Le Salon de lecture

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SALON DE LECTURE

 

MAI-JUIN 2021

 

 

Invitée : Danièle Corre

 

« …boire au désir de vivre… »

 

Sélection de poèmes pour Francopolis

(édités et inédits)

(*)

 

 

Printemps (photo de Dana Shishmanian)

 

 

Un enfant oublié

dans l’herbe haute

guette de toute sa patience

l’insecte messager

qui a franchi la grille

des fleurs

 

L’enfant n’a pas écrasé

les pétales de sang

ni arraché les tiges      

 

Il regarde et attend

que monte

le tumulte de vivre

que des voix aimées

l’appellent

à la place laissée

entre rires et sanglots

 

Obstinément l’enfance,

Éditions Aspect, 2005

 

***

 

Nous voici

traversés de siècles

recrus d’horreurs

et de cruauté

avec notre humble lot

de douceurs familières,

de visages sauvés,

 

avec notre balbutiante, irrépressible

confiance en la bonté,

honteuse de se savoir naïve,

avide d’être rassurée,

légère d’être oublieuse,

 

bavarde si l’on s’attarde

près de la lampe des soirs

à compter les pas de nos joies.

 

Lorsque la parole s’étonne,

Éditions Aspect, 2016

 

***

 

Nous irons boire encore

au désir de vivre

même si l’eau est parfois

amère,

et opaque le brouillard

qui monte des chemins.

 

Nous jetterons encore

des vœux dans les fontaines,

pariant sur l’insensé, l’insurgé,

l’imprévisible,

l’orpailleur qui rapporte

des excès du monde

les éclats de la joie.

 

Routes que rien n’efface,

Éditions Aspect, 2012

 

***

 

Les routes parties

à l’assaut des collines

avaient la douceur

des blés, des voûtes romanes,

 

naïves,

ignorantes

des flots qui battaient

aux temps des traversiers,

 

du sang bu

par la pierre inca,

de la chair rançonnée

à la borne des ponts,

 

chemins de cailloux,

lit de rivière,

elles ne savaient plus

ce qu’avait fait d’elles

 

l’élan martelé

qui les forgea,

ni comment elles retrouvèrent

l’herbe des talus

 

où se donnaient encore

des festins de paroles.

 

Ce sourire que le jour retient,

Éditions Potentille, 2009

 

***

 

On vit aux aguets

de ce qui tremble

frémit, s’éteint,

on s’étonne

d’être ainsi

assiégé

par des ondes passantes

 

et d’attendre encore

ceux qui

ne pousseront plus la porte

avec les visages

que les âges nous ont laissés                                                             

***

 

Dans la forêt obscure

du temps,

tenir à distance les ronces

qui nous ont lacérés,

 

oser pourtant le regard

sur les cicatrices

qui disent la lame, la lutte, la plaie,

l’invisible force

qui court sous la peau.

 

***                    

 

J’ai dit oui au Mississippi,

à ses levées de terre, à ses envols d’oiseaux,

aux eaux lourdes d’alligators

à toutes les peurs,

mais pleuré sur le Danube et sur la Spree

des larmes qui n’étaient pas de moi.

 

J’ai dit oui aux bras du Saint-Laurent,

rouleur d’accents et de violons musette,

avec magasin général et village de bois,

en laissant des bribes d’histoires

aux branches des épinettes.

 

J’ai dit oui à l’Hudson et au Potomac,

à leur souffle de violence et de liberté.

 

Ai-je dit autre chose que cet accord à l’Arno,

à ses ponts enlacés ?

au Guadalquivir de Cordoue ou de Séville ?

au limon du Mékong, aux reflets du Tage ?

au chant douloureux de la Valtava ?

et à l’Oreuse, frais murmure de ruisseau

dans le pays d’enfance ?

 

***

 

Villes, je vous ai vues,

me nourrissant de vos espaces, de vos rues,

de vos charmes, de vos drames,

je vous ai vues pour ceux qui n’ont rien vu

d’autre que des heures de matin froid

d’un même pays gris,

 

je vous ai vues avec leur appétit inassouvi,

avec leur vie en moi qui tambourine,

réclame un peu plus encore

cette fièvre au cœur,

pour leurs cœurs

qui ne battent plus.

 

Le fil et la trame,

Éditions Aspect, 2020

 

***

 

Demander au poème

de calmer la blessure,

d’être cette main

effleurant le front,

 

lui demander

de rapprocher les lèvres

de la plaie,

 

afin que se cicatrise

la béance en soi,

que se rétrécisse

l’immensité

où la raison

se perd,

 

lui demander

encore une fois

d’être ce lieu de répit

où il redonne souffle et vie,

 

dans cette langue natale

qui redresse les dos,

les remet en chemin.

 

***

                          

Le mot jailli

s’étoile sur la page

avec mille paysages,

mille visages,

qui attendaient le silence

pour rappeler les îlots de douceur

où nous avons fait halte

et repris haleine

pour faire face au jour,

à ses violences,

à ses non-sens,

à ce qui divise

et morcelle

et lacère

notre âme si petite.

 

***

 

C’est toujours cette attente

du mot

qui viendra,

jaillissant,

avec sa face d’inconnu,

quelque parcelle de soi

insoupçonnée.

Toujours ce chemin

vers un ailleurs enfoui,

ses paysages, ses ruissellements

qui grondent.

