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SALON
DE LECTURE Été 2025 Marie-Agnès Salehzada « Être la musique de l’être » Entretien et poèmes (*) |
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ENTRETIEN (24
mai – 2 juin 2025) Marie-Agnès, ton dernier livre, intitulé
« L’or du Gingko Biloba » est un chant d’amour adressé à l’autre, l’étranger
comme le voisin, l’humain comme l’animal, le végétal comme le minéral. Chaque
poème y est une main tendue avec bienveillance vers le monde. Tu écris ainsi
dans le poème intitulé « Être la musique de l’être » :
« Félicité d’une rencontre / Ravissement d’un visage / Résurgence
d’écriture / Remontée des eaux de la confiance / retour d’enthousiasme / Oui…
CROIRE ». Beaucoup de mots-clés de ton univers poétique dans ces
quelques vers ! Et d’abord ce très beau titre : « L’or du
Gingko Biloba », peux-tu nous en dire davantage sur sa
signification ? Tu t’es mise à l’écriture poétique relativement tard
dans ta vie. On aurait envie de dire que tu l’as fait pour matérialiser, et
libérer, cet élan vers l’autre qui est en toi. Qu’en est-il exactement ?
Comment es-tu venue à l’écriture ? Pourquoi écris-tu, au fond ? Comment j’en suis venue à l’écriture ?
Je,
et sans prétention aucune, portais en moi la poésie qui se révélait de façon
très inattendue par exemple à l’occasion des magnifiques teintes du couchant
que je souhaitais faire admirer à mes collègues présentes, alors que je les
entraînais vers les baies vitrées et la somptueuse vue sur la ville de
Montpellier, la promenade du Peyrou et la cathédrale, ce qui leur faisait
déclarer : « Marie, elle est poète ! » Ceci et quelques timides tentatives qui échouèrent
sur la grève du temps. Puis survint un sentiment amoureux qui me submergea,
un de ceux, tellement inattendu, qu’il bouleversa mon existence. Ce ‘grand chambardement’ m’immobilisa à domicile et
dans la solitude de ma maison je commençai à dessiner au crayon le portrait
de la personne qui m’avait tant émue, puis le trouvant suffisamment
ressemblant, je me mis à tracer les qualificatifs qui encadrèrent son visage. Prenant un peu de recul, je réalisai alors que les
mots espiègles me tendaient un poème… Sidérée par l’aventure, je décidai de vérifier et
du crayon jaillit la poésie, au début une poésie très conventionnelle telle
que celle que l’on étudiait à l’école, puis les mots prirent leur envol et
réclamèrent leur liberté ! Ceci, c’était il y a une vingtaine d’années, depuis
les mots et le poème m’accompagnent où que j’aille… « Mon carnet étoilé, tu es encore noué aux lacets
de mes souliers, partout où je vais, TU ES ! » Sur la question de savoir pourquoi j’écris de
la poésie, c’est l’art dont j’ai découvert que je pouvais en modeler la
matière, cela aurait pu prendre la forme de la peinture ou du graphisme, ou
d’une autre forme d’expression artistique, mais c’est sous forme de poésie
que je suis parvenue à exprimer ce qui était de tout temps muselé, retenu à
l’intérieur. Cela a été d’abord une libération, puis la
chrysalide s’est épanouie et a donné naissance au plus beau des papillons,
encore à ma grande surprise … « Papillon des jours d’automne »
est le titre de mon précédent recueil de poèmes. Maintenant que j’ai apprivoisé la poésie, cette
compagne ; j’écris pour remercier l’autre de ce qu’il est, celui
rencontré lors de mes voyages, celui ou celle qui m’offre son amitié, un
regard de tendresse, des paroles d’encouragement, cet amour se tourne très
souvent avec gratitude du côté du paysage et de la nature environnante dont
je ne me lasse pas de la générosité. « Merci belle nature/ Tu nous portes en ton
sein/ Comme le chant de l’été/ Souple Altruiste/ ALLEGRESSE » De plus, j’aime le partage instauré avec l’autre et
le dialogue qui découle de la rencontre. Concernant ce titre : « L’Or du Gingko
Biloba », il faut savoir que le Gingko Biloba est un arbre somptueux,
dont la résilience est unique, qui étoile de sa splendeur plusieurs parcs de
la ville de Montpellier, dont la couleur des feuilles se met à rutiler sous
la caresse de l’automne. Ce titre évoque le poème éponyme qui clôt le
recueil, cet ‘Or’ m’a donné la clé qui m’a permis d’en agencer la trame et de
tresser l’Or de la rencontre avec l’Or du regard, puis feu d’artifice ultime
à l’Or du Ginkgo Biloba, qui renoue avec la richesse du sentiment. Tu
t’intéresses depuis de nombreuses années à la poésie persane. Il y a quelques
jours, dans le cadre de « L’écho littéraire au jardin », un
festival annuel de poésie porté à Balaruc-les-Bains par l’association
« Voix de l’extrême – Poésie et Culture », tu assurais la
traduction française d’une lecture en persan de poèmes d’auteur(e)s iranien
et afghan. D’où te vient ton intérêt pour cette poésie ? La poésie est
réputée être très présente dans le quotidien des iraniens, une poésie donc du
partage et de l’ouverture au monde, dont l’esprit semble proche de celui qui
anime ta propre poésie. Y a-t-il une filiation ? Ta sensibilité poétique
doit-elle quelque chose à la lecture des poètes persans ? Dit autrement,
cette proximité est-elle pour toi source d’inspiration ? C’est presqu’une histoire ancienne, tout du moins
une culture avec laquelle j’ai grandi depuis la rencontre lorsque
j’avais vingt ans, avec celui qui est devenu le père de mes enfants. Étant éprise d’un afghan, je me suis tout
naturellement tournée vers cette culture persane et aussi vers l’histoire qui
se déployait dans cette partie du monde. J’ai ainsi fait connaissance avec
l’esprit des films de Satyajit Ray et la sitar de Ravi Shankar. La belle
famille était passionnée de culture, par la poésie de Hafez, entre autres.
