Ou les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage.

 

ACCUEIL

 

 GUEULE DE MOTS – ARCHIVES

 

 

GUEULE DE MOTS



Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...

Cette rubrique reprend un second souffle en 2014 pour laisser LIBRE PAROLE À UN AUTEUR... Libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie, de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle à l'écriture, ou tout simplement de gueuler en paroles... etc.

Mars-Avril 2021

 

 

Libre parole à

Anna Tüskés.

Entretien réalisé par Maria Mailat 

sur les échanges artistiques et littéraires franco-hongroises.

 

Grande aigrette, collecteur d’impôts des pêcheurs dans le port…

Photo par Anna Tüskés

« J’aime autant explorer les archives de la littérature et des arts que les paysages du lac Tisza »

 

1. Chère Anna, partons du fait que j’aimerais connaître, en quelques mots, ton « autoportrait ». Qui es-tu ?

Je suis historienne de la littérature et des arts. Je suis née à Budapest. J’ai fait mes études au lycée Veres Pálné en sciences humaines (1995-1999), puis à l’Université Eötvös Lóránd (1999-2005) en histoire de l’art et en langue et littérature françaises. J’ai passé un doctorat en histoire de l’art en 2009. Depuis 2007 je travaille à l’Institut d’Études Littéraires du Centre de Recherches en Sciences Humaines de l’Académie Hongroise des Sciences et depuis 2018 également au Département de l’Histoire de l’Art de la Faculté des Arts de l’Université de Pécs. Mes domaines d’expertise sont les relations littéraires et des beaux-arts franco-hongrois du 20e siècle. Je me suis mariée en 2014. J’aime faire des randonnées, découvrir la nature, voyager et visiter des monuments culturels, réaliser des photos et des vidéos.

 

2. Comment as-tu découvert la langue française en Hongrie ?

J’ai commencé à apprendre le français au lycée. J’avais une enseignante très stricte, Mme Éva Csatári pendant quatre ans. J’ai presque perdu la bataille contre « qu’est-ce que c’est ? » à la fin du premier semestre. Au moment de choisir des matières universitaires, à la suggestion de mon père, j’ai choisi la langue et la littérature françaises en plus de l’histoire de l’art. L’apprentissage de cette langue au lycée n’aurait pas suffi pour passer l’examen d’entrée à l’Université Eötvös Lóránd, c’est la raison pour laquelle j’ai étudié j’ai étudié l’histoire littéraire française pendant un mois avec la femme du célèbre traducteur László Lothár, elle-même linguiste. Les cours de langue, littérature et civilisation françaises n’était pas facile pour moi car je ne vivais pas en France. Un séjour de trois semaines à Bruxelles m’a beaucoup aidé après ma première année universitaire.

 

2 bis. J’ai cru comprendre qu’il y avait un très haute qualité de l’enseignement du français à l’école, ce qui a contribué d’une manière importante à l’orientation vers le français des écrivains hongrois. Qu’en est-il aujourd’hui du rayonnement du français vers les jeunes générations ?

Les relations littéraires franco-hongroises remontent à plusieurs siècles et ont subi de nombreuses transformations. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les contacts personnels sont devenus courants, principalement grâce à de nouvelles possibilités de voyage et de communication. Les connaissances sont devenues plus intenses, les interactions plus rapides. Il n’a pas fallu des années ou des décennies pour traduire une œuvre littéraire, comme auparavant. La culture et l’orientation littéraire françaises sont restées très importantes en Hongrie jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale. L’histoire des relations culturelles au XXe siècle a été fondamentalement déterminée par de nouveaux courants littéraires et une immigration accrue par rapport aux siècles précédents. Outre la Grande-Bretagne et l’Allemagne, la France a été le pays qui a accueilli le plus grand nombre de poètes, d’écrivains, de peintres et de sculpteurs hongrois.

 

3. Quels sont tes meilleurs souvenirs dans l’apprentissage du français ?

J’aime beaucoup traduire, aussi bien du hongrois en français que du français en hongrois. J’ai réussi à obtenir de bons résultats dans ce domaine. Je traduis principalement des études hongroises d’histoire littéraire en français et quelquefois des histoires courtes françaises en hongrois.

 

4. A quel moment as-tu décidé de t’orienter vers l’étude et le travail concernant la littérature et les beaux-arts situées aux frontières franco-hongroises ?

