GUEULE DE MOTS -ARCHIVES 2010

Eric Dubois - Hélène Soris - Laurence Bouvet

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GUEULE DE MOTS

Où les mots cessent de faire la tête et revêtent un visage...
Cette rubrique reprend vie en 2010 pour laisser LIBRE  PAROLE À UN AUTEUR...
libre de s'exprimer, de parler de lui, de son inspiration, de ses goûts littéraires, de son attachement à la poésie,
de sa façon d'écrire, d'aborder les maisons d'éditions, de dessiner son avenir, nous parler de sa vie parallèle
à l'écriture. etc


  Libre parole à…   Mireille Diaz-Florian   et François Minod  sur l’écriture et ses à-côté

          

 Outre l’écriture

  Mireille.
- J’aide les gens à écrire, sous des formes diverses.
Dans le domaine professionnel par exemple, je peux mettre en évidence leurs talents pour obtenir une promotion ou passer un concours dans la fonction publique.
Dans mon atelier d’écriture que j’anime depuis quatre ans, je réussis  – on pourrait le dire comme ça – à ce que les gens arrivent à écrire. C’est ce que j’appellerai « outre l’écriture ».
Mais je me rends compte que je reviens à l’écriture même si une grande part de mon activité professionnelle a fait que j’ai beaucoup travaillé l’oral, la théâtralité. D’ailleurs, à la fin de mon atelier d’écriture, il y a toujours une lecture oralisée des textes.
Et puis, dans « outre l’écriture », il y a les chants secrets, les promenades dans la montagne, beaucoup de silence, de musique et le chant, que je pratique dans une chorale.


François
- « Outre l’écriture », je suis aussi un homme de théâtre. J’ai fait du théâtre avec toutes sortes de publics, notamment, lorsque dans la première partie de ma vie professionnelle, j’étais éducateur, j’ai monté des spectacles avec des jeunes dits « à problèmes ».
Lorsque j’étais enseignant, j’ai créé une unité d’enseignement « Théâtre » qui s’adressait à des élèves ingénieurs.
Actuellement depuis trois ans, je monte des spectacles avec des jeunes cadres bancaires dans un très beau théâtre parisien.
Ce qui me motive quels que soient les publics, c’est de permettre aux gens de s’exprimer et de faire émerger leur créativité. Le point commun avec l’écriture, c’est l’amour de la langue.
« Outre l’écriture », c’est aussi la création d’un Buffet littéraire que j’anime depuis 7 ans et qui permet à des personnes très différentes de se rencontrer et de partager leur passion pour la littérature et la poésie.

Littérairement nôtre

François
- J’aime l’écriture  qui parle au cœur et à  l’esprit. J’aime entendre la petite voix de celui qui écrit. On peut tout à fait bien écrire en ayant une écriture compréhensible, fluide, accessible, sans se sentir obligé de montrer qu’on a du vocabulaire, qu’on est un virtuose de la syntaxe.
J’attache aussi beaucoup d’importance à la musicalité du texte.
Lorsqu’on lit un roman, il y a, bien entendu, la qualité de l’histoire, la richesse et la complexité des personnages, mais ce n’est pas de ça dont j’ai envie de parler, ce qui m’intéresse, en premier lieu quand je lis un livre, c’est l’écriture elle-même, c’est la façon qu’a l’auteur de me tendre des perches littéraires et de m’embarquer, pas seulement dans l’histoire mais dans sa petite musique. C’est ça que je dirais.
Et à ce propos, je ne fais pas trop de distinction entre la littérature, la poésie et le théâtre. Pour moi on est dans le même paradigme. Je sais qu’on aime bien classifier par genres littéraires ;  ma démarche littéraire – je pense le montrer dans mon travail – réfute ce compartimentage. J’aime et je revendique d’être à la frontière et de passer du dialogue à la poésie, de la poésie à  la nouvelle et cela dans le même ouvrage. Ce qui fait lien, je crois, c’est le style et peut-être aussi la voix de l’auteur.

