Ou les mots cessent de
faire la tête et revêtent un visage. |
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GUEULE DE MOTS
Cette rubrique reprend un second souffle en 2014
pour laisser LIBRE PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler
de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la
poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner
son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture, ou tout
simplement de gueuler en paroles... etc. Mars-Avril 2022 Libre parole à François Mocaër En entretien avec François Minod |
François Minod : Merci François de m'accorder cet
entretien. Je sais que tu es très occupé par ton métier d'éditeur. Nous
aurons l'occasion d'en parler. Mais si tu es d'accord, je te propose dans un
premier temps d'évoquer ton parcours littéraire et poétique, même si tu te
montres très discret sur ton activité d'auteur. J'ai lu ton recueil - Le monde du
silence est le diamant du vide, suivi de Définitions de Dieu, le chant
de l'éveil - avec beaucoup d'intérêt et d'émotion, il y est question,
entre autres, de l'accueil du silence. François Mocaër : Le silence pour moi et pour tous les
poètes, ce n'est pas l'absence de bruit, on peut très bien connaître des
silences dans une foule, dans une guerre, avec des bruits de canon, c'est
l'intériorité qui fait silence en nous et nous permet peut-être de voir les
choses davantage comme témoin que comme acteur. François Minod : Lorsque tu parles de Dieu, dans ton
livre, tu dis que ce n'est pas Dieu tel qu'on se le représente. François Mocaër : C'est tout l'inverse, c'est un Dieu
d'amour qui est en nous. Il n'y a pas de jugement. François Minod : Qui est en nous, si nous lâchons prise. François Mocaër : Bien sûr. Je souscris à ce que disait
Teilhard de Chardin : les hommes ne sont pas des personnes qui vont
faire l'expérience de la spiritualité mais plutôt des hommes qui sont des
êtres spirituels qui vont faire l'expérience de la vie. On retrouve parfois
chez les mystiques une certaine dimension ésotérique où effectivement Dieu
s'apparente à l'Indifférencié. On le retrouve dans la mystique
chrétienne, notamment avec Maître Eckhart, dans la mystique musulmane,
certainement dans la mystique juive que je connais moins et dans les
différentes voies de l'hindouisme. François Minod : Tu as également écrit et publié des
romans. François Mocaër : J'ai effectivement publié deux romans.
Je ne me considère pas pour autant comme un écrivain. J’ai commencé par
écrire mon premier roman Corps oubliés. C'est l'histoire d'un vieil
homme de 85 ans. Ça se passe dans les années 80. C'est un ancien
collaborateur. Il va tomber amoureux d'une jeune prostituée de 19 ans.
Il vit dans un perpétuel roman. On est dans les années sida. Il se laisse
contaminer par le sida pour essayer de chercher une rédemption et quand cette
jeune femme meurt, il devient invisible. Il continue à vivre mais il ne voit
plus son reflet dans le miroir parce qu'elle est morte. François Minod : Il est transparent. François Mocaër : C'est cela. Le livre a été publié il y
a longtemps. Le deuxième roman À l'aube d'un dimanche raconte
l'histoire d'un homme qui n'a jamais lu de livres de sa vie. Il vit à Brest
et il est au chômage. Il décide d'aller à Paris et chercher du travail. Il
tombe amoureux d'une femme écrivain. Il va, grâce à cette femme, découvrir la
poésie. C'est une histoire d'inceste avec les mots, une histoire d'amour
érotique très forte. Ils se séparent. Il va mourir d'un accident de voiture,
décapité. Il a toujours le livre de cette femme avec lui. Son fils va
découvrir le livre couvert de sang. Lui non plus n'a jamais lu un livre de sa
vie. C'est une sorte de passage de témoin.
