Tapisseries en lambeaux, fragments de dentelles
et décors religieux, vieux vêtements démodés sous des architectures de
draps de lin, de chanvre ou de coton.
Le catalogue d’une exposition qui n’a jamais eu lieu se compose d’un corps d’étoffes et de la malle qui les a
transportées jusqu’ici dans une nuit de papier indigo.
Il s’agit de l’inventaire de ce qui fut, à commencer par la
carcasse de ce coffre fait de métal, de bois et toile cirée usés par les
siècles. Si ses voyages furent sur les routes du monde ou de ceux qui s’accomplissent dans les maisons, en abîme, les
pâles soies l’ont oublié. Des débris de tissus se tiennent parmi les lins secs et
cassants comme des os : ce sont les cotons qui portent le scandale des
couleurs. Ils campent au milieu du blanc et du gris quotidiens, contre le
noir de la misère et du deuil.
C’est une existence quelconque qui s’expose, claire à l’usage et commune au vaste corps social. Mais la
nuit se déploie qui assiégeait déjà le coffre refermé sur lui-même. Et
profonde apparait la trace du geste longuement répété qui arracha une forme
au métal et le fit ossature. Profonds plis des étoffes qui contiennent
enfouis le temps de la main enchaînée au métier et la douleur du fil qui se
tord. Dense est la pénombre de la chambre où ces choses vécurent dans l’indifférence des hommes et du dieu, et dans
l’égale justice des jours.
Les objets surgissent dans le présent :
fulgurants, calmes, verticaux. Ils mènent cependant un étrange combat
contre les évidences. Chargés d’un passé qui perdure et réduit à l’état de
pauvres choses, ils déplacent la vision. Mais leur splendeur des plus
ordinaires ne dépend pas directement de la mort qu’ils ne cessent de signifier
: survie est le nom du pouvoir de faire encore et encore irruption dans la
vie et se maintenir au travers de ce qui devient. Survivantes plus que
vivantes, ces choses sont tendues par l’ascèse, même quand elles croupissent ou gisent.
Images qui défont l’histoire et retiennent des temps en tumulte, liste de mots qui
dressent l’inventaire de la création, mais qui ne veulent plus rien dire sinon
la répétition obsédante. Comment se passer des restes, des empiècements,
des fragments et de tout l’arsenal d’une vie mineure face à ce qui ne cesse de venir ?
Dehors, dans la rue, c’est le corps d’un vagabond sans abri qui s’expose. Son cri retentit : bloc traversant l’espace avec force. Places, monuments et
édifices se ruinent au contact de cette voix qui commande à dieu. Corps
détraqué qui ne connait pas de trêve, son errance suit les plis des grands
dangers. Corps ouvert, ses organes s’enfoncent dans les saisons et le désir, le
scandale est une vieille invention fabriquée avec le bleu des yeux et le
fou rire.
Venu de nulle part et au milieu des détritus,
il porte dans les regards le désert. Un royaume dérisoire se bâtit ainsi
dans l’air des trottoirs, sur la pierre des marches et le vide des voûtes.
Là aussi il est question de catalogue : c’est l’inventaire d’une existence qui n’eut pas lieu. De toute part cependant, elle
surgit et clame son droit en frappant la ville au cœur.
©Vanna
Matera
Mai 2021
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