Le Salon de lecture Découverte
d'auteurs au hasard de nos rencontres |
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SALON DE LECTURE Été 2025 Marie-Agnès Salehzada « Être la musique de l’être » Entretien et poèmes (*) |
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ENTRETIEN (24
mai – 2 juin 2025) Marie-Agnès, ton dernier livre, intitulé
« L’or du Gingko Biloba » est un chant d’amour adressé à l’autre,
l’étranger comme le voisin, l’humain comme l’animal, le végétal comme le
minéral. Chaque poème y est une main tendue avec bienveillance vers le monde.
Tu écris ainsi dans le poème intitulé « Être la musique de
l’être » : « Félicité d’une rencontre / Ravissement d’un
visage / Résurgence d’écriture / Remontée des eaux de la confiance / retour
d’enthousiasme / Oui… CROIRE ». Beaucoup de mots-clés de ton univers
poétique dans ces quelques vers ! Et d’abord ce très beau titre :
« L’or du Gingko Biloba », peux-tu nous en dire davantage sur sa
signification ? Tu t’es mise à l’écriture poétique relativement tard
dans ta vie. On aurait envie de dire que tu l’as fait pour matérialiser, et
libérer, cet élan vers l’autre qui est en toi. Qu’en est-il exactement ?
Comment es-tu venue à l’écriture ? Pourquoi écris-tu, au fond ? Comment j’en suis venue à
l’écriture ? Je, et sans prétention aucune, portais
en moi la poésie qui se révélait de façon très inattendue par exemple à
l’occasion des magnifiques teintes du couchant que je souhaitais faire
admirer à mes collègues présentes, alors que je les entraînais vers les baies
vitrées et la somptueuse vue sur la ville de Montpellier, la promenade du
Peyrou et la cathédrale, ce qui leur faisait déclarer : « Marie, elle
est poète ! » Ceci et quelques timides tentatives qui
échouèrent sur la grève du temps. Puis survint un sentiment amoureux qui me
submergea, un de ceux, tellement inattendu, qu’il bouleversa mon existence. Ce ‘grand chambardement’ m’immobilisa à
domicile et dans la solitude de ma maison je commençai à dessiner au crayon
le portrait de la personne qui m’avait tant émue, puis le trouvant
suffisamment ressemblant, je me mis à tracer les qualificatifs qui encadrèrent
son visage. Prenant un peu de recul, je réalisai
alors que les mots espiègles me tendaient un poème… Sidérée par l’aventure, je décidai de
vérifier et du crayon jaillit la poésie, au début une poésie très
conventionnelle telle que celle que l’on étudiait à l’école, puis les mots
prirent leur envol et réclamèrent leur liberté ! Ceci, c’était il y a une vingtaine
d’années, depuis les mots et le poème m’accompagnent où que j’aille… « Mon carnet étoilé, tu es encore noué
aux lacets de mes souliers, partout où je vais, TU ES ! » Sur la question de savoir pourquoi
j’écris de la poésie, c’est l’art dont j’ai découvert que je pouvais en
modeler la matière, cela aurait pu prendre la forme de la peinture ou du
graphisme, ou d’une autre forme d’expression artistique, mais c’est sous
forme de poésie que je suis parvenue à exprimer ce qui était de tout temps
muselé, retenu à l’intérieur. Cela a été d’abord une libération, puis
la chrysalide s’est épanouie et a donné naissance au plus beau des papillons,
encore à ma grande surprise … « Papillon des jours d’automne »
est le titre de mon précédent recueil de poèmes. Maintenant que j’ai apprivoisé la
poésie, cette compagne ; j’écris pour remercier l’autre de ce qu’il est,
celui rencontré lors de mes voyages, celui ou celle qui m’offre son amitié,
un regard de tendresse, des paroles d’encouragement, cet amour se tourne très
souvent avec gratitude du côté du paysage et de la nature environnante dont
je ne me lasse pas de la générosité. « Merci belle nature/ Tu nous
portes en ton sein/ Comme le chant de l’été/ Souple Altruiste/
ALLEGRESSE » De plus, j’aime le partage instauré
avec l’autre et le dialogue qui découle de la rencontre. Concernant ce titre : « L’Or
du Gingko Biloba », il faut savoir que le Gingko Biloba est un arbre
somptueux, dont la résilience est unique, qui étoile de sa splendeur
plusieurs parcs de la ville de Montpellier, dont la couleur des feuilles se
met à rutiler sous la caresse de l’automne. Ce titre évoque le poème éponyme qui
clôt le recueil, cet ‘Or’ m’a donné la clé qui m’a permis d’en agencer la
trame et de tresser l’Or de la rencontre avec l’Or du regard, puis feu
d’artifice ultime à l’Or du Ginkgo Biloba, qui renoue avec la richesse du
sentiment. Tu t’intéresses depuis de nombreuses années à la poésie persane.
Il y a quelques jours, dans le cadre de « L’écho littéraire au
jardin », un festival annuel de poésie porté à Balaruc-les-Bains par
l’association « Voix de l’extrême – Poésie et Culture », tu
assurais la traduction française d’une lecture en persan de poèmes
d’auteur(e)s iranien et afghan. D’où te vient ton intérêt pour cette
poésie ? La poésie est réputée être très présente dans le quotidien des
iraniens, une poésie donc du partage et de l’ouverture au monde, dont
l’esprit semble proche de celui qui anime ta propre poésie. Y a-t-il une
filiation ? Ta sensibilité poétique doit-elle quelque chose à la lecture
des poètes persans ? Dit autrement, cette proximité est-elle pour toi
source d’inspiration ? C’est presqu’une histoire ancienne,
tout du moins une culture avec laquelle j’ai grandi depuis la rencontre
lorsque j’avais vingt ans, avec celui qui est devenu le père de mes enfants. Étant éprise d’un afghan, je me suis
tout naturellement tournée vers cette culture persane et aussi vers
l’histoire qui se déployait dans cette partie du monde. J’ai ainsi fait
connaissance avec l’esprit des films de Satyajit Ray et la sitar de Ravi Shankar.