Au cours de mes études universitaires pendant la troisième / quatrième année, j’ai commencé à aborder le sujet de l’histoire des relations littéraires franco-hongroises du XXe siècle sous la direction de Judit Karafiáth : elle a suivi mon travail et m’a aidée avec ses conseils. Lors des recherches pour mon mémoire de maîtrise j’ai pu étudier la correspondance du poète, traducteur, éditeur hongrois Gyula Illyés avec le poète Jean Rousselot. Leur correspondance (19561983) a mis en évidence les étapes d’une coopération fructueuse pour la culture française et hongroise, y compris le rôle prépondérant des traductions littéraires.

Au cours de mes études de doctorat en histoire de l’art, dans le cadre d’un séminaire du XXe siècle de Krisztina Passuth, j’ai découvert le peintre Lajos Márk, étudiant de l’Académie Julian à Paris dans les années 1890, comme beaucoup d’autres peintes hongrois avant la première guerre mondiale. En 1890, Márk s’est rendu à Paris où William Bourguereau, Gabriel Ferrier et Tony Robert-Fleury étaient ses maîtres à l’Académie Julian. Jusqu’en 1899, il passa quelques mois à Paris chaque année. Il a été grandement influencé par Bourguereau, qui, suivant les traditions d’Ingres, a fait une grande impression sur ses disciples. Mark a laissé beaucoup de ses caricatures à l’Académie de Paris.

Un autre bon exemple de relations artistiques complexes, c’est l’histoire des deux sculpteurs : le français Jules Desbois (18511935) et le hongrois Gergely Finta (nom d’artiste : Oszkár Zádory, 1883–1947) que j’ai découvert il y a quelques mois grâce à l’un de mes collègues historiens de l’art français. Desbois était praticien chez Rodin. Finta s’est rendu à Paris en 1906 avec une bourse de 400 écus, où il a travaillé pendant un temps dans l’atelier de Rodin, puis il a étudié avec Desbois. Cela a eu un grand impact sur son art jusqu’à la fin de sa vie. Il a réalisé d’excellents portraits et a travaillé pendant un certain temps pour la manufacture de porcelaine de Sèvres. Sa carrière a été interrompue par la Première Guerre mondiale. Il a été interné à Noirmoutier pendant plusieurs années (Aladár Kuncz a écrit à ce sujet en détail dans son roman intitulé Monastère Noir), puis il est rentré en Hongrie en 1919. Il a exposé à plusieurs reprises à Budapest. En 1924, il est revenu en France où il a vécu jusqu’à 1936. Son portrait de Desbois est conservé aujourd’hui au musée qui lui est consacré dans sa ville natale de Túrkeve.

 

5. Quels sont les moments importants de ton itinéraire dans la découverte, l’analyse et la publication des archives (les correspondances, par exemple) des écrivains hongrois rattachés à la France (donne-nous quelques exemples) ?

Entre 2007 et 2013, j’ai travaillé comme assistant de recherche dans les Archives Illyés Gyula sous la direction de Mária Stauder qui a été un bon point de départ pour une compréhension plus approfondie des relations littéraires franco-hongroises du XXe siècle. Illyés est devenu un artiste extrêmement exigeant et conscient précisément grâce à ses traductions de poèmes français. Son amitié avec Rousselot a abouti à de nouvelles œuvres dans les trois genres littéraires, en plus des traductions littéraires.

Dans le livre co-écrit avec le critique littéraire, essayiste, poète Christophe Dauphin, et publié à Paris en 2015, j’ai publié plus d’une centaine de lettres de Rousselot à Illyés et à d’autres écrivains et historiens littéraires hongrois (László Dobossy, László Gara, Ferenc Jankovich, Gábor Lipták, István Tóth).

Entre 2016 et 2019, dans mes recherches postdoctorales à l’Institut d’Études Littéraires du Centre de Recherche en Sciences Humaines de l’Académie hongroise des sciences, j’ai examiné les relations littéraires franco-hongroises du XXe siècle à travers six personnalités éminentes : François Gachot, László Gara, Jenő Heltai, Gyula Illyés, Ágnes Nemes Nagy et Gusztáv Rab. La recherche a été rendue possible grâce à la bourse postdoctorale du Bureau National de la Recherche et du Développement (NKFIH), et la publication des romans par le Fonds Culturel National (NKA).

