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GUEULE DE MOTS
Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un
visage...
Cette
rubrique reprend vie en 2010 pour laisser LIBRE PAROLE À
UN AUTEUR...
libre
de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts
littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons
d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa
vie parallèle
à l'écriture. etc
Libre
parole
à… Mireille Diaz-Florian et
François Minod sur l’écriture et ses
à-côté
Outre
l’écriture
Mireille.
- J’aide les gens à écrire, sous des formes diverses.
Dans le domaine professionnel par exemple, je peux mettre en
évidence leurs talents pour obtenir une promotion ou passer un
concours dans la fonction publique.
Dans mon atelier d’écriture que j’anime depuis quatre ans, je
réussis – on pourrait le dire comme ça – à
ce que les gens arrivent à écrire. C’est ce que
j’appellerai « outre l’écriture ».
Mais je me rends compte que je reviens à l’écriture
même si une grande part de mon activité professionnelle a
fait que j’ai beaucoup travaillé l’oral, la
théâtralité. D’ailleurs, à la fin de mon
atelier d’écriture, il y a toujours une lecture oralisée
des textes.
Et puis, dans « outre l’écriture », il y a les
chants secrets, les promenades dans la montagne, beaucoup de silence,
de musique et le chant, que je pratique dans une chorale.
François
- « Outre l’écriture », je suis aussi un homme de
théâtre. J’ai fait du théâtre avec toutes
sortes de publics, notamment, lorsque dans la première partie de
ma vie professionnelle, j’étais éducateur, j’ai
monté des spectacles avec des jeunes dits « à
problèmes ».
Lorsque j’étais enseignant, j’ai créé une
unité d’enseignement « Théâtre » qui
s’adressait à des élèves ingénieurs.
Actuellement depuis trois ans, je monte des spectacles avec des jeunes
cadres bancaires dans un très beau théâtre
parisien.
Ce qui me motive quels que soient les publics, c’est de permettre aux
gens de s’exprimer et de faire émerger leur
créativité. Le point commun avec l’écriture, c’est
l’amour de la langue.
« Outre l’écriture », c’est aussi la création
d’un Buffet littéraire que j’anime depuis 7 ans et qui permet
à des personnes très différentes de se rencontrer
et de partager leur passion pour la littérature et la
poésie.
Littérairement nôtre
François
- J’aime l’écriture qui parle au cœur et à
l’esprit. J’aime entendre la petite voix de celui qui écrit. On
peut tout à fait bien écrire en ayant une écriture
compréhensible, fluide, accessible, sans se sentir obligé
de montrer qu’on a du vocabulaire, qu’on est un virtuose de la syntaxe.
J’attache aussi beaucoup d’importance à la musicalité du
texte.
Lorsqu’on lit un roman, il y a, bien entendu, la qualité de
l’histoire, la richesse et la complexité des personnages, mais
ce n’est pas de ça dont j’ai envie de parler, ce qui
m’intéresse, en premier lieu quand je lis un livre, c’est
l’écriture elle-même, c’est la façon qu’a l’auteur
de me tendre des perches littéraires et de m’embarquer, pas
seulement dans l’histoire mais dans sa petite musique. C’est ça
que je dirais.
Et à ce propos, je ne fais pas trop de distinction entre la
littérature, la poésie et le théâtre. Pour
moi on est dans le même paradigme. Je sais qu’on aime bien
classifier par genres littéraires ; ma démarche
littéraire – je pense le montrer dans mon travail –
réfute ce compartimentage. J’aime et je revendique d’être
à la frontière et de passer du dialogue à la
poésie, de la poésie à la nouvelle et cela
dans le même ouvrage. Ce qui fait lien, je crois, c’est le style
et peut-être aussi la voix de l’auteur.
Mireille
Aurais-tu
un ou plusieurs auteurs qui t’accompagnent en littérature ?
