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SALON DE LECTURE

 

Mars-Avril 2022

 

 

 

Poètes pour l’Ukraine

 

« Sœurs et frères d’Ukraine, mon cœur saigne pour vous… »

 

« Poésie du bien total, ne reste pas silencieuse ! »

(*)

 

Lyuba Yakimchuk, Marie Volta, Mykola Istyn, Marc Delouze, Wassyl Stus, Éric Dubois, Mireille Podchlebnik, Jeanne Gerval ARouff, Alix Lerman Enriquez, Maria Mailat, Éditions de Corlevour-Revue NUNC, Khal Torabully, Lambert Schlechter, Jean-Pierre Lesieur, Michel Bénard, Michel Herland, Vladimir Maïakovski.

 

 

Photo de Dominique Zinenberg (mars 2022)

 

 

Lyuba Yakimchuk

 

Présentée par Marc Delouze

(*)

 

couteau

 

avec des proches nous partageons la table, avec les ennemis

des tombes

— rien que des tombes

l’un d’eux venu partager

une tombe avec moi

me dit :

 

- je suis plus grand que toi

je suis plus dur que toi

je suis plus fort que toi

son couteau appuie son couteau       contre mon ventre      et dessous

presse ce couteau presse

comme un ressort

mais

 

il est plus petit que nous

il est plus faible que nous

car il n’a qu’un couteau

et nous sommes plusieurs autour de la table

 

et à chacun     son propre « mais »

et à chacun     sa propre part

 

il me dit

ma lame est la plus acérée   

ma lame est la plus solide    

pouf, pouf, pouf

le mort ce sera toi

 

bougez pas     qu’ils disent    bougez pas

on reste là autour de la table

chacun avale sa balle

à-même le canon

on en sert une à l’ennemi, aussi

 

Traduit par Marc Delouze à partir d’une traduction de l’ukrainien en anglais par Svetlana Lavochkina

 

 

comment j’ai tué

 

je reste en contact téléphonique avec ma famille

mes communications avec toute ma famille sont sur écoutes

sont curieux de savoir qui je préfère, maman ou papa ?

ce qui fait pleurer grand-mère dans l’appareil ?

intrigués comme toujours par ma sœur en guerre avec son copain 

qui était aussi mon copain

 

toutes mes communications sont des liens du sang

mon sang est sur écoutes

ils veulent connaitre le pourcentage d’Ukrainiens

de Polonais, de Russes, s’il y a des Tziganes

ils veulent savoir quelle part j’en donne, et à qui

ils veulent savoir si c’est mon taux de glycémie

ou bien le toit qui s’effondre sur moi

et si on peut élever des frontières à partir des lambeaux

 

des centaines de tombes ont été creusées entre moi et ma mère

et je ne sais comment les enjamber

des centaines d’obus de mortier volent entre moi et mon père

et je ne peux les prendre pour des oiseaux

les portes en fer d’un sous-sol, coincées par une pelle

me séparent de ma sœur

un écran de prières pend entre moi et ma grand-mère

de minces murs soyeux étouffant les bruits, et je n’entends rien

 

c’est si facile de rester en contact par téléphone

d’ajouter des minutes sur ma carte, nuits sans repos, Xanax

ça doit être grisant

d’écouter le sang de quelqu’un battre dans vos écouteurs

tandis que mon sang se transforme en balle

 

BANG!

 

Traduit par Marc Delouze à partir d’une traduction de l’ukrainien en anglais par Oksana Maksymchuk et Max Rosochinsky.

 

(*)

Lyuba Yakimchuk est poète, scénariste et auteure dramatique. Elle est née en 1985 à Pervomaisk, dans la région de Luhansk et vit actuellement à Kyiv. Son recueil Apricots of Donbas, qui évoque la survie des gens en temps de guerre, a reçu aux États-Unis l’International Poetic Award de la fondation Kovalev. La maison de ses parents est dans le Donbass occupé. Sa deuxième maison est à Kiev où, après avoir mis leur jeune fils en lieu sûr, elle revient avec son mari afin de combattre l’agression.
« Il n’y a pas de poésie sur la guerre, seule la décomposition »

 

Nous remercions Marx Delouze pour ce partage. Les deux poèmes sont parus également sur le site de la revue Phoenix.

