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SALON DE LECTURE

 

Printemps 2024

 

 

 

Antoine Simon : « dénoncer le faux à grand bruit, énoncer le vrai à grand silence ».

 

Entretien et poèmes inédits

 

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ENTRETIEN 

(8-16 février 2024)

 

 

Antoine, c’est d’abord à travers le performeur que tu es, « préférant », dis-tu, « le public à la publication », que j’ai découvert ton univers poétique à l’occasion de séjours partagés au Festival de la Parole Poétique à Moëlan-sur-Mer. La lecture récente de ton « Rien du Tout », publié à La rumeur libre, m’a fait découvrir une poésie tout en intériorité et effacement, contrastant, au moins en apparence, avec l’intensité du jaillissement verbal et sonore de tes performances poétiques. Avant même de parler de ta poésie, peux-tu nous en dire davantage sur ton cheminement de poète entre performance et écriture ? Le cri, l’écrit, comment s’articulent ces deux termes de ta production poétique ? L’un a-t-il précédé l’autre ? Par quel chemin, plus généralement, es-tu venu à la poésie ?

 

Plusieurs questions dans la même. D'abord ce qui m'a conduit à la poésie, je pense que c'est assez fréquent, c'est un traumatisme initial. Pour moi c'est sans doute la mort du père, résistant, tué dans les derniers combats de la libération. J'avais dix mois.  Dans la cour de récréation, à l'école primaire, quand tout le monde voulait devenir aviateur, je disais "auteur", parce que le nom de l'auteur figurait en bas de la page de lecture…

J'ai commencé par l'écriture de poésie avec quelques lectures blanches à la suite des premières publications, à 16 ans. La performance était inconnue dans la région toulonnaise. J'y suis venu bien plus tard, en partie influencé par mon ami Julien Blaine. Nous nous sommes connus en 1959 (16 et 17 ans), sur un projet de revue (L'éVenTail), que nous avons publié 45 ans plus tard sous forme de revue bi-séculaire. De fait, j'ai suivi deux voies distinctes pendant de nombreuses années : la poésie d'un côté, qui me tenait à cœur, et la recherche du sens qui me tenait à tête. Pour cela j'ai beaucoup lu autour des religions et des traditions (terme emprunté à René Guénon, moins connoté que religions). Il m'a fallu longtemps pour comprendre que mon chemin c'était la poésie, j'ai donc concilié les deux, résolu en la poésie seule, et les choses me sont devenues faciles. La performance a pris tout son sens pour moi, car la poésie s'est élargie de l'écrit à l'ensemble de la personne, des actions et des événements. Elle est devenue pour moi un véritable chemin de vie autour de la cinquantaine (je viens de passer les 80).

 

 « Chemin », n’est-ce pas, au sens propre, car marcher semble chez toi la condition pour rencontrer la poésie. Tu écris dans « Rien du Tout » : « La poésie monte en toi / par les pieds / à chaque pas son mot / la poésie vient de la terre à chaque pas / la poésie te pulse / t’investit dans sa danse ». Les mots « marche » ou « marcher » sont omniprésents dans tes textes. Marcher pour écrire, écrire pour marcher… Question de rythme, de respiration ? Peux-tu nous en dire plus là-dessus ? La pratique de la marche est-elle chez toi, physiquement autant que mentalement, un élément important du processus de création littéraire ?

 

Curieusement ta question m'est arrivée au milieu du chemin - pas celui de la vie, comme Dante, que j'ai largement dépassé - mais celui entre chez moi et une cascade, que j'ai beaucoup parcouru pour écrire Rien du Tout.

Mais d'abord je voudrais revenir un peu sur la performance. En effet j'ai commencé de façon un peu artificielle, parce que je m'étais rendu compte, en lecture publique, que s'effacer derrière le texte rendait la lecture ennuyeuse. C'est donc pour faire vivre le texte que j'ai commencé. Ensuite l'environnement, la voix et le corps sont devenus pour moi parties intégrantes du poème, car la poésie est devenue un synonyme de la vie.

