(2010-2017) |
Une escale à la rubrique "Coup de
cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur
Nous redonnons vie
ici aux textes qui nous ont séduits,
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.
***
Poèmes « Coup de
Cœur » des membres du Comité
Janvier-Février 2022
Jean-François
Agostini, choix Dominique Zinenberg
Patricia Rickewaert,
choix Éliette Vialle
Anna Akhmatova, choix François Minod
Christian Viguié, choix Mireille Diaz-Florian
Jean-Pierre Otte, choix
Dana Shishmanian
Hélène Dorion,
choix Gertrude Millaire
René de Obaldia, choix Michel Ostertag
choix Dominique Zinenberg Ce que l’on met dans un
poème n’est que la courte
traversée d’un instant aussi long qu’une vie Des mots comme des fascines que
l’on tresse sur le blanc pour durer dans l’après et tenir le terreau des
émotions (qu’on ne cultive pas) -
des herbes folles et des fleurs inconnues aux senteurs de l’enfance y
foisonnent La mort
au bout de chaque vers sans
rime ni rejet Ce que l’on met dans un
poème une syllabe
d’un r augmentée pour tout dire
d’un peu de rien
L’univers sur une bille de bic à
quatre couleurs Le rouge pour biffer l’ajout (Incipit, page 7) *** On restaure le
possible des bouts de rien
qu’on ajoute ou retranche - comme des
bouts de blanc dans ce poème (qui ne serait sinon que la relation d’un fait simple) - travail de chutes
ajustées pour donner une surface
intègre à l’ombre estivale
Autrement quoi
dire quand on meuble une
colline en la démembrant
que l’on n’y voit plus d’arbres pour y poser ses mots et que l’on aurait
envie de ponctuer fin
si une mésange
ayant couvé plus vite que ses allers-retours dans le ciel encor calme
n’était
l’expression vivace de l’amour (Page 49) *** Devant la chaîne (on a
pensé trop ça épuise autant que scier ou clouer) On tourne la clé
(au bruit lubrifié) Le
lada tousse et cale Un grand cormoran
croise une aigrette dans
le bleu contrasté d’une trouée de pins - image à dire (du blanc du noir à hauteur
égale)
avec la naïveté d’un regard novice Le va-et-vient de
l’étant
s’écrira la nuit les yeux tournés vers l’intérieur dans l’outre-noir et ses éclairantes
anfractuosités On tend la
chaîne entre le pin et le granit On referme un lieu
ouvert sur l’enfermement (Page 61, dernier
poème) Extraits
de Généalogie
de l’algue, éditions Jacques Brémond, 2011 |
choix Éliette
Vialle Regarde-moi dans le bleu au vif de ma coupure là où je suis intacte là où je suis si pure ma lueur vient du
froid fauve de mes morts Je suis une terre sauvage sous ma peau des braises des poussées interdites le chant fertile des
femmes à faire des racines, du
lien Dans les ruines et les drames j’ai bâti de l’amour Vois, il suinte du poème de l’encre et des secrets ma tendre rage de
vivre *** Être dans le paysage Être dans le paysage sentir au ventre la tempête
se lever Tout me tord et m'appelle je suis vivante Du silence n'aimer que les bruits entendre le chant des fonds Plonger dans l'immense fendre la vague, s'affranchir prendre les courants
contraires Revenir du limon nue et grandir À l'absolu préférer le manque à l'immobilité,
l'impermanence Aux certitudes opposer le doute la pensée souple, le
mouvement À la brutalité offrir la tendresse à l'indifférence, la
parole Tout me presse et m'érafle je vais désirante Poèmes inédits. Voir ses parutions récentes sur : Recours au
poème (février 2020) ; Terres
de femmes (février 2022). |
choix François Minod En ce temps-là j'étais l'hôte de la terre. On me donna pour nom de baptême : Anna. Le plus suave pour les lèvres et l'oreille. Ainsi je connus bien la joie terrestre Et ne comptais pas douze printemps, Mais il y avait tant et tant de jours dans une
année. Docile à la volonté D'un compagnon élu, Je n'aimais que les arbres et le soleil. En automne un jour, à l'ombre moqueuse, Je rencontrais une étrangère, Ensemble nous nous baignâmes dans une mer tiède. Son vêtement me parut étrange, Mais plus étranges ses lèvres. Et les mots Tombaient comme des étoiles dans la nuit de