 

Marie Volta

 

Sœurs et frères d’Ukraine, mon cœur saigne pour vous

Toi qui nous accueillis dans ton petit hôtel fleuri

Toi qui nous servis de grands verres ballon d’un vin rouge sucré

Mon cœur saigne pour vous

 

Vous qui vous bécotiez en sirotant une bière devant le Dniepr

Vous qui manifestiez autour du jardin de l’Indépendance

Mon cœur saigne pour vous

 

Toi pour qui je chantai dans une église au fond d’un bois

Toi qui nous en racontas l’histoire dans une langue inconnue que nous avons comprise

Mon cœur saigne pour vous

 

Toi qui du haut de tes cinq ans m'offrais des dessins dans le train

Toi avec qui je philosophai dans aucune langue commune et qui nous invitas à venir prendre l’air des Carpates

Mon cœur saigne pour vous

 

Toi le militaire qui lors d’un refus de passage à la frontière Moldave et d’un scandale kafkaïen orchestré par mon compagnon de voyage m’offris une rose cueillie dans les parterres

Toi l’employée des chemins de fer qui me poursuivis jusque dans le bus pour savoir si je savais où dormir un premier août à Odessa

Mon cœur saigne pour vous

 

Toi qui me cédas ta place assise dans ce bus bondé où les hommes dormaient sur des tabourets dans la travée centrale

Toi qui de ton œil de mère veillas toute la nuit sur ma sérénité et mon confort

Mon cœur saigne pour vous

 

Vous qui vous scandalisâtes quand la mafia transnistrienne nous racketta à la frontière

Toi qui nous ouvris ta douche après une longue nuit d’août dans le train

Mon cœur saigne pour vous

 

Toi la terre qui nous portas

Fleuves d’Ukraine arbres d’Ukraine oiseaux d’Ukraine

Mes pensées vont vers vous

 

Et nous sommes là dans l’écho des obus et de votre courage

Et nous sommes là à ne pouvoir vous épargner l’orage

 

©Marie Volta

27 février 2022

 

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Photo de Mireille Podchlebnik

 

Mykola Istyn

(*)

 

Par les mondes qui se sont couverts de paupières des yeux éteints d’enfants,

et les villes qui ont disparu sous les bombes,

et leurs habitants qui se sont assimilés à leurs maisons démolies

et dont le sang coule comme un fleuve,

pour la poésie de ce peuple,

vous êtes les guerriers de la vérité,

comme un bouclier et une épée en feu

vous luttez contre l’iniquité, pour la liberté,

et vous tous qui avez armé cette armée de lumière,

vous qui n’ont pas épargné de la nourriture et du logement à ceux qui en avaient besoin,

pour la victoire du bonheur

et l’épanouissement de la vie,

vous qui nous avez soutenus comme vous pouviez,

nous avez aidés comme vous pouviez,

vous qui avez propagé la parole ukrainienne –

merci, et gloire éternelle à vous !

 

 

***

 

Dans notre ville c’est plus calme que dans d’autres villes,

ce n’est pas chaque jour qu’on nous attaque avec des missiles,

et il ne faut pas descendre à l’abri chaque nuit,

c’est pourquoi on accueille dans notre maison

les réfugiés de l’enfer de tirs et d’explosions,

une jeune femme tient son ange de 5 ans par la main,

son autre ange, de 2 ans, est dans les bras de notre voisin,

la femme porte un grand paquet de doudous,

d’où se montrent des chatons en peluche, des lapins, des chevaux,

(ils ont pris ce qu’ils avaient de plus précieux)

tous réfugiés de guerre.

 

 

***

 

Aujourd’hui c’est mon jour de service,

je veille sur notre champs

dont la terre réchauffée sourit au printemps,

au-dessus de moi des avions volent comme des oiseaux de fer,

je les observe

pour voir si c’est l’ennemi et si des visiteurs importuns avec leurs parachutes n’arrivent pas,

mon chien est avec moi,

j’appelle ma femme

pour demander comment elles vont, elle et notre fille,

elle me répond qu’elles sont dans un abri anti-aérien,

qu’elles attendent que l’alerte soit finie

et je pense que pour qu’il n’y ait pas de guerres,

il faut fabriquer non pas les balles,

mais les produits paisibles de la culture,

et la poésie de l’évolution du bonheur général

est ma position principale,

c’est pourquoi je défends la construction de l’état

principalement sur la base du bien poétique !

 

 

***

 

Poésie du bien total, ne reste pas silencieuse,

car la guerre crie,

mondes et univers enluminés de poèmes,

on ne pourra jamais couvrir votre ciel

fait de matières sublimes comme une âme supérieure,

haut comme l’éternité,

car pour que soit le bonheur total

vous existez, univers futures,

et si les gens croyaient en poèmes du bien

et la politique et l’économie s’appuyaient plus sur la littérature humaniste,

les systèmes et les humeurs sociaux de toute la planète deviendraient vertueux,

et la vie terrestre ne serait pas dévalorisée par la mort,

voilà la véritable centralité de la poéticité

capable de tout transformer en bonheur et beauté

qu’on a du défendre déjà aux abords,

au rez-de-chaussée des cultures,

et je veux espérer que tout cela est fait pour le développement des gens et des littératures…

 

 

Traduit par Ella Yevtouchenko

 

(*)

 

Mykola Istyn est un écrivain ukrainien. Il écrit de la poésie, de la prose et des essais. Il habite et travaille à Ivano-Frankivsk (Ukraine).

