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Coup de coeur : Archives 2010-2011

  Une escale à la rubrique "Coup de coeur"
poème qui nous a particulièrement touché par sa qualité, son originalité, sa valeur.



 
( un tableau de Bruno Aimetti)


À Francopolis,
la rubrique de vos textes personnels est une de nos fiertés.
Elle héberge un ensemble de très beaux textes, d'un niveau d'écriture souvent excellent, toujours intéressant et en mouvement.
Nous redonnons vie ici  à vos textes qui nous ont séduit que ce soit un texte en revue, en recueil ou sur le web.


Poème Coup de Coeur du Comité

MAI  2013

Serge Dion
André Laude
Nicole Barrière
Georges Noël Coldold


SERGE DION
M

Serge Dion, auteur québécois de ma région, sa poésie, un mélange de joie de vivre et du combat du vivre,
excellent jongleur des mots, un passionné fou de la vie, choix Gertrude Millaire


Les traces de l’âme

Mon cœur ce matin
je le ramasse à la petite cuillère
Il y a tant de morceaux par terre
que j’ai décidé de pleurer

Des feuilles mortes mouillées
se sont accumulées
sur les sentiers de ma vie
et je racle ma peine
pour y retrouver
les traces de mon âme

Coffre enfoui sous les dalles du temps
dans la tristesse fumante de l’oubli
Je déterre tous les papillons
tous les petits êtres du passé
ensevelis dans des boîtes à souliers.

J’entaille désespéré mon écorce d’homme
à moitié manger par la vie
et je l’arrache du tronc lisse et mouillé
du petit arbre de jadis
Puis je m’en construis un canot
filant sur l’eau noire et muette
d’où je t'aperçois dans le brouillard de la mémoire.

Tes bras tels drapeaux de souvenir
et ton sourire large comme l’amour
Reconduis-moi sur cette plage de châteaux de sable
au beau milieu de l’été
sous la couverte chaude du bonheur
où je sentais le pouls sous ta poitrine battre
comme un tambour sur mes tempes molles
Refais-moi nos chemins
tracés à la branche sur le sol humide du bord de l’eau
Déroule la route à l’envers
et recule les horloges qui ont émietté ma parole d’enfant

J’ai des traces en moi
des pieds pas plus longs que des des ménés,
des balises de vie imprimées sur la terre
puis coulé doucement dans un lac sans fond
Tu m’avais gravé de ton nom et le jour venait au monde
avec sa musique toute simple comme un air de musique à bouche

Mes mains dans tes cheveux et ton front sur mon ventre,
c’était ça, je le sais, qui voulait dire :
Je suis tout nu sur la terre vivante
qui palpitait de ta présence.

La lune tenait toute seule dans la jupe de la nuit
et le silence s’éparpillait sur nos châteaux abandonnés
et tout mon amour, je le savais,
allait dormir tout près de moi jusqu’à demain
et pour le reste de l’éternité.


(Serge Dion, extrait  Les Traces de l'âme)
poème lu par Julie Huard, Radio-Canada1

***

BILLET DU BEAU TEMPS (avril 1994)

Voilà une journée qu’il faudra applaudir, chers amis.

Un soleil qui mériterait une ovation debout.

Journée de lumière en grappes juteuses, douche de lumière et vent doux.

Enfin ! que de patience avons-nous eue pour finalement goûter à cette splendeur !

Et c’est la tête et c’est le corps tout entier qui s’envelopperont  aujourd’hui de cette fabuleuse merveille qu’est le beau temps.

Le beau temps, le beau temps qui finira bien par nous faire oublier la maigreur des chicots, la nudité des ormes.

Le beau temps comme bourgeons, comme chant d’oiseaux, sucre d’érable et un goût de vivre bouillonnant.

Le beau temps comme senteur de terre, et comme semence à l’horizon.

