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Coup de cœur : Archives

(2010-2017)

Une escale à la rubrique "Coup de cœur"
découvrir un poème qui nous a particulièrement touché
par sa qualité, son originalité, sa valeur

(un tableau de Bruno Aimetti)

 

À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes,
d'un niveau d'écriture souvent excellent,
toujours intéressant et en mouvement.

Nous redonnons vie ici à vos textes qui nous ont séduit
que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.

***

Poème Coup de Cœur du Comité

Septembre-octobre 2021

 

 

Claude Roy, choix Dominique Zinenberg

Laetitia Extrémet, choix Éliette Vialle

Hoda Hili, choix François Minod

Francis Vladimir, choix Mireille Diaz-Florian

François Graveline, choix Dana Shishmanian

Hélène Dorion, choix Gertrude Millaire

Léon-Paul Fargue, choix Michel Ostertag

 

 

 

 

 

Claude Roy

choix Dominique Zinenberg

 

Le jardin perdu

 

Il est venu un jardin cette nuit

qui n’avait plus d’adresse

Un peu triste il tenait poliment

ses racines à la main

Pourriez-vous me donner

un jardin où j’aurais

le droit d’être jardin ?

Il faudrait arroser mes laitues

et un mur ayant bu beaucoup de soleil

pour mûrir mes poires en espalier

Deux carrés pour mes asperges

et les plates-bandes de fraisiers

Si vous aviez la bonté

de mettre aussi un vieux figuier

pour donner de l’ombre

et beaucoup d’arbres fruitiers

pour les saisons de confitures

N’oubliez pas un puits profond

et un jet d’eau à volonté

C’est une vie qui n’est pas une vie

que d’être un jardin égaré

qui n’existe qu’en souvenir

et ne sait plus où fleurir

 

le Haut Bout, 26 août 1982

 

Dans A la lisière du temps, Poésie/ Gallimard, 1984.

 

 

 

Laetitia Extrémet

choix Éliette Vialle

 

Ma tête …….

 

Ma tête tourne tourne je titube au vent

Il y a dans mon enfance encore des rondes folles

J’ai le ciel à mes pieds et je sens qu’il me frôle

Je me sais en partance et j’appelle Maman

 

Ma tête est folle folle, j’ai trop aimé le vent

J’avais au fond des yeux les fougues d’un volcan

Quand je dansais enfant dans ce jardin de pierres

Au milieu de ces ruines où survivait le lierre

 

Ma tête est lourde lourde et je ferme les yeux

Si mon enfance rode à deux pas de ces lieux

Elle s’est perdue pourtant avec son innocence

Et tu pleures Maman, tu pleures ton enfant

 

Ma tête roule roule, j’ai le ciel à mes pieds

Au couchant d’un soleil qui le rougit de sang

Ils m’ont allongée là sur le sol des gisants

Et m’ont décapitée sans même sourciller.

 

Dans la revue Ressac, n° 5, avril 2020

 

 

 

Hoda Hili

choix François Minod

 

La main

 

la plume nouée par les phalanges, des orvets élancés qui se brisaient sur le papier comme sur une pierre blanche (de celles qu’on déterre pour cultiver et qui se révèlent sur des tas battus par les pluies), la main voulait et crier et rire

 

elle ne pensait pas mais elle pansait bien, et souvent, avec la douceur d’une paume sans ride

 

la mensale les psaumes les versets les syllogismes

 

ignorer les modes d’emploi et autres destinées, confondre les impératifs, caresser l’eau des rivières agitées d’après les déluges, se détacher du reste corporel et flotter sur les courants pour se rompre de vitesse, serpent de verre propulsé contre le rocher

 

un lendemain indéfini était certain : un jour, elle serait douée d’autotomie et de ses nervures en lambeaux pousserait une queue d’anguille

 

elle s’échapperait d’elle-même, comme un ça, un rien

 

naissant, libérée de faire, au silence de l’être

 

 

De la gravité des pas

 

Avec

les

parenthèses

c'est l'impatience

des

pavés

et l'empathie

des sentiers

pierreux.