Les soirées étaient accompagnées par le chant, le jeu du tabla et de
l’harmonium et aussi par l’univers des miniatures persanes et les quatrains
d’Omar Khayyâm dont l’esprit continue à m’enthousiasmer. J’ai eu l’occasion de me rendre en Afghanistan dans
lequel régnait encore la paix, en 1977. Pendant ce voyage, j’ai consolidé mon
désir de parler la langue et par la suite pris des cours à l’université à
Lyon avec d’autres françaises qui étaient en couple avec des afghans. Lors de
mon voyage, j’ai visité la ville de Balkh, ‘Mère d’entre les villes’ et j’ai
eu la chance de faire une halte poétique dans le jardin dans lequel repose
Rabia e Balkhi, la plus ancienne poétesse, dit-on, écrivant en persan qui vivait
au 10e siècle et dont la renommée est parvenue jusqu’à nous. Rabia e Balkhi- extrait- 2005 … « Ces mots tracés avec mon sang Où mon amour se heurte à la raison, S’y trouve scellé en prison Décrivent l’essentiel de mon présent ! » … L’attachement que j’ai nourri envers le peuple
d’Afghanistan et sa dramatique histoire contemporaine a nourri certaines de
mes lignes : Les
sentes de l’exil- 2014- extrait … Dans
l’arrière souvenir d’un passé prestigieux De
conquérants glorieux D’un
peuple de fontaines, de roses et de rossignols De
rossignols et de sages Passé,
de loin tu nous es revenu, Sur
les mélodies du tabla, de l’harmonium et des chants Mais,
la musique interdite, restent les pierres pour lapider Les
pierres sur les sentes de l’exil Mon
douloureux pays, un jour je te reviendrai Je
viendrai dans ma terre gésir Tout
près d’Hadji Amir Je
reviens, me voici … … Cette poésie, cette culture ainsi que l’univers des
miniatures persanes naviguent dans mes paysages poétiques, c’est un univers
qui s’exprime en filigrane du poème et qui parfois jaillit au détour
d’une émotion, ainsi : Vois comme la lumière est belle - 2011- Tu
me dis : « Ton jardin est un jardin persan Regarde,
Rumi est assis sur ton banc A
légèrement dénoué son turban, Tu
peux fermer doucement les paupières, L’entendras
te réciter des vers. Là-bas
une volière, à l’orée de la clairière Des
pics épeiches, des ramiers Dessinent
des trajets chaloupés Se
perchent au-dessus de la volière S’en
font comme un perchoir, Picorent
dans la mangeoire ! Et
tous ces rosiers qui respirent la douceur de l’air Un
trajet de gravier, des petits pas japonais Et
juste une tonnelle abritée sous le chêne, Des
invités qui lisent des poèmes, Vois,
comme la lumière est belle ! » Effectivement, maintenant que tu l’explicites, on
sent bien cette interpénétration de l’esprit de la poésie persane et de ta
sensibilité poétique. Je crois comprendre, à la lecture de la première partie
de « L’Or du Ginkgo Biloba » (« L’or de la rencontre »)
que tu as séjourné au Sénégal. Tu évoques d’ailleurs, à propos de ton
recueil, « un chant qui tend des ponts au-dessus de la Méditerranée et
d’ailleurs, là où le paysage et l’amitié entre les peuples ne connaissent pas
de frontières ». Cela n’est probablement pas un hasard si ton dernier
livre est édité par Marcel Camill’, un poète congolais qui a connu toutes les
difficultés de l’intégration en France, et qui se montre très actif dans la
transmission de la poésie sur Montpellier. Peux-tu nous en dire plus sur ton
voyage africain, ses motivations, le possible lien avec ton engagement
en poésie ? La poésie comme acte de résistance ? Le voyage africain et la poésie acte de résistance… Même si cela ne transparaît pas de prime abord,
j’ai des liens avec ce territoire africain. Une maman née à Relizane en 1927, on la retrouve
dans le poème …Là-bas… Algérie où j’ai assisté au mariage de ma tante lorsque
j’avais 5 ans…un peu loin, n’est-ce pas ! Un grand-oncle qui a travaillé à Tombouctou et dans
d’autres villes africaines dont l’évocation a bercé mon enfance. Puis il a fallu attendre 2020 pour que je renoue
avec mon histoire africaine par l’intermédiaire d’un voyage au Sénégal et un
peu plus tard encore, fin 2022 pour que je retrouve la terre d’Afrique du
Nord avec un voyage en Tunisie. Lors de ces deux voyages, j’ai été émerveillée par
la gentillesse des hôtes et par leur fierté à partager, faire découvrir leur
patrimoine. En Tunisie alors que j’étais seule, toutes et tous,
dont des adolescentes, m’ont prise sous leur protection affectueuse, j’en
garde des souvenirs éblouis… tant de générosité ! Au Sénégal, là aussi, même constat, un accueil
fabuleux et des paroles d’amitié qui nourrissent le chemin. J’en étais
stupéfaite, une terre colonisée, meurtrie par les trafics de l’esclavage -
1 500 000 africains partis avec des armateurs français de Nantes,
Bordeaux etc. Et m’entendre dire : « Les français, on vous aime,
vous êtes un peuple frère ! » De plus je me sens redevable à cette terre
africaine, en particulier, je pense aux tirailleurs sénégalais qui ont
défendu la France avec tant de courage et pour ceux repartis, reçus par la
puissance coloniale - la France - avec une ingratitude sans pareille - voir
le massacre de Thiaroye -. Que dire de plus, la colonisation est
officiellement terminée mais comment agissons-nous là-bas ? J’ai grand honte… J’ai fait la connaissance au
Sénégal avec celui, devenu ami, avec qui je corresponds sur Internet, il
interagit à chacun de mes envois avec enthousiasme, un sérère du désert de
Lompoul ; il travaillait comme boulanger dans un écolodge, de plus il a
eu le courage d’installer à proximité sa concession agricole et cultivait une
terre courageusement arrachée au désert avec les moyens qui étaient les
siens ; alors pourquoi utiliser l’imparfait ? Il se trouve que les habitants de cette contrée ont
été expropriés pour installer… par une entreprise française… une exploitation
du zirconium…. L’impuissance à empêcher cela, me fait hurler de rage ! Et qu’en est-il du reste de l’Afrique ? Les
dérives de la ‘fast fashion’ dont les invendus échouent et constituent des
tumulus de vêtements abandonnés, sur lesquels broutent des vaches, ou rejetés
par le jusant venant lécher les côtes africaines. Des territoires confisqués par les exploitations
minières au Congo ou ailleurs, tout cela pour en extraire les minéraux rares
qui composent nos téléphones portables, nos batteries, nos télévisions ! Différentes situations qui mènent à la colère,
l’alimentation du trafic d’armes et la guerre ! Alors, qu’on ne vienne pas me dire que nous ne
sommes pas responsables… Danse
du taureau – extrait - La mémoire du pré - M’écrie : «
Qui est ce taureau ? » Afrique,
mon Afrique disait David Diop, Est-ce
le taureau de l’Afrique ? Afrique
des derniers Massaïs, De leur
altière course dans le désert ? L’Afrique
du Wolof, L’Afrique
des famines, de l’exode, Celle
des sanglants conflits, L’Afrique
des massacres, De
l’apartheid, de l’enfant errant, Township
de poussière pour pieds nus. Afrique
du Sida, Afrique
de l’orphelin ! ... Les poèmes qui ont été publiés dans L’or du
Ginkgo-Biloba rendent hommage au courage de l’Afrique et expriment ma
gratitude, en particulier dans le poème qui ouvre le recueil ‘Éphémère est
la rencontre…’ Lorsque mes amies de voyage m’ont réclamé un poème
autour du Sénégal, il se trouve que c’était l’année où le thème du Printemps
de Poètes était Courage, il m’est apparu comme une évidence qu’au travers du
courage, je souhaitais honorer celles et ceux qui en font tant preuve pour se
maintenir en vie ! L’engagement ? La poésie se doit de dire
l’indicible… Merci Marie-Agnès pour ces explications si essentielles
pour mieux comprendre ta démarche et ton univers poétique. J’en viens à
l’émission radiophonique de poésie « Jardin d’Isis » que tu
réalises sur Radio FM-plus 91 FM à Montpellier depuis 2006, à raison de
typiquement deux émissions d’une heure par mois. Les podcasts en sont
accessibles sur le lien : https://www.radiofmplus.org/?s=jardin+d%27isis. Tu as obtenu en 2013 pour cette émission le prix
de l’émission radiophonique attribué par la Société des Poètes Français.