En fait, c'est un roman sur la poésie. François Minod : Quel genre de poésie aimes-tu ? François Mocaër : En fait, je n'aime que la poésie
moderne. François Minod Qu'entends-tu par poésie moderne ? François Mocaër : C'est un lieu où la poésie ne fait pas sens
nécessairement. Par contre, il y a des mots qui, mis ensemble, vont résonner
et faire sens. C'est la même différence qu'entre art figuratif et art
abstrait. On regarde un joli paysage, un beau Van Gogh, on aime les couleurs,
on sait que c'est une poire que l'on voit. L'art abstrait, c'est différent. - Ah, mais je ne comprends pas mais
pourtant j'ai une émotion qui fait sens. En fait, c'est l'inverse. C'est ce
que j'aime dans la poésie. Lire des choses qu'on ne comprend pas et qui
pourtant, par je ne sais quel miracle, font sens. Quand je vois maintenant des jeunes
gens de 25 ans qui m'envoient leur vers, souvent en alexandrin, ils parlent
de jeunes filles pâles et vierges dans des châteaux, avec des chandeliers. En
fait, ils ne font que reproduire ce qu'ils ont lu chez les romantiques, voire
les gothiques. François Minod : Il y a eu un mouvement gothique. François Mocaër : Il y a toujours un mouvement gothique
qui a beaucoup évolué. On pourrait dire que le gothique c'est l'esthétique du
sombre. Baudelaire étant sans doute un poète gothique car il travaillait sur
la beauté du sombre. François Minod : On va revenir si tu es d’accord sur
l'aspect spirituel évoqué dans Le don du silence... Est-ce que la
méditation est quelque chose que tu pratiques régulièrement ? François Mocaër : Ça dépend de ce qu'on appelle
méditation. Méditer, arrêter de méditer, c'est une activité. François Minod : C'est le moi qui décide. François Mocaër : Il n'y a qu'une seule question qui soit
vraiment importante, c'est : qui suis-je ? Il y a des gens qui vont
chercher leurs racines. Hier, j'étais avec une auteure juive, elle me parlait
de ses racines. Elle avait 50 ans, il fallait qu'elle sache. Je lui ai
dit : non attends, qui suis-je ? Tu n'as pas choisi d'être juive,
je n'ai pas choisi d'être breton, catholique, il n'a pas choisi d'être
animiste… François Minod : Je suis celui qui suis. François Mocaër : Oui, en fait c'est la source qui est
importante. Qui suis-je ? La réponse est dans la question. Le mental ne
peut y répondre. François Minod : Tu es très actif dans l'exercice de ton
métier d'éditeur. Dans ta vie quotidienne, cette part de spiritualité
est-elle toujours présente ? François Mocaër : Oui, je peux prier. Ce que j'appelle
prier, c'est amener le divin en soi. Quand un homme prie, on dit : il
s'abandonne à la volonté de Dieu. Or ce n'est pas à Dieu qu'il s'abandonne,
c'est à lui-même. Le moi s'accapare Dieu. Les moines zen disent : pour
trouver le Bouddha, il faut tuer le Bouddha. Donc en fait, il faut tuer le
concept pour avoir accès à une autre dimension en soi-même. François Minod : Est-ce que l'écriture te tient encore à
cœur ? François Mocaër En fait, si je me suis lancé dans
l'édition, c'est aussi parce que l'écriture m'avait quitté. Je n'avais plus
besoin d'écrire pour exister. François Minod : Avant d'aborder ton activité d'éditeur,
j'aimerais te poser la question suivante : est-ce que tu as encore des
projets d'écriture dans l'avenir ? François Mocaër : Plus tard, quand j'arrêterai l'édition.