septembre. Et svelte elle m'apprit à nager, Sa main soutenant mon corps Novice sur les vagues fortes. Et souvent, dans l'eau bleue, Elle me parlait sans hâte; Il me semblait que les cimes des arbres Bruissaient un peu ou que crissait le sable, Ou que la voix d'argent d'une cornemuse Chantait au loin le soir des séparations. Mais je pouvais me rappeler ses mots Et passais souvent mes nuits à souffrir. Je croyais voir sa bouche entrouverte, Ses yeux et ses cheveux plats. Comme un messager céleste, J'implorais la jeune fille triste : "Dis-moi pourquoi ma mémoire s'est éteinte, Et flattant et fatiguant mon oreille, Tu m'ôtes la joie de recommencer..." Mais une fois, quand je rassemblai Du raisin dans un panier tressé, Je m'étais assise dans l'herbe, Hâlée, yeux clos, nattes défaites, Languissante et lasse Du parfum des lourds grains bleus, Et du souffle piquant de la menthe sauvage, Elle plaça des mots exquis Dans le trésor de ma mémoire. Et laissant choir mon panier plein, Je me serrai contre la terre Étouffante et sèche, telle Contre le bien-aimé quand s'élève l'amour. Extrait de Rosaire, Harpo
&, 2015. Version
française : Christian Mouze. |
choix Mireille Diaz-Florian Tu as toujours pensé que le poème se fait dans le
regard pas dans le mot Tu le compares à une
branche à un muret à quelque chose qui garde
du silence non pas qu’il y ait une mort en chacune de ces choses mais le muret la branche le pré que tu regardes maintenant la ronce ne se cachent pas Il
demeurent le muret et la branche le pré et la ronce te prolongent indéfiniment et partagent avec toi leur
avenir muet La nuit bouge un peu avec son silence avec son feuillage On dirait que le fait de bouger est encore un poème en train de recommencer et de se défaire et que les signes de ponctuation avalisent la lumière morte des étoiles comme s’il y avait dans la nuit une phrase impossible à trouver. Peut-être que c’était déjà fini depuis le début cette enfance en dedans à ne pas vouloir bouger pour ne pas que meure le ciel C’était déjà fini et il fallait parler là où s’installe la mort entre une pomme et un soleil Extraits de Damages,
éditions Rougerie 2020 (prix Mallarmé 2021). Voir une belle chronique
à ce recueil par Marc Wetzel dans la revue Traversées
(8 mars 2021). |
choix Dana
Shishmanian La porte personnelle Vous qui êtes en exil
dans votre propre existence, sonnez à votre porte à un
moment où vous vous y attendez
le moins, recommande le chroniqueur des Dernières
nouvelles de l'Homme. Venez
vous
ouvrir, pénétrez à l'improviste en vous-même. Allez à votre
rencontre, partez à la découverte. En un mot comme en cent
: visitez-vous ! L'aventure est de
descendre en soi-même, à l'intérieur de son
puits aux images, au bout de sa galerie de
prospection, dans sa grotte aux ombres
dansantes, au fond de son village
mongol, où ce qu'il y a en nous de plus audacieux et de libre rencontre des déesses fluides, la figure énigmatique du
hasard, des visages dévoilés pour
d'invraisemblables liaisons. Un pays intérieur,
intime et tangible, qui a ses mythologies, ses trouvères, sa loi
morale et son ciel étoilé, dans le goût de
l'impossible et du vrai, dans le plaisir de
l'inexplicable et de l'évidence tout à
coup révélée. Tout au fond, au plus
obscur, comme on le ferait d'une
racine entre les doigts, dégagez un désir, saisissez-le
au vif, aiguisez-le au-delà de toute
prudence jusqu’à ce qu'il s'arborise en
vous. À partir de ce désir de
vie qui est le vôtre, Tout, de toutes parts, est
ouvert, offert à vos pas. Il n’y a plus
d’obstacle, et il n’y en a peut-être
jamais eu. Vous retournant par
acquit de conscience, vous constatez qu'il n'y
avait même pas de porte. Reproduit de la revue
Traverses, n°99, III/2021, pp. 4-5 (numéro dédié à Jean-Pierre Otte). |
choix Gertrude Millaire Je cesse de marcher, de toucher Ce qui me retient De me perdre, je commence Par une phrase Qui va jusqu'à toi. Jamais le désert ne trahit notre silence, La faille continue à remuer Sous nos pas En même temps que tremble ma voix Accordée à la tienne. Extrait du recueil Un visage appuyé contre
le monde, Coédition Noroît / Le Dé Bleu, 2001 (réédition; 1ère édition : 1990) Visitez
son site : http://www.helenedorion.com/livres/poesie/
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choix Michel
Ostertag Quand on perd une jambe à la guerre Mais peut-on me dire pourquoi Des feuilles toutes vertes Le soleil voudrait se mettre de la partie Si tous les hommes avaient une jambe de bois Reproduit du site poèmes.co :
René de Obaldia. Le poète, auteur dramatique et académicien René de
Obaldia (1918-2022) nous a quittés le 27 janvier, à 103 ans. Voir une notice
biobibliographique complète sur le site franceculture.fr. |
Jean-François
Agostini, choix Dominique Zinenberg
Patricia
Ryckewaert, choix Éliette Vialle
Anna Akhmatova, choix François Minod
Christian Viguié, choix Mireille Diaz-Florian
Jean-Pierre Otte, choix
Dana Shishmanian
Hélène Dorion,
choix Gertrude Millaire
René de Obaldia, choix Michel
Ostertag
Coups de cœur des membres
Francopolis janvier-février 2022
Créé le 1 mars 2002