Partir juste
partir
en rêvant de
palmiers
sur une plage
déserte
ton corps à
l’abandon des flots
d’une marée
montante
dissout par le
vent
pulvérisé en
mille graines
de sable fin
doré sous
l’ardeur assagie
du crépuscule
Partir juste
partir
pour plonger tes
yeux éblouis
dans l’immensité
blanche
de la banquise
tâchant de
distinguer
l’horizon
d’après la façon
qu’a la glace
de se refléter
dans les nuages
imaginer ton
corps raidi
confondu dans la
neige
blanchi pour
l’éternité
tandis qu’une
pensée fugace
flotte encore
tel un point de fuite
obliquement vers
une aube naissante
Partir juste
partir
te perdre dans
une ville tentaculaire
anonyme parmi
dix millions de pauvres hères
savourant les
odeurs qu’exhalent les mets
étalés à même le
sol dans les rues
t’enivrant des
couleurs du bazar
des éclats
mouvants des habits des femmes
te perdant dans
le brouhaha des voix
des bruits des
cris
d’oiseaux
traversant le ciel
au-dessus des
crissements de camions bringuebalant
quand ils
stoppent court devant les troupeaux
qui traversent
la chaussée
t’arrêter dans
un temple exigu
pour déposer
l’aumône d’une prière
Partir juste
partir
enfoncer ton ouïe
ton toucher ton souvenir
dans la forêt
profonde
où pied d’homme
ne s’aventure pas
chercher dans
les traces des animaux de la terre
des signes de
passage
vers un rite
nouveau
t’imaginer
l’homme d’avant
ou d’après la
civilisation
inventer tes
dieux
tes croyances ta
descendance
comme un livre
qui s’écrira
tout seul
ou ne s’écrira
pas
coucher
l’oreille sur l’empreinte de ton pas
pour sentir
l’avenir
Partir juste
partir
quand sur le
seuil de ta porte
tu te détournes
du monde
non pas rassasié
non pas transi
mais plus affamé
et plus intact que jamais
assoiffé d’une
eau que tu n’as jamais bue
imbu d’un chant
jamais entendu
attiré par la
fragrance jamais sentie
d’une fleur
inconnue
Partir juste
partir
partout vers
nulle part
nulle part vers
toi
sitôt chez soi
Extrait du recueil Les poèmes de Lucy,
Échappée belle édition, 2014
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