Peux-tu nous en dire plus sur la genèse de la mise en place de cette
émission, sur tes motivations, sur les objectifs poursuivis ?
J’ajouterai, pour dresser un tableau complet de ton activité de passeuse de
poésie, que tu es membre de l’équipe d’animation du festival « L’écho
littéraire au jardin » que j’ai déjà évoqué. Transmettre la poésie, un
bien bel engagement dans ce monde troublé ! Comment définirais-tu en
quelques mots le rôle que tu assignes à la poésie dans la résistance à la
violence de l’époque, si tant est qu’elle puisse jouer le moindre rôle ? À propos de la genèse du Jardin d’Isis, j’ai eu la
chance d’être présentée au directeur de radiofmplus par un ami qui croyait en
mes capacités poétiques. Une émission d’une demi-heure par mois m’a été
proposée, j’ai accepté avec beaucoup d’enthousiasme mêlé de crainte, car je
naviguais dans des eaux inconnues ! Ceci, c’était en novembre 2006, j’ai commencé par
explorer les thèmes poétiques, puis j’ai entrepris de voyager à la recherche
des poètes au travers des pays et des différents continents et c’est en
décembre 2012 que je me suis acheminée vers la forme actuelle de mes
émissions, à savoir l’invitation de poètes en studio afin qu’ils présentent
leur poésie et défendent leurs engagements dans le monde associatif
principalement. Mes deux premiers invités d’ailleurs ne sont plus, ce qui
entre autres, est une motivation pour moi à persévérer dans cette voie :
la voix, témoignage vivant, reste ! Il m’est de plus en plus apparu évident, qu’ayant
reçu cette immense chance de pouvoir créer une émission et diffuser sur les
ondes de la poésie, je me devais de partager ce privilège avec les poètes
rencontrés sur ma route dont la lumière de la poésie transfusait jusque dans
leur comportement. Depuis je n’ai qu’à m’en féliciter : que de
belle poésie partagée, d’histoires d’amitié qui se tissent, de retours emplis
de gratitude et pour moi, l’occasion de puiser de nouvelles forces de vie au
travers des différents témoignages d’amitié. J’ai aussi le privilège de découvrir l’univers
poétique de mes hôtes, souvent, je repars de l’enregistrement transportée par
l’aventure radiophonique ! On perçoit combien je me nourris également de
l’aventure ! Je construis au préalable solidement l’entretien,
ceci reconnu spontanément par mes invités. Un des témoignages des plus touchants, fut lorsque
je reçus une poète performeuse et danseuse passionnée à ce point par
l’aventure qu’elle y consacre toute son énergie professionnelle, je remarque
qu’elle n’est pas la seule à avoir abandonné la sécurité d’un emploi pour se
réorienter exclusivement vers la transmission du poème. Alors qu’elle me demandait quelle profession
j’exerçais et que je lui répondais que j’avais été infirmière pendant toute
ma carrière professionnelle, elle me rétorqua très spontanément : « Mais au travers de ce que tu fais actuellement,
tu continues de soigner ! » Un ami musicien poète, m’a lui aussi attribué le
qualificatif de « Guérisseuse d’âme ». Juste un mot autour de Jardin d’Isis et
pourquoi ? Tout simplement car Isis, en plus d’être un symbole de la
féminité, est une guérisseuse, elle a recousu le corps de son mari ; il
y a aussi la passion du jardin qui est un domaine que je chéris, source
d’inspiration poétique ! Un autre ami ne tarissait pas d’éloges autour de
mon accueil et poursuivit par « Mais qui recevra à son tour
Marie-Agnès ? » Je crois bien que c’est chose faite, un grand merci
à Eric Chassefière et Catherine Bruneau pour cette interview à paraître dans
la revue Francopolis ! La poésie, une résistante ? Mais bien entendu,
chère poésie, que tu es résistance, tu es courroie de transmission, tu
touches les esprits et les âmes, tu es vecteur de tolérance et d’amitié entre
les peuples, avec la culture, un des derniers rouages qu’il nous reste pour
lutter contre les égoïsmes, l’obscurantisme, l’extinction de la pensée et la
barbarie. De plus tu déploies ta tendresse sur l’humain afin de le protéger
de la désespérance et de l’oubli de l’histoire, tu lui conserves cette
lucarne ouverte sur l’avenir qui se nomme espoir ; partagée, diffusée
auprès des générations montantes, tu es celle qui peut offrir de lumineux
destins en devenir ! Quand Federico Garcia Lorca voue sa tendresse aux
peuples des opprimés, quand il loue l’amour pour un ami disparu – Âme absente –, il fait plus qu’écrire
un poème, il engage sa voix, sa vie… et il meurt sous les coups d’une milice
assassine ! Au travers de sa poésie et de son théâtre, il lègue aux
générations futures un témoignage puissant et une ouverture d’esprit qu’il
pérennise. Et puis, quand bien même ne s’agirait-il que de
graines lancées au vent, ne déclare-t-on pas que l’océan est composé de
gouttes d’eau, alors, continuons à semer et irriguer la pensée avec les
messages humanistes portés par la poésie ! … Mais, qu’avons-nous fait de nos
vies ? À cultiver nos égoïsmes ! À nier l’oublié sous sa porte
cochère ! Lutter contre la géhenne, La bête atroce, Cesser de se réfugier derrière des
