se termine par un épilogue 
                      toujours d’ordre religieux où l’on invoque 
                      dieu et sa miséricorde. Les sujets qu’elle 
                      aborde sont nombreux et de diverses natures, du politique 
                      à l’amour, des problèmes de la vie quotidienne, 
                      du chômage, des prix élevés des vivres, 
                      de l’immigration, des prophètes, des guerres, 
                      etc. Le poète traditionnel ne s’arrête 
                      pas au quotidien de s’informer sur ce qui se passe 
                      dans son village et dans le monde. Il occupe la fonction 
                      de journaliste d’où le terme « Amedyaz 
                      » pour le désigner et qui veut littéralement 
                      dire « le diffuseur » comme il n’est pas 
                      seulement défenseur des valeurs de la communauté 
                      mais il est aussi un critique qui pose ses doigts acerbes 
                      au cœur des plaies. Le poète traditionnel joue 
                      aussi le rôle du « àalim » (le 
                      savant en arabe), un titre que les fquihs (les curés 
                      musulmans) ont toujours essayé de se l’accaparer 
                      pour leur compte.
                    
                      La poésie contemporaine (écrite) quant à 
                      elle, aborde des sujets divers liés surtout à 
                      la politique et à la question identitaire .C’est 
                      une poésie combative ouverte sur des questions ontologiques 
                      et abstraites.
                     
                     
                       
                         
                          La colonisation et les multiples 
                            invasions ont-elles joué un rôle dans 
                            la poésie amazigh ?
                         
                       
                     
                    
                      Sûrement que les chocs avec l’autre ont remué 
                        la poétique amazigh et créé du nouveau, 
                        ne serait ce qu’aux niveaux thématique et 
                        lexical. Imazighns malheureusement n’ont presque 
                        rien gardé de leur histoire poétique antique. 
                        Ils ont souvent écrit leur poésie dans les 
                        langues dominantes : le grec et surtout le latin (et l’arabe 
                        dès le moyen âge)
                       Actuellement, nous avons un large répertoire 
                        de poésie de la résistance contre les deux 
                        occupations française et espagnole qui prouve que 
                        la poésie ne peut être qu’au cœur 
                        du monde. Les bataille d’Anoual, de dehr Uberran, 
                        de tazegzawt, de Baddou, de Bougafer, etc. n’ont 
                        pas laissées nos aèdes indifférent 
                        à ce qui se trame autour d’eux.
                       Voici une grappe de joutes du genre « Tamawayt 
                        » entre Taàellalt poétesse des Ayt 
                        Zdeg et un poète du nom Assou des Ayt Aissa lors 
                        de la bataille de boudnib en avril 1908.
                      
                        Assou:
                        Sersat ts i Ussumur!
                        nna d isgafayn Taàellalt
                        ad tut awal 
                        g tizza wer twalf!
                        ***
                        Méritoire est Oussoumour!
                        d'avoir Taàellalt dans ses rangs
                        venue enfourcher son cheval 
                        dans des cols étrangers pour elle!
                        *****
                      
                        Taàellalt:
                        Wenna wer itteggan ccmeà
                        ad iwwt nnur taneszriyt
                        irz lqqalb
                        issmer i seksu d uksum
                        ad ur as itrehhab i Tàellalt!
                        ***
                        Celui qui de cire
                        n'illumine pas son salon
                        n'invite pas les gens au thé
                        ni couscous ni viande ne cuisine
                        ne mérite pas que Taàellalt soit son invitée!
                        *****
                      
                        Assou:
                        Da tnezzed a tahérrabit
                        day tàayet aksum d w atay
                        ibabb aghruc
                        ar dtemmàegh Ayt Izdeg
                        ad agh mdtaddan d urumy!
                        ***
                        On vend son arme à feu
                        en thé et viande est conversée
                        on porte à sa place un bâton
                        et moi naïf espère que les Ayt Zdeg
                        en braves affronteraient les roumis!
                        *****
                      
                        Taàellalt:
                        Udayn ad mnalan d udayn
                        iàrabn s iàrabn
                        imazighn s wiydt
                        id Wewwizdeg ad mdtaddan d urumy!
                        ***
                        Juifs contre juifs
                        arabes contre arabes 
                        imazighns contre imazighns
                        et le Zedgui tout seul battra les roumis.!
                        *****
                      