La belle famille était passionnée de culture, par la poésie de Hafez, entre
autres. Les soirées étaient accompagnées par le chant, le jeu du tabla et de
l’harmonium et aussi par l’univers des miniatures persanes et les quatrains
d’Omar Khayyâm dont l’esprit continue à m’enthousiasmer. J’ai eu l’occasion de me rendre en
Afghanistan dans lequel régnait encore la paix, en 1977. Pendant ce voyage,
j’ai consolidé mon désir de parler la langue et par la suite pris des cours à
l’université à Lyon avec d’autres françaises qui étaient en couple avec des
afghans. Lors de mon voyage, j’ai visité la ville de Balkh, ‘Mère d’entre les
villes’ et j’ai eu la chance de faire une halte poétique dans le jardin dans
lequel repose Rabia e Balkhi, la plus ancienne poétesse, dit-on, écrivant en
persan qui vivait au 10e siècle et dont la renommée est parvenue
jusqu’à nous. Rabia e Balkhi- extrait- 2005 … « Ces mots tracés avec mon sang Où mon amour se heurte à la raison, S’y trouve scellé en prison Décrivent l’essentiel de mon présent ! » … L’attachement que j’ai nourri envers le
peuple d’Afghanistan et sa dramatique histoire contemporaine a nourri
certaines de mes lignes : Les sentes de l’exil- 2014- extrait … Dans l’arrière souvenir d’un passé prestigieux De conquérants glorieux D’un peuple de fontaines, de roses et de rossignols De rossignols et de sages Passé, de loin tu nous es revenu, Sur les mélodies du tabla, de l’harmonium et des chants Mais, la musique interdite, restent les pierres pour lapider Les pierres sur les sentes de l’exil Mon douloureux pays, un jour je te reviendrai Je viendrai dans ma terre gésir Tout près d’Hadji Amir Je reviens, me voici … … Cette poésie, cette culture ainsi que
l’univers des miniatures persanes naviguent dans mes paysages poétiques,
c’est un univers qui s’exprime en filigrane du poème et qui parfois
jaillit au détour d’une émotion, ainsi : Vois comme la lumière est belle - 2011- Tu me dis : « Ton jardin est un jardin persan Regarde, Rumi est assis sur ton banc A légèrement dénoué son turban, Tu peux fermer doucement les paupières, L’entendras te réciter des vers. Là-bas une volière, à l’orée de la clairière Des pics épeiches, des ramiers Dessinent des trajets chaloupés Se perchent au-dessus de la volière S’en font comme un perchoir, Picorent dans la mangeoire ! Et tous ces rosiers qui respirent la douceur de l’air Un trajet de gravier, des petits pas japonais Et juste une tonnelle abritée sous le chêne, Des invités qui lisent des poèmes, Vois, comme la lumière est belle ! » Effectivement, maintenant que tu l’explicites, on
sent bien cette interpénétration de l’esprit de la poésie persane et de ta
sensibilité poétique. Je crois comprendre, à la lecture de la première partie
de « L’Or du Ginkgo Biloba » (« L’or de la rencontre »)
que tu as séjourné au Sénégal. Tu évoques d’ailleurs, à propos de ton
recueil, « un chant qui tend des ponts au-dessus de la Méditerranée et
d’ailleurs, là où le paysage et l’amitié entre les peuples ne connaissent pas
de frontières ». Cela n’est probablement pas un hasard si ton dernier
livre est édité par Marcel Camill’, un poète congolais qui a connu toutes les
difficultés de l’intégration en France, et qui se montre très actif dans la
transmission de la poésie sur Montpellier. Peux-tu nous en dire plus sur ton
voyage africain, ses motivations, le possible lien avec ton engagement
en poésie ? La poésie comme acte de résistance ? Le voyage africain et la poésie acte de
résistance… Même si cela ne transparaît pas de
prime abord, j’ai des liens avec ce territoire africain. Une maman née à Relizane en 1927, on la
retrouve dans le poème …Là-bas… Algérie où j’ai assisté au mariage de ma
tante lorsque j’avais 5 ans…un peu loin, n’est-ce pas ! Un grand-oncle qui a travaillé à
Tombouctou et dans d’autres villes africaines dont l’évocation a bercé mon
enfance. Puis il a fallu attendre 2020 pour que
je renoue avec mon histoire africaine par l’intermédiaire d’un voyage au
Sénégal et un peu plus tard encore, fin 2022 pour que je retrouve la terre
d’Afrique du Nord avec un voyage en Tunisie. Lors de ces deux voyages, j’ai été
émerveillée par la gentillesse des hôtes et par leur fierté à partager, faire
découvrir leur patrimoine. En Tunisie alors que j’étais seule,
toutes et tous, dont des adolescentes, m’ont prise sous leur protection
affectueuse, j’en garde des souvenirs éblouis… tant de générosité ! Au Sénégal, là aussi, même constat, un
accueil fabuleux et des paroles d’amitié qui nourrissent le chemin. J’en
étais stupéfaite, une terre colonisée, meurtrie par les trafics de
l’esclavage - 1 500 000 africains partis avec des armateurs français
de Nantes, Bordeaux etc. Et m’entendre dire : « Les français, on
vous aime, vous êtes un peuple frère ! » De plus je me sens redevable à cette
terre africaine, en particulier, je pense aux tirailleurs sénégalais qui ont
défendu la France avec tant de courage et pour ceux repartis, reçus par la
puissance coloniale - la France - avec une ingratitude sans pareille - voir
le massacre de Thiaroye -. Que dire de plus, la colonisation est
officiellement terminée mais comment agissons-nous là-bas ? J’ai grand honte… J’ai fait la
connaissance au Sénégal avec celui, devenu ami, avec qui je corresponds sur
Internet, il interagit à chacun de mes envois avec enthousiasme, un sérère du
désert de Lompoul ; il travaillait comme boulanger dans un écolodge, de
plus il a eu le courage d’installer à proximité sa concession agricole et
cultivait une terre courageusement arrachée au désert avec les moyens qui
étaient les siens ; alors pourquoi utiliser l’imparfait ? Il se trouve que les habitants de cette
contrée ont été expropriés pour installer… par une entreprise française… une
exploitation du zirconium…. L’impuissance à empêcher cela, me fait hurler de
rage ! Et qu’en est-il du reste de
l’Afrique ? Les dérives de la ‘fast fashion’ dont les invendus échouent
et constituent des tumulus de vêtements abandonnés, sur lesquels broutent des
vaches, ou rejetés par le jusant venant lécher les côtes africaines. Des territoires confisqués par les
exploitations minières au Congo ou ailleurs, tout cela pour en extraire les
minéraux rares qui composent nos téléphones portables, nos batteries, nos
télévisions ! Différentes situations qui mènent à la
colère, l’alimentation du trafic d’armes et la guerre ! Alors, qu’on ne vienne pas me dire que
nous ne sommes pas responsables… Danse du taureau – extrait - La mémoire du pré - M’écrie : «
Qui est ce taureau ? » Afrique,
mon Afrique disait David Diop, Est-ce
le taureau de l’Afrique ? Afrique
des derniers Massaïs, De leur
altière course dans le désert ? L’Afrique
du Wolof, L’Afrique
des famines, de l’exode, Celle
des sanglants conflits, L’Afrique
des massacres, De
l’apartheid, de l’enfant errant, Township
de poussière pour pieds nus. Afrique
du Sida, Afrique
de l’orphelin ! ... Les poèmes qui ont été publiés dans
L’or du Ginkgo-Biloba rendent hommage au courage de l’Afrique et expriment ma
gratitude, en particulier dans le poème qui ouvre le recueil ‘Éphémère est
la rencontre…’ Lorsque mes amies de voyage m’ont
réclamé un poème autour du Sénégal, il se trouve que c’était l’année où le
thème du Printemps de Poètes était Courage, il m’est apparu comme une
évidence qu’au travers du courage, je souhaitais honorer celles et ceux qui
en font tant preuve pour se maintenir en vie ! L’engagement ? La poésie se doit
de dire l’indicible… Merci Marie-Agnès pour ces explications si
essentielles pour mieux comprendre ta démarche et ton univers poétique. J’en
viens à l’émission radiophonique de poésie « Jardin d’Isis » que tu
réalises sur Radio FM-plus 91 FM à Montpellier depuis 2006, à raison de
typiquement deux émissions d’une heure par mois. Les podcasts en sont
accessibles sur le lien : https://www.radiofmplus.org/?s=jardin+d%27isis. Tu as obtenu en 2013 pour cette émission le prix
de l’émission radiophonique attribué par la Société des Poètes Français.