 


Marc Delouze

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Photo de Mireille Podchlebnik

 

L’angoisse envahit la nuit

 

C’est la nuit.

« Il est cinq heures

et je n’ai pas sommeil ».

Je lis Histoires de la nuit de Laurent Mauvignier.

Lecture en apnée.

Pause radio.

Poutine envahit l’Ukraine.

L’angoisse envahit la nuit.

La folie envahit l’horizon, rase les arbres qui n’y sont pour rien.

Le ciel tremble.

La terre tremble.

L’humanité tremble.

Mes mains

tremblent et lâchent

la feuille de papier qui tombe et va mourir

sur ma poitrine de papier.

 

Fécamp, le 24 février, 05h30.

 

 

Guerre des Feux

 

Il fait un temps à faire chier du cuivre aux renards (Nazim Hikmet)

 

La nuit incandescente

Le soleil à minuit darde comme une bombe

Dézinguant les villes d’Ukraine

 

Le jour incendié

Un climat de folie fond

Sur la paresse humaine

 

La terre crame

 

Sûr faudrait se calmer

Mais qui pour se calmer ?

Chars d’assaut d’un côté

De l’autre SUV

 

L’humanité joue sa survie à la roulette russe

Le vivant est un pari est un enjeu

On joue à défier les hasards meurtriers

On joue aux plus malins

 

J’écoute les nouvelles vieilles comme le monde

les analyses à la radio qui tremble

comme une ampoule qui grésille nuit après nuit

et cette obstination à écrire des poèmes

inlassablement

 

Chaque poème une grenade de sable

que la marée dégoupille et efface

en s’effaçant

et malgré tout lancer

toujours lancer

toujours toujours lancer lancer

balancer la grenade de sable

inlassablement

 

Fécamp, 1er mars 2022, 07h30 (entre climat de guerre et guerre du climat)

 

Une voix

 

Debout au bord d'un précipice / Courbé par la tristesse / Soudain je réalise / Le monde entier n'est qu'un poème / En langue ukrainienne.

Leonid Kisselev [1]

 

Et nous voici sans voix 

Pourtant faut bien qu’il en reste une

s’échappant du bunker du silence

pour dire les lumières qui s’éteignent

les radios qui se taisent

les lits qui refroidissent

les frigos qui pourrissent

les autos ridicules

les passants invisibles

les animaux déboussolés

une voix pour chanter la sobriété

fut-elle à ce point malheureuse

Il faut bien qu’il y ait une voix

la mienne ou bien la tienne

assez tenace pour tenir tête

au premier atome venu

comme un nuage en embuscade

au coin des nues/des rues désertes

 

[1] Poète ukrainien « Un Rimbaud kiévien, mort à l’âge de 22 ans, dans les années 1960 », cité par Andreï Dmitriev dans Le Monde du vendredi 4 mars 2022.

 

Fécamp, 5/6/7 mars 2022

 

Wassyl Stus

 

Présentation et traduction par Maria Mailat

 

(*)

 

Sur le Kahlenberg, la nuit éteint son feu

et les feuilles d'automne s'éteignent sur le Kahlenberg.

Mais j'ai oublié depuis longtemps où se trouve le Kahlenberg, je ne le reconnaîtrai plus.

S'il me reconnaissait, je ne le sais pas. La nuit tombe, le moment des adieux me prend à la gorge.

Et je sais, et je sais, et je ne sais plus,

si je suis vivant, déjà mort ou en train de mourir.

Autour de moi, aucun feu, pas d’étincelle, pas de tonnerre. Mais tu planes comme un oiseau au-dessus de l'absence de tête, au-dessus de notre absence commune de tête,

au-dessus du monde entier ...

Pardonne-moi, j'arrête, cela m'a échappé

comme ça, en passant ...

Si seulement tu savais la douleur que tu es pour moi,

aujourd'hui encore, je sens tes mains lourdes de chagrin,

et tes lèvres - amères - presque salées - elles sentent bon

jusqu’à ce jour, et ton ombre, elle plane - un oiseau effrayant

et sourd comme le sang dans les artères,

des rossignols salés, leur coup de tonnerre.

 

(*)

 

Né en 1938, mort en détention en 1985, Wassyl Stus est un des grands poètes ukrainiens, traducteur de Rilke et journaliste. Il a été condamné au total à 23 ans de camps de détention, de travaux forcés et d'exil parce qu'il a critiqué le régime soviétique. Son œuvre comprend cinq recueils de poésie.