                        Assou:
                        Ay! Ayt izdeg awi teggudim
                        terram iqbiln ghifun
                        ttajin aymi tmutturm!
                        ***
                        Ô! Ayt Zdeg nombreux vous l'êtes
                        mais battus souvent par les autres
                        seul le tajine vous assemble!
                        ****
                      
                        Taàellalt:
                        Hédac lmiyya n ighrem
                        ag-gan lefdtahét
                        Awd yiwn ighiyn
                        ad ikkr ad iwwt arumy!
                        ***
                        Onze milles villages
                        tous ne sont que honte
                        aucun d'eux n'a pas pu
                        contrer les roumis et se tenir debout!
                        *****
                      
                        Assou:
                        Seksew Taàellalt 
                        tegma g rrxa
                        da tessefru y izli
                        ur tannay berziggu gh urumy!
                        ***
                        Ô voyez la!
                        quelle vie d'aisance elle mène!
                        comment elle interprète bien l’izli!
                        hélas! ignore encore les percutants des roumis!
                        *****
                      
                        Assou:
                        Ay! Ayt Izdeg !
                        a yiqemmariyn!
                        ay ayt y icnidtn!
                        ar tteqqlegh ad irrz urumy!
                        ***
                        Ô! les Ayt Zdeg!
                        que des parieurs vous êtes 
                        Ô propriétaires de poulains!
                        naïf moi d'attendre de vous la défaite des 
                        roumis!
                        ***
                      
                        Taàellalt:
                        Mr awn tgi amm dawa
                        ad texlum ttulut g urumy!
                        ***
                        Si ça serait comme "Dawa"
                        vous massacreraient un tiers des roumis!
                        *****
                      
                        Assou: 
                        Llig nsella s is
                        nedda-d an-nannay taàellalt
                        ur tgi ayelli da sseflidgh!
                        ***
                        Quand d'elle j'ai entendu parler tant
                        je suis venu voir qui est Taàellalt au juste
                        celle dont on me parlait elle ne l'est pas !
                      (source : collection personnelle d'Ali Iken - propos 
                        recueillis auprès du poète Habach de la 
                        vallée Ayt Aissa) 
                     
                     
                    
 
                         
                          Une question me trotte dans la tête, 
                            l’arabisation du Maroc a-t-elle marginalisé 
                            la poésie amazigh ?
                         
                       
                     
                    
Oui l’arabisation forcenée a fait de grands 
                        ravages. La poésie a toujours occupé une 
                        grande place dans les sociétés amazighs 
                        avant l’avènement du protectorat et pendant 
                        son instauration. Les poètes étaient de 
                        grands agitateurs des masses. C’est après 
                        l’indépendance que leur statut social s’est 
                        affaiblit par la montée en puissance du panarabisme 
                        et de ses acolytes ici qui ont fait tout pour gommer du 
                        temps et de l’espace tout ce qui est en rapport 
                        avec l’amazighité du Pays. 
                       
                     
                     
                       
                         
                          Quels sont les plus grands poètes 
                            amazighs selon vous ?
                         
                       
                     
                    Les plus grands poètes amazighs(phones) 
                      pour moi sont Si Muhend Umhend, Achaq Sakou,Oumehfoud, Lhaj 
                      Belaid, Azaykou,Ayt Menguellet et Matoub Lounes. J’aime 
                      leur poésie parce qu’elle est belle ! J’y 
                      trouve ce que je cherche, le plaisir c'est-à-dire 
                      ! 
                     
                     
                       
                         
                          La poésie amazighe ou les autres 
                            formes de littérature (contes,mythes,légendes,proverbes,devinettes) 
                            ont-elles une place dans l’éducation 
                            ?
                         
                       
                     
                     
                      Actuellement il n’y a que la poésie et les 
                        proverbes qui persistent à transmettre des enseignements 
                        au sein des familles et des groupes, le rôle des 
                        autres formes de littérature est presque éteint 
                        avec les moyens modernes de la communication. Mais je 
                        crois qu’avec l’introduction de la langue 
                        et de la culture amazighe à l’école 
                        les choses vont sûrement changer. On espère 
                        que tous les genres littéraires amazighes retrouveront 
                        leur place dans les institutions scolaires et médiatiques.
                        
                     
                    Pour aller plus loin dans la découverte 
                      de la poésie amazighe :
                    Des études sur la poésie 
                      amazigh marocaine sur Amazighworld
                    Lire les derniers articles dans les sites 
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                      Cécile Guivarch et Ali Iken, 
                      pour Francopolis, septembre 2005.