Revenons à nos moutons sur le chemin matériel. Deux choses. La première c'est que oui, la marche scande et donne le rythme, elle a toujours été importante pour moi en rapport avec l'écriture. Très jeune j'écrivais « je suis un vieux marcheur qui sait toutes les routes ». Maintenant que je suis vieux je sais que j'en ignore beaucoup. La deuxième chose, Rien du Tout a été écrit pendant le confinement. J'allais tous les jours à la cascade et plus (environ 5 kms), et j'écrivais systématiquement ce qui venait, sans chercher. Le résultat c'est un mois et demi de promenade et le recueil est paru très vite après.

Mais il m'arrive également d'écrire sans marcher, sachant toujours que c'est mon chemin.

Pour expliquer le passage de la performance à des textes, disons plus calmes, je peux évoquer une loi de sagesse qui dit : il convient de dénoncer le faux, puis d'énoncer le vrai. La performance est souvent, chez moi, dans la dénonciation, tandis que les textes calmes sont généralement dans l'énonciation. Dans les deux cas, le rythme s'adosse à la respiration, au mouvement.

 

Je comprends mieux. J’ai trouvé paradoxal, à la lecture de « Rien du Tout », connaissant ton activité de performeur, la place accordée au silence comme condition du partage véritable, du moins l’ai-je compris ainsi. Tu écris : « Quand tu dis “c’est beau !” / c’est pour partager / mais cette beauté partagée / se divise se dérobe / tu la perds // quand tu ne dis rien / c’est que tu es seul / c’est que tous les autres / sont avec toi / sont en toi / c’est que tu n’as pas besoin / d’exprimer / c’est que / c’est ». On comprend que tu es en quête de sincérité, de partage vrai, que, pour toi, tout se passe avec l’autre au-delà des mots. Ta poésie est pétrie d’humanisme, peut-être prolongement de tes lectures autour des religions. Dénoncer le faux à grand bruit, énoncer le vrai à grand silence. Est-ce bien cela ? Es-tu engagé politiquement, en dehors de l’acte lui-même de performance ? Considères-tu la poésie comme un engagement ? Qu’en attends-tu, pour toi et pour les autres ?

 

J'aime bien l'extrait que tu as choisi, je pense qu'il dit bien la chose. Je me suis trouvé un jour avec Micheline (mon épouse), au musée Reina Sofia de Madrid, face au Guernica de Picasso. Nous étions seuls, c'était juste l'ouverture. L'émotion esthétique, le charme que le moindre mot aurait brisé. Quand j'ai écrit ce texte je ne pensais pas à ça mais j'étais dans un paysage de montagne. Les gens qui vivent à travers leur appareil photo ne vivent pas l'instant. Vivre à travers les mots c'est pareil. Les mots sont une retombée de l'épreuve (le fait d'éprouver). C'est dans leur définition même, puisqu'ils servent à exprimer. La vie, et par conséquent la poésie, et par conséquent le partage, ça se passe non pas au-delà des mots, comme tu le dis, mais en-deçà. Un en-deçà proprement indicible. La performance c'est la tentative de s'approcher au plus près, perpétuellement vouée à l'échec, remise en question, comme tout texte écrit laisse un goût d'inaccompli, tous ceux qui écrivent l'ont éprouvé en dépit de satisfactions passagères.

J'aime bien ton expression « dénoncer le faux à grand bruit, énoncer le vrai à grand silence ». Elle claque, sans que ce soit un absolu, il y a du blanc dans le noir et du noir dans le blanc, le Taoïsme ne me contredira pas, et l'on peut aussi dénoncer le faux doucement et énoncer le vrai par le silence, le zen s'en est fait une spécialité.

