GUEULE DE MOTS

Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage

"Mots", par Bozena Bazin

 I.
Depuis des années, je visite les mots.
Captifs silencieux des pages blanches,
ils attendent ma venue avec impatience.
Ensemble, nous nous évadons
vers les nouveaux horizons.
Nomade, je suis nomade;
toujours ailleurs, jamais seule.
Passagère des trains fantômes
qui me déposent sur les quais embrumés
des vies rêvées, je déambule dans les ruelles
faites d'encre noire, où des inconnus,
agglutinés sur les escaliers blancs, m'interpellent.
Je les rejoins...
Hallucinants voyages dans les paysages hallucinés.


II.

Ne me dérangez pas,
je ne peux pas vous ouvrir ma porte.
Une fabuleuse idée, farouche et sauvage,
est venue vers moi et piaffe d'impatience;
il faut que je la dompte
avant qu'elle ne s'envole au galop
dans la plaine verdoyante où, insoumise,
vit la horde de puissants destriers.
Ne me dérangez pas,
je ne peux pas vous ouvrir ma porte.
Une foule immense de mots bariolés
s'agite autour de moi, pressée d'enfourcher
la superbe monture, fugueuse et racée;
il faut que je choisisse les meilleurs cavaliers
Ne me dérangez pas,
je ne peux pas vous ouvrir ma porte.
Je viens d'apprivoiser la fabuleuse idée,
en lui murmurant à l'oreille
les mots magiques et secrets.
Lesquels?
Vous le saurez, en les découvrant couchés
sur les pages blanches de mon cahier.


III.

Nous sommes innocents! me disent souvent les mots.
Pourquoi nous accuse-t-on d'être à l'origine
de tous les maux et crimes? ! Ce sont les hommes qui
nous manipulent et déforment notre esprit,
pour nous adapter à leurs idéologies meurtrières!
Je me tais, en pensant aux démagogues et révolutionnaires
qui promettent toujours ´Un Avenir Radieux,
et Les Lendemains qui Chantent
pour appâter les foules inconscientes et malléables,
tout en forgeant le slogan coup de poing
Qui n'est pas avec nous est contre nous!
qui leur permettra de se débarrasser des récalcitrants
et des opposants dans un bain de sang.



 

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