mégalos, De déclarations grandiloquentes, Cueillir une poussée d’altruisme Pour la mener vers l’autre, Déjà un pas vers l’espoir ! Si l’espoir n’est plus, Alors… toutes les dérives sont
possibles ! La mémoire
du pré - extrait Merci Marie-Agnès de nous avoir fait ainsi partager
ta passion pour la poésie, dont on sent à quel point elle représente pour toi
l’engagement de toute une vie. Cette fonction de résistance que tu assignes à
la poésie, elle en est je crois le principal ferment dans cette époque de
régression généralisée des valeurs d’humanisme et de culture, régression
qu’il nous faut combattre par tous les moyens. Tu as mentionné Garcia Lorca
comme un modèle d’engagement en poésie. Peux-tu nous citer quelques autres poètes,
poètes résistants, poètes d’ouverture, poètes semeurs de graines, qui t’ont
inspirée tout au long de ton parcours d’écriture ? Difficile
de citer un plutôt que l’autre tellement j’aime de poètes, mais je vais
essayer de répondre, en respectant la parité, parce qu’il y a Lui mais il y a
Elle aussi ! D’abord
comment ne pas citer Jacques Prévert qui écrit des poésies étudiées par les
enfants à l’école tout comme Maurice Carême et bien d’autres qui sont semeurs
de poésie pour nos petites têtes blondes ou brunes. Le recueil Paroles
est, il me semble, le livre de poèmes le plus vendu en France. Bien
entendu, notre ami Prévert est un poète d’engagement, il dénonce à tour de
bras la bêtise et la violence… « Notre père qui êtes aux cieux/
Restez-y/ Et nous nous resterons sur la terre/ Qui est parfois si
jolie…. » (Pater noster) - « Les gens ne viennent pas au concert/Pour
entendre hurler à la mort/ Et cette chanson de la fourrière/ Nous a causé le
plus grand tort ! » (Le concert n’a pas été réussi – Paroles). Marie
Noël, poète de l’amour et de la douleur, nous a offert de si touchants poèmes
– « Quand il est entré dans mon logis clos, j’ourlais un drap lourd près
de la fenêtre… » (Chanson) – Lorsqu’on
me parle de poètes que je chéris particulièrement, me viennent d’emblée les
noms d’Hélène et René Guy Cadou, un sacré tandem ! Poètes engagés tous
les deux, lui consacre un chapitre d’écriture aux fusillés de Chateaubriant
et il excelle dans la voie des poèmes d’amour écrits pour Hélène.
Réciproquement Hélène écrit aussi l’amour pour son mari disparu très jeune en
1951 alors qu’elle vivra jusqu’en 2014. Pendant toutes ces décennies, elle
n’aura de cesse de sauver la poésie de René Guy de l’oubli, elle y consacrera
la majeure partie de son énergie, quitte à reléguer sa poésie de côté, elle
est aussi l’auteure d’une grande œuvre poétique. Je vous l’avais dit, c’est
une superbe histoire d’amour ! Ensuite
les poètes que je porte le plus en mon cœur sont en partie ceux dont je
retrouve une correspondance avec ma trajectoire de vie. Guillaume
Apollinaire, merveilleux poète de l’amour dédié à Lou. Il élève son chant
d’amour par-dessus les tranchées - Si je mourais là-bas. J’associe
Apollinaire au souvenir de mon grand-père ayant combattu dans les tranchées,
Apollinaire parle de Baratier et j’ai aussi des attaches avec Baratier qui
n’est peut-être pas celui d’Apollinaire… Ensuite je suis née un 9 novembre et
Apollinaire décède un 9 novembre, voilà pour les coïncidences ! Je porte
en affection Marceline Desbordes-Valmore car elle vécut à Lyon, ville qui m’a
accueillie pendant 25 ans et c’était durant mes années jeunesse, celles qui
marquent de leur empreinte toute une existence. Son engagement était profond,
lorsqu’elle écrivit au moment de la deuxième révolte des canuts en 1834 et de
sa répression - « Nous n’avons plus d’argent pour enterrer nos
morts » - Dans la rue -, hurle-t-elle ! Mes
parents qui ont de nombreuses racines en Haute-Marne m’ont fait connaître
Bernard Dimey et je les remercie d’avoir mis entre mes mains un recueil de
l’auteur d’une si belle poésie. Lui se bat aussi contre le regard de l’autre
et il proclame « Ivrogne et pourquoi pas… » Il a
trois amis et dit-il « Il est assez mal vu de nos jours par ici/ D’avoir
pour compagnons des gens qui sont sous terre ! » Une
autre haut-marnaise d’origine est la grande Louise Michel, une institutrice
et figure de la commune – 1871 – exilée pour cela en Nouvelle-Calédonie, où
elle continua à réclamer des lieux de détention parmi les plus rudes, par
solidarité avec ses compagnons de misère et où elle poursuivit sa tâche en
gravant dans le marbre les récits du peuple canaque issus de l’oralité ! Je
retrouve sur les chemins de ma vie, de plus en plus Robert Desnos, lui qui
s’engagea dans la résistance et mourut en déportation – 1945 –, sa poésie est
si belle, si tendre parfois.
« Jamais d’autre que toi ! » - Avec « J’ai tant rêvé de
toi », on touche les étoiles ! Des
poètes femmes dont la vie dans les camps s’est profondément incrustée sur la
trajectoire de leur vie il y en a beaucoup, je citerai la grande Anna
Akhmatova, punie dans sa chair alors qu’on n’ose pas s’en prendre à elle à
cause de sa popularité, mais que c’est son fils Lev qui sera déporté !
