Le Salon de lecture

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SALON DE LECTURE

 

Mai-juin 2023

 

 

 

Michel Cassir

 

Choix de poèmes de ses derniers recueils

Et plusieurs textes inédits

 

 

Lame

Editions L’Harmattan, 2021 (Collection Levée d’Ancre, 82 p., 12 €)

 

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1

je pourrais tout aussi bien disparaître ou revivre mais je suis là en pyjama d’étoiles jouant de la flûte basse dans l’aigu d’une école traversière

 

2

quand le corps tire au lasso la souffrance une part

de soi fend les roseaux nocturnes pour humer

l’étendue et contredire la mort

 

entendre claquer des dents  le squelette avant que

l’eau n’infuse sa somnolence que l’esprit ne prenne

la rondeur d’un sein prodigieux et que je ne tente

à nouveau un jeu de marées sur le front

 

3

chapelle abandonnée à l’ascendant des falaises

patrie de chèvres croqueuses de sacré avec leur

penchant naturel à la débauche

 

clin d’œil de l’au-delà  toute chute s’élève

 

nous retombons sur une baie austère qui n’est pas

encore le paradis mais s’en rapproche au nom de

l’image pieuse parmi les pieuvres

 

4

l’ennui tombait comme un chacal sur nos épaules

avant que la voie rocheuse des musiciens de Kos

ne fasse chavirer l’équilibre de nos tables

alanguies et que nos gorges ne s’enivrent de la

rudesse de ces vieux loups hurlant à la tendresse

mise à mort

 

5

Cinq frappes de blues

I

au Nord-est brésilien

un spectre hante le désert

déferle sur villages assoupis

se rompt en squelettes

désaxés pillant

pauvres devantures

 

en boucle

 

II

se démultiplie en Afrique

tantôt creux tantôt nuage

beaux et sombres aventuriers

aiguillés par l’humiliation

se cognent aux tempêtes

d’étape en étape mystifiés

par des cols blancs

périssent ou se traînent

les yeux hors orbite

jusqu’à la mer où négoce écume

 

alors se noient ou survivent

aux bribes d’arbre

sacré dans la mémoire

 

en boucle l’inaudible

 

III

ils seront parqués spoliés

bataillons d’animaux qui n’iront

pas de suite à l’abattoir

 

vite rejoints par proies

de guerres et de traites

pullulant ici et ailleurs

sous sagaies de marchands

ou d’armées au déclic

de chiffre d’affaires

 

plus loin encore dans l’histoire

deviendront variables d’ajustement

du saint coït mondial

 

en boucle l’inaudible mélopée

 

IV

étonnons-nous de ces êtres

que nous ne voulons plus assumer

leur racine leur magie sacrifiées

à marche triomphale

de bouffis triés au volet

 

tous ne sont pas désespérés

s’ils ne sont pas morts

s’ils ne sont claustrés

de telle teinte religion ou langue

 

en boucle l’inaudible mélopée de sœurs et frères

 

V

il y a aussi d’autres migrations

belle culture citadine

guerres et phobies dans les poches

trouées à la Rimbaud

mais chemins assurés par les airs

œil de faucon souplesse de léopard

pour expulser le trouble

 

la langue est patrie

avec ce leitmotiv plus d’obstacle

comme si l’esprit évinçait

la chair du délit

 

en boucle l’inaudible mélopée de sœurs et frères de l’errance

 

 

 

À feu tenu

Ed. Unicité, 2022 (94 p. 13 €)

 

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Gravures sur bois : Saad Ghosn

 

1

le Mexique ne devrait pas exister

car la transparence

de ses eaux dormantes

et son découpage rude

s’emparent de l’esprit

l’éblouissent le chiffonnent

jusqu’à ce qu’il hurle

coyote orphelin d’amour

cet amas d’os éparpillés

dans le cliquetis des lampes

éclairant des lieux disparus

depuis des lustres

le Mexique tenaille

l’estomac le bourre

de coups de poings

de coups de foudre

on en devient le souverain

l’esclave

et même disparu son galop

prend de l’allure

 

2

ne parlons de beauté qu’indomptée

jamais à disposition

ceci est vrai dans l’embrouille des nuages

les îlots émergeant de naufragés

qui se débattent et replongent

à la gloire de Sisyphe

mais aussi dans les statues

leur tendresse leur perfidie

et la pénombre des allées

qui les font fuir

du côté de la vraie vie

 

3

méditer fait naître un rocher

gardien de l'horizon

méditer ouvre la voie

au frôlement des arbres

en vague d’écoliers

foncer à pleine vague

dans le décor

racler troncs millénaires

mordre feuillage

arracher le sol

les pieds en sang

immobile et véloce

méditer de l'ongle

à l'éclair

sans mouvoir le front

élargi comme

une prairie de bisons assoupis

tenir le heurt des planètes

 

 

 

Inédits

 

Jacques Grieu, Le blues (2023).