Peux-tu nous en dire plus sur la genèse de la mise en place de cette
émission, sur tes motivations, sur les objectifs poursuivis ?
J’ajouterai, pour dresser un tableau complet de ton activité de passeuse de
poésie, que tu es membre de l’équipe d’animation du festival « L’écho
littéraire au jardin » que j’ai déjà évoqué. Transmettre la poésie, un
bien bel engagement dans ce monde troublé ! Comment définirais-tu en
quelques mots le rôle que tu assignes à la poésie dans la résistance à la
violence de l’époque, si tant est qu’elle puisse jouer le moindre rôle ? À propos de la genèse du Jardin d’Isis,
j’ai eu la chance d’être présentée au directeur de radiofmplus par un ami qui
croyait en mes capacités poétiques. Une émission d’une demi-heure par mois
m’a été proposée, j’ai accepté avec beaucoup d’enthousiasme mêlé de crainte,
car je naviguais dans des eaux inconnues ! Ceci, c’était en novembre 2006, j’ai
commencé par explorer les thèmes poétiques, puis j’ai entrepris de voyager à
la recherche des poètes au travers des pays et des différents continents et
c’est en décembre 2012 que je me suis acheminée vers la forme actuelle de mes
émissions, à savoir l’invitation de poètes en studio afin qu’ils présentent
leur poésie et défendent leurs engagements dans le monde associatif
principalement. Mes deux premiers invités d’ailleurs ne sont plus, ce qui
entre autres, est une motivation pour moi à persévérer dans cette voie :
la voix, témoignage vivant, reste ! Il m’est de plus en plus apparu
évident, qu’ayant reçu cette immense chance de pouvoir créer une émission et
diffuser sur les ondes de la poésie, je me devais de partager ce privilège
avec les poètes rencontrés sur ma route dont la lumière de la poésie transfusait
jusque dans leur comportement. Depuis je n’ai qu’à m’en
féliciter : que de belle poésie partagée, d’histoires d’amitié qui se
tissent, de retours emplis de gratitude et pour moi, l’occasion de puiser de
nouvelles forces de vie au travers des différents témoignages d’amitié. J’ai aussi le privilège de découvrir
l’univers poétique de mes hôtes, souvent, je repars de l’enregistrement
transportée par l’aventure radiophonique ! On perçoit combien je me
nourris également de l’aventure ! Je construis au préalable solidement
l’entretien, ceci reconnu spontanément par mes invités. Un des témoignages des plus touchants,
fut lorsque je reçus une poète performeuse et danseuse passionnée à ce point
par l’aventure qu’elle y consacre toute son énergie professionnelle, je
remarque qu’elle n’est pas la seule à avoir abandonné la sécurité d’un emploi
pour se réorienter exclusivement vers la transmission du poème. Alors qu’elle me demandait quelle
profession j’exerçais et que je lui répondais que j’avais été infirmière
pendant toute ma carrière professionnelle, elle me rétorqua très
spontanément : « Mais au travers de ce que tu fais
actuellement, tu continues de soigner ! » Un ami musicien poète, m’a lui aussi
attribué le qualificatif de « Guérisseuse d’âme ». Juste un mot autour de Jardin d’Isis et
pourquoi ? Tout simplement car Isis, en plus d’être un symbole de la
féminité, est une guérisseuse, elle a recousu le corps de son mari ; il
y a aussi la passion du jardin qui est un domaine que je chéris, source
d’inspiration poétique ! Un autre ami ne tarissait pas d’éloges
autour de mon accueil et poursuivit par « Mais qui recevra à son tour
Marie-Agnès ? » Je crois bien que c’est chose faite, un grand merci
à Eric Chassefière et Catherine Bruneau pour cette interview à paraître dans
la revue Francopolis ! La poésie, une résistante ? Mais
bien entendu, chère poésie, que tu es résistance, tu es courroie de
transmission, tu touches les esprits et les âmes, tu es vecteur de tolérance
et d’amitié entre les peuples, avec la culture, un des derniers rouages qu’il
nous reste pour lutter contre les égoïsmes, l’obscurantisme, l’extinction de
la pensée et la barbarie. De plus tu déploies ta tendresse sur l’humain afin
de le protéger de la désespérance et de l’oubli de l’histoire, tu lui
conserves cette lucarne ouverte sur l’avenir qui se nomme espoir ;
partagée, diffusée auprès des générations montantes, tu es celle qui peut
offrir de lumineux destins en devenir ! Quand Federico Garcia Lorca voue sa
tendresse aux peuples des opprimés, quand il loue l’amour pour un ami disparu
– Âme absente –, il fait plus
qu’écrire un poème, il engage sa voix, sa vie… et il meurt sous les coups
d’une milice assassine ! Au travers de sa poésie et de son théâtre, il
lègue aux générations futures un témoignage puissant et une ouverture
d’esprit qu’il pérennise. Et puis, quand bien même ne
s’agirait-il que de graines lancées au vent, ne déclare-t-on pas que l’océan
est composé de gouttes d’eau, alors, continuons à semer et irriguer la pensée
avec les messages humanistes portés par la poésie ! … Mais, qu’avons-nous fait
de nos vies ? À cultiver nos
égoïsmes ! À nier l’oublié sous sa
porte cochère ! Lutter contre la géhenne, La bête atroce, Cesser de se réfugier