Son écriture crie la souffrance du peuple d’Union Soviétique sous l’époque
stalinienne. Joë
Bousquet qui vécut cloitré à Carcassonne dont on peut visiter la maison
transformée en musée, nous a offert de merveilleux poèmes et si je devais
trouver une femme poète qui lui réponde, je citerais peut-être Emily
Dickinson, elle qui refusait de rencontrer quiconque pendant les dernières
années de sa vie. Je
voudrais parler de Jean Joubert, il nous a offert de sublimes poèmes autour
de la région et d’ailleurs, il regarde souvent en arrière vers le pays de son
enfance - Le Loiret -. Il témoigne, je retiens son oncle sabotier et
anarchiste et d’autres personnages familiaux qui ont contribué à forger sa
richesse d’écriture. Albertine
Sarrazin, elle aussi chère au cœur des montpelliérains et qui partit si vite
– 1967 – suite à une erreur médicale, elle raconte sa vie tourmentée, ses
années de prison et son amour pour Julien. Boris
Vian, dont je chante « La rue traversière » avec mes petits-enfants
et qui jubilent lorsqu’on en arrive à « Un’ grand-mère /Qui montrait son
derrière/ Pour deux cent trente-cinq francs… ». Son engagement n’est
plus à discuter « S’il pleuvait des larmes ». Je
terminerai par Andrée Chedid dont les poèmes sont traversés d’humanisme, elle
s’est attachée à décrire la guerre du Liban et elle est attentive à la
question de la condition de la femme. Sa poésie me touche particulièrement. Je
témoigne aussi mon attachement envers les autres poètes, ceux que je n’ai pas
cités, eux aussi sont pléthore… Je les remercie de m’avoir offert une si
belle poésie à découvrir et d’avoir ouvert mon esprit à tant de beauté, ma
poésie en est tout irisée ! (*) CHOIX
DE TEXTES Caresse
du temps sur les jours perdus Fin
d’automne Veux-tu que je t’emmène, Niché dans l’angle de mes paupières On ira voir la mer ? Il y a bien assez de lumière en mes yeux Pour qu’on l’admire à deux ! Nous
dépasserons les cabanes de Pérols Longerons
le biotope du Grec Havre
étale pour les flamants Étirent
leurs longues pattes nonchalantes Plongent
leur bec gourmand Taches
roses dispersées sur l’étang Nous arriverons à l’abri de la digue Nous bercerons du roulis des vagues Nous enivrerons de ce parfum d’iode Et de cette brume qui s’effondre Les silhouettes sous le brouillard s’érodent Verrons la mer et le ciel au loin se confondre Contemplerons
la fureur des flots Grondement
répercuté par l’écho Et
les nuages qui sombrent sur l’horizon De
cette fin de saison Novembre
s’évanouit Et
Décembre s’enhardit La
houle proteste contre le vent d’Afrique Charrie
un air tiède Vient
heurter aux portes de l’Europe Les rares promeneurs s’emmitouflent Vont pressés rejoindre leurs foyers Tournent leur visage de biais Pour se protéger du vent qui décoiffe Du sable qui s’engouffre. Les pêcheurs plient bagage Trop de houle dommage ! N’est
plus que nous à faire crisser le sable Là,
sous nos semelles Et
nous tenir l’un contre l’autre Arrimés
face à la mer Nous
fondre dans l’éther Admirer
l’écume Jaune
de ses larmes Écouter
les lames Là,
qui déferlent Trouver
la chaleur en nos cœurs Refréner
nos soupirs Et
parfois moqueurs Égrener
nos silences de nos rires ! Sur la solitude de la lagune Notes envolées Envole,
envole des notes de piano Sur
la nébuleuse de la solitude, Fais
jaillir des arabesques, des trilles Des
sarabandes de joyeux drilles, Notes
étreintes sur le clavier Ou
libérées par son tablier Qui
résonnent de teintes aiguës De
tonalités graves ou grêles, Des
accords écrasés, Des
arpèges déroulés, Des
silences embarrassés, Devant
des partitions compliquées Qui
s‘échappent par les fenêtres, Trottinent
vers l’éther. Des
notes pour la pluie, Des
notes pour l’ennui, Des
notes pour un peu de gaieté, Dans
un intervalle de vacuité Au
sein des espaces feuilletés Dans
la torpeur de l’été. Une
écorchée mélodie, Je
pianote pour la pluie, Je
pianote pour l’ennui, Laissez-moi
rêver la vie ! Paris en
bouteille Tu
me demandes comment je fais pour écrire Mais
écrire c’est un peu partir Partir
à la recherche de l’autre, de ses combats, de ses peines Partir
vers de nouveaux horizons Ceux
que l’on a visités mais aussi ceux qu’on ne verra jamais Et
partir dans ses rêves, vers son imaginaire, vers ses chers disparus Feuilleter
une à une toutes les pages de sa vie Des
intimes paysages jusqu’aux plus fougueuses dérives Prendre
le large avec Nerval, nager dans la grotte où se prélassent les sirènes Avec
Verlaine percevoir les longs échos des voix chères qui se sont tues Avec
Victor venir sur sa tombe poser un bouquet de houx vert et de bruyères en
fleurs Et
rejoindre Albert Camus sur les pentes abruptes de Tipaza Partir
à la recherche de soi, de ses intimes convictions Fixer
l’imaginaire, comme Musset retenir la pensée « Sur
un bel axe d’or la tenir balancée » Se
retrouver un peu en l’autre aussi Celui
qui vit en Asie en Papouasie ou en Nouvelle-Guinée Vibrer
sur tous les carnavals du monde Se
déguiser adopter des teintes enchantées Et
revêtir des masques Se
trémousser sur des cadences chaloupées Être
dans son petit coin et naviguer bord sur bord Embarquer
dans un fier galion Retrouver
l’Amérique celle de Christophe Colomb Ses
dangereux récifs et la Marie-Galante Se
repérer au sextant, chercher l’étoile polaire Mettre
le cap là où l’on n’ira jamais Mais
peut-être mieux le voir que si l’on y était Croquer
les images en rêve, mettre Paris en bouteille Et
rire aussi sur ce que l’on a écrit, Ouvrir
les portes de la fantaisie, c’est cela aussi ! Le
coquelicot et la tourbe Les sentes de l’exil A Sédiqa retournée reposer dans le cimetière de Kaboul Combien
de kilomètres Pour
trouver un havre de paix Pour
laisser les chagrins de la guerre Dans
les ruines du passé ? Pour
endormir les tirs en rafale Pour
atténuer le souffle de la bombe Pour
mettre en repos la peur Ne
plus raser les murs de cette ville meurtrie ? Tu
pris tes enfants d’une main sûre Et