Reproduit avec l’aimable autorisation de l’artiste

 

 

Tokbar

 

1

je marche dans Beyrouth

sur le trouble lunaire

vers la pêche miraculeuse

aux ordures étoilées

 

2

pendant de nombreuses heures la mer

devenue chatte familière

a fait sombrer le désir

dans une paix gluante

sans augure ni prémonition

 

les dieux en furie ont alors lâché

fantasmes et sorcières de sel

à l’assaut du monde désœuvré

qui en a perdu le sommeil

dans ce balancement la poésie règne

comme la folie qui creuse

les fonds géologiques

porteuse de miracles sans voix

de visions légères comme les résidus

de marée la tempête faisant partie

de l’épopée nous réduit à l’héroïsme déboussolé

juste assez pour méditer sur la trajectoire

du caillou vers la tempe

 

 

3.

Hurler à la mort

Hurler à la mort comme remontée d’un puits.

Graine d’humanité aux visages diffus, aux ombres

aimantées.

 

Ressusciter le tremblement des grottes, l’indicible

peur. Célébrer le monde qui s’effrite avec ses

hiéroglyphes d’éboulis et de doigté.

 

Scruter la braise. Un grand-père aventurier

en Colombie l’autre joueur de banjo. Comment se

retrouvent-ils en Égypte, l’un flambeur, l’autre

explorateur de la souffrance. Une grand-mère

élégante qui s’agenouillait pour jouer aux billes,

l’autre chuchotant sa vie dans la pénombre.

 

A deux pas d’en finir, au Japon les anciens portés

au sommet de montagnes brumeuses se dissolvent

dans le paysage.

 

Réveillons-nous sacré nom de Dieu ! Suis-je dans

mon propre trépas ? Tant que le corps éblouit on

est prince ou loup-garou. Créer enfin du vrai

cinéma ! Enfant, j’attendais impatiemment d’aller

 

au lit pour étaler mon écran virginal. Que voir

aujourd’hui. La mort rassembler les vivants.

Comme les indiens du Mexique qui festoient et

trinquent avec les squelettes. Dans le cimetière

en fête, ils se noient dans les boissons sacrées.

Tourner avec les morts. Simuler la mort pour la

vaincre.

 

S’éteindre dans la fable du temps. Bashô en

tunique boueuse sillonnant le vide. Le poème vif

comme un galop que l’on ne perçoit plus.

 

Ronde folle d’amis et de lieux qui écrivent un livre

unique en encre magique. Renverser ce monde

devenu son propre bourreau. Mortelle en nous,

l’éternité. Chant à mi-voix, le sommeil de l’ultime

nuit nous cueille.

 

 

Le carnet du chili

 

Être et pare-être

il y a un car bleu

non pas vraiment bleu

couleur délavée

de peau fuyante

pas en un quart d’heure

ni le tiers du quart

pour une tierce personne

non pas le quart ni le placard

un quartier dans une ville

si lointaine qu’on l’appelle

providence

 

il y a des foules masquées

qui adoptent la diversité

avec une telle douceur

qu’on en vient à se demander

comment écouter

le bruit de l’égo

ou plutôt l’égo sourd

qui se terre dans le tissu

vif de la respirante

tournure des choses

au quartier providence

 

comment justifier alors

douze mille kilomètres

à couper le souffle

en quatre pour

la providence

 

il y a une toute petite église

orthodoxe avec une floppée

de saints bien pourvus

l’occasion de méditer

sur un bout de banc

la merveille du vide

orthodoxe

 

il y a plus loin une exposition

de vraies poupées

japonaises je veux dire

rituelles sacrées aimantes

et si japonaises à

l’autre bout du monde

et alors

 

il y a aussi une révolution

paisible comme le reflux

de l’eau et des baleines

des otaries et des condors

tout cela dans le quart

du tiers de providence

à voir enfin le large

providentiel

on y boit du pisco

au son des Rolling Stones

et alors en quoi cela

exorcise du confinement

pour notre bien

ou pas du tout

 

il y a aussi des pas

dans les chaussures

qui tracent

d’autres chaussures

du même individu

qui prétend dénouer

l’énigme de la vie

en la noyant

dans des histoires à dormir

de toute façon

à plat à la verticale

ou recroquevillé dans un

simulacre de trou

qui n’est pas encore définitif

 

et alors providence

n’était qu’un vieux film

sur le vin blanc et

l’extra-lucidité

d’un ivrogne libre

libre et alors

en quoi la providence

répond aux turbulences

de l’âme à supposer

que celle-ci cesse enfin

de s’agiter dans

les sphères irréelles

 

il y a des poètes qui

ont sublimé la ville

en est la preuve

cela se sent-il

sans besoin de monter

sur ses grands chevaux

on peut toujours

cuisiner la réponse

aux poètes

 

mais où donc le ciel entre

en amour avec la terre

volcanique

avec les nuits

électriques

et le son persistant

d’un grand silence

 

mais où est donc or ni car

le glaive des mots

le car bleu du début

 