 

C’est toujours cet élan

qui bouscule,

lave et rince

les jours noircis,

enlève les masques,

remet les visages

à l’endroit.

 

Le fil et la trame,

Éditions Aspect, 2020

 

***

 

Devant la phrase de roman

qui tisse son histoire,

les mots du poème

s’effarouchent.

 

Étincelles d’instants,

ils ignorent le désir

de durer.

 

Dans les buissons des phrases,

ils observent

les liens qui, de ligne en ligne,

construisent un édifice

où les personnages

se meuvent.

 

Les mots du poème pâlissent,

se voient nus et seuls

sur leur page de hasard.

 

Les plus forts s’envolent,

lucioles ivres

de leur effarante

liberté.

 

Lorsque la parole s’étonne,

Éditions Aspect, 2016

 

 

Poèmes inédits accompagnant ses gravures 

 

Opposer au noir

qui assaille

le linge frais

séchant sur le fil

tendu de fenêtre

en fenêtre,

 

et les soleils

qui cheminent encore

à couvert

sous le bois

des élagages.

 

***

 

De toutes leurs fibres

frémissantes

des animaux veillaient

sur le chemin

de haute enfance

où palpitait l’instant

qui nous rendait

éternels.

Où sont-ils

maintenant ?

 

***

 

Quel refuge trouver

à la vie multiple

afin qu’elle poursuive

sa précieuse palpitation,

bêtes en leur pelage,

hommes debout

dans leur précarité,

près de l’arbre

qu’ils interrogent ?

 

***

 

Dans des éclaboussures

de lumière

il cherche un lieu

où se taira

la nuit hantée

d’ombres

que fuient

la faune

et la douceur

des chiens courant

le long des haies

qui quadrillent

l’espace où vivre.

 

©Danièle Corre

 

(*)

 

Danièle Corre a passé une partie de son enfance en Lorraine puis en région parisienne. Professeur de lettres, elle a accueilli des écrivains dont Michel Tournier et Georges-Emmanuel Clancier, devenu un ami (et sur lequel elle a écrit plusieurs articles).

Elle a mis en place des ateliers d’écriture poétique en milieu scolaire, initiant ses élèves à la poésie contemporaine (elle en a publié les textes dans Sources. Atelier poésie jeunesse, Éditions L'Harmattan, 2012.) Une correspondance avec une école de Montréal l’a conduite au Québec avec ses classes. Le parrainage qu’elle a organisé entre lycée et enfants du CP, sur le thème de la peinture impressionniste, lui a fait réaliser un diaporama présenté au Musée d’Orsay.

Passionnée d’arts plastiques, elle collabore avec peintres et graveurs (dont Sarah Wiame, Hélène Baumel, Muriel Bergasa, Jean-François Robic, Maria Desmée) pour la réalisation de livres d’artiste.

Elle a beaucoup voyagé : États-Unis, Canada, Mexique, Europe, Vietnam. Mère de deux enfants, elle rend hommage à sa fille handicapée dans son livre La Vie seconde (Éditions Tensing, 2014).

Lauréate de nombreux prix de poésie dont le prix Max Jacob en 2007, membre du comité Aliénor qu’elle a présidé, elle a été élue à l’Académie Mallarmé en octobre 2015.

Elle est auteure d’une trentaine d’ouvrages, parmi lesquels nous listons ci-dessous les recueils de poèmes :

L'arbre de mémoire, Éditions La Bartavelle, Prix Jean Follain 1998.

Éclats, Éditions Céphéides, 2002.

Sédiments, Éditions céphéides, 2002.

De clairière en clairière, Éditions Poésie sur Seine, Grand prix de l'édition 2002.

Rives, Éditions Céphéides, 2003. 

D'un pays sous l'écorce, Éditions Cahiers de poésie verte, Prix Troubadours 2004.

Les Chants querelleurs, Éditions Céphéides, Prix Aliénor 2004.

Obstinément l'enfance, Éditions Aspect, 2005.

Petit éclat de mot, Éditions Céphéides, 2005.

Voix venues de la Terre, Éditions Jacques Brémond, Prix de Poésie des Jardins de Talcy 2005.

Arbres en soi, Éditions Céphéides, 2006.

Énigme du sol et du corps, Éditions Aspect, Prix Max Jacob 2007.

Comme si jamais personne, Éditions Aspect, 2008.

Proust, un enfant ébloui, Éditions Céphéides, 2009.

Ce sourire que le jour retient, Éditions Potentille, 2009.

Femme de basalte, Éditions Céphéides, 2010.

Routes que rien n'efface, Éditions Aspect, 2012.
Où parle doucement l'âme des morts. Vietnam, avec des aquarelles de U. Fremde, Editions Aspect, 2012.

La nuit ne se tait pas, Éditions Tensing, 2013.

Lorsque la parole s’étonne, Éditions Aspect, 2016.

Debout dans la mémoire, Éditions Aspect, 2018.

Le fil et la trame, suivi de Par quels secrets passages, Éditions Aspect, 2020.

Une belle chronique à ce dernier recueil peut être lue, sous la plume de Murielle Compère-Demarcy, dans La cause littéraire du 10 décembre 2020.

Voir dans ce même numéro d’autres poèmes inédits d’elle, accompagnés de ses gravures, à la rubrique Creaphonie.

 

 

Danièle Corre

 

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