Sous-bois
Moi qui restais derrière à
rêver dans les mots,
Je sentais la forêt si proche
qui dansait :
Clairière au cœur plein
de candeur
Qui mousse aux rayons
diffractés
Je t’aimais tant que je
t’inventais des offrandes :
Elles s’appelaient crissements sous
mes sandales,
Se faisaient fugue au vent
froissant tout le feuillage,
Brame de cerf jusqu’aux cimes
des hêtres
Et oboles de faines crescendo
dans le refrain du
Crépuscule.
Dans la rondeur de ton cercle,
les orgues fusaient
Graves et beaux. Les oiseaux
n’étaient pas en reste
à donner
leur écuelle de voix, leur parfaite
Cantate à livrer sans
délai en chœur à l’unisson.
Moi qui restais derrière à
rêver dans les mots
Je te prenais dans la musique
de tes bras
Humant tous tes reflets
d’écorces et de lumière,
Et j’attendais dans ta
fraîcheur de fougères
Que monte un conte aux confins
de la joie.
Dessin d’enfant
C’est le dessin
d’un enfant : un désert, des dunes façon dacquoise, un dromadaire
à tête de dragon, et au centre de la page, un fabuleux diamant, objet
de tous les désirs.
Le conte
est étalé sur la page dans des tonalités réalistes allant du grège au
marron en passant par le mordoré. C’est le sable fin et cabossé du désert.
Il y aurait eu, s’il avait eu le temps de l’achever, à droite, et
dans le lointain, l’esquisse d’un palmier, suggérant la proximité
bienfaitrice et douce d’une oasis.
On sait
bien que le dromadaire à tête de dragon est le gardien du diamant. Sa
langue orange de diable et toute dentelée a quelque chose du Cerbère des
Enfers. Ce qui saisit c’est de se sentir si fort en danger car les
yeux jaunes et noirs lancent des éclairs à vous donner la chair de
poule.
Très vite
l’on se dit : Qui vaincra le dromadaire-dragon ? Qui emportera le
diamant ? Et à quelle princesse divine sera-t-il offert ?
Il y a un
enjeu d’amour dans l’air. Mais sur l’esquisse, on ne voit nul prince, on ne
voit nulle princesse. C’est peut-être que pour l’enfant le héros c’est le
fascinant personnage du monstre et le cadre étrange du désert. Un détail cependant
l’a suffisamment intéressé pour qu’il l’ait élaboré avec soin, c’est le
diamant, se détachant du sable, juste au milieu du papier : très
blanc, vaguement bleu, irisé de paillettes : du désir à l’état
pur !
Il va de
soi que l’enfant n’explique rien. Il va falloir se débrouiller, se dépatouiller
avec les éléments en présence et proposer un déroulement et un dénouement
dignes des Contes des Mille et une Nuits, et ça, bien sûr, c’est désormais
le défi à relever !

Enluminures
d’octobre
Les ors
des arbres ou leurs rouilles
Une
palette fauve, un nuancier de verts
Une
cascade de pourpres et de mauves
Et la
lumière bleue du fleuve, du ciel
Le nacre
du nuage pareil au cygne
Les
parterres de glaïeuls en faisceaux irisés : rayons d’asters et
chrysanthèmes
L’azur jusqu’aux
confins du soir
Métissant
le couchant rose de veines violacées, de picotements jaunes
Sans que
la lune argentée,
A peine auréolée d’ombres grises
Ou de
vibrisses poivre et sel
S’en
offusque dans sa majesté d’astre
Régnant
seule
Sur l’horizon noir.
Lueurs des chemins
Nous
avançons dans l’aura des chemins
Dans la valse des verts
Valse des verts
On danse
encore au milieu des brouillards
Oubliant les ornières
Ô les ornières
Nous
avançons dans l’aura des futaies
Et dans les ronces
amères
Les ronces amères
On danse
encore dans les talus spongieux
Près des fossés en fleur
Fossés en fleur
Nous
avançons loin des cyprès tragiques
Fuyant la ville rauque
La ville rauque
On danse
encore dans le matin précaire
Matin précaire
Nous avançons
si près de nos vertiges
De nos vertiges
D’un pas
de cendre, d’un pas d’exil

Quelques vers pour
Baudelaire
Qui
oserait l’absinthe ou l’opium dans la nuit de Paris
Qui
l’encensoir, le glas, la danse macabre dans la morsure de l’hiver
Qui
verrait l’or de la boue, la fange des dentelles
Les
soleils et chevelures déversant les muscs et les vins
Et
l’enfant de naguère captant le chant majeur de la vie ?
Le vent,
la mer, le nuage invitent aux voyages
Et les
épices un précipice de voluptés et de ferveurs
Où geint
le spleen amer, et boite l’albatros
Au milieu
des misères des luxures ou du luxe
Ton œil ô
Baudelaire voit par-delà le voir !
Rêver à La Fontaine
Ésope sans
la forêt ne t’eût servi à rien
Et ton nom
même – La Fontaine – est source, rythme, rêverie
Tu marches
dans l’écho des voix, des soupirs, des murmures
Et par tes
fables, heureux poète, tu chasses les soucis, les ennuis et les peines.
Ta
bonhomie éclaire, réjouit, désaltère.
Ce que tu
touches vit, ce que tu vois s’anime.
C’est le
présent parfait tapi dans tes récits
C’est la
langue alliant la litote au baroque.
Faune,
flore, éléments, dieux, déesses ou humains
Tout te
sied, tout est délices et malices.
Ton goût
de vivre tout ou d’être heureux d’un rien
Est ta
morale la plus humble, toi, ami, à jamais !
©Dominique
Zinenberg
« Ces poèmes ont été écrits en
fin d’année 2021. Les deux derniers célébraient les poètes nés en 21 : 1821
pour Baudelaire; 1621 pour La Fontaine. »
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