*

 

Trois poèmes

 

1

J’étais un chien ou une chienne à la mâchoire projectile. Pas un cabot dressé ni un voyou de grands chemins troussant diligences ou autres navettes contemporaines. Mi-loup mi-aigle une rareté sauvage disqualifiée ou rendue caduque par le cinquième tome de la loi des obligations artificielles. Un QI du tonnerre voué à l’enfer intérieur. Un chien qui a bouffé plusieurs Dante et ne s’en est jamais remis. Un chien polaire ou plutôt tropical déglingué et fou à l’idée de nature qui n’inclut aucune jouissance excessive. Juste le peu de plein air permis à un esprit sain. Une sainteté inoculée depuis la pharmacie centrale de l’imaginaire !

 

2

La poésie ne raconte pas d’histoire. Elle emprunte le souffle qui ravage la nuit et crée la blancheur jusqu’à l’aube. Allumeuse de pépites au point de les engloutir dans les marais et les faire renaître dans des mains étrangères à l’autre bout du récif.

Brève et muette sauf à l’épaisseur d’une lèvre qui saigne le mot. Elle tourne à l’envers imaginant et reculant des précipices. Algue de l’Asie charnelle. Éthiopienne qui naît à l’amour. Traineau en Laponie qui soulève le bruissement des forêts.

Épopée elle déroule ses lames fracassantes. Elle n’imite pas le passé bouleverse la donne. Telle une horde de cloîtrés qui découvrirait la perte d’espace et la force de tout se jouer dans la poussière et le vent. Insuffler le conte d’aujourd’hui dans le remue-ménage et les courts-circuits.

Hors de son creuset la pensée se débat flotte ou meurt. Un grand livre à moitié visible trace le

sillon l’éparpille dans le désert surpeuplé de rêves. La poésie précède le parcours sous-jacent des pas. Elle crie soudain son refus de figer la beauté !

 

3

ex île que la mémoire a embrouillé

dans une boîte à musique

exil à l’apparence d’un voyage

qui n’est que lancer de spirale

 

un léger toussotement

marque le clivage des saisons

qu’importe puisque

le corps est identique

quoique plus creux

 

de jeunes africaines

terminent leur exil

mortes dans la cale

d’un bateau fantôme

 

des milliers d’autres

courent à leur perte

qui n’ont plus de langue

leur cri sidère la nuit

pourquoi souffrent-ils

de l’œil et de la peau

 

tintamarre de voix

sans voix de corps

que l’on couvre de ténèbres

 

juste quelques brèches

d’exil en soi

silencieux sans éclat

une scène vide

 

©Michel Cassir

 

 

 

Une image contenant Visage humain, personne, habits, intérieur

Description générée automatiquementPoète, traducteur, directeur de la collection de poésie « Levée d’Ancre » aux Editions l’Harmattan depuis 2001 (153 titres parus), Michel Cassir est aussi scientifique et universitaire. Il a publié une trentaine d'ouvrages littéraires. Une anthologie de ses poèmes est parue en Turquie et en Italie.

Né en 1952 à Alexandrie en Égypte, il passe sa jeunesse au Liban où il fait partie du courant novateur et rebelle de la poésie francophone. Après neuf ans au Mexique, il vit à Paris depuis plus de trente-cinq ans où il poursuit une activité de création et de diffusion de la poésie.

Poète de l’exigence et de l’intégralité de l’aventure poétique, Michel Cassir est autant marqué par le surréalisme européen et latino-américain que par l’univers poétique arabo-méditerranéen. Artisan de l’image brève et fulgurante comme du souffle continu, il explore depuis de nombreuses années les voies de l’oralité et de son tissage subtil avec le son et la musique.

Il a été publié dans des anthologies et revues poétiques dans une quinzaine de pays. Il a traduit de nombreux ouvrages de langue espagnole (Espagne, Argentine, Mexique, Colombie, Nicaragua). Il obtient le Prix littéraire « Le jasmin d’Argent » en 2008 pour l’ensemble de son œuvre poétique.

 

Voir sa bibliographie sur sa page d’auteur chez L’Harmattan.

L’écouter en entretien au festival Voix Vives de Sète en 2021, présenté par Philippe Tancelin.

 

 

 

Michel Cassir

Francopolis mai-juin 2023

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