Avec deux institutions co-organisatrices, l’Institut français (Bénédicte Williams) et le Centre interuniversitaire de français (Dávid Szabó), j’ai organisé un colloque internationale intitulée « Les relations littéraires entre la France et la Hongrie au XXe siècle » qui s’est tenue à Budapest du 5 au 7 décembre 2018, avec plus de quarante intervenants, où nous avons fait connaissance.

 

6. Dans ton dernier livre paru en 2020 réunissant plus de trois cents pages (« en-nemzetem külhoni hire-sorsa » [« la renommée et le destin à l’étranger de ma nation »]), sous-titré « Chapitres des relations franco-hongroises dans l’histoire littéraire du XXe siècle », j’ai été impressionnée par le volume de la bibliographie que tu as étudiée et utilisée dans ton livre. Pourrais-tu nous présenter (ou dévoiler) ta méthode de travail ?

J’ai découvert des archives dans cinq collections publiques et deux collections privées. Environ mille cinq cents documents (lettre, carte postale, télégramme, rapport du correcteur, invitation, etc.) sont conservés dans le Département des Manuscrit du Musée Littéraire Petőfi, pour ne donner qu’un exemple.

Au cours de mes recherches, j’ai contacté des successeurs légaux pour demander leur accord pour la publication. Non seulement qu’ils m’ont donné leur accord, mais ils m’ont également fourni de nouveaux documents. Dans l’héritage de la fille adoptive de Gachot, Klára Fekete-Korolovszky, il y a des lettres et des poèmes écrits par de nombreux poètes, écrivains et peintres hongrois pour Gachot et sa fille.

J’ai également pu rechercher des documents inconnus de Gusztáv Rab du Département de Manuscrits du Musée Littéraire Petőfi, sur lesquels Csaba Komáromi, chef du département, a attiré mon attention. En plus de la correspondance trouvée, j’ai également découvert sept romans, inédits en hongrois, écrits avant et lors de son séjour en France entre 1958 et 1963. J’ai publié déjà cinq de ses romans et je prépare deux autres pour une sortie en 2021.

J’ai enregistré environ deux mille cinq cents lettres dans un système de gestion de base de données. La base de données accessible au public avec une interface de recherche en anglais (http://frhu20.iti.btk.mta.hu/) contient actuellement des documents relatifs à une trentaine de personnalités littéraires provenant de huit collections publiques.

 

7. Parmi les sujets essentiels concernant les relations littéraire franco-hongroises se pose la question de la traduction. D’ailleurs, ton dernier livre paru en 2020 (cité ci-dessus) commence avec une réflexion sur la traduction en partant d’une citation de Heltai Jenő (« Il n’y a qu’une seule règle de traduction : elle doit être bien traduite »). Quelles sont les aspects du travail de traduction que tu voudrais partager avec nous sur la base de tes travaux dans les archives des écrivains hongrois ?

La principale question à laquelle je cherche à répondre dans mes recherches c’est de savoir quelles sont les conditions préalables à un accueil positif en France d’un écrivain hongrois. Mes recherches ont abouti aux résultats suivants :

1. Une connaissance approfondie de la langue et littérature françaises et une éducation francophone de l’écrivain-poète hongrois sont essentielles. L’étudiant hongrois pourrait acquérir de bonnes compétences linguistiques en privé ou au cours de ses études au lycée, puis les approfondir lors d’un séjour plus ou moins long en France. Ceci a été réalisé dans le cas des cinq écrivains et poètes hongrois : Heltai avait un professeur privé, les autres ont étudié le français au lycée. Gara vit, étudie et travaille à Paris depuis 1924 en tant que journaliste. Heltai a visité la France de nombreuses fois, traduisant de nombreux drames français pour les théâtres hongrois. Illyés a vécu, étudié et travaillé à Paris de 1922 à 1926. Bien que Nemes Nagy a séjourné à Paris seulement en 1948, et par la suite, à partir de 1961. En tant que journaliste, Rab se rend régulièrement à l’étranger dans les années 1930 – principalement en France et en Italie – pour rapporter les journaux hongrois, et en 1958, il s’installe définitivement en France.

