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Pieds des Mots : Archives

 

LETTRES & PIEDS DES MOTS

Où les mots quittent l'abstrait pour s'ancrer dans un paysage, un personnage, une rencontre, un objet de la nature ou de l’art... et où des lettres nous parviennent pour nous en parler.

Le principe des Pieds des mots
est de nous partager l'âme d'un lieu, réel ou imaginaire, où votre cœur est ancré... et de donner ainsi voix aux objets et aux êtres muets qui vous ont touchés…

 

Mai-Juin 2021

 

Catalogue d’une exposition qui n’a jamais eu lieu…

 

par Vanna Matera

(*)

 

« Survivantes plus que vivantes, ces choses sont tendues par lascèse »

 

Tapisseries en lambeaux, fragments de dentelles et décors religieux, vieux vêtements démodés sous des architectures de draps de lin, de chanvre ou de coton.

Le catalogue dune exposition qui na jamais eu lieu se compose dun corps d’étoffes et de la malle qui les a transportées jusqu’ici dans une nuit de papier indigo.

Il sagit de linventaire de ce qui fut, à commencer par la carcasse de ce coffre fait de métal, de bois et toile cirée usés par les siècles. Si ses voyages furent sur les routes du monde ou de ceux qui saccomplissent dans les maisons, en abîme, les pâles soies lont oublié. Des débris de tissus se tiennent parmi les lins secs et cassants comme des os : ce sont les cotons qui portent le scandale des couleurs. Ils campent au milieu du blanc et du gris quotidiens, contre le noir de la misère et du deuil.

Cest une existence quelconque qui sexpose, claire à lusage et commune au vaste corps social. Mais la nuit se déploie qui assiégeait déjà le coffre refermé sur lui-même. Et profonde apparait la trace du geste longuement répété qui arracha une forme au métal et le fit ossature. Profonds plis des étoffes qui contiennent enfouis le temps de la main enchaînée au métier et la douleur du fil qui se tord. Dense est la pénombre de la chambre où ces choses vécurent dans lindifférence des hommes et du dieu, et dans l’égale justice des jours.

Les objets surgissent dans le présent : fulgurants, calmes, verticaux. Ils mènent cependant un étrange combat contre les évidences. Chargés dun passé qui perdure et réduit à l’état de pauvres choses, ils déplacent la vision. Mais leur splendeur des plus ordinaires ne dépend pas directement de la mort qu’ils ne cessent de signifier : survie est le nom du pouvoir de faire encore et encore irruption dans la vie et se maintenir au travers de ce qui devient. Survivantes plus que vivantes, ces choses sont tendues par lascèse, même quand elles croupissent ou gisent. Images qui défont lhistoire et retiennent des temps en tumulte, liste de mots qui dressent linventaire de la création, mais qui ne veulent plus rien dire sinon la répétition obsédante. Comment se passer des restes, des empiècements, des fragments et de tout larsenal dune vie mineure face à ce qui ne cesse de venir ?

Dehors, dans la rue, cest le corps dun vagabond sans abri qui sexpose. Son cri retentit : bloc traversant lespace avec force. Places, monuments et édifices se ruinent au contact de cette voix qui commande à dieu. Corps détraqué qui ne connait pas de trêve, son errance suit les plis des grands dangers. Corps ouvert, ses organes senfoncent dans les saisons et le désir, le scandale est une vieille invention fabriquée avec le bleu des yeux et le fou rire.

Venu de nulle part et au milieu des détritus, il porte dans les regards le désert. Un royaume dérisoire se bâtit ainsi dans lair des trottoirs, sur la pierre des marches et le vide des voûtes. Là aussi il est question de catalogue : c’est l’inventaire dune existence qui neut pas lieu. De toute part cependant, elle surgit et clame son droit en frappant la ville au cœur.

 

©Vanna Matera

Mai 2021

 

(*)

C’est grâce à Maria Mailat, et par son intermédiaire, que m’est parvenu ce beau texte d’une amoureuse des objets anciens et d’une conteuse de l’âme qu’ils recèlent.

Vanna Matera est italienne, a 49 ans, trois enfants et vit en Bourgogne. Arrivée en France après des études de philosophie à Naples, elle s’établit à Semur-en-Auxois il y a plus de vingt ans avec un commerce dantiquités-brocante qui fut la conséquence d'une rencontre intense avec la ville et le monde des objets. Depuis, la boutique continue de se construire autour des choses trouvées et des échanges suggestifs auxquels elles savent donner lieu.

 

La boutique de Vanna, dont elle soigne en paroles les trésors.

Attention, ce que l’on voit n’est pas ce que l’on est !

 

Merci à elle et à Maria ! Nous accueillerons volontiers d’autres lettres du terroir et de la lune pour nous faire découvrir des lieux réels ou fantasques et raviver les pas des mots qui font trace.

D.S.

 

Vanna Matera

Francopolis, mai-juin 2021

Recherche Dana Shishmanian

 

 

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Créé le 1 mars 2002