 
Mireille
Aurais-tu un ou plusieurs auteurs qui t’accompagnent en littérature ?

François
- Il y a un auteur qui m’a beaucoup accompagné et qui continue indirectement à m’accompagner,  c’est Beckett. C’est pour moi un maître. J’ai eu la chance de pouvoir monter plusieurs de ses pièces. L’univers beckettien m’a fortement impressionné  au sens strict du terme. C’est une écriture majeure dont on ne vient jamais à bout. Il a été trop vite classifié dans le registre de l’absurde, ce qui n’est pas faux mais un peu réducteur. Il a un humour fou, sauf peut-être les œuvres de la fin de sa vie qui sont plus obscures. Il y a aussi chez Beckett une quête métaphysique dont on pourrait dire qu’elle est une quête de l’après mort de Dieu.
Un autre écrivain qui m’a accompagné et qui continue à m’accompagner est Marguerite Duras. C’est un très grand écrivain, un écrivain majeur de la seconde partie du XXème siècle. Elle me touche et m’embarque dans son univers littéraire en train de se construire sous mes yeux.
Peut-être pourrait-on lui reprocher d’avoir usé et abusé de certains procédés littéraires mais en même temps, c’est elle (l’auteur) à chaque fois recommencée.
Je n’évoquerai pas les grandes figures d’une littérature plus classique comme Flaubert que j’adore.
J’ai souhaité m’en tenir à des écrivains contemporains et les deux auteurs que j’ai évoqués sont pour moi deux géants qui m’ont, d’une certaine façon, façonné.

 Mireille
Ce que je retiens de ta présentation littéraire, c’est l’idée d’un compagnonnage. Quels sont les livres qu’on pose sur nos étagères, bien en évidence, qu’on ressort régulièrement et que moi personnellement, je pose à côté du lit pour les reprendre, par morceaux ?
Alors, je vais te rejoindre sur Duras parce que pour moi c’est un double choc. Choc émotionnel et choc littéraire. Dès que j’entends sa petite musique, que ce soit lu au théâtre, que ce soit même les paroles dans ses films et ce que j’ai dans ma tête quand je la lis. C’est pour moi un des plus grands écrivains contemporains, quel que soit éventuellement ce que tu évoquais, peut-être la facilité du procédé, mais je crois que ce que j’aime dans ce compagnonnage, c’est de constater à quel point elle est imprégnée, impliquée, insérée dans l’écrire, elle le dit dans un entretien avec Pivot « Pas un jour que Dieu fasse sans écrire ». Pour moi Duras, c’est un compagnon de lecture et d’écriture.
Autre compagnon, Philippe Jaccottet parce qu’il est celui qui accompagne mon regard sur le monde, avec à la fois une sorte d’acuité des êtres et de la nature, du monde au sens large, du cosmos. Qu’il soit le traducteur de Rilke ou qu’il soit l’écrivain ou le commentateur de Morandi, le peintre, tout me plait. Je pense que Jaccottet ça jouxte, ça touche la peinture et comme je suis très sensible au paysage, c’est un autre compagnon précieux. Mon vase de Chine absolu, c’est Gracq.
Et je rejoins complètement ta définition de qu’est-ce qu’on vit littérairement nôtre ? C’est pour moi l’écriture d’abord, c’est-à-dire que  j’entre en écriture comme certains entrent en religion grâce à des pères  ou mères et pairs, car il n’y pas de raison  de se priver d’être dans la parité avec ces écrivains, parce que si on écrit c’est qu’on lit et qu’on les suit.
Mon obsession est proustienne  parce que ce que j’adore  chez Proust ce sont les variantes, tellement on voit dans le chantier des variantes que ce qu’il a choisi en dernier c’est le meilleur, donc c’est aussi un maître à travailler, même si sur certains aspects, il est un peu pénible.


