choix
François Minod
Marchons à pas lents
Isis
puisse notre marche pensive
ralentir le pas
de ceux que nous croisons
que la pensée enfin
trouve le temps
de se poser dans les poitrines
de respirer
de prendre force
ma main est dans la tienne
tu me parles
des pays ignorés
qui m'attendent
tu as refait le corps de l'époux
dans les paumes patientes
la vie
a repris souffle
tu es celle qui ne désespère pas
et nous marchons ensemble
Peu à peu alors
j'imagine un monde
où les passants
se salueront
d'un léger signe de tête
comme lorsqu'on croise quelqu'un
sur un chemin de montagne
ou sur une plage déserte
attentifs
à ne pas déranger
la rêverie et la réflexion
sœurs elles aussi
j'imagine un monde
où les débats stériles
ne seront plus
que des fracas lointains
du temps où seul comptait le spectacle
attendu
connu
et réclamé encore
de ceux qui allaient se battre
au cirque
pour le plaisir des autres
assis sur leurs canapés
ou dans les gradins
c'est pareil
le martèlement des pieds
accompagnant
les cris
de joie ou de douleur
on ne sait plus
j'imagine un monde où sera précieux
d'écouter la pensée qui se cherche
au fond de soi
la saisir et la nourrir
lui donner forme singulière
et partageable
un monde
où le regard
se rendra prêt à voir ce qui passe inaperçu
prêt à cueillir
l'ailleurs
jusqu'au plus profond de nos os
quand nous marchons ainsi
lentement
nous nous transformons
l'empreinte de nos pieds a beau être
semblable et semblable
nous sommes différents
de laisser la pensée
se poser en nous
les mots nous habitent
nous sommes leur logis éphémère
parlés par d'autres bouches
ils auront un sens nouveau
ce seront toujours les mêmes mots
comme nos empreintes sur le sable
mais le mot pensé
le mot écrit
le mot lu
ne sont pas les mêmes
comme aucun pas jamais
ne peut être semblable
à la trace qui le précède
ah comme rien jamais n'appartient
comme le sable est le sable
et comme rien ne le retiendra
Nous sommes arrivés à l'endroit
où nous ne faisons plus qu'une
Isis ma sœur
tu traces des signes dans le sable
et je sais que c'est pour me souhaiter
le courage et la bonne route
je rentre lentement
chez moi
emplie de notre long voyage
sur mon bureau
les coquillages et les pierres
c'est la nuit ou le matin qu'importe
il me faut écouter
maintenant
le poème de chaque vie
en moi
et l'écrire
Extrait
de Le pas d'Isis, Editions Bruno Doucey,
janvier 2022
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