Pour ce qui concerne l'engagement, oui, je me sens tout à fait engagé auprès de l'humain, engagé totalement dans la poésie. J'ai écrit en exergue d'un livre : « La malédiction du poète, c'est qu'il change le monde sans que le monde s'en aperçoive ». Malédiction est un bien grand mot, mais il fait contre-point au Bénédiction de Baudelaire que j'invite tout le monde à relire. Pour ce qui est de l'engagement politique, je suis beaucoup plus en retrait, ce sont toujours des hommes qui s'emparent des grandes idées, qui généralement mettent l'idée à leur service, et lorsque, rarement, c'est le contraire, on les assassine. Il a été beaucoup reproché à Krishnamurti de ne pas s'être déterminé contre le nazisme. Contre les extrémismes, oui, je suis déterminé, peut-être du fait de la mort de mon père, résistant. Et de ce point de vue les temps s'annoncent à nouveau difficiles. Mais la poésie possède aussi son Char, qui répond pour moi « à chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d'avenir ».

 

« Tentative de s'approcher au plus près », dis-tu, mais de qui, de quoi ? Veux-tu parler du public ? Ou bien du poème par lequel on essaie de toucher ce public ? L’obstacle est double, non ? La poésie peut-elle s’apprendre, ou bien n’est-on poète que né poète, ainsi que Baudelaire le conçoit ? Peut-être que tout enfant est en germe poète, comme semblent le montrer les ateliers d'écriture menés en milieu scolaire. Comment transmettre la poésie, en faire éventuellement un outil d'émancipation culturelle et sociale ? Qu'en pense le passeur de poésie que tu es ? La poésie, pour qui, pourquoi ? 

 

Au plus près de la vie, de ce qu’est la vie dans, à notre niveau, son déroulement permanent qu’on nomme l’existence, et qui passe souvent sans qu’on en soit conscient, pris que nous sommes dans les préoccupations quotidiennes qui nous éloignent du réel, nous plongent dans notre réalité subjective qui est le réel mis en miettes. Accéder au réel c’est avoir la vision globale du changement, de l’impermanence, et de ce qui fait la saveur de l’instant avec toutes ses vicissitudes. La quête poétique, c’est ça. C’est un programme ambitieux, en germe chez chacun. Dans les textes que je viens de t’envoyer, il y en a un centré sur cette affirmation (nuancée), que tout le monde est poète. Ça ne signifie pas que tout le monde est en capacité d’écrire. On aura compris que, pour moi, la poésie ne se limite pas à l’écrit. Elle est cette chose, cette onde, cette matière, ce je ne sais quoi (j’ai produit un livre contenant 115 définitions de la poésie, et il m’en vient de nouvelles pratiquement tous les jours, juste pour affirmer qu’elle est indéfinissable), qui accompagne et enveloppe la vie, dont elle est le meilleur surnom selon Prévert. Ou bien on peut aussi dire, comme André Breton, qu’elle est « l’infracassable noyau de nuit ». Quant à l’enseigner, non, mais la faire apparaître, la faire surgir, en tout cas tenter, par l’exemple, ça oui. La faire épanouir chez chacun en l’arrosant régulièrement. C’est pourquoi j’ai longtemps dit que je préférais le public à la publication, rien ne vaut la présence, avec ou sans parole.

 

Étonnant comme ton poème intitulé « Tout le monde est poète » dans ta livraison pour ce Salon, dont je n’avais pas encore pris connaissance, résonne avec l’orientation de notre entretien. C’est cela, peut-être, la poésie, les pensées qui se rencontrent, l’inattendu. J’aime bien cette idée d’une onde enveloppant la vie, une onde, peut-être, dont les particules associées, dans une analogie avec la mécanique quantique, seraient les mots. Mots dont souvent on ne sait exactement où ils sont ni où ils vont, rappelant le principe d’incertitude (dit de Heisenberg). Je suis frappé, dans tes réponses autant que dans ta poésie, par ton sens de la nuance. Tu n’affirmes jamais, tu suggères, rien n’est ni blanc ni noir. Ta démarche de poète est caractérisée par sa retenue, retenue d’abord bienveillance, liberté laissée à l’autre, ton semblable, d’être ce qu’il est, pourvu qu’il soit animé par la flamme de la vie, qui est celle de la poésie. Dirais-tu que ta poésie exprime une philosophie de la vie ? Une philosophie tout court ? Plus largement, comment écris-tu, d’où tires-tu ton inspiration, quels sont les poètes qui t’ont le plus marqué ?