François
- Il y a un auteur qui m’a beaucoup accompagné et qui continue
indirectement à m’accompagner, c’est Beckett. C’est pour
moi un maître. J’ai eu la chance de pouvoir monter plusieurs de
ses pièces. L’univers beckettien m’a fortement
impressionné au sens strict du terme. C’est une
écriture majeure dont on ne vient jamais à bout. Il a
été trop vite classifié dans le registre de
l’absurde, ce qui n’est pas faux mais un peu réducteur. Il a un
humour fou, sauf peut-être les œuvres de la fin de sa vie qui
sont plus obscures. Il y a aussi chez Beckett une quête
métaphysique dont on pourrait dire qu’elle est une quête
de l’après mort de Dieu.
Un autre écrivain qui m’a accompagné et qui continue
à m’accompagner est Marguerite Duras. C’est un très grand
écrivain, un écrivain majeur de la seconde partie du
XXème siècle. Elle me touche et m’embarque dans son
univers littéraire en train de se construire sous mes yeux.
Peut-être pourrait-on lui reprocher d’avoir usé et
abusé de certains procédés littéraires mais
en même temps, c’est elle (l’auteur) à chaque fois
recommencée.
Je n’évoquerai pas les grandes figures d’une littérature
plus classique comme Flaubert que j’adore.
J’ai souhaité m’en tenir à des écrivains
contemporains et les deux auteurs que j’ai évoqués sont
pour moi deux géants qui m’ont, d’une certaine façon,
façonné.
Mireille
Ce que je retiens de ta présentation littéraire, c’est
l’idée d’un compagnonnage. Quels sont les livres qu’on pose sur
nos étagères, bien en évidence, qu’on ressort
régulièrement et que moi personnellement, je pose
à côté du lit pour les reprendre, par morceaux ?
Alors, je vais te rejoindre sur Duras parce que pour moi c’est un
double choc. Choc émotionnel et choc littéraire.
Dès que j’entends sa petite musique, que ce soit lu au
théâtre, que ce soit même les paroles dans ses films
et ce que j’ai dans ma tête quand je la lis. C’est pour moi un
des plus grands écrivains contemporains, quel que soit
éventuellement ce que tu évoquais, peut-être la
facilité du procédé, mais je crois que ce que
j’aime dans ce compagnonnage, c’est de constater à quel point
elle est imprégnée, impliquée,
insérée dans l’écrire, elle le dit dans un
entretien avec Pivot « Pas un jour que Dieu fasse sans
écrire ». Pour moi Duras, c’est un compagnon de lecture et
d’écriture.
Autre compagnon, Philippe Jaccottet parce qu’il est celui qui
accompagne mon regard sur le monde, avec à la fois une sorte
d’acuité des êtres et de la nature, du monde au sens
large, du cosmos. Qu’il soit le traducteur de Rilke ou qu’il soit
l’écrivain ou le commentateur de Morandi, le peintre, tout me
plait. Je pense que Jaccottet ça jouxte, ça touche la
peinture et comme je suis très sensible au paysage, c’est un
autre compagnon précieux. Mon vase de Chine absolu, c’est Gracq.
Et je rejoins complètement ta définition de qu’est-ce
qu’on vit littérairement nôtre ? C’est pour moi
l’écriture d’abord, c’est-à-dire que j’entre en
écriture comme certains entrent en religion grâce à
des pères ou mères et pairs, car il n’y pas de
raison de se priver d’être dans la parité avec ces
écrivains, parce que si on écrit c’est qu’on lit et qu’on
les suit.
Mon obsession est proustienne parce que ce que j’adore chez
Proust ce sont les variantes, tellement on voit dans le chantier des
variantes que ce qu’il a choisi en dernier c’est le meilleur, donc
c’est aussi un maître à travailler, même si sur
certains aspects, il est un peu pénible.
Moments d’écriture
Mireille
- A quels moments
j’écris ? Alors, déjà, j’ai du mal
à écrire à Paris pour lancer un travail, un
début de nouvelle par exemple. Mais j’ai toujours des tas de
carnets de notes et j’ai des moments d’inspiration dans tous les
instants où la ville me le permet ; ça peut
être dans le métro ou bien j’attrape une scène de
rue. Ou bien j’ai des titres qui me viennent. La marche aussi
m’inspire.