Le beau temps, comme rivière en débâcle, comme opulence des eaux, comme mise au monde sur la terre, comme naissance tant et tant de fois recommencée mais toujours et toujours nouvelle.

Le beau temps comme dise les anglais « spring », mot qui sursaute, mot qui dit tout, ressort, saut, bond, source, origine, souplesse, la vie quoi !

C’est bien cela le beau temps avec les jours qui allongent et le temps qui s’étire.

Le beau temps comme cheveux d’or au soleil, comme joue blême qui cherche la douce chaleur du ciel.

Le beau temps comme cri de fillette et corde à danser, comme mille billes bleues et tout le bonheur tressé en nattes.

Le beau temps aussi comme au temps des draps blancs étendus sur les cordes à linge, comme au temps, vous rappelez-vous ? Où les cours étaient des voiliers, et les femmes capitaines tirant-poussant sur les voiles roses ou à petits pois qui sentaient le frais et sur lesquels on dormait la nuit et on prenait le large.

Le beau temps, qui permettait à nouveau la rencontre, l’échange, les éclats de rires et la joie de vivre car ces femmes-là, se parlaient dans le grincement des poulies de navire en navire sur l’eau verte des pelouses, en se lançant par-dessus bord des nouvelles fraîches de leurs enfants et de leur mari.

C’est dans l’temps dont je me rappelle, en tout cas, où les heures se gonflaient de rires sonores enfilés comme des perles dans le collier du jour.


C’était tout cela le beau temps et tout ce qu’il est encore aujourd’hui, lorsqu’on se laisse aller, lorsqu’on dégèle finalement pour enfin se laisser couler dedans.


(Serge Dion, Extrait des Chroniques de l’aube)
lu par Daniel Daigneault, Radio-Canada)

1Radio-Canada

Serge Dion, auteur fondateur de l'Association des auteurs auteures de l'Outaouais et du Salon du Livre, grand poète et communicateur, décédé en ce début printanier 2013.


(Voir l'article Vie-Poète, mai 2013)


ANDRÉ LAUDE


André Laude , un poème qui m'a ému au plus haut point : partant d'un souvenir d'enfance, le poète dresse un constat terrible et fulgurant du monde dans lequel nous vivons. La poésie écrite dans l'urgence d'André Laude mêlait tendresse et révolte, lyrisme et politique, dénonciation, colère et humanisme. Il nous a confié ces vers comme une profession de foi   :
« Si j’écris, c’est pour que ma voix, d’un bond d’amour, / atteigne les visages détruits par la longue peine, le sel de la fatigue ; / c’est pour mieux frapper l’ennemi qui a plusieurs noms. »,
choix d'André Chenet

Je fus enfant dans le noir

Parfois pour me punir mon père
m'enfermait seul dans le couloir
près de la boutique rutilante
d'oignons de poireaux et d'aromates

Puis il venait me chercher
avec sa grosse voix
il pardonnait m'embrassait
me tirait affectueusement les joues

Ce sont là souvenirs que le sang
devenu adulte
n'oublie pas.

Aujourd'hui il m'arrive souvent
d'être dans le noir
la lecture des journaux
est un acte terrifiant

En ces temps de flammes
et d'inquisition

On assassine partout les pauvres
on fauche partout la clarté humaine

Partout on bâtit prisons et esclavage

La voix de la speakerine
est une lame de couteau
qui fend le coeur et l'âme

Aujourd'hui il m'arrive souvent
d'être dans le noir
et le plus terrible est de savoir
que mon père ne viendra pas
avec sa grosse voix qui pardonne toujours
et ses mains ouvrières
pour me tirer les joues
dans le couloir près de la boutique
Oignons Poireaux et Aromates

(André Laude (1936 - 1995)
In " vers le matin des cerises " (1976)



André Laude : Anthologie André Laude sur : DANGER POÉSIE



NICOLE BARRIÈRE



Nicole Barrière, trois poèmes de cette auteure, choix de Dana Shishmanian.