Les

pieds

s'empressent,

gourds

mais nerveux :

fouler

le

sol

éprouver

la

gravité

 

 

L'endurance

 

l'endurance est spirituelle ; le corps aime

cette caisse de résonance

 

de belles heures à piétiner, innerver du sang bleu au ciel

des chemins, user de constance envers et contre toute

faiblesse qui voudrait s'essouffler dans l'usure

de l'inachèvement, à fouler la terre

 

jusqu'à ce que l'acmé musculaire converge avec l'ossature

crânienne d'un mont, son essence insulaire

 

***

 

Pour Hoda Hili, la poésie est peau éthique, extension nerveuse des libertés. Elle a publié de nombreux poèmes et aphorismes dans la revue lichen (dont les nasses). Elle participe régulièrement à des publications collectives avec artistes & poètes. Quelques contributions : Du sens parmi les essences : balade avec R.W. Emerson (Collectif nomade), Deleuze et moi, pensées fulgurantes (Collectif nomade), P comme Poésie (Abécédaire des Urbains de minuit), La grande bouffe (Revue Le ventre et l'oreille), Je cherche un chêne (Anthologie Je dis Désirs avec Jeudi des mots & les éditions pourquoi viens-tu si tard?).

 

 

 

Francis Vladimir

choix Mireille Diaz-Florian

 

Compte à rebours (Bérénice éditions nouvelles. 2021)

Dans ce recueil paru au printemps, Francis Vladimir nous propose de décompter le temps d’une vie dont l’étrécissement du compte à rebours dit la densité existentielle. En mille septains, numérotés de 1000 à zéro, il propose un chemin poétique que le lecteur reconnaît être le sien, tant il est nourri de rencontres, d’engagement, de passions amoureuse et littéraire. Chaque strophe ouvre un espace intime où la perspective de la mort tend à l’extrême le désir de vivre. Le poète, telle Shéhérazade, s’empare des mots, choisit la cadence pour défier la seule la dévote/ Celle qui sans avis/Viendra le cœur battant/Ravir (son) souffle au cœur.

Mireille Diaz-Florian

 

***

 

1000

Alors que nous marchions

Vers un ailleurs possible

Des silhouettes allaient

Et venaient le jour d’après

Qui pointait sur les cimes

S’extrayait de la gangue

Molle de la désespérance

 

999 (à Antonio M. 1)

Le chemin de l’exil

Résonnait des pas vides

Nous nous tenions l’un l’autre

Côte à côte muets

Sous le grand dais du ciel

L’espérance semblait un voile

Ou un drapeau en berne

 

998

Pays aux confins dévastés

Où le centre lui-même

A délaissé le cœur

Et des choses et des hommes

la lutte indéfinie qui se joue

Sur les marges s’apparente à l’oubli

De ce que nous étions

 

997

Chaque seconde est là

Dans l’infini du temps

Elle s’inscrit au revers

D’un manteau entr’ouvert

D’un corsage échancré

Qu’une femme arbore

Dans sa féminité

 

748 (à Louis A.)

La vie aura passé comme un grand château

Triste Aragon le poète du haut de sa splendeur

Avec d’autres encore aura tenté de dire

Cette fugacité qui occulte la vie

Celle que nous voulions faite de clartés

et de réveils propices alors qu’elle n’est en fait

Qu’un mouchoir agité sur le quai du départ

 

516

J’ai pris tes poignets

Dans mes mains

J’en ai senti le pouls

Qui y battait chagrin

Ton amour palpitait

À la saignée du jour

Et au don de la nuit

 

478 (à Arthur R.)

Les jours passent

Au fil de l’eau

Lorsque tu vas marcher

Sur les bords de la Marne

Tu emportes avec toi

L’Par les mots d’homme aux semelles

De vent

 

373 (à Federico 1)

À cheval sur les mots

Le poète

A chargé

Sabre au clair

Sous la lune à New York

Et sur les gratte-ciels

Ascenseurs du vieux monde

 

238 (à Marina T.)

Une vie de misère

Comme seul réconfort

Des poèmes cachés

Travaillés en sous-main

Des chuchotis de nuit

Pour apaiser les maux

Des poètes aux mots dits

 

23

Par les mots du poème

Je dis l’insaisissable

La vie et son grand air

Aimable

Qui déjà se détourne

Et me gifle

Face à la mise à mort

 

    

 

 

François Graveline

choix Dana Shishmanian

 

 

Je n’aurai vécu

que pour offrir des domaines

à ma solitude

 

Ils ne furent que provisoires demeures.

 

***

 

Rien ne m’attend plus qu’ici. Je vais sur la plage, la nue, la claire, la longue, la brûlée de sel. Mes pas suivent les lignes de coquillages et de galets, de plastiques, d’algues ou de déchets, où se consignent les naufrages. Où se recueillent les rescapés.

 

Être une épave

C’est avoir réchappé du néant.

 

***

 

Je ferme les yeux. Submergent la clameur des vagues, le sifflement du vent, un feu. Un brasier enfoui de souvenirs brûlés, éclairant l’abîme. Au-delà. L’autre rive.

 

*

 

Je me serai tenu

à la lisière des hommes

plus proche du silence

que de la parole.