 

Déroulons le fil : « l’inattendu… onde… principe d’incertitude… nuance… retenue… liberté… philosophie… » oui, c’est simple. Une chose qui revient c’est je ne sais pas, que je préfère au « Je ne sais rien » socratique car nous savons des petites choses, mais fondamentalement nous ne savons pas, et cette ignorance est mon guide. Elle vient de cette autre vérité que le monde, et nous avec, ne cesse de s’éteindre et renaître à chaque instant. Tout est toujours neuf et tout est à apprendre sans cesse. Nous vivons sur de vieilles références parce que nous croyons être assujettis au temps, c’est ça la véritable servitude volontaire. Ne pas savoir c’est demeurer dans l’innocence qui autorise la découverte. C’est le sens de mon livre Le petit moi, à paraître dans quelques mois (!). Petit moi qui est en chacun de nous, explorateur naïf du monde, c’est L’idiot de Dostoievski, c’est l’enfance dans laquelle nous baignons tous. Bien sûr c’est un paradoxe, la poésie se nourrit de paradoxes, elle est un jaillissement, celui de la naissance de la vie à chaque instant.

Bien entendu la mémoire est un élément du paradoxe et je me suis nourri des autres aussi. À noter que, jeune, j’étais intransigeant : un seul poète à la fois, et plus j’ai vieilli plus je suis devenu ouvert, éclectique. Au début, à 12 ans, c’était Victor Hugo ; à 14 Baudelaire ; à 16 Rimbaud auquel je me suis pas mal identifié parce que c’était l’âge de mes premières publications en revues. Et Lautréamont, et Apollinaire, et Lorca, et bien d’autres depuis, Rilke, Pessoa. Je note seulement les formateurs. Mais pour revenir sur l’écriture qui est jaillissement, ça bannit naturellement tout programme, toute consigne, tout thème préétabli, c’est l’une des raisons pour lesquelles je n'adhère pas au Printemps des poètes, ni à l’idée de thème, ni à celle de concours de poésie. La poésie a besoin de garder son autonomie, et bien sûr d’être partagée sans posture.

 

Je vais profiter de ton allusion au Printemps des poètes pour te poser une question assez spécifique. Tu fais partie de ceux, comme moi, qui ont signé la pétition qui a fait tant de bruit et nous a valu des réactions d’une violence inouïe de la part de personnes que nous ne connaissons pas, et qui ne connaissent pas notre poésie, et qui cependant la jugent, et nous jugent, de la façon la plus triviale qui soit, pour rester poli. Comme pour toi, la réaction de ces gens, édifiante à différents niveaux, m’a semblé justifier a posteriori mon adhésion, au départ sans enthousiasme, à cette pétition, car révélatrice d’un véritable danger pour la poésie, et pour la liberté, qui nous sont si chères. Depuis, tu as entamé sur Facebook une série de petits poèmes appelés Pestiaire, brodant autour des mots gentils qui nous ont été adressés. Peux-tu nous en dire quelques mots ?

 

J’étais exactement dans la même position que toi, j’ai signé sans conviction cette tribune mal fagotée parce que le Printemps des poètes, à la fois dans son concept et dans sa mise en œuvre, ne m’a jamais convaincu. Par ailleurs le parrainage de Tesson, du fait de son option politique mais aussi de son écriture, pour moi principalement liée à sa redite, avec La panthère des neiges, du Léopard des neiges de Peter Mathiessen, que j’avais trouvé bien plus fort, ce parrainage donc me semblait inacceptable pour un événement qui nous représente malgré nous. Et comme toi l’incroyable réaction faite d’injures m’a confirmé le bien fondé de ma signature. Comme il était pour moi hors de question de répondre aux insultes par des insultes, j’ai profité de la recension de tous les anathèmes, opérée par l’ami et poète Bernard Bretonnière, spécialiste des listes, pour écrire des petits textes qui détournent le sens et le vident de sa charge émotionnelle, à la manière des arts martiaux qui utilisent la force de l’adversaire.