derrière des mégalos, De déclarations
grandiloquentes, Cueillir une poussée
d’altruisme Pour la mener vers l’autre, Déjà un pas vers
l’espoir ! Si l’espoir n’est plus, Alors… toutes les dérives
sont possibles ! La mémoire du pré - extrait Merci Marie-Agnès de nous avoir fait ainsi partager
ta passion pour la poésie, dont on sent à quel point elle représente pour toi
l’engagement de toute une vie. Cette fonction de résistance que tu assignes à
la poésie, elle en est je crois le principal ferment dans cette époque de
régression généralisée des valeurs d’humanisme et de culture, régression
qu’il nous faut combattre par tous les moyens. Tu as mentionné Garcia Lorca
comme un modèle d’engagement en poésie. Peux-tu nous citer quelques autres poètes,
poètes résistants, poètes d’ouverture, poètes semeurs de graines, qui t’ont
inspirée tout au long de ton parcours d’écriture ? Difficile
de citer un plutôt que l’autre tellement j’aime de poètes, mais je vais
essayer de répondre, en respectant la parité, parce qu’il y a Lui mais il y a
Elle aussi ! D’abord
comment ne pas citer Jacques Prévert qui écrit des poésies étudiées par les
enfants à l’école tout comme Maurice Carême et bien d’autres qui sont semeurs
de poésie pour nos petites têtes blondes ou brunes. Le recueil Paroles
est, il me semble, le livre de poèmes le plus vendu en France. Bien
entendu, notre ami Prévert est un poète d’engagement, il dénonce à tour de
bras la bêtise et la violence… « Notre père qui êtes aux cieux/
Restez-y/ Et nous nous resterons sur la terre/ Qui est parfois si
jolie…. » (Pater noster) - « Les gens ne viennent pas au concert/Pour
entendre hurler à la mort/ Et cette chanson de la fourrière/ Nous a causé le
plus grand tort ! » (Le concert n’a pas été réussi – Paroles). Marie
Noël, poète de l’amour et de la douleur, nous a offert de si touchants poèmes
– « Quand il est entré dans mon logis clos, j’ourlais un drap lourd près
de la fenêtre… » (Chanson) – Lorsqu’on
me parle de poètes que je chéris particulièrement, me viennent d’emblée les
noms d’Hélène et René Guy Cadou, un sacré tandem ! Poètes engagés tous
les deux, lui consacre un chapitre d’écriture aux fusillés de Chateaubriant
et il excelle dans la voie des poèmes d’amour écrits pour Hélène.
Réciproquement Hélène écrit aussi l’amour pour son mari disparu très jeune en
1951 alors qu’elle vivra jusqu’en 2014. Pendant toutes ces décennies, elle
n’aura de cesse de sauver la poésie de René Guy de l’oubli, elle y consacrera
la majeure partie de son énergie, quitte à reléguer sa poésie de côté, elle
est aussi l’auteure d’une grande œuvre poétique. Je vous l’avais dit, c’est
une superbe histoire d’amour ! Ensuite
les poètes que je porte le plus en mon cœur sont en partie ceux dont je
retrouve une correspondance avec ma trajectoire de vie. Guillaume
Apollinaire, merveilleux poète de l’amour dédié à Lou. Il élève son chant
d’amour par-dessus les tranchées - Si je mourais là-bas. J’associe
Apollinaire au souvenir de mon grand-père ayant combattu dans les tranchées,
Apollinaire parle de Baratier et j’ai aussi des attaches avec Baratier qui
n’est peut-être pas celui d’Apollinaire… Ensuite je suis née un 9 novembre et
Apollinaire décède un 9 novembre, voilà pour les coïncidences ! Je porte
en affection Marceline Desbordes-Valmore car elle vécut à Lyon, ville qui m’a
accueillie pendant 25 ans et c’était durant mes années jeunesse, celles qui
marquent de leur empreinte toute une existence. Son engagement était profond,
lorsqu’elle écrivit au moment de la deuxième révolte des canuts en 1834 et de
sa répression - « Nous n’avons plus d’argent pour enterrer nos
morts » - Dans la rue -, hurle-t-elle ! Mes
parents qui ont de nombreuses racines en Haute-Marne m’ont fait connaître
Bernard Dimey et je les remercie d’avoir mis entre mes mains un recueil de
l’auteur d’une si belle poésie. Lui se bat aussi contre le regard de l’autre
et il proclame « Ivrogne et pourquoi pas… » Il a
trois amis et dit-il « Il est assez mal vu de nos jours par ici/ D’avoir
pour compagnons des gens qui sont sous terre ! » Une
autre haut-marnaise d’origine est la grande Louise Michel, une institutrice
et figure de la commune – 1871 – exilée pour cela en Nouvelle-Calédonie, où
elle continua à réclamer des lieux de détention parmi les plus rudes, par
solidarité avec ses compagnons de misère et où elle poursuivit sa tâche en
gravant dans le marbre les récits du peuple canaque issus de l’oralité ! Je
retrouve sur les chemins de ma vie, de plus en plus Robert Desnos, lui qui
s’engagea dans la résistance et mourut en déportation – 1945 –, sa poésie est
si belle, si tendre parfois.
« Jamais d’autre que toi ! » - Avec « J’ai tant rêvé de
toi », on touche les étoiles ! Des
poètes femmes dont la vie dans les camps s’est profondément incrustée sur la
trajectoire de leur vie il y en a beaucoup, je citerai la grande Anna
Akhmatova, punie dans sa chair alors qu’on n’ose pas s’en prendre à elle à
cause de sa popularité, mais que c’est son fils Lev qui sera déporté !