2. L’écrivain-poète hongrois doit également disposer d’un excellent traducteur français et, si possible, d’un vaste réseau de contacts français. La traduction est rarement l’œuvre d’une seule personne : en l’absence d’un traducteur parfaitement bilingue, l’œuvre hongroise est généralement traduite en français par un Hongrois connaissant au mieux le français qui collabore avec un écrivain-traducteur français. Ce dernier réalise la version finale. Cet aspect diffère d’un écrivain à un autre. Heltai a trouvé un traducteur médiocre. Paul Chaulot a été le traducteur « idéal » des poèmes de Nemes Nagy : ne connaissant pas la langue hongroise, Paul Chaulot a du travailler à partir d’une première traduction « brute », mais les affinités entre les mondes poétiques de ces deux artistes et la sensibilité à la culture de l’autre ont permis la réalisation des traductions françaises d’une grande qualité. L’anthologie de la poésie hongroise éditée par László Gara est l’un des exemples les plus remarquables de traductions littéraires françaises basées sur la traduction brute hongroise. François Gachot, Eugène Guillevic, György Kassai, Bernard Le Calloc’h, Roger Richard, Aurélien Sauvageot et plus récemment Sophie Aude, Françoise Bougeard, Joëlle Dufeuilly, Sophie Kepes, Georges Kornheiser, Thierry Loisel, Maria Maïlat, Marc Martin, Guillaume Métayer, Chantal Philippe, Clara Royer, Jean-Louis Vallin, Nathalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba, sont les traducteurs exceptionnels qui n’avaient pas ou n’ont pas besoin de traduction brute pour produire la version prête à être publiée.

3. L'éditeur français doit pouvoir envisager la vente des traductions publiées. Une édition conjointe hongroise et française est également une possibilité viable. Dans ce cas, on peut citer la coopération entre Corvina et Gallimard et entre Corvina et Seuil : la partie hongroise supporte les frais d’impression et l’éditeur français assure la distribution du livre. Le financement de la traduction est une question d’accord. Le financement d’un livre seulement par un éditeur français est relativement rare.

4. L’œuvre hongroise s’intègre parfois dans un phénomène de mode ou un courant littéraire occidental, et, dans ce cas, l’éditeur parvient à vendre les exemplaires d’un livre édité. Le roman Voyage dans l’inconnu de Gusztáv Rab (1959) est un exemple dans ce sens. Ce roman a répondu à la curiosité des lecteurs occidentaux concernant la réalité à l’est du « rideau de fer ».

5. On a réalisé relativement rarement des films étrangers à partir d’œuvres littéraires hongroises. La possibilité de filmer s’est présentée seulement dans le cas du roman 111 de Jenő Heltai et du Voyage dans l’inconnu de Gusztáv Rab, mais l’idée ne s’est pas réalisée finalement.

 

8. Je sais que tu contribues aussi à organiser des rencontres entre chercheurs et écrivains, puisque nous nous sommes rencontrées à Budapest lors du colloque « Les relations littéraires entre la France et la Hongrie au XXe siècle ». Que voudrais-tu nous transmettre en synthèse des Actes de ce colloque que tu as pris le soin de co-éditer avec d’autres chercheurs ?

J’ai réussi à convaincre plus de quarante chercheurs – 35 hongrois et 5 français – de venir et présenter leurs dernières découvertes sur le sujet en décembre 2018. Bien sûr, beaucoup plus de gens font des recherches sur ce sujet. Les chercheurs présents un large éventail de disciplines, de la sociologie à l’histoire en passant par les études littéraires comparatistes. J’aimerais croire que cette rencontre de 2018 a été le début d’une série. On verra.

 

9. J’aimerais revenir sur ta biographie d’Européenne : quand as-tu découvert la France  ? Quels sont tes meilleurs souvenirs. Mais aussi un souvenir moins agréable… Quels sont les écrivains français qui t’ont influencé dans la maîtrise de cette langue (je note que tu as une parfaite connaissance du français). Quels sont les écrivains contemporains de la « littérature vivante » que tu lis avec plaisir ?

À l’université, j’ai aimé le théâtre français du XVIIe siècle. J’ai été moins attirée par les beautés de la littérature française médiévale, même si j’avais un excellent professeur, Imre Szabics. Je lis volontiers, assez facilement, le français du XVIIIe siècle. Les romans de Victor Hugo, Zola et Proust étaient difficiles à digérer pour moi, surtout parce que l’on devait lire un nouveau roman chaque semaine.