les guidas vers l’ailleurs d’un autre monde Où
n’est plus la terreur des balles N’appréhender
plus les contrôles Et
retrouver la sérénité des jours Mais
des nuits pleines de fantômes Des
lambeaux de cœur sont restés De
tous ces cauchemars traversés Des
aimés dans le cimetière de l’oubli Les
dunes des tombes sur la colline Sous
l‘éclatante lumière de l’Hindou Kouch Les
mines qui pulvérisent le chemin Les
contrôles des armes en bandoulière Et
l’esprit en terreur au turban qui t’interroge Surtout,
ne pas ciller Oui,
l’époux est à la maison Alors
qu’il repose sous la dune Car
être veuve est un poison Sur
ce sol de cailloux de pierre et de poussière Des
pierres pour lapider dans la honte du péché Tristesse
sur les murs de la ville Tristesse
sous l’ombre des toits en terrasse Face
à la menace de l’arme au flanc Dissimuler
le tremblement, camoufler la fuite Y’a
trop de deuils dans les foyers Juste
la peur à traîner le long des fossés Marre
de cette peur qui colle comme un suaire Marre
de ces abeilles qui font éclater les vitres Marre
de ces transports qui explosent Des
lambeaux de chair pour enterrer nos morts Un
pays à la terreur advenue L’enfance
assassinée, vendue La
culture reniée, interdite Ne
fait fleurir que les ruines Pauvre
pays meurtri Par
trente années de conflits Écartelé
par les grandes puissances Sur
une môle de guerre froide Sur
l’esclavage des trafics Sur
les profits de l’opium ! Et
celui qui parade Tout
ce sang sur ses mains «
Où va-t-il tout ce sang ? », demandait Prévert Il
coule dans le ruisseau de la misère Il
ruisselle de la vente des enfants Il
gronde sous les bombes C’est
le sang de la colère Le
sang de la misère sur la terre Le
sang de l’innocence ! Tu
fuis, ne veux plus le sentir tout ce sang Mais
il colle son odeur suave contre ton épaule Il
n’en finit plus de murmurer ses plaintes D’exhaler,
de hurler ses douleurs Le
sang de la vierge vendue Le
sang du mutilé, du condamné Ce
n’est plus le sang du bonheur C’est
celui du viol en punition Pour
expier quelle faute ? Peut-être
juste parce que tu existes Pour
éteindre ce qui vit ! Se
peut-il que la douleur s’estompe ? Se
peut-il que l’on oublie ? Des
lambeaux de ton cœur sont restés Un
cœur scindé, fracturé, éclaté Comment
rassembler les lambeaux de ton cœur ? Nous
étions un peuple fier Qu’est
devenu cet orgueil ? Dans
la gueule des canons ? Sous
les bâches des camions ? Tu
suis la pente sous le tremblement de l’étoile Bien
dissimulée sous le voile Dans
le suaire de cette nuit sans lune Te
profiles telle une ombre Écorches
tes pieds sur ce sol de pierre à fusils Cessez
de nous inonder de vos armes Nous,
n’avons plus de larmes Nos
yeux délavés d’avoir tant pleuré Nos
jeunes ne connaissent plus ce qu’est la paix Le
feu de ces armes, vous n’en vouliez plus Vous
avez exporté vos guerres Votre
guerre froide sur nos lits de tulipes Et
nous prompt au feu, nous sommes saisis des fusils Nous
les avons faits nôtres Et
ce sont nos enfants qui saignent Nos
toiles de Kuchis dispersées sur vent d’exil Viennent
grossir les bidonvilles S’agrippent
aux pentes de la ville Le
bois a déserté les collines Des
enfants portefaix de plus en plus chargés Dans
l’arrière souvenir d’un passé prestigieux De
conquérants glorieux D’un
peuple de fontaines, de roses et de rossignols De
rossignols et de sages Passé,
de loin tu nous es revenu, Sur
les mélodies du tabla, de l’harmonium et des chants Mais,
la musique interdite, restent les pierres pour lapider Les
pierres sur les sentes de l’exil Mon
douloureux pays, un jour je te reviendrai Je
viendrai dans ma terre gésir Tout
près d’Hadji Amir Je
reviens, me voici … Rabia e Balkhi « Ces
mots tracés avec mon sang Où mon amour
se heurte à la raison, S’y
trouve scellé en prison Décrivent
l’essentiel de mon présent ! » C’était
une poétesse, Afghane
de noblesse, S’appelait
Rabia e Balkhi, Vivait
il y a longtemps d’aujourd’hui ! En cette
ville de Balkh Mère
d’entre les villes, Dans ce
pays de légende Où la
violence pourfend. Où même
lorsque je fus, Ne
restait plus que le vent À
chuchoter les tourments, S’égarer
dans les rues Et
heurter les ruines De cette
antique cité, Violent
se précipiter Contre les
murailles que le temps abîme. Fut
enfermée dans un caveau Cette
jeune femme d’amour éprise, Emmurée
dans un tombeau La
liberté on lui ravit. Et
jusqu’à son dernier jour À moins
qu’elle renonce à son amour, De cette
façon on la punit. Lorsque
dans sa geôle on descendit Alors
que sa vie était partie, Sur les
murs de sa prison on découvrit Des
poèmes d’amour tracés, Encre de
son sang puisée À l’aide
d’une plume dans son poignet. Au-
dessus de sa tombe Se
dresse un mausolée De
mosaïque bleutée Au creux
d’un jardin ombragé. On
trouve un peu de fraîcheur, Une
indicible douceur, En ce
pays où le soleil est cruel, Où les
hommes réputés tels, Des
êtres fiers et rebelles, Où les
femmes sont enfermées, Derrière
les murs dissimulés. Il exprime
ce mausolée, Des
hommes le regret Et rend
un hommage Posthume
à son courage. Balkh est une ville du nord
de l’Afghanistan, proche de Mazar-I-Sharif. L’histoire date du Xe
siècle. J’ai visité ces lieux en 1977, avais un souvenir approximatif de
l’histoire, l’ai relatée, telle qu’elle était restée dans ma mémoire, ce qui
fait que je suis loin des interprétations historiques. Les premiers vers sont
des paroles imaginées par moi! La
mémoire du pré La nature est poreuse
La métropole suffoque
Remugle
de pollution Encombrement
de cité Tristesse des roseaux Où
sont les genêts, L’appui
des crémaillères, La
volonté des dentellières ? Où
repose la mémoire du pré, L’ennui
du chêne Rabattu
par la froidure ? Écoute
la respiration de l’herbage, Son
manteau de nuée… Oui,
la nature est poreuse… Son
rêve est solitaire ! La ville frémit sous la lippe de la meute, De grands arbres couchés, Sous quelle lande soupirent mes désirs ? Une
vie à contre-sens, Brume
dans la gorge du mourant, Souffle