Son écriture crie la souffrance du peuple d’Union Soviétique sous l’époque
stalinienne. Joë
Bousquet qui vécut cloitré à Carcassonne dont on peut visiter la maison
transformée en musée, nous a offert de merveilleux poèmes et si je devais
trouver une femme poète qui lui réponde, je citerais peut-être Emily
Dickinson, elle qui refusait de rencontrer quiconque pendant les dernières
années de sa vie. Je
voudrais parler de Jean Joubert, il nous a offert de sublimes poèmes autour
de la région et d’ailleurs, il regarde souvent en arrière vers le pays de son
enfance - Le Loiret -. Il témoigne, je retiens son oncle sabotier et
anarchiste et d’autres personnages familiaux qui ont contribué à forger sa
richesse d’écriture. Albertine
Sarrazin, elle aussi chère au cœur des montpelliérains et qui partit si vite
– 1967 – suite à une erreur médicale, elle raconte sa vie tourmentée, ses
années de prison et son amour pour Julien. Boris
Vian, dont je chante « La rue traversière » avec mes petits-enfants
et qui jubilent lorsqu’on en arrive à « Un’ grand-mère /Qui montrait son
derrière/ Pour deux cent trente-cinq francs… ». Son engagement n’est
plus à discuter « S’il pleuvait des larmes ». Je
terminerai par Andrée Chedid dont les poèmes sont traversés d’humanisme, elle
s’est attachée à décrire la guerre du Liban et elle est attentive à la
question de la condition de la femme. Sa poésie me touche particulièrement. Je
témoigne aussi mon attachement envers les autres poètes, ceux que je n’ai pas
cités, eux aussi sont pléthore… Je les remercie de m’avoir offert une si
belle poésie à découvrir et d’avoir ouvert mon esprit à tant de beauté, ma
poésie en est tout irisée ! (*) CHOIX
DE TEXTES Caresse du temps sur les jours perdus Fin
d’automne Veux-tu que je t’emmène, Niché dans l’angle de mes paupières On ira voir la mer ? Il y a bien assez de lumière en mes
yeux Pour qu’on l’admire à deux ! Nous dépasserons les cabanes de Pérols Longerons le biotope du Grec Havre étale pour les flamants Étirent leurs longues pattes nonchalantes Plongent leur bec gourmand Taches roses dispersées sur l’étang Nous arriverons à l’abri de la digue Nous bercerons du roulis des vagues Nous enivrerons de ce parfum d’iode Et de cette brume qui s’effondre Les silhouettes sous le brouillard
s’érodent Verrons la mer et le ciel au loin se
confondre Contemplerons la fureur des flots Grondement répercuté par l’écho Et les nuages qui sombrent sur l’horizon De cette fin de saison Novembre s’évanouit Et Décembre s’enhardit La houle proteste contre le vent d’Afrique Charrie un air tiède Vient heurter aux portes de l’Europe Les rares promeneurs s’emmitouflent Vont pressés rejoindre leurs foyers Tournent leur visage de biais Pour se protéger du vent qui décoiffe Du sable qui s’engouffre. Les pêcheurs plient bagage Trop de houle dommage ! N’est plus que nous à faire crisser le sable Là, sous nos semelles Et nous tenir l’un contre l’autre Arrimés face à la mer Nous fondre dans l’éther Admirer l’écume Jaune de ses larmes Écouter les lames Là, qui déferlent Trouver la chaleur en nos cœurs Refréner nos soupirs Et parfois moqueurs Égrener nos silences de nos rires ! Sur la solitude de la lagune Notes envolées Envole, envole des notes de piano Sur la nébuleuse de la solitude, Fais jaillir des arabesques, des trilles Des sarabandes de joyeux drilles, Notes étreintes sur le clavier Ou libérées par son tablier Qui résonnent de teintes aiguës De tonalités graves ou grêles, Des accords écrasés, Des arpèges déroulés, Des silences embarrassés, Devant des partitions compliquées Qui s‘échappent par les fenêtres, Trottinent vers l’éther. Des notes pour la pluie, Des notes pour l’ennui, Des notes pour un peu de gaieté, Dans un intervalle de vacuité Au sein des espaces feuilletés Dans la torpeur de l’été. Une écorchée mélodie, Je pianote pour la pluie, Je pianote pour l’ennui, Laissez-moi rêver la vie ! Paris en
bouteille Tu me demandes comment je fais pour écrire Mais écrire c’est un peu partir Partir à la recherche de l’autre, de ses combats, de ses peines Partir vers de nouveaux horizons Ceux que l’on a visités mais aussi ceux qu’on ne verra jamais Et partir dans ses rêves, vers son imaginaire, vers ses chers
disparus Feuilleter une à une toutes les pages de sa vie Des intimes paysages jusqu’aux plus fougueuses dérives Prendre le large avec Nerval, nager dans la grotte où se
prélassent les sirènes Avec Verlaine percevoir les longs échos des voix chères qui se
sont tues Avec Victor venir sur sa tombe poser un bouquet de houx vert et
de bruyères en fleurs Et rejoindre Albert Camus sur les pentes abruptes de Tipaza Partir à la recherche de soi, de ses intimes convictions Fixer l’imaginaire, comme Musset retenir la pensée « Sur un bel axe d’or la tenir balancée » Se retrouver un peu en l’autre aussi Celui qui vit en Asie en Papouasie ou en Nouvelle-Guinée Vibrer sur tous les carnavals du monde Se déguiser adopter des teintes enchantées Et revêtir des masques Se trémousser sur des cadences chaloupées Être dans son petit coin et naviguer bord sur bord Embarquer dans un fier galion Retrouver l’Amérique celle de Christophe Colomb Ses dangereux récifs et la Marie-Galante Se repérer au sextant, chercher l’étoile polaire Mettre le cap là où l’on n’ira jamais Mais peut-être mieux le voir que si l’on y était Croquer les images en rêve, mettre Paris en bouteille Et rire aussi sur ce que l’on a écrit, Ouvrir les portes de la fantaisie, c’est cela aussi ! Le coquelicot et la tourbe Les sentes de l’exil A Sédiqa retournée reposer dans le
cimetière de