L’écrivain dont je traduis actuellement les nouvelles en hongrois est François Gachot. Écrivain, professeur de français et diplomate, il est venu en Hongrie en 1924 et y vécut vingt-cinq ans, jusqu’en 1949. Il a enseigné la langue, la littérature et la culture françaises d’abord au Collège Eötvös, puis dans plusieurs lycées et au Collège des Beaux-Arts. Outre l’enseignement et ses activités diplomatiques, les œuvres littéraires de Gachot sont relativement rarement mentionnées, bien qu’il ait écrit et traduit dans tous les trois genres. Son premier volume de nouvelles a été publié à Paris en 1924 sous le titre Jeux de Dames. En 1943, le Théâtre Madách a présenté son drame Philippe le Bel. Il a traduit plusieurs ouvrages hongrois en français.

 

10. Je sais que tu es passionnée par la nature. Dans le chapitre de ton livre dédié à Nemes Nagy Ágnes, tu as choisi pour titre « vous m’appreniez le nom des arbres ». Quels liens établirais-tu entre ta passion pour l’histoire littéraire et ta passion pour la nature ?

Il me semble que pour l’instant, ces deux passions sont séparées en moi. Ce sont deux domaines très différents de ma vie. Quand j’arrive à laisser le travail complètement à la maison et juste faire du canoë sur le lac Tisza pendant une semaine, par exemple, j’arrive à me détendre vraiment. Dans la nature, je médite sur les lumières, les formes, les couleurs, les sons et les odeurs, je m’y plonge. Parfois, je prends des photos quand je trouve quelque chose de spécial, mais je ne fais pas de « post-production » sur les images comme le font les professionnels. Pendant ces randonnées c’est mon côté visuel qui domine, qui est tout de même plus fort que mon côté textuel. J’ai ressenti à plusieurs reprises les effets curatifs de l’immersion dans la nature.

 

10 bis. Et une autre question au sujet de Nemes Nagy Ágnes: sa poésie a inspiré la réalisatrice Ildikó Enyedi dont le film « Corps et âmes » a été primé (Ours d’or à la Berlinale de 2017). D’autres grands réalisateurs hongrois occupent une place tout à fait exceptionnelle dans le cinéma mondial (Tarr, etc.) Comment expliquerais-tu les résonances entre la langue hongroise (la création littéraire hongroise) et l’image (la photo, le cinéma) ?

Je ne peux pas répondre à cela, même si c’est une très bonne question. J’ai vu au cinéma plusieurs films de Béla Tarr (p.e. Le cheval de Turin) et naturellement Corps et âmes de Enyedi. Dans les deux films, j’ai admiré la merveilleuse transition entre la réalité et l’irréalité. Depuis quelques années, je ne regarde principalement que des films sur la nature.

 

11. Quels sont les aspects qui t’intéresse le plus aujourd’hui dans la littérature hongroise ?

En tant que bibliographe, je suis la littérature hongroise contemporaine et je suis désolé de ne pas avoir le temps de lire les derniers ouvrages. Je lis les critiques pour compiler la bibliographie en ligne de l’histoire littéraire hongroise (http://www.iti.mta.hu/mib/kereses.php), mais je ne les que rarement les œuvres elles-mêmes.

 

12. J’aimerais porter notre échange sur François Gachot. Tu publies une série de ses poèmes dans ton livre. Penses-tu qu’un projet d’anthologie serait possible pour réactualiser la poésie hongroise en France ?

Oui, je pense qu’il serait important de renouveler le contact entre quelques poètes hongrois et le public français. J’essaye actuellement de publier une anthologie française d’Ágnes Nemes Nagy (1922–1991), à l’occasion de son centième anniversaire (en janvier 2022). Les origines de cette anthologie remontent à 1968, lorsque le rédacteur en chef en charge du domaine étranger aux Éditions Corvina (Budapest), encouragé par le secrétaire du PEN Club Hongrois a écrit au poète et écrivain Paul Chaulot (1914–1969) à propos du recueil français de poèmes d’Ágnes Nemes Nagy. Chaulot ayant déjà adapté un certain nombre de poèmes en français, Corvina lui a suggéré qu’il serait intéressant de les publier en collaboration avec les Éditions Seghers, sur le modèle du volume consacré au poète Endre Ady et publié un an plus tôt dans la série Poètes d’Aujourd’hui. Chaulot avait prévu de publier cette anthologie des poèmes de Nemes Nagy en 1970, mais ce projet n’a pas abouti car il a eu un accident de la route et il est décédé quelques mois plus tard.