Il me faut du temps. François Minod : Et j'imagine que tu n'en as pas
beaucoup ? François Mocaër : Non, mais je bosse très vite. Il
m'arrive parfois de faire de grosses bêtises. Mais c'est mon tempérament. François Minod : Quand as-tu créé ta maison
d'édition ? François Mocaër : J'ai fondé les Éditions Unicité en 2010. François Minod : Tu publies beaucoup ? François Mocaër Je suis un éditeur compulsif. François Minod : Compulsif mais très attaché à tes
auteurs. Il y a une bienveillance qui te caractérise. François Mocaër : Je ne pourrais pas faire mon métier d'éditeur
autrement. Mais j'ai des auteurs qui partent et je les laisse partir. On
publie pas mal d'auteurs de province, même si la majorité vit dans la région
parisienne. Il y a des auteurs qui m'appellent de temps en temps. François Minod : Tu édites beaucoup de poésie ? François Mocaër : Oui et aussi quelques romans et des
livres sur la spiritualité. François Minod Tout type de spiritualité ? François Mocaër : En fait des livres sur le
christianisme, l'hindouisme, le bouddhisme. Par exemple, j'ai fait un livre
avec l'association bouddhiste japonaise. Ils ont financé une partie de la
publication. François Minod : Pourquoi publies-tu autant ? François Mocaër : C'est un modèle économique pour moi. Si
je veux gagner ma vie avec l'édition, il faut que je publie beaucoup. Je n'ai
pas trop le choix. En même temps, si j'avais le choix de prendre un diffuseur
plus important et de ne faire que 10 livres par an, je serais très
malheureux, ça ne me correspond pas. Je pense que l'important, c'est que le
modèle d'édition que j'ai choisi correspond à ma personnalité. Je connais des
éditeurs qui ont une ligne éditoriale très serrée et qui ne publient que
leurs amis. Dix livres par an, une ligne éditoriale ? Ce n'est vraiment
pas mon truc. Je m'ouvre. C'est important d'ouvrir des portes à des poètes
d'autres maisons d'édition ou à des poètes qui n'ont jamais publié. J'ai des auteurs que je ne lâcherai pas
parce que même s'ils font parfois des livres un peu moins bons, je sais que
pour eux, faire des livres, c'est capital. Ils sont souvent en grande
difficulté (RSA). Pour eux publier un livre c'est le seul moyen d'exister et
franchement si on leur enlève ça... François Minod : Il y a un aspect très humain dans ta
démarche. François Mocaër : Complètement, je n'ai aucun mérite, je
suis comme ça. Mon père était comme ça aussi. Finalement, je suis comme
l'autre que j'ai critiqué toute ma vie. François Minod : Ton père ? François Mocaër : Je dis ça en plaisantant. Je me rends
compte que je l'ai toujours critiqué et que je suis revenu à moi par lui. François Minod : Avant de travailler dans l'édition, tu
as travaillé dans l'imprimerie m'as-tu dit. François Mocaër : Oui un peu de correction, de marketing.
Pendant 12 ans, je me suis occupé de la rédaction d'une revue Saint-Maur
magazine, tirée à 35000 exemplaires, une sorte de bulletin municipal qui
couvrait Saint-Maur et Varenne. Dans ce cadre, j'ai écrit des articles sur
des poètes résidant à Saint-Maur et son agglomération. Quand j'ai créé ma
maison d'édition, je ne connaissais pas de poètes. Les premiers à avoir été
publiés habitaient Saint-Maur. François Minod : Tu as créé plusieurs collections ? François Mocaër : Oui et notamment une collection de
livres gay. Les Éditions Unicité ont reçu deux fois le prix du livre gay.
Quant aux autres collections, plusieurs personnes en assurent la direction. François Minod : Bénévolement ? François Mocaër : Elles sont intéressées au résultat mais
ne sont pas salariées. J'invite les lecteurs de Francopolis à aller consulter
le site des Éditions Unicité pour avoir toutes les informations concernant
les collections et les auteurs. François Minod : Merci encore François d'avoir donné de
ton temps pour nous parler de toi, des valeurs qui te portent, des livres que
tu as écrits et du métier d’éditeur que tu exerces avec passion. François Mocaër : Merci à toi François pour ton écoute
attentive et bienveillante. (*) Bibliographie de François Mocaër Corps oubliés,
Édition Les 39 marches, 2001 On écrit avec le corps dès le signe
d'un basculement vers la douleur, Édition L'Harmattan, 2003 À l'aube d'un dimanche,
Édition Cadie, 2007 S'abandonner à la plénitude,
Éditions Accarias, 2010 Le don du silence est le diamant du
vide, suivi de Définitions de Dieu, le chant de l'éveil, Éditions
Unicité, 2020 |
François
Mocaër – en entretien avec François Minod Francopolis
– mars-avril 2022 |
Créé le 1 mars 2002