Kaboul Combien de kilomètres Pour trouver un havre de paix Pour laisser les chagrins de la guerre Dans les ruines du passé ? Pour endormir les tirs en rafale Pour atténuer le souffle de la bombe Pour mettre en repos la peur Ne plus raser les murs de cette ville meurtrie ? Tu pris tes enfants d’une main sûre Et les guidas vers l’ailleurs d’un autre monde Où n’est plus la terreur des balles N’appréhender plus les contrôles Et retrouver la sérénité des jours Mais des nuits pleines de fantômes Des lambeaux de cœur sont restés De tous ces cauchemars traversés Des aimés dans le cimetière de l’oubli Les dunes des tombes sur la colline Sous l‘éclatante lumière de l’Hindou Kouch Les mines qui pulvérisent le chemin Les contrôles des armes en bandoulière Et l’esprit en terreur au turban qui t’interroge Surtout, ne pas ciller Oui, l’époux est à la maison Alors qu’il repose sous la dune Car être veuve est un poison Sur ce sol de cailloux de pierre et de poussière Des pierres pour lapider dans la honte du péché Tristesse sur les murs de la ville Tristesse sous l’ombre des toits en terrasse Face à la menace de l’arme au flanc Dissimuler le tremblement, camoufler la fuite Y’a trop de deuils dans les foyers Juste la peur à traîner le long des fossés Marre de cette peur qui colle comme un suaire Marre de ces abeilles qui font éclater les vitres Marre de ces transports qui explosent
Des lambeaux de chair pour enterrer nos morts Un pays à la terreur advenue L’enfance assassinée, vendue La culture reniée, interdite Ne fait fleurir que les ruines Pauvre pays meurtri Par trente années de conflits Écartelé par les grandes puissances Sur une môle de guerre froide Sur l’esclavage des trafics Sur les profits de l’opium ! Et celui qui parade Tout ce sang sur ses mains « Où va-t-il tout ce sang ? », demandait Prévert Il coule dans le ruisseau de la misère Il ruisselle de la vente des enfants Il gronde sous les bombes C’est le sang de la colère Le sang de la misère sur la terre Le sang de l’innocence ! Tu fuis, ne veux plus le sentir tout ce sang Mais il colle son odeur suave contre ton épaule Il n’en finit plus de murmurer ses plaintes D’exhaler, de hurler ses douleurs Le sang de la vierge vendue Le sang du mutilé, du condamné Ce n’est plus le sang du bonheur C’est celui du viol en punition Pour expier quelle faute ? Peut-être juste parce que tu existes Pour éteindre ce qui vit ! Se peut-il que la douleur s’estompe ? Se peut-il que l’on oublie ? Des lambeaux de ton cœur sont restés Un cœur scindé, fracturé, éclaté Comment rassembler les lambeaux de ton cœur ? Nous étions un peuple fier Qu’est devenu cet orgueil ? Dans la gueule des canons ? Sous les bâches des camions ? Tu suis la pente sous le tremblement de l’étoile Bien dissimulée sous le voile Dans le suaire de cette nuit sans lune Te profiles telle une ombre Écorches tes pieds sur ce sol de pierre à fusils Cessez de nous inonder de vos armes Nous, n’avons plus de larmes Nos yeux délavés d’avoir tant pleuré Nos jeunes ne connaissent plus ce qu’est la paix Le feu de ces armes, vous n’en vouliez plus Vous avez exporté vos guerres Votre guerre froide sur nos lits de tulipes Et nous prompt au feu, nous sommes saisis des fusils Nous les avons faits nôtres Et ce sont nos enfants qui saignent Nos toiles de Kuchis dispersées sur vent d’exil Viennent grossir les bidonvilles S’agrippent aux pentes de la ville Le bois a déserté les collines Des enfants portefaix de plus en plus chargés Dans l’arrière souvenir d’un passé prestigieux De conquérants glorieux D’un peuple de fontaines, de roses et de rossignols De rossignols et de sages Passé, de loin tu nous es revenu, Sur les mélodies du tabla, de l’harmonium et des chants Mais, la musique interdite, restent les pierres pour lapider Les pierres sur les sentes de l’exil Mon douloureux pays, un jour je te reviendrai Je viendrai dans ma terre gésir Tout près d’Hadji Amir Je reviens, me voici … Rabia e Balkhi « Ces
mots tracés avec mon sang Où mon
amour se heurte à la raison, S’y
trouve scellé en prison Décrivent
l’essentiel de mon présent ! » C’était une
poétesse, Afghane
de noblesse, S’appelait
Rabia e Balkhi, Vivait
il y a longtemps d’aujourd’hui ! En cette
ville de Balkh Mère
d’entre les villes, Dans ce
pays de légende Où la
violence pourfend. Où même
lorsque je fus, Ne
restait plus que le vent À
chuchoter les tourments, S’égarer
dans les rues Et
heurter les ruines De cette
antique cité, Violent
se précipiter Contre
les murailles que le temps abîme. Fut
enfermée dans un caveau Cette
jeune femme d’amour éprise, Emmurée dans
un tombeau La
liberté on lui ravit. Et
jusqu’à son dernier jour À moins
qu’elle renonce à son amour, De cette
façon on la punit. Lorsque
dans sa geôle on descendit Alors
que sa vie était partie, Sur les
murs de sa prison on découvrit Des
poèmes d’amour tracés, Encre de
son sang puisée À l’aide
d’une plume dans son poignet. Au-
dessus de sa tombe Se
dresse un mausolée De
mosaïque bleutée Au creux
d’un jardin ombragé. On
trouve un peu de fraîcheur, Une
indicible douceur, En ce
pays où le soleil est cruel, Où les
hommes réputés tels, Des
êtres fiers et rebelles, Où les
femmes sont enfermées, Derrière
les murs dissimulés. Il
exprime ce mausolée, Des
hommes le regret Et rend
un hommage Posthume
à son courage. Balkh est
une ville du nord de l’Afghanistan, proche de Mazar-I-Sharif. L’histoire date
du Xe siècle. J’ai visité ces lieux en 1977, avais un souvenir
approximatif de l’histoire, l’ai relatée, telle qu’elle était restée dans ma
mémoire, ce qui fait que je suis loin des interprétations historiques. Les
premiers vers sont des paroles imaginées par moi! La mémoire du pré La nature est poreuse
La métropole
suffoque
Remugle de pollution Encombrement de cité Tristesse des roseaux Où sont les genêts, L’appui des crémaillères, La volonté des dentellières ? Où repose la mémoire du pré, L’ennui du chêne Rabattu par la froidure ? Écoute la respiration de l’herbage, Son manteau de nuée… Oui, la nature est poreuse… Son rêve est solitaire ! La ville frémit sous la lippe de la
meute, De grands arbres couchés, Sous quelle lande soupirent mes