 

*

 

J’ai cru que la poésie

était l’autre rivage

 

je le crois encore

 

J’écris toujours le blanc des mots.

 

 

 

Extraits du recueil La lette, éd. L’étoile des limites (mai 2021, 64 p., 8 €).

Présentation du recueil sur le site de l’éditeur :

« La lette est d’abord un lieu géographique précis : une étroite bande de terre au bord de l’océan Atlantique, coincée entre la forêt landaise et les dunes de sable qui bordent l’océan. Ce lieu, que l’auteur peuple de quelques amis et d’une grange mystérieuse, déclencha chez lui une expérience de solitude et de communion avec la nature.

Le récit qui en est tiré évoque au bout du compte la découverte de l’état de poésie et le surgissement de l’écriture qui en découle. »

 

 

 

 

Hélène Dorion

choix Gertrude Millaire

 

 

Mes forêts sont de longues traînées de temps

elles sont des aiguilles qui percent la terre

déchirent le ciel

avec des étoiles qui tombent

comme une histoire d’orage

elles glissent dans l’heure bleue

un rayon vif de souvenirs

l’humus de chaque vie où se pose

légère      une aile

qui va au cœur

mes forêts sont des greniers peuplés de fantômes

elles sont les mâts de voyages immobiles

un jardin de vent où se cognent les fruits

d’une saison déjà passée

qui s’en retourne vers demain

mes forêts sont mes espoirs debout

un feu de brindilles

et de mots que les ombres font craquer

dans le reflet figé de la pluie

mes forêts

sont des nuits très hautes

 

*

Je n’ai rien déposé

au pied du chêne      rien

à l’ombre du saule

je ne me suis adressée ni aux faibles

ni aux puissants

je n’ai pas vu le veilleur

à l’entrée de la mer

pas vu le jardinier cueillir le crocus

d’un printemps

pas trouvé

le miel et la soie

pas vu le ciel      dans l’étang

quelque chose de la solitude

rien

qui laisse paraître la déchirure

je me suis assise au milieu de ces vastes alliés

sans voix

le temps continue

de s’infiltrer dans la terre

gorge les rochers

le pas des animaux

s’accorde à la lumière

par la lenteur du monde

je me laisse étreindre

je n’attends rien

de ce qui ne tremble pas

 

 

 

Extraits du recueil Mes forêts, qui vient de paraître

(éd. Bruno Ducey, octobre 2021)

(reproduits d’après le site de l’auteure)

 

 

 

Léon-Paul Fargue

choix Michel Ostertag

 

 

1

– Dites-moi. Savez-vous même

Aimer aussi qui vous aime

– Mon oiseau de paradis,

C’est quand le soleil sourit.

 

-N’est-ce point là qu’une mouche

Dit sa musique jalouse ?

 

-Le silence bleu et or

Cueille d’invisibles fleurs

 

– Ah le soleil délaissé

Faisait mon intimité

 

2

L’enfant pourra bien mourir

S’il se fatigue à courir

Parmi les objets aimés

 

On écoute à la croisée

Le pauvre faire sa cour

Au silence du grand jour

 

Bruit du jour fait ta prière,

L’heure passe lente et claire

Sur la place somnolente,

Sous le ciel d’hiver tremblant.

 

Comme la vie fait souffrir,

Sans reproche, sans mot dire,

Pour un rien, pour le plaisir…

 

En vain la mer fait le voyage

Du fond de l’horizon pour baiser tes pieds sages

Tu les retires

Toujours à temps

Tu le sais, je ne dis rien.

Nous n’en pensons pas plus, peut-être.

Mais les lucioles de proche en proche

Ont tiré leur lampe de poche

Tout exprès pour faire briller

Sur tes yeux calmes cette alarme

Que je fus un jour obligé de boire

La mer est bien assez salée.

 

Une méduse blonde et bleue

Qui veut s’instruire en s’attristant

Traverse les étages bondés de la mer

Nette et claire comme un ascenseur,

Et décoiffe sa lampe à fleur d’eau

Pour te voir feindre sur le sable

Avec ton ombrelle, en pleurant,

Les trois cas d’égalité des triangles.

 

 

Leon-Paul Fargue (1876-1947) se disait « poète et piéton » : il fut un amoureux de la ville (comme en témoigne l’un de ses volumes, Le piéton de Paris, 1939).

 

 

 

Claude Roy, choix Dominique Zinenberg

Laetitia Extrémet, choix Éliette Vialle

Hoda Hili, choix François Minod

Francis Vladimir, choix Mireille Diaz-Florian

François Graveline, choix Dana Shishmanian

Hélène Dorion, choix Gertrude Millaire

Léon-Paul Fargue, choix Michel Ostertag

 

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