Au cours des cinquante dernières années, plus de vingt poètes et traducteurs hongrois et français ont travaillé sur l’adaptation française des poèmes du Nemes Nagy, quelques poèmes ont fait l’objet de plusieurs traductions. Certaines de ces traductions seront publiées pour la première fois. Une deuxième partie des traductions a déjà paru dans diverses revues et anthologies. La troisième partie a été préparée pour cette édition par Guillaume Métayer.

 

13. Quels sont tes projets littéraires et de vie pour les dix années suivantes ?

Je voudrais continuer la recherche concernant les relations littéraires franco-hongroises du XXe siècle, publier une anthologie de François Gachot, explorer de nouvelles sources. Je voudrais continuer la série des colloques. Et j’aimerais avoir autant d’occasions que possible d’admirer la nature.

 

Anna Tüskés

On mentionnera ici, de sa bibliographie (riche d’environ 200 titres), uniquement des ouvrages visant les sujets évoqués dans l’entretien :

Anna Tüskés, « Image of the 1950s Hungary in the novel Journey Into the Blue by Gusztáv Rab », dans Wilhelm Kühlmann, Gábor Tüskés, Réka Lengyel, Ladislaus Ludescher (éd.), Ungarn als Gegenstand und Problem der fiktionalen Literatur (ca. 1550–2000), Heidelberg, Universitätsverlag Winter, 2020, 499-514.

Les relations littéraires entre la France et la Hongrie au XXe siècle: Actes du colloque international organisé par l’Institut d’Études Littéraires de l’Académie Hongroise des Sciences, l’Institut français de Budapest et le Centre Interuniversitaire d’Études Françaises de l’Université Eötvös Loránd Budapest, 5–7 Décembre 2018, sous la direction de Anna Tüskés, Elisabeth Cottier-Fábián, Bénédicte Williams et Dávid Szabó, Budapest, ELTE CIEF – BTK ITI, 2019. http://real.mtak.hu/102095

Anna Tüskés, « François Gachot et son illustrateur, Ilona Tallós : Quarante ans d’amitié », Les relations littéraires entre la France et la Hongrie au XXe siècle: Actes du colloque international organisé par l’Institut d’Études Littéraires de l’Académie Hongroise des Sciences, l’Institut français de Budapest et le Centre Interuniversitaire d’Études Françaises de l’Université Eötvös Loránd Budapest, 5–7 Décembre 2018, sous la direction de Anna Tüskés, Elisabeth Cottier-Fábián, Bénédicte Williams et Dávid Szabó, Budapest, ELTE CIEF – BTK ITI, 2019, 161-168. http://real.mtak.hu/102096/1/2.120Revue2019_corr-162-169.pdf

Anna Tüskés, « « Citron, orange et grenade / grâce à toi, mon beau jardin est plein de beautés », Luxe dans les jardins seigneuriaux au XVIIIe siècle », dans Les dynamiques du changement dans l’Europe des Lumières, sous la direction de Maciej Forycki, Agnieszka Jakuboszczak et Teresa Malinowska, Poznań-Paris, Académie Polonaise des Sciences – Centre Scientifique à Paris, 2018, 197-206. http://real.mtak.hu/88390/1/2.110%20citron.pdf

Christophe Dauphin – Anna Tüskés, Les Orphées du Danube: Jean Rousselot, Gyula Illyés et Ladislas Gara. Suivi de Lettres à Gyula Illyés, par Jean Rousselot, Rafael de Surtis/Editinter, 2015.

Anna Tüskés, « Jean Rousselot et Gyula Illyés au miroir de leur correspondance (1956–1983) », dans Revue d'Études Françaises. Mélanges littéraires offerts a Judit Karafiáth pour ses 70 ans. N° hors série 2013, 79-89. http://real.mtak.hu/7464/1/2.052.pdf

Hungary in Context : Studies on Art and Architecture, ed. by Anna Tüskés, Áron Tóth, Miklós Székely, Budapest, CentrArt, 2013. http://real.mtak.hu/7462/1/1.2.3.pdf

Maria Mailat – entretien avec Anna Tüskés

Francopolis – Mai-Juin 2021

Recherche : Dana Shishmanian

Accueil  ~  Comité Francopolis ~ Sites Partenaires  ~  La charte  ~  Contacts

Créé le 1 mars 2002