Moments d’écriture

 Mireille

- A quels moments j’écris ? Alors, déjà,  j’ai du mal à écrire à Paris pour lancer un travail, un début de nouvelle par exemple. Mais j’ai toujours des tas de carnets de notes et j’ai des moments d’inspiration dans tous les instants où la ville me le permet ;  ça peut être dans le métro ou bien j’attrape une scène de rue.  Ou bien j’ai des titres qui me viennent. La marche aussi m’inspire. 
Quand je débute un texte, je pars de Paris, de préférence en allant en Avignon, où pendant deux jours, je ronge mon os parce que je n’arrive à rien faire et puis progressivement, il y a un état qui se crée ou que je crée, en lisant.  Je prends des morceaux de textes, des autres, des compagnons, mais surtout pas la Duras car je ne suis pas rassurée, mais des poètes, Bonnefoy, Jaccottet, beaucoup de poésie de François Cheng aussi. Et puis une fois que le texte est commencé, il y a une sorte de fil que je maintiens, presque partout. Ça me donne souvent, quand je suis avec les autres, un air un peu halluciné. Donc ce sont des moments totalement asociaux. Je n’ai pas envie de rencontrer les autres. J’ai du mal même si quelqu’un est dans la maison. Le savoir là me parasite. Je relis alors périodiquement des notes qui, revues plus tard, deviennent une nouvelle, un poème, un texte court
Et puis il y a les moments d’écriture où je tiens le texte. Je passe alors beaucoup de temps à l’écriture puis à la correction. Ce sont des moments de plaisir parce que je rentre dans le texte, dans mes personnages. Je suis rigoureuse dans le travail, mais une fois que j’ai fini, je suis contente de moi. Cela ne veut pas dire que l’éditeur sera content de moi. Mais moi si…

François
Quels sont les moments que tu préfères dans l’écriture ?

 Mireille
- Les moments où je suis en train d’écrire, puis ceux où je deviens lectrice de mon texte.

François
A quels moments j’écris ? Je ne peux pas dire que j’ai des moments d’écriture dédiés. Certains écrivent  le matin, le soir, la nuit. J’ai quand même l’esprit plus disponible à l’écriture, le matin, mais pas trop tôt...  Il fut une époque, où j’écrivais le soir, la nuit. Mais c’est fini et depuis longtemps.
Sinon d’une manière générale, je ne prends pas de notes. Parfois, j’écris des bribes que je retrouve plus tard. Mais je préfère me laisser absorber par une situation, être  toute « oreille dehors ».   
Par exemple, dans la nouvelle éponyme l’Homme au banc, je l’ai vu, j’ai vu un monsieur sur un banc au jardin des Plantes qui feuilletait des journaux, qui avait des sacs en plastique pleins de journaux.  Et tous les jours quand j’y allais, car je marche, je voyais ce monsieur assis sur un banc, avec une grande barbe, un monsieur assez âgé qui triait ses journaux de façon très rituelle. Cette image m’a marqué ; je l’ai déposée dans un coin de ma mémoire, enfin… elle s’est déposée toute seule dans ma mémoire. Je savais intuitivement que j’en ferais quelque chose, mais je n’ai pas pris de notes.
En cela je crois que j’ai été marqué un peu- c’est étrange ce que je vais dire- par la psychanalyse, c’est à dire, dire ce qui vient et faire confiance à sa mémoire pour qu’elle puisse restituer, le moment venu, ce qui va devenir un matériau d’écriture.
Quoi d’autre ? Oui, je suis d’accord avec toi ; j’ai du mal à écrire quand il y a des gens autour de moi. Même dans une autre pièce ; c’est pour moi une entrave, un parasitage. J’ai besoin de solitude et de silence.
J’admire Nathalie Sarraute qui était capable d’écrire dans les bistrots. Ça, je ne sais pas le faire. J’ai besoin aussi, souvent, d’être hors de chez moi, hors de mes habitudes pour écrire. Je cherche alors des lieux hors de Paris.
 

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Mireille Diaz-Florian
Salon de lecture


François Minod,
Salon de lecture
         pour Gueule de mots juin 2015
recherche François Minod 


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