désirs ? Une vie à contre-sens, Brume dans la gorge du mourant, Souffle raccourci, adieu à l’Ami ! Souffrance de paupières, Impuissance à nommer, Échappée de l’eau sur la terre nourricière, Lassitude des taillis… Le renard de l’éloignement A déchiré mon tablier A émietté mon sablier ! Deuil des églantines, Des ritournelles enfantines, Dans la carence du feuillage, S’appauvrit le nid. Le merle entonne une fleur de soupirs Au pied du mur gelé. Navette de mes pensées
Le long de la vallée du Buech nomadisent quelques hérons Ces hérons sont mes amis, j’aime à les retrouver Étirent précieusement leurs longues pattes fines Le long des sillons du blé d’hiver Ne semblent pas pourchassés Intégrés au paysage, témoins du passé Oui Jean, « Que la montagne est belle ! » Comme j’aime à m’y promener ! Chaque mois le même trajet : Paysage kaléidoscopique, gigantesque damier Conjugue ses facettes avec facétie Besogne de l’humain Qui entretient, élague, débroussaille Constitue pâtures et jachères, Préserve, quelle chance ! Ici, chacun œuvre à sa manière ! Encorbellement rocheux, serres de l’aigle Marché bariolé, aquarelle de village Rayonnante de pépiements joyeux, Amitié au croisé des chemins Ici l’humain existe encore N’a pas été assimilé dans la multitude. Une foule hérisson lavande Dégringole au pied d’un talus Une fontaine gazouille sur le fronton Déclare son amour à celui Écho du torrent en contrebas ! Oui, Fontaine, tu nous contes Rocs contournés, les pleurs du pré L’ébauche du pécheur au détour d’un méandre La truite sous son rocher engourdie Le brillant merle au bec effilé Poignard citrin deviné sur le saule La fornication du buis et ses trahisons Chênes verts à l’appui de la rive Nous entrons au pays de l’olive Une armée de crayons de pierre Défie le paysage « Oui Fontaine, nous boirons de ton eau ! » Une buse barbue juchée sur un panneau Premier arbre en fleur, trois Janvier La nature souffre de ses saisons Un cyprès fougueux étalon du ciel Une pie s’ennuie, rien à marauder ! Une vasque bénitier appuyée dos au mur Anachronisme d’une traction avant La route entremêle les fils de mon inspiration Le fil se casse, le fil reprend Le lézard du temps fait la cabriole Le renard des jours sur un fauteuil à bascule Les replis du paysage s’aplanissent La trame en est plus douce « Bonne année », fredonne la navette Nomade de mes pensées. Papillon des jours d’automne Nitescence
d’un parterre Nitescence d’un parterre jaune d’or piqueté de jambes fuselées
sur la sensualité du pré d’émeraude Constellation d’éclats argentés chatoyant la robe de l’olivier
chevelure éployée sur la langueur Parcelles de bonheur sous la caresse d’azur je ne crains plus les
mensonges de l’âtre La colline se délite les arbres sont étranglés la terre a
ruisselé entraînée par coulées Les téguments de chêne vert en ombre chinoise s’agrippent à la
pierraille N’est pas certain que la ramure revive de pépiements La parole des anciens qui portait les traditions de siècles
révolus se soupire Tesselles
d’un puzzle aquatique Kaléidoscope velouté Récolte de marée Polissement du ressac En caresses successives Effleurement régulier Matité d’éclats arrondis Rendus à leur état premier Tessons devenus sable Là où le plastique fait continent Mêlés aux turritelles et cérites Aux fragments de coquillage Quel géant débonnaire A semé le long des plages Ces palets lumineux Le pas se plaît à chahuter Le verre aux reflets chamarrés Loin des suaves breuvages Dont il renflait les contours Il retourne à l’aurore du monde Loin des drames de notre siècle Trésors de seaux et châteaux de sables Perles jaspées de notre enfance Reliquat de magma S’est mis au diapason de l’algue Tesselles d’un puzzle aquatique Un astre
blanchâtre La
pleine lune défie le ciel Pas
d’étoiles ce soir… Le pré
d’émeraude Ici, tout près de Cluny Le pré d’émeraude absorbe les méandres D’un cours d’eau égratigné par quelques saules La vigne vient griffer la colline En stries longilignes La vie en quête originelle Tranquillité maternante de la Saône Écoute de la mélodie du paysage J’ai la nature en perfusion continue Refus de fermer les yeux Recherche de résilience. Papillon
des jours d’automne Empire de la nuit, Papillon des jours d’automne C’est un dialogue, Un miroir avec moi-même Qui renvoie des poèmes L’oiseau hagard des pensées Envol de cigogne, Se heurte aux parois de la boîte crânienne Bienvenue au pourpre Aux lueurs de l’aube Perception infrarouge Étonnement de la macula ! Bruissement du foyer endormi Rumeur du souffle polaire, Y avait-il une trame ? Attente
de vergers Patience
de la vigne Tout ce
qui vit Bruisse
et raconte… L’Or du Gingko Biloba Le
pèlerinage immobile C’était un jour qui ressemblait à un crépuscule Sans langues rougeoyantes sur l’horizon cendré D’une grisaille sourde à éteindre toute lueur Le vieil homme assis sous l’arbre à palabres Questionnait le manguier et ses fruits attardés Saurait-il rallumer les étoiles Dans les regards de l’impatiente sève ? Saurait-il renouer avec les antiques légendes, Le murmure de l’harmattan frisant la mangrove, D’une palanquée de proverbes, d’expressions rutilantes ? C’était encore à cela qu’il songeait À ces pirogues fatiguées vers un voyage sans retour Lors que le disque lunaire étreignait le delta Greffait de sardines argentées l’écorce des palétuviers, Des germes d’espoir, saurait-il les dénicher, Rapprocher la tourterelle et le merle rieur, Tisser de fils d’or, la mélodie des retrouvailles ? La complicité des étoiles éveillées Insufflait une vigueur à ses mots ensommeillés, Il entrevoyait cette silhouette dansant sur l’horizon des dunes Demain, l’aubade de la kora envelopperait le wharf Les cordes gazouillant la joie libérée dans les bras du
fils! Flocons
de poèmes Et voici soudain, qu’au détour d’un méandre jaillissent falaises
délavées aux vertèbres inclinées Les chamailleries sur le cours de l’Eygues aux éclats d’un miroir
argenté d’écailles Les flocons de poèmes portés par le pollen Le gazouillis en accord avec le cours de l’onde Et toutes ces perspectives chahutées Les platanes tendent leurs moignons élagués aux nids de verdure,