La première insulte c’était « cafards ». Ça m’a évoqué le Bestiaire d’Apollinaire, mais comme il n’y avait plus d’animaux par la suite j’ai cherché un titre approchant, et Pestiaire s’est imposé, qui connote la peste. J’en mets un par jour en effet sur FB, il y en a 56 au total.

 

Nous arrivons au terme de cet entretien, auquel je te remercie de t’être prêté avec autant de simplicité et d’authenticité. Ce fut un plaisir. Pourrais-tu, pour terminer, nous présenter brièvement les poèmes que tu as mis à l’affiche de ce Salon ?

 

Pour ce qui est de présenter les textes, ils me paraissent parler d'eux-mêmes, et confirmer ce que nous avons déjà dit, mis à part les premiers qui sont extraits de Le petit moi, juste pour donner un avant-goût ou un dégoût. Je dirai comme Rimbaud à sa mère : "ça veut dire ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens". Une précision encore sur la poésie : on la situe généralement comme une branche de la littérature. Pour moi c'est l'inverse : la littérature est une branche de la poésie, cat la littérature c'est l'écrit, tandis que la poésie est bien plus vaste que l'écrit. Le dernier des textes sera une performance, n'avoir que le texte ne rend pas compte de tout le poème.

 

 

***

 

 

POÈMES INÉDITS

 

Adolescence du petit moi

 

Comment ne pas considérer

le petit moi comme une écharde

dans le corps de la vie plantée

 

 un boulet que chaque homme traîne

 à la poursuite de lui-même

 

  dans chaque homme un enfant se parle

  qu’il assimile au petit moi

 trop timoré ne sachant pas

   prendre le taureau par les cornes

   la chandelle par les deux bouts

 

    n’ayant jamais appris le monde

     mais seulement quelques détails

     confrontés à l’obsolescence

 

      le petit moi dans son essence

      relève du moi absolu

       mais il l’ignore et continue

       sur son chemin d’adolescence

       à vivre de ce qu’il a vu 

 

Le petit moi adulte

        

Quelle importance le petit moi

et tout ce qui lui arrive

 

le petit moi n’a la prétention

de venir en aide à personne

et surtout pas à lui-même

 

il est fragile le petit moi

il a traversé la vie à grand peine

toujours sur la pointe des pieds

sans bruit

pour ne pas réveiller les autres

susciter la fureur du monde

 

il a passé de nombreux jours

qui ressemblaient à de la nuit

de la bouillie de temps

au goût indiscernable

dont il ne reste rien

comme s’il n’était rien

s’il n’avait pas commencé

et peut-être qu’il n’a jamais commencé

peut-être que le petit moi n’est qu’une idée

qui ne poursuit pas son chemin

née dans la tête de personne

juste une pensée spontanée

venue sans raison apparente

et méprisée partout

par tous

       

Le petit moi quelquefois

se pose des questions métaphysiques

auxquelles il est incapable de répondre

auxquelles personne ne répond pour lui

car le propre des questions

métaphysiques

c’est d’être individuelles

et du coup il faut faire avec

s’en arranger coûte que coûte

s’accommoder d’elles comme d’un

vêtement inconfortable

mal taillé ou trop grand

les épaules tombantes

et le frottement permanent

sur la peau du cœur qui s’enflamme

Il a beau petit moi

changer de position

considérer sous toutes les coutures

le costume de la question

la coutume de la raison

Il ne parvient jamais

à la moindre réponse

car les questions métaphysiques

ont ceci de particulier

qu’elles sont pour le petit moi

non pas posées pour la réponse

mais pour faire office de bornes

sur son chemin de connaissance

                                                          

Extraits de « Le petit moi », à paraître aux éditions La rumeur libre

 

*

 

Cette impatience de vivre

comme si la vie n’était pas maintenant

était absente

était ailleurs

peut-être au bout de la rue

ou bien

au pied de l’arc-en-ciel

peut-être

à la fin de ce livre à peine commencé

ou bien

à la fin du mois

difficile

comme un accouchement difficile

peut-être

à la fin supposée d’un temps

qui n’est jamais la fin

mais le commencement

l’ensemencement du futur

que l’on voudrait ici

déjà ici

tant est impérative

l’impatience de vivre

 