Quand je débute un texte, je pars de
Paris, de préférence en allant en Avignon, où
pendant deux jours, je ronge mon os parce que je n’arrive à rien
faire et puis progressivement, il y a un état qui se crée
ou que je crée, en lisant. Je prends des morceaux de
textes, des autres, des compagnons, mais surtout pas la Duras car je ne
suis pas rassurée, mais des poètes, Bonnefoy, Jaccottet,
beaucoup de poésie de François Cheng aussi. Et puis une
fois que le texte est commencé, il y a une sorte de fil que je
maintiens, presque partout. Ça me donne souvent, quand je suis
avec les autres, un air un peu halluciné. Donc ce sont des
moments totalement asociaux. Je n’ai pas envie de rencontrer les
autres. J’ai du mal même si quelqu’un est dans la maison. Le
savoir là me parasite. Je relis alors périodiquement des
notes qui, revues plus tard, deviennent une nouvelle, un poème,
un texte court
Et puis il y a les moments d’écriture
où je tiens le texte. Je passe alors beaucoup de temps à
l’écriture puis à la correction. Ce sont des moments de
plaisir parce que je rentre dans le texte, dans mes personnages. Je
suis rigoureuse dans le travail, mais une fois que j’ai fini, je suis
contente de moi. Cela ne veut pas dire que l’éditeur sera
content de moi. Mais moi si…
François
Quels sont les moments que tu
préfères dans l’écriture ?
Mireille
- Les moments où je suis en train
d’écrire, puis ceux où je deviens lectrice de mon texte.
François
A quels moments
j’écris ? Je ne peux pas dire que j’ai des moments
d’écriture dédiés. Certains écrivent
le matin, le soir, la nuit. J’ai quand même l’esprit plus
disponible à l’écriture, le matin, mais pas trop
tôt... Il fut une époque, où
j’écrivais le soir, la nuit. Mais c’est fini et depuis longtemps.
Sinon d’une manière
générale, je ne prends pas de notes. Parfois,
j’écris des bribes que je retrouve plus tard. Mais je
préfère me laisser absorber par une situation,
être toute « oreille dehors
».
Par exemple, dans la nouvelle éponyme
l’Homme au banc, je l’ai vu, j’ai vu un monsieur sur un banc au jardin
des Plantes qui feuilletait des journaux, qui avait des sacs en
plastique pleins de journaux. Et tous les jours quand j’y allais,
car je marche, je voyais ce monsieur assis sur un banc, avec une grande
barbe, un monsieur assez âgé qui triait ses journaux de
façon très rituelle. Cette image m’a marqué ; je
l’ai déposée dans un coin de ma mémoire, enfin…
elle s’est déposée toute seule dans ma mémoire. Je
savais intuitivement que j’en ferais quelque chose, mais je n’ai pas
pris de notes.
En cela je crois que j’ai été
marqué un peu- c’est étrange ce que je vais dire- par la
psychanalyse, c’est à dire, dire ce qui vient et faire confiance
à sa mémoire pour qu’elle puisse restituer, le moment
venu, ce qui va devenir un matériau d’écriture.
Quoi d’autre ? Oui, je suis d’accord avec toi ;
j’ai du mal à écrire quand il y a des gens autour de moi.
Même dans une autre pièce ; c’est pour moi une entrave, un
parasitage. J’ai besoin de solitude et de silence.
J’admire Nathalie Sarraute qui était
capable d’écrire dans les bistrots. Ça, je ne sais pas le
faire. J’ai besoin aussi, souvent, d’être hors de chez moi, hors
de mes habitudes pour écrire. Je cherche alors des lieux hors de
Paris.
***
Mireille Diaz-Florian
Salon de lecture
François Minod,
Salon de lecture
pour Gueule de mots juin 2015
recherche François
Minod
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