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PIEDS DES MOTS
les mots quittent l'abstrait pour s'ancrer dans un lieu, un personnage, une rencontre...

Le principe des Pieds des mots
est de nous partager l'âme d'un lieu, réel ou imaginaire, où votre cœur est ancré... ou une aventure.... un personnage...

 

Mars-Avril 2022

 

Ode à la vague avec Virginia Woolf

 

Par Dominique Zinenberg

(*)

 

« À mesure qu’elles approchaient du rivage chaque barre se soulevait, s’enflait, se brisait et balayait un fin voile d’eau blanche sur le sable. La vague s’arrêtait, et puis se retirait à nouveau, soupirant comme un dormeur dont le souffle va et vient inconsciemment.

Le soleil s’éleva plus haut. Des vagues bleues, des vagues vertes balayèrent la plage de leur vif éventail, contournant la hampe du chardon des dunes et laissant des flaques de lumière ça et là sur le sable. Elles y laissaient un léger cerne noir après leur passage. Les rochers qui avaient été brumeux et doux se durcirent et se balafrèrent de crevasses rouges.

Tout devenait doucement amorphe, comme si la porcelaine de l’assiette coulait et que l’acier du couteau était liquide. Pendant ce temps la commotion que produisaient les vagues en se brisant tombait avec des bruits sourds, comme tombent des rondins, sur le rivage.

Le vent se leva. Les vagues battaient le tambour sur le rivage, comme des guerriers en turbans, comme des hommes en turbans aux sagaies empoisonnées qui, faisant tournoyer en l’air leurs armes, marchent sur les troupeaux à la pâture, les blancs moutons.

Les vagues se brisaient et répandaient vivement leurs flots sur le rivage. L’une après l’autre, elles s’enflaient et puis retombaient ; leurs embruns revenaient sur eux-mêmes dans la violence de leur chute. Les vagues étaient baignées d’un bleu profond mais un motif de lumière piquetée de diamants ondulait sur leurs dos comme ondulent les muscles sur le dos des grands chevaux quand ils se déplacent. Les vagues tombaient ; refluaient et tombaient à nouveau, comme le piaffement sourd d’une énorme bête.

Les vagues se ramassaient, courbaient leur échine et s’écrasaient. Faisaient gicler des jets de pierres et de galets. Elles se répandaient autour des rochers et les embruns, bondissant très haut, éclaboussaient les parois d’une grotte jusque-là encore sèche, et laissaient sur le rivage des trous d’eau, où fouettait la queue d’un poisson échoué là alors que refluait la vague.

Comme s’il y avait des vagues d’obscurité dans l’air, l’obscurité avançait toujours, recouvrant maisons, arbres, collines, comme les vagues de la mer baignent les flancs d’un navire englouti. L’obscurité baignait les rues, tourbillonnant autour de silhouettes isolées, les submergeant ; effaçant les couples enlacés sous l’averse obscure des ormes en feuillage de plein été. L’obscurité roulait ses vagues le long des chemins herbeux et sur la peau ridée du gazon, enveloppant le buisson d’épine solitaire et les coquilles vides d’escargots à son pied.

Et en moi aussi la vague monte. Elle s’enfle ; elle fait le gros dos. Je sens renaître en moi une fois encore un désir neuf, quelque chose qui monte au-dessous de moi comme le fier cheval que le cavalier éperonne et retient tour à tour.

Les vagues se brisaient sur le rivage. »

 

Extraits de Les Vagues de Virginia Woolf : collage

(Traduction de la Bibliothèque de la Pléiade)

 

 

Ode à la vague avec Virginia Woolf

 

Une image contenant extérieur, eau, plage, ciel

Description générée automatiquement

Photo de Mireille Diaz-Florian

 

I

 

Comme un dormeur

                        dont le souffle pareil au soupir

va et vient doucement

                                             La vague

                    qui se brise

Balafre et cerne  commotion râle agonie

                    sur le rivage

Roulis d’embruns roulis d’un bleu profond

 

                   Vague ondulant comme

ondulent les muscles sur le dos des grands chevaux qui vont

 

                    Vaste échine

                                     La vague se ramasse se courbe bondit et tonne comme

le piaffement sourd d’une énorme bête

                     et se brise

 

Comme un fier cheval éperonné ou retenu

                              Le désir de la vague revient

                   tour à tour tambour sur le rivage

                   guerriers en turbans

dans un élan d’écume et d’oiseaux effarés

                     avant qu’elle ne se brise

 

C’est un chant un continuum cette obscurité qui roule et bat se brise bondit ondule s’enfle balaie se brise et se retire en soupirant

                                         sur le rivage

              Va et vient sans répit de vagues qui se brisent

 

II

 

Et voilà que

                         à mesure

                                                les vagues s’enroulant au sable

ourlées d’obscurité et

                                 captant le motif de lumière piqueté de diamants

balaient tout le rivage jusqu’au mourir 

                                            en flaques sur la grève.

 

Voilà que le vif éventail en camaïeu de bleus, de verts

s’agite, se tord, gesticule

                         à mesure que le cerne noir de la vague

approche et se dissout en un soupir

                                        sur le sable.

 

Voilà que des rondins tombent sur le rivage et laissent

                              à mesure

un scintillement

        de porcelaine, un éclat de couteau, le turban d’un guerrier.

 

Voilà que,

                             à mesure,

les vagues de la mer baignent les flancs d’un navire englouti

comme l’obscurité avale maisons, arbres, collines

                   et amants enlacés effacés par la nuit.

 

                                                             III

 

C’est la nuit de la vague

                son saccage obscur qui avance bombardant

maisons, arbres, parois d’abris, grotte

                                 dans un tapage pulvérisant l’écume.

 

C’est la nuit de la vague

                piaffement sourd d’une énorme bête

                rondins brisant, pulvérisant

                             des silhouettes isolées, des amants enlacés

balayés par la nuit de la vague,

                         par les sagaies empoisonnées

                   coquille vide, la ville engloutie,

éclats de porcelaine, balafre de chiffons déchiquetés

commotion, jets de pierre, chemin herbeux, buisson d’épines, cratère là où

la vie naguère avait palpité – cerne noir de l’effroi – crevasse

                   effondrement, tas de ruine en poussière d’écume

averse obscure des bombes comme rochers écrasant les navires, les enfants qui jouaient avec le sable, la flaque, les blancs moutons.

 

©Dominique Zinenberg

Mars 2022

 

(*)

Ci-dessus, d’abord, « une page d’extraits de Vagues de Virginia Woolf, à partir de laquelle j’ai composé 3 poèmes que j’ai intitulés Ode à la vague avec Virginia Woolf. L’occasion de ce travail m’a été donné grâce au Buffet littéraire de mars dont le thème était le mot "vague" ». D.Z.

 

Dominique Zinenberg

Francopolis, mars-avril 2022

 

 

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Créé le 1 mars 2002