 

 

Partagé toujours

toujours partagé

entre les deux bords

de l’être et du faire

 

entre les mots définitifs

englobants

prononcés écrits affirmés

une seule fois

 

et les mots répétés

et les mots répétés

jusqu’à satiété

jusqu’à la sclérose

pour bien ancrer

l’idée ou la chose

 

toujours partagé

à l’abri de l’être

qui comprend les autres

et le tout des choses

dans son unité

 

ou bien dans le faire

dans le faire exprès

qui s’adresse aux autres

comme s’ils n’étaient

pas déjà en toi

 

comme s’ils étaient

parmi l’extérieur

éparpillés

papillons frivoles

juste bons à voleter

autour de ta tête

 

en te fabricant le monde

pour pouvoir l’affirmer

dans sa diversité

sa multiplicité

semblable aux mots prononcés

répétés résolus

 

comme si le monde éprouvait

la nécessité absolue

d’insister

pour exister

 

 

Tout le monde est poète

certains le savent

d’autres l’ignorent

certains l’affirment

d’autres le nient

d’autres encore l’acceptent

sans en faire leur nid

 

certains l’expriment par l’écrit

de façon plus ou moins imagée

plus ou moins claire

plus ou moins versifiée

 

d’autres par la voix

plus ou moins claire

portée à contrepied

hurlée où murmurée

 

d’autres par le corps

par le faire

plus ou moins actif

représentatif

mouvant

émouvant

impliquant les autres

qui sont le poème

les circonstances

qui sont le poème

les instants

insistants

qui sont le poème

 

d’autres encore par tout ça réuni

qui est la poésie

 

il y a des poètes dans le monde

par le monde

et de par le monde

d’autres n’importe où

hors du monde

 

la poésie

certains l’expriment sans le savoir

sans la volonté d’être

en étant simplement

certains l’expriment directement

l’étoffent par leur seule présence

pendant que d’autres l’étouffent

et la refusent tout net

considérant les poètes

comme des parasites

de doux rêveurs improductifs

inutiles pour la cité

bons à en être chassés

ce que Platon préconisait

même si poète lui-même

 

la poésie

certains la trouvent sous leurs pas

sur le seuil

dans la proximité immédiate

d’autres prennent du recul

pour mieux voir son horizon

 

certains s’en font un chemin

qui va loin vers l’éternité

d’autres c’est leur pain quotidien

 

certains l’expriment bien

d’autres moins

mais ce qui est certain

c’est que tout le monde est poète

 

Tu vis dans la déchirure

de chaque instant

dans l’adieu permanent

 

dans le confort du non temps

 

tu t’en arraches parfois

quand l’oubli de l’essentiel

te jette dans la durée

 

quand la minute prend forme

et te force le voyage

vers l’ordinaire du jour

 

par chance le dérisoire

alimente le réel

cimente l’absolu

 

 

Rien à penser rien à dire

la vie n’est pas une affaire

elle surgit n’importe où

sans se soucier de plaire

 

la vie c’est un bien grand mot

pour ta petite existence

prise entre l’effet du temps

et les fers de l’impatience

 

pas un pas sans une science

nouvelle pour déchiffrer

la simplicité du monde

qui n’en demande pas tant

 

tes complexes sont complexes

complices d’un devenir

sans éclat dans l’indurable

 

à la fin de chaque instant

tu t’adresses sans y croire

un adieu définitif

 

 

Rez-de-chaussée. Nuit d’hiver. Fenêtres fermées. Volets ouverts. Jardin obscur autour. Lumière à l’intérieur. Tu ressens comme une hostilité en regardant les fenêtres. Tu ne vois rien de l’extérieur et tu ne sais pas ce qui peut te voir. Quels monstres tapis t’observent. Tu n’ignores pas que c’est l’exacte image de ce qui se passe en toi. Tout cet intérieur obscur dont tu te méfies, invisible depuis ta simple conscience diurne. Tu ne sais pas de quoi tu es capable. Tu n’as pas été placé dans les conditions du surgissement des monstres. Et peut-être qu’au-delà des monstres réside une grande paix, la terre promise et toujours repoussée plus loin dans les confins de ton être, au double fond de ton exploration. Tous les dangers, toutes les guerres sont à affronter avant de connaître la paix, tu le sais. Il est temps de plonger dans la nuit obscure.