raccourci, adieu à l’Ami ! Souffrance
de paupières, Impuissance
à nommer, Échappée
de l’eau sur la terre nourricière, Lassitude
des taillis… Le
renard de l’éloignement A
déchiré mon tablier A
émietté mon sablier ! Deuil
des églantines, Des
ritournelles enfantines, Dans
la carence du feuillage, S’appauvrit
le nid. Le merle entonne une fleur de soupirs Au pied du mur gelé. Navette de mes pensées
Le
long de la vallée du Buech nomadisent quelques hérons Ces
hérons sont mes amis, j’aime à les retrouver Étirent
précieusement leurs longues pattes fines Le
long des sillons du blé d’hiver Ne
semblent pas pourchassés Intégrés
au paysage, témoins du passé Oui
Jean, « Que la montagne est belle ! » Comme
j’aime à m’y promener ! Chaque
mois le même trajet : Paysage
kaléidoscopique, gigantesque damier Conjugue
ses facettes avec facétie Besogne
de l’humain Qui
entretient, élague, débroussaille Constitue
pâtures et jachères, Préserve,
quelle chance ! Ici,
chacun œuvre à sa manière ! Encorbellement
rocheux, serres de l’aigle Marché
bariolé, aquarelle de village Rayonnante
de pépiements joyeux, Amitié
au croisé des chemins Ici
l’humain existe encore N’a
pas été assimilé dans la multitude. Une
foule hérisson lavande Dégringole
au pied d’un talus Une
fontaine gazouille sur le fronton Déclare
son amour à celui Écho
du torrent en contrebas ! Oui,
Fontaine, tu nous contes Rocs
contournés, les pleurs du pré L’ébauche
du pécheur au détour d’un méandre La
truite sous son rocher engourdie Le
brillant merle au bec effilé Poignard
citrin deviné sur le saule La
fornication du buis et ses trahisons Chênes
verts à l’appui de la rive Nous
entrons au pays de l’olive Une
armée de crayons de pierre Défie
le paysage « Oui
Fontaine, nous boirons de ton eau ! » Une
buse barbue juchée sur un panneau Premier
arbre en fleur, trois Janvier La
nature souffre de ses saisons Un
cyprès fougueux étalon du ciel Une
pie s’ennuie, rien à marauder ! Une
vasque bénitier appuyée dos au mur Anachronisme
d’une traction avant La
route entremêle les fils de mon inspiration Le
fil se casse, le fil reprend Le
lézard du temps fait la cabriole Le
renard des jours sur un fauteuil à bascule Les
replis du paysage s’aplanissent La
trame en est plus douce « Bonne
année », fredonne la navette Nomade
de mes pensées. Papillon
des jours d’automne Nitescence
d’un parterre Nitescence
d’un parterre jaune d’or piqueté de jambes fuselées sur la sensualité du pré
d’émeraude Constellation
d’éclats argentés chatoyant la robe de l’olivier chevelure éployée sur la
langueur Parcelles
de bonheur sous la caresse d’azur je ne crains plus les mensonges de l’âtre La
colline se délite les arbres sont étranglés la terre a ruisselé entraînée par
coulées Les
téguments de chêne vert en ombre chinoise s’agrippent à la pierraille N’est
pas certain que la ramure revive de pépiements La
parole des anciens qui portait les traditions de siècles révolus se soupire Tesselles
d’un puzzle aquatique Kaléidoscope
velouté Récolte
de marée Polissement
du ressac En
caresses successives Effleurement
régulier Matité
d’éclats arrondis Rendus
à leur état premier Tessons
devenus sable Là
où le plastique fait continent Mêlés
aux turritelles et cérites Aux
fragments de coquillage Quel
géant débonnaire A
semé le long des plages Ces
palets lumineux Le
pas se plaît à chahuter Le
verre aux reflets chamarrés Loin
des suaves breuvages Dont
il renflait les contours Il
retourne à l’aurore du monde Loin
des drames de notre siècle Trésors
de seaux et châteaux de sables Perles
jaspées de notre enfance Reliquat
de magma S’est
mis au diapason de l’algue Tesselles
d’un puzzle aquatique Un astre
blanchâtre La
pleine lune défie le ciel Pas
d’étoiles ce soir… Le pré
d’émeraude Ici,
tout près de Cluny Le
pré d’émeraude absorbe les méandres D’un
cours d’eau égratigné par quelques saules La
vigne vient griffer la colline En
stries longilignes La
vie en quête originelle Tranquillité
maternante de la Saône Écoute
de la mélodie du paysage J’ai
la nature en perfusion continue Refus
de fermer les yeux Recherche
de résilience. Papillon
des jours d’automne Empire
de la nuit, Papillon
des jours d’automne C’est
un dialogue, Un
miroir avec moi-même Qui
renvoie des poèmes L’oiseau
hagard des pensées Envol
de cigogne, Se
heurte aux parois de la boîte crânienne Bienvenue
au pourpre Aux
lueurs de l’aube Perception
infrarouge Étonnement
de la macula ! Bruissement
du foyer endormi Rumeur
du souffle polaire, Y
avait-il une trame ? Attente
de vergers Patience
de la vigne Tout ce
qui vit Bruisse et
raconte… L’Or
du Gingko Biloba Le
pèlerinage immobile C’était
un jour qui ressemblait à un crépuscule Sans
langues rougeoyantes sur l’horizon cendré D’une
grisaille sourde à éteindre toute lueur Le
vieil homme assis sous l’arbre à palabres Questionnait
le manguier et ses fruits attardés Saurait-il
rallumer les étoiles Dans
les regards de l’impatiente sève ? Saurait-il
renouer avec les antiques légendes, Le
murmure de l’harmattan frisant la mangrove, D’une
palanquée de proverbes, d’expressions rutilantes ? C’était
encore à cela qu’il songeait À
ces pirogues fatiguées vers un voyage sans retour Lors
que le disque lunaire étreignait le delta Greffait
de sardines argentées l’écorce des palétuviers, Des
germes d’espoir, saurait-il les dénicher, Rapprocher
la tourterelle et le merle rieur, Tisser
de fils d’or, la mélodie des retrouvailles ? La
complicité des étoiles éveillées Insufflait
une vigueur à ses mots ensommeillés, Il
entrevoyait cette silhouette dansant sur l’horizon des dunes Demain,
l’aubade de la kora envelopperait le wharf Les
cordes gazouillant la joie libérée dans les bras du fils! Flocons
de poèmes Et
voici soudain, qu’au détour d’un méandre jaillissent falaises délavées aux
vertèbres inclinées Les
chamailleries sur le cours de l’Eygues aux éclats d’un miroir argenté
d’écailles Les
flocons de poèmes portés par le pollen Le
