Tu ne répares pas à
peine peux-tu au fil des
mots
broder quelque étincelle
sur la trame des jours
Que saisir de l’instant pour abolir la blessure
de ses lèvres Son
sourire déchiré si prés
de la rupture
Tu ne répares pas
Ton regard cherche
au–delà à transpercer
le
mur s’accrocher au
sien pour trouver un chemin
Tisse tisse sans illusions les mots sur la page
Parler chanter assembler peu importe
Tu inscris fil à
fil la douleur qui se
brise
Sur la trame tendue de couleurs tu reprises
au mieux Tu sais
bien que rien
n’occultera la trace L’aiguille se faufile
insère un arc en ciel
Pour quelle alliance
En quelle espérance
Tu ne répares pas
Les mailles du filet
que peuvent–elles retenir
avec ce trou béant
Habiles les mains
circulent tentent de
resserrer
le maillage Pour
quelle miraculeuse pêche
Partir alors ne plus revenir traverser
l’horizon N’est-ce pas
disparaître Sous la
vague
la barque
s’enroule le filet
dérive
dans le bleu du sillage Tu ne répares pas
Tu ne répares pas le
linge lacéré
Éphémère végétation Tu
navigues au-dessus
des cordes balancées bien
au-delà des haies
Laisse sans regrets la violence du vent
à travers les déchirures vibrer s’engouffrer
disperser les nuages Tu ne répares pas
Tout n’est que cicatrice
sur la peau de la
terre
Tu sais que pour
semer il te faudra
trouver la faille obscure déposer les graines
recueillies en ces mots avec tant de patience
Accepter d’arracher au passage quelques ronces
Voir enfin s’épanouir ces bouquets espérés
Avoines folles de
lumière dentelées accrochées à la pierre
Se courbant
s’inclinant se
relevant sans cesse
Multipliant au vent les rares étincelles
Tu ne répares pas Tu
façonnes Tu transformes
Tu recueilles Tige à
tige Fil à fil Maille à maille
Ces mots éparpillés
Quelque ariette oubliée
Cavatine légère accrochant dans ses yeux
un sourire un
plaisir le désir d’exister
***
Le pinceau ne peut couvrir
la toile déchirée
Ici l’écorce laisse
apparaître l’aubier
Tu ne répares pas
Tu étales sur des fils suspendus la détresse
du vent et les nuages
roulent s’enroulent
en emportant l’instant
Noirs les pigments à l’amer du temps
inscrivent une entaille Fragments de
lave
arrachés au volcan d’une douleur lointaine
broyée
gravée pulvérisée L’incandescence
du geste n’en comble pas
la faille
Tu ne répares pas
un cœur au bord de la rupture
Battements
sourds des regrets aux parois de ses veines
Cicatrice du jour au
givre de la pierre
Tu ne répares pas
Tu déploies d’un seul geste l’écharpe bleue du ciel
à sa gorge nouée Tu
insères dans la pierre
la lumière saisie Sur
la trame des mots usés
tu recueilles les couleurs Un chant s’élève
à la cime de l’arbre Une
fenêtre s’ouvre
Le givre t’aspire en un éblouissement
Tu t‘avances lentement à l’enfance du monde
Extrait du recueil Ces
mots si clair semés,
éd. la tête à l’envers, mai 2019 (avec les encres de
l’auteure)
Sabine Péglion a été
notre invitée au Salon de
mai 2012 et à la rubrique Créaphonie de mars
2012 et avril
2012. Elle est lauréate du prix international de poésie Léopold Sedar Senghor 2016
pour le recueil inédit Grammaire de
l’existence (signalé dans nos
Annonces de 2017). Je
l’ai retrouvée avec un immense plaisir comme invitée au Territoire du poème
du 22 mai 2019. Pour écouter Sabine parler de et lire sa poésie : https://www.youtube.com/watch?v=26ODjmuuqHY,
https://www.youtube.com/watch?v=-_z1MD_3V7E.
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