 

il y en a qui prennent la poésie pour un sujet d’étude

de dissection

de vivisection

et de dissertation

comme une branche de la littérature

une branchie pour les plus inspirés

mais ils se tiennent à distance et la regardent avec les yeux de l’intellect

 

il y en a qui prennent la poésie comme un attribut de la vie

et même comme un participe

présent dans chaque interstice de l’être

c’est dans cette catégorie que je trouve ma place

 

*

 

« La vie commence moins en s’élançant qu’en tournant » G. Bachelard 

La poétique de l’espace

« Je ne pourrais croire qu’en un dieu qui saurait danser » F. Nietzsche

Ainsi parlait Zarathustra

 

Tu danses

tu tournes

tu danses les mots

tu tournes les phrases

danseur avide

de t’élancer

vers le haut

vers le vaste

tu tournes

tu danses le monde

qui lui-même

n’arrête pas de tourner

de tourner dans ses rouages

le monde et toi

comme des engrenages

plus ou moins bien huilés

plus ou moins grippés

malades de tourner

dans la fièvre

la tête tournée

tête oreiller

contre la terre

et qui tourne

comme la terre

comme ton corps

dans le déséquilibre

qui te fait tomber

sans t’arrêter

d’un pied sur l’autre

avec la terre

d’un pied sur l’autre

sans s’arrêter

avec ta tête

d’un mot sur l’autre

d’un mort sur l’autre

sans s’arrêter

et des vivants qui s’accommodent

qui tournent qui parlent qui bougent

sur leurs deux pieds

sur leurs deux jambes qui sont

les aiguilles d’une horloge

dans toutes les directions

du temps comme de l’espace

le temps qui tourne à sa guise

l’espace qui va comme il veut

et toi tu tournes toujours

crucifié entre les deux

tu tournes tant que tu peux

à l’unisson de la terre

de ta tête et de ton sang

qui danse dans tes paroles

à l’envers du mouvement

qui décrit une spirale

ascendante une tornade

qui t’emporte qui t’écrit

avec l’encre de ton corps

sur le livre de la vie

 

 

©Antoine Simon

 

 

(*)

 

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Le mausolée des mots zélés

 

BIOBIBLIOGRAPHIE

 

Ma mère se prénommait Marie et mon père Joseph, je sais, c'est courant. J'avais le choix entre prophète et poète, j'ai pris les deux. 

En classe de troisième je manquais souvent les cours pour aller lire les philosophes et les poètes à la bibliothèque municipale. Du coup je me suis beaucoup ennuyé par la suite et n'ai pas terminé la première année d'université, pressé d'aller voir ailleurs, c'est-à-dire la tombe de Rimbaud en stop, et puis l'Europe sur la lancée. Puis, ne supportant aucune hiérarchie, je suis devenu commerçant non sédentaire et poète non plus. Ça a duré 45 ans.

Depuis plus de quarante ans je suis à nouveau dans la poésie extérieurement, je la partage en livres et en voix en France et ailleurs dans de nombreux festivals. Celui de Sète en particulier depuis sa création, où je m'occupe particulièrement des performeurs.

 

Bibliographie restreinte aux dernières années

 

à paraître en 2024 :

Le petit moi, éditions La rumeur libre    

                 Étapes, éditeur serbe (Belgrade)

                 Toi, néanmoins, éditeurs en cours

2023          Accolade, éditions L’arbre à paroles (Belgique)

2022          La roche et l'éther, éditions Plaine Page

                  Artaud-Totem éditions Sémaphore

2021          Rien du Tout, éditions La Rumeur Libre

                  La branche nue, éditions du Petit Véhicule

                 Nousiltuje, éditions L'Harmattan

 

Nombreuses parutions en revues et anthologies en France et autres pays.

 

 

Antoine Simon

Francopolis Printemps 2024

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