gazouillis en accord avec le cours de l’onde Et
toutes ces perspectives chahutées Les
platanes tendent leurs moignons élagués aux nids de verdure, juchés sur
chaque jointure La
friable cheminée de fées, la tendre aubépine Ancrages
éphémères, impermanence d’une présence Le
fragile et fugace asile d’un ami, entre amour et amitié, incertitude d’une
frontière… La
frêle dentelle ruisselle sur l’épaule d’une sente Le
souffle du poème, brève sagaie lancée dans le noir de la mémoire Mon
carnet étoilé, tu es encore noué aux lacets de mes souliers Je
sens le bruissement de tes pensées, partout où je vais… TU ES ! L’Eygues (Aigues, Aygues) est une rivière que je
longe lorsque je vais dans à Gap, elle court entre les Hautes-Alpes, la Drôme
et le Vaucluse, elle prend sa source dans le massif des Baronnies et se jette
dans le Rhône. Le ruisselet
et le fleuve C'est un ruisselet qui
aspire à devenir rivière et le fleuve répond En un tendre murmure
assourdi qui sourd de derrière le paravent Le ruisselet gazouille
des trilles qui volètent sous le velours du rideau Des respirations de
questions Alors la voix puissante
du fleuve chuchote ses réponses en sourdine Elle répand en écho une
forêt d'explications Soulève le voile de la
fougère palmée, en révèle les graines dissimulées Le ruisselet demande et
le fleuve répond Le velouté de la voix
sème sur le dos du courant Dans le flux des
interrogations des pousses d'explication Et le ruisselet reprend
son tintement de cristal Et le fleuve déroule
patiemment ses galets Dénoue le kaléidoscope
du feu des pourquoi Prodigue repères et
conseils Au ruisselet tenté de
débordements Balise le cours le long
de la berge Canalise la colère
naissante Limite les embâcles et
les dangers en embuscade Ce fleuve en réponse aux
inquiétudes du ruisselet Rassemble ses bras de
tendresse autour du ruisselet Il limite son
impétuosité et le ramène dans le lit des rives d’argile Il favorise un dialogue
rassurant Un échange étoilé qui
bruisse sur les ailes de la confiance Marie-Agnès Salehzada, sur une inspiration au
réveil de la sieste d’un Noël 2023 en écoutant au travers de la cloison mon
petit fils qui questionnait et son père qui lui répondait. Être la musique de l’être Point de cécité pour celui qui voit, les yeux
ouverts, il sait ! Mais peut-il ignorer, d’une myopie souhaitée,
questionnement, butte contre l’obstacle et joie de dire adieu à l’erreur. Félicité d’une rencontre, jubilation d’un visage,
résurgence d’écriture, remontée des eaux de la confiance, retour
d’enthousiasme, oui… Croire ! Désir de naviguer vers demain tel liège sur la
vague, se laisser porter mais modérer les pulsations, jubilation prématurée. Les mailles du regard laissent entrevoir le mont
Ventoux et sa paume hivernale aux gants de neige affleurant le sommet, la
vigne et ses allées érigées, le bosquet au dépouillement de l’hiver, le
tertre rougi et le flux de la plaine. Ombrage et platane picoré de ramiers,
invitation à se réjouir des contrastes, nature meurtrie, lacérée, généreuse
se laisse surprendre, miroir de bonté. Vois, la prairie rieuse
respire ! Deux souffrances en miroir, éclatement du cœur, pas
de transfusion de l’une à l’autre, aucun baume, simple juxtaposition.
L’abeille ne tend plus vers la ruche, le cœur ne bourdonne plus. Entrevoir le
bonheur, le laisser repartir de façon itérative, être ru détourné qui oublie
l’inclinaison du vallon. Dans la trajectoire de la verte douleur, continent
dérouté dans sa migration, infortune des pôles. La guerre agrippant le
péricarde, elle est coûteuse l’addition, seule solution, la sédition
complète. Charrette de foin Débordant des ridelles Adieu du matin Bourgeons de pommier Surgeons vigoureux Promesse enfouir la peine Tricoter dans la pousse du regain, redonner trame
au destin, être la musique de l’être, en toute chose être, ne point se
dérober ! ©Marie-Agnès
Salehzada |
|
(*) Photographie
de Stéphane Gigant Marie-Agnès SALEHZADA, née en 1954,
a vécu une partie de sa vie en région lyonnaise, réside depuis 1993 à
Juvignac dans le département de l’Hérault. Auteure en poésie elle a publié
plusieurs recueils. Marie-Agnès Salehzada est une amoureuse de la nature,
elle se fond en elle… « L'idée première est un hommage à la nature, une
forme de gratitude. Autour de La mémoire du pré, elle
dit : « Le pré est synonyme de fertilité, de la persévérance
de la vie, de ses capacités de résilience, un humus porteur d'espoir, terreau
de toute vie. L'écriture se situe tel un questionnement face au monde, à son
évolution et aux problématiques actuelles ». « Je suis interpellée
par de nombreuses espèces animales et par toute la beauté du pays traversé.
Telle une âme contemplative, j'arrive à me fondre dans tableau et à intégrer
toute cette beauté. Il est important de souligner la notion de voyage qui
accompagne mes poèmes, il s'agit là d'un déplacement dans l'espace, dans le
temps et d'un voyage intérieur, support de l'émotion et de la création du
poème, c'est un paysage de rencontre avec l'autre mais aussi avec les
souvenirs. » Réalise depuis 2006, une émission de poésie Jardin d’Isis
«Déambulation poétique à la rencontre des
paysages de l’âme et de la vie dans le ressenti des Poètes du Monde »
et des interviews sur Radio FM+ 91fm à
Montpellier, l’émission est diffusée le jeudi à 13h15 et 19h15 diffusée sur
internet www.fmplus.org. on peut la retrouver sur les podcasts de
radiofmplus. Publications : Caresse
du temps sur les jours perdus - Editions ECTE 2007 Sur la
solitude de la lagune - L’écharpe d’Iris Editions 2013 Le
coquelicot et la tourbe - L’écharpe d’Iris Editions 2014 La
Mémoire du pré - L’écharpe d’Iris Editions 2019 Papillon
des jours d’automne - Ubik-Art éditions Juin 2022 L’Or du
Gingko Biloba - Editions Au mbongui Mars 2024 |
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Éric Chassefière |
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Créé
le 1er mars 2002