juchés sur chaque jointure La friable cheminée de fées, la tendre aubépine Ancrages éphémères, impermanence d’une présence Le fragile et fugace asile d’un ami, entre amour et amitié,
incertitude d’une frontière… La frêle dentelle ruisselle sur l’épaule d’une sente Le souffle du poème, brève sagaie lancée dans le noir de la
mémoire Mon carnet étoilé, tu es encore noué aux lacets de mes souliers Je sens le bruissement de tes pensées, partout où je vais… TU ES ! L’Eygues (Aigues, Aygues) est une
rivière que je longe lorsque je vais dans à Gap, elle court entre les
Hautes-Alpes, la Drôme et le Vaucluse, elle prend sa source dans le massif
des Baronnies et se jette dans le Rhône. Le
ruisselet et le fleuve C'est un
ruisselet qui aspire à devenir rivière et le fleuve répond En un tendre
murmure assourdi qui sourd de derrière le paravent Le ruisselet
gazouille des trilles qui volètent sous le velours du rideau Des
respirations de questions Alors la
voix puissante du fleuve chuchote ses réponses en sourdine Elle répand
en écho une forêt d'explications Soulève le
voile de la fougère palmée, en révèle les graines dissimulées Le ruisselet
demande et le fleuve répond Le velouté
de la voix sème sur le dos du courant Dans le flux
des interrogations des pousses d'explication Et le
ruisselet reprend son tintement de cristal Et le fleuve
déroule patiemment ses galets Dénoue le
kaléidoscope du feu des pourquoi Prodigue
repères et conseils Au ruisselet
tenté de débordements Balise le
cours le long de la berge Canalise la
colère naissante Limite les
embâcles et les dangers en embuscade Ce fleuve en
réponse aux inquiétudes du ruisselet Rassemble
ses bras de tendresse autour du ruisselet Il limite
son impétuosité et le ramène dans le lit des rives d’argile Il favorise
un dialogue rassurant Un échange
étoilé qui bruisse sur les ailes de la confiance Marie-Agnès Salehzada, sur une
inspiration au réveil de la sieste d’un Noël 2023 en écoutant au travers de
la cloison mon petit fils qui questionnait et son père qui lui répondait. Être la musique de l’être Point de cécité pour celui qui voit,
les yeux ouverts, il sait ! Mais peut-il ignorer, d’une myopie
souhaitée, questionnement, butte contre l’obstacle et joie de dire adieu à
l’erreur. Félicité d’une rencontre, jubilation
d’un visage, résurgence d’écriture, remontée des eaux de la confiance, retour
d’enthousiasme, oui… Croire ! Désir de naviguer vers demain tel liège
sur la vague, se laisser porter mais modérer les pulsations, jubilation
prématurée. Les mailles du regard laissent
entrevoir le mont Ventoux et sa paume hivernale aux gants de neige affleurant
le sommet, la vigne et ses allées érigées, le bosquet au dépouillement de
l’hiver, le tertre rougi et le flux de la plaine. Ombrage et platane picoré
de ramiers, invitation à se réjouir des contrastes, nature meurtrie, lacérée,
généreuse se laisse surprendre, miroir de bonté. Vois, la prairie rieuse
respire ! Deux souffrances en miroir, éclatement
du cœur, pas de transfusion de l’une à l’autre, aucun baume, simple
juxtaposition. L’abeille ne tend plus vers la ruche, le cœur ne bourdonne
plus. Entrevoir le bonheur, le laisser repartir de façon itérative, être ru
détourné qui oublie l’inclinaison du vallon. Dans la trajectoire de la verte
douleur, continent dérouté dans sa migration, infortune des pôles. La guerre
agrippant le péricarde, elle est coûteuse l’addition, seule solution, la
sédition complète. Charrette de foin Débordant des ridelles Adieu du matin Bourgeons de pommier Surgeons vigoureux Promesse enfouir la peine Tricoter dans la pousse du regain,
redonner trame au destin, être la musique de l’être, en toute chose être, ne
point se dérober ! ©Marie-Agnès
Salehzada |
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(*) Marie-Agnès SALEHZADA, née en 1954, a vécu une partie de sa vie en
région lyonnaise, réside depuis 1993 à Juvignac dans le département de
l’Hérault. Auteure en poésie elle a publié plusieurs recueils. Marie-Agnès
Salehzada est une amoureuse de la nature, elle se fond en elle… « L'idée
première est un hommage à la nature, une forme de gratitude. Autour de La
mémoire du pré, elle dit : « Le pré est synonyme de
fertilité, de la persévérance de la vie, de ses capacités de résilience,
un humus porteur d'espoir, terreau de toute vie. L'écriture se situe tel un
questionnement face au monde, à son évolution et aux problématiques
actuelles ». « Je suis interpellée par de nombreuses espèces
animales et par toute la beauté du pays traversé. Telle une âme contemplative,
j'arrive à me fondre dans tableau et à intégrer toute cette beauté. Il est
important de souligner la notion de voyage qui accompagne mes poèmes, il
s'agit là d'un déplacement dans l'espace, dans le temps et d'un voyage
intérieur, support de l'émotion et de la création du poème, c'est un paysage
de rencontre avec l'autre mais aussi avec les souvenirs. » Réalise depuis 2006, une émission de
poésie Jardin d’Isis «Déambulation poétique à la rencontre des paysages de l’âme et de
la vie dans le ressenti des Poètes du Monde » et des
interviews sur Radio FM+ 91fm à
Montpellier, l’émission est diffusée le jeudi à 13h15 et 19h15 diffusée sur
internet www.fmplus.org. on peut la retrouver sur les podcasts de
radiofmplus. Publications : Caresse
du temps sur les jours perdus - Editions ECTE 2007 Sur la
solitude de la lagune - L’écharpe d’Iris Editions 2013 Le
coquelicot et la tourbe - L’écharpe d’Iris Editions 2014 La
Mémoire du pré - L’écharpe d’Iris Editions 2019 Papillon
des jours d’automne - Ubik-Art éditions Juin 2022 L’Or du
Gingko Biloba - Editions Au mbongui Mars 2024 |
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Marie-Agnès Salehzada Francopolis été 2025 Recherche Éric Chassefière |
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Créé
le 1er mars 2002