Le Salon de lecture

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Septembre-Octobre 2019

 

(I)

 

Invitée : Denise Desautels.

 

« J’entre dans la ronde… »

 

 

 

MON CŒUR MON ATELIER.

LA RONDE DE NUIT*

 

 

À quoi servira cette clarté limpide ?

Marc Chagall

 

Nous possédons cette force qui se porte à la poitrine.

Roger Des Roches

 

 

Radieuse.

Tu fais signe. Dis j’apparais.

Ton dernier regard écartant le drapé de l’obscur.

 

Tes aimés. Dans l’antichambre de ta mort.

Cœurs en cortège. Comme s’ils étaient des fleurs.

Une constellation lente te borde.

Toi. À chaque vie aérienne.

 

°

 

Au loin j’ose.

Tu ne devais pas t’engager si tôt dans ce maillage d’ombres. 

 

Shéhérazade plurielle à tes côtés.

Des voix défient tes fuites.

Racontent Noirs et du jour même l’éclat futur.

Capturent posent répandent respirs et roses. Déraisonnables.

Entre un lit d’emprunt et nulle part. 

 

Au loin tes nuits d’envol et les paupières

de toutes tes chances s’emmêlent.

On les devine en train de se noyer. Qu’elles attendent.

Qu’on les stoppe – paupières et chances.

 

°

 

J’entre dans la ronde. Me refuse pietà. Seule.

Ramène Rembrandt au cœur de la phrase.

Tu en reconnaîtrais les étoiles sur fond indigo.

Loin de La leçon d’anatomie.

Suaires et sifflements percent. Billes DEL en cercle.

 

Rembrandt-LaRondeDeNuit

 

J’ose. J’ouvre. Attends-moi.

Refuse verrous. Privilégie l’indéfini.

Une forme à nous donner.

Rhizomes et nageoires amoureuses – frayant fragments de cœur.

 

°

 

Pardonnerons-nous à la vie de s’achever déchirure ?

Lui pardonnerons-nous de continuer – sans toi ?

 

°

 

Vois. On se retrouve loin devant – cœur au travail.

Le ciel creuse.

Nous avions dit mains.

Quatre plus une et l’ensemble de nos doigts.

On appuierait fort. On veillerait tout du monde sans compromission.

Vois. On en rêve encore.

 

SylvieCotton1

 

Cœur avec ronces aiguilles flèches couronnes billes – rouges.

La forme qu’il nous faudra.

Saint Sébastien ou poupée vaudou.

Surtout en chasser l’épouvante devant les autres endormies**.

 

Rappelle-toi Radieuse cette haute dentelle

de musique et de voix pour mères et fils enlacés.

Une soif tressée ardente en nous – faire durer la beauté.

Partout. Près des petits et grands vivants fuyant fuyant.

Proies. La mort les encercle.

 

°

 

Vagabondes. Rebelles.

On dit cœur.

Cœur.

On ne l’accolerait plus jamais à mourir.

 

La note a tenu. Tenu. Puis cédé.

Choisi l’autrement l’hors d’ici l’ailleurs. Le puits de cendres.

Ton masque de vivante. Notre rage muette.

Une forme bienveillante à nous donner.

 

°

 

C’est là Radieuse parmi tes tables et tes cahiers d’atelier 

que ça se passe. Là. Le grenier où tu te déposes.

Où tu nous attends.

Où notre douleur se déplie.

Nos mains déposées les unes sur les autres.

Et sur ton crâne fragile d’infini.

 

°                                                                              

 

À chaque phrase réinventer le cœur et son battement.

Dernière dentelle. Volubile.

 

 

(*) En référence à l’œuvre de Rembrandt, La ronde de nuit (La Compagnie de Frans Banning Cocq et Willem van Ruytenburch, huile sur toile, 1642) et à Mon cœur mon atelier, œuvre de Sylvie Cotton (encre et crayon sur papier, 2011, photo : Guy L’Heureux), reproduites ci-dessus. 

(**) Mots empruntés à la poète France Mongeau.

 

Poèmes inédits en volume,

parus dans Lettres québécoises (numéro 171, automne 2018)

 

* * *

 

Sylvie Cotton est une artiste interdisciplinaire vivant à Montréal, au Québec. Sa recherche, amorcée en 1997, est liée aux pratiques de la performance, de l’art action, du dessin et de l’écriture, bien qu’elle fasse aussi régulièrement appel aux formes installatives pour la réalisation de projets d’exposition. Ses œuvres s’ouvrent sur la création de situations menant à l’instauration d’un rapport avec l’autre ou à une infiltration dans le monde de l’autre. (extrait de l’article Sylvie Cotton : Le feu sacré : la pratique in spiritu, suivi de reproduction de ses œuvres et de quelques-uns de ses écrits ; voir aussi son site et en particulier, pour ses œuvres : http://www.sylviecotton.ca/boutique).

 

Image de l’atelier de Sylvie Cotton (d’après son site).

 

(crédits photo : Michel Durigneux)

Née à Montréal, Denise Desautels a publié plus de 40 recueils de poèmes, récits et livres d’artiste, au Québec et à l’étranger, qui lui ont valu de nombreuses distinctions. Elle a notamment reçu, à deux reprises, le Grand Prix Québecor du Festival international de la poésie de Trois-Rivières, le prix du Gouverneur général du Canada, le prix Athanase-David et le Prix de Littérature Francophone Jean Arp, ces deux derniers lui ayant été remis pour l’ensemble de son travail. À l’automne 2017 paraissait, aux Éditions du Noroît, D’où surgit parfois un bras d’horizon, et au printemps 2018, elle a publié en France deux nouveaux petits livres : Noirs en collaboration avec Erika Povilonyté, à L’Atelier des Noyers, et Disparition (détail), aux Éditions du Petit Flou. Elle est membre de l’Académie des lettres du Québec et de l’Ordre du Canada.

Pour faire plus ample connaissance avec cette poète qui se définit comme une « archéologue de l’intime », nous invitons à lire son interview sur le site Les voix de la poésie, ainsi que la présentation par Marilyne Bertoncini et le groupage de poèmes de six « Nuits », publiés dans le numéro de janvier 2018 de la revue Recours au poème sous le titre : Denise Desautels : La Dame en noir de la poésie québécoise.

 

 

La présence dans notre salon d’automne de ces deux remarquables poètes québécoises est due à une rencontre d’exception que m’a occasionnée la séance dédiée à Diane Régimbald, présentée par Denise Desautels, au Mercredi du poète du 27 mars cette année, manifestation organisée et animée par Bernard Fournier. Je remercie les deux poètes pour la générosité du partage que chacune d’elles nous propose dans les pages de notre revue, et pour la confiance qu’elles m’ont ainsi témoignée.

 

D.S. pour Francopolis

 

 

 

Salon de lecture :
Denise Desautels

(I)

La seconde partie de ce salon : ici

 

 

Francopolis, septembre-octobre 2019

 

Créé le 1 mars 2002

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