L’heure du laitier

Plans sociaux
Faces froides des fausses promesses
Devant la stèle d’acier,
Lumière églantine
Espoir rebelle
Flamme et marche des révoltés
Visages de nuit, visages vides
Il est une souffrance mise au monde
De signes brisés qui tombent des hauts fourneaux
Contre les murs insouciants de la mort
Cet amour âpre du travail qui traverse chaque mot de révolte
Cette paix des mains qui sentent le laitier
Entre piquet de grève et nuage, ces clairs visages de la conscience
Ces créatures calmes qui marchent à pied à travers les rues
La flamme adolescente
Écrite sur un reste d’enfance.

 

[Inachevé]

Inachevé de douze nuits
entre spectre et lait blanc
une pie vole noire et blanche
sur le pays couché d’abandon

Creuser le gel et la douleur du temps
apprendre l’enfance d’autres mythes
apprendre l’alphabet de l’amour
dans le filigrane d’être

Retrouver les gestes d’épreuve des rituels
au goût cerise et miel
cet instant inventé de la langue
qui remonte le tronc du dési

Au bord du lit du rêve
son eau remplie d’algues
de murmures
de coquillages laiteux
la lune respire l’ardeur du soleil
dormeurs affamés
nous éveiller aux lueurs de l’aurore

 

Lavandes III

Dans les lavandes toutes sortes de plantes et le silence du matin.
On t’appelle. Viendras-tu ?
Renoue à ta source d’enfance
Lentes plantes humaines
aux croissances incertaines
où tout n’est que rêve et tremplin de lumière
Tendre l’ombre jusqu’aux lisières du rêve
Pouvoir voler le feu
Sans que le malheur en assèche la flamme
Et l’eau remuait entre les galettes
soulevait un nuage de cendres
et la tristesse des loups que la peur tenaille.
Crois encore aux songes, à ce drap de lin bleu tendu entre les âges
aux eaux vives du torrent bordé de violettes
traversées d’hiver dans le puits des enfermements
il te faudra renaître par le soudain éloge du soleil par le ciel
bleu. Lavandes ! Sans nuage est la nuit étoilée.

Poèmes extraits d’un recueil récent de Nicole Barrière
(présente dans l’édition d’octobre 2012 de Francopolis avec
5 poèmes salués à l’unanimité des membres du comité de lecture)
La mort n’est pas facile à vendre. Suivi de Écrire aimer, février 2013. Un recueil fait de colère, d’indignation, de désespoir, de tendresse, d’amour, d’espérance. Avec les mots doux-amers d’une Passionaria portant « sous le cœur la tache de naissance / à moins que ce ne soit la marque d’un tatouage archaïque ».




GEORGES NOËL COLDOLD

Gerges Noël Coldold choix d' Éliette Vialle

L’arbre de l’esclavage
Malgré des mutations,
A pu changer d’image
Mais jamais d’intention.

Il continue de croître
Et masque la forêt
Dans laquelle l’on cloître,
Invisibles, discrets,
Tant de pauvres esclaves
Venus du Tiers Monde,
Tentés par le suave
Et découvrant l’immonde.

D’indignes dignitaires
Sous fond d’immunité,
En sont tortionnaires
En toute impunité.

Affamés, violés,
Et dormant sur le sol,
On les tient isolés
Sous maintes camisoles.

Ça se passe chez nous
Et notre indifférence
Est pour ces grands voyous,
Réelle connivence.

Loin de nos frontières,
Au prix de sacrifices,
Des mains non volontaires
Tissent nos bénéfices.

Qui lavera le sang
Des fabriques obscures ?
L’argent asservissant
N’en a la moindre cure.

Georges Noel COLDOLD




Coup de coeur
 Éliette Vialle, Gertrude Millaire,
 
Dana Shishmanian et André Chenet
Francopolis, mai 2013

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