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Ou les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage.

 

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 GUEULE DE MOTS – ARCHIVES

 

 

GUEULE DE MOTS



Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...

Cette rubrique reprend un second souffle en 2014 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture...etc.

 

Libre parole à

Jérôme Fleuret

 

http://www.francopolis.net/rubriques/sakurai06.gifJanvier - Février 2020

 

 

Le temps perdu n’existe pas !

 

Je somnolais doucement après un petit repas juste à peine arrosé…

Des mauvaises langues parleront de minutes perdues, des heures peut-être ! N’importe, ces sortes d’heures ne sont pas des heures perdues, aucune heure ne mérite cet affront, chaque heure porte en elle le ferment d’autre chose, invisible à celui qui ne sait regarder, ni percevoir le moindre murmure, le plus petit soupir d’un moment de relâchement…

Mon Dieu, faites que ma vie ne soit qu’une suite ininterrompue de moments perdus !

À l’heure de l’amour, tous ces moments perdus tissent la toile sentimentale, la toile divine, du délire et de l’émerveillement…Moments perdus pour ceux qui n’ont jamais aimé…Ces moments d’attente, de renoncement de soi, d’espérance en l’autre, qui oserait parler de moments perdus ?

Mon Dieu, faites que ma vie ne soit qu’une suite ininterrompue de moments perdus !

Je m’étais égaré dans un sous-bois, un après-midi chaud d’été, la fraîcheur subite me plut, je m’allongeais au pied d’un arbre, prudent j’avais garni ma poche d’un calepin et d’un petit crayon, la poésie la plus belle teinta ma rêverie d’accents ineffables et sur le petit papier quadrillé, je pus relire la trace certaine de ces moments totalement perdus aux yeux d’un homme d’aujourd’hui…

Mon Dieu, faites que ma vie ne soit qu’une suite ininterrompue de moments perdus !

L’autre jour dans un embouteillage dont Paris a le secret, enfermé dans ma voiture, glaces montées par peur de l’asphyxie, roues immobiles, pare-chocs contre pare-chocs, une musique m’envahit peu à peu l’âme, déposa en moi un grand bonheur, cette musique me rappela des souvenirs anciens, des jours heureux, un visage aimé…

Mon Dieu, faites que ma vie ne soit qu’une suite ininterrompue de moments perdus !

Mon père disait que pour réussir une bonne éducation, il fallait gérer au mieux les moments perdus de l’enfant ; lui apprendre à apprécier ces moments de qualité, un peu comme des oasis dans des moments de fatigue, des moments d’écoute de soi, des moments perdus pour tous, sauf pour soi-même !

Mon Dieu, faites que ma vie ne soit qu’une suite ininterrompue de moments perdus !

Aux yeux de beaucoup, la lecture est le type même du moment perdu, lire, mais à quoi bon ! N’avez-vous rien d’autre à faire quand tant de choses vous attendent ? Laissez dire, ignorer ces gens, ils ne valent pas la peine d’une réponse, d’un regard même de votre part…Le livre vous remercie de l’attention que vous lui portez…

Mon Dieu, faites que ma vie ne soit qu’une suite ininterrompue de moments perdus !

 

©J. Fleuret

Février 2020

 

 

***

 

Monotype de Roselyne Fritel, 2016

 

 

Délires d’exil

 

Je partirai hors de moi : je partirai hors d’ici, dans des pays lointains, au climat incertain.

Je parlerai des langues bizarres entendues seulement par quelques indigènes.

Vêtu de costumes étranges, ma démarche sera celle d’un homme libre

Mon adresse sera celle de la poste restante, à l’unique café on me verra, de temps en temps, boire un verre d’absinthe.

On me prêtera des activités occultes, certains me traiteront de trafiquant de femmes ou d’opium, à moins que ce soit de diamants.

Les soirs de beuveries, j’évoquerai Paris et ses ruelles, Paris et ses vieilles pierres et mes amours abandonnées.

Alors un gamin dans le fond de la salle parlera de moi en m’appelant l’exilé !

Et puis, dans quelques années, un inconnu viendra te raconter tout cela, tout ce qu’il aura vu, il te parlera de ma vie, de mes journées, de mes propos, tout, quoi !

Et toi, enivrée de tant de preuves d’amour, tu embarqueras sur le premier bateau à destination inconnue et tu viendras me chercher, heureuse d’aimer et d’être encore aimée.

Au fil des années, je vieillirai dans ma tête, au fil des années ma mémoire se remplira d’un bric-à-brac de souvenirs avec toujours cet arrière-goût indéfinissable, comme venu d’ailleurs, comme un goût d’exil à l’égard des autres, comme un goût d’exil à l’égard de soi-même.

Étranger à ma propre destinée, certains soirs, je me surprends à ne pas me comprendre moi-même ; étranger à certains de mes actes, à certains de mes écrits, d’où me viennent ces images poétiques qui me hantent certaines nuits…

Ne sommes-nous pas tous des exilés venus de nulle part, cherchant nos chemins, mus par de vagues souvenirs de vies oubliées, perdues dans le temps : Atlantide rêvée ou réelle !

Exilé au sein de ma propre vie, en un exil pour moi seul, je suis celui qui sait cela et qui jamais n’en parle.

Exilé à l’intérieur de soi, à certains moments de mélancolie…

Étranger à soi-même, noyé dans la foule anonyme des repas terrestres, venu d’un pays lointain de tous, je sais que mon exil n’est que temporaire : la mort y mettra un point final, un jour, demain, ici ou ailleurs.

Ô exil, mirage de tous les instants, je suis celui qui sait et qui jamais n’en parle…

L’exil est en nous, en chacun de nous, de la naissance à la mort, en chacune de nos fibres, inconnu à nous-même, étranger à nous-même, notre existence est comme une terre d’asile qui nous aurait accueillis au jour premier.

Venue d’ailleurs, allant ailleurs, notre vie est un exil dont nous sommes la victime.

Prince du moment au passé inconnu, nous ne savons rien de ce que nous sommes vraiment.

L’exil est en nous. Vêtus des hardes du manant, avançons dans la vie avec la dignité d’un prince dont le royaume a été aboli et les splendeurs détruites.

 

©J. Fleuret

 

J. Fleuret (nom de plume de Michel Ostertag) est l’auteur entre autres du recueil de poèmes Des mots comme des caresses (éditions Edilivre, 2016), sur lequel une belle note de lecture fut publiée dans notre revue par Gertrude Millaire (mai 2016). Le second texte ci-dessus y est sans doute lié, car on trouve le thème de l’exil dans le recueil aussi : « Tous les amours humains / Un jour ou l’autre / mènent à l’exil… » – avec cette entorse inattendue/attendue : « À la lumière de la bougie vacillante / et qui va bientôt s’éteindre / je m’exile en moi ».

Rappelons aussi ses Fables, ses Aphorismes et Billets d'humeurset, tout dernièrement, sa présence au Salon de lecture (mai-juin 2019) avec de magnifiques poèmes d’amour… 

J. Fleuret

Recherche Michel Ostertag

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