 

Éric Dubois

 

Les bruits de la guerre

sont hideux 

monstres de métal 

aux rires assassins

Qu'il est loin désormais

le temps de la paix 

où l'oiseau sortait

toujours vainqueur

des nuées et des brumes

des bombes et des sanglots 

 

6 mars 2022

 

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Photo de Mireille Podchlebnik

 

Mireille Podchlebnik

 

La guerre en Ukraine

 

Comment ne pas être saisis de stupeur

bouleversés

par la guerre en Ukraine

qui se déroule

devant nos yeux de spectateurs

devenus voyeurs et impuissants
 

Comment ne pas ressentir

la douleur et le désarroi des innocents

qui ne demandaient qu'à vivre

et se retrouvent brutalement pris en otage

d'une folie guerrière

que rien n'arrêtera

 

Comment ne pas admirer

le courage d'un homme

qui seul avec son peuple

se bat contre les moulins à vent

 

Comment ne pas penser

à chaque instant

à ce pays

et la ville de Kremenets

qui fut le berceau de mes ancêtres

assassinés

dont les os et le sang ont nourri

une terre fertile

 

Comment traverser le quotidien

aborder le printemps

sachant que la haine

et le mensonge

se reproduisent à l'infini

 

27 février 2022

 

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Les arbres s'embourgeonnent, frêles ramures

enrobées de soleil.

La vie

fragile,

qui oscille entre les nuages,

l'emportera-t-elle?

 

Le ciel bleu étale sa lumière, les fleurs se parfument pour fêter la renaissance du printemps

Sur la terre broyée d'Ukraine

il pleut des cendres

 

19 mars 2022

 

Jeanne Gerval ARouff

 

 

CALADIUM POUR LA PAIX !

 

Rêveurs sont les poètes, dit-on.

Inutiles à la société – Aveugles à la réalité.

Sens en éveil : ils captent les trompettes du tombeur

mégalomane assoiffé des terres de ses frères

Oh Ukraine !

Que de crimes à lorgner tes terres !

De 20o Sud – île-point perdue dans l’Océan Indien

que sonne l’appel : Rallier les îles de La Terre !

Que tombe mégalomane-tombeur de ses frères :

Rallier de La Terre les îles !

Que sonne l’appel vert-espoir du Caladium !

 

©Jeanne Gerval ARouff

Floréal, Ile Maurice – Lundi 7 mars 2022, 13h13.

 

Alix Lerman Enriquez

 

Cri de guerre

 

La mer est là, l’aube rose s’étire

sur ses sillons d’écume,

sur ses vagues lisses

comme le jour sevré d’étoiles.

 

Des algues jonchent le sable,

vestiges de marée haute

qui poudroient

comme des soleils pulvérisés

qui mordent le ciel

et la mer en même temps.

 

Tout est calme, apaisé.

L’eau danse, virevolte

sereinement à mes pieds.

 

Soudain, un cri atroce

de mouette déchire l’été

comme un cri de guerre

dans le silence bleu,

creusant un trou rouge

dans l’échancrure du ciel.

 

8 mars 2022

     

Maria Mailat

 

Marioupol, journal de mars 2022

 

Ici, le printemps se heurte à la sécheresse du vent qui entrave le réveil des fleurs.  

Les orchis casqués au long cou ont les bourgeons chargés de rouille, mais regarde sur les milliards d’écrans,  

regarde sans comprendre comment les jeunes soldats tombent  sous les missiles tirées à l’aveugle par leurs frères  aussi jeune qu’eux, avant même que la vie puisse enflammer  le printemps de leur vie.

Rien ne remplit de joie les femmes qui marchent  

vers nulle part,  

leurs cœurs pétrifiés se pendent à l’anneau de Saturne, regarde cette marée de femmes pressées autour de Clotho prostrée  qui ne sait plus quelle histoire filer et quel train prendre en ce début de mars fuyant une guerre grabataire,  étirée jusqu’aux étoiles.

Le silence se couvre d’explosions, les images floues prolongent l’hiver au nord-est, où la neige noire de sang brûle  

et les flammes rongent jusqu’à la moelle les peaux déchirées, là-bas, l’amour du frère se brise sous les ruines fraichement nées,  pendant que dans sa maison protégée, le maître du Kremlin fait creuser une frontière de tombes.

Cris mélangés à la boue, notre espoir s’effondre avec les ponts bombardés et quel serait ce Messie arrivé d’un autre printemps, les bras chargés de bourgeons, les plaies ouvertes, quel serait ce monde où la clameur des marcheurs exilés, proscrits dans leur propre pays, pourrait mettre fin à la mort ordonnée par un seul russe, maître de l’atome contre tous ?

 

 

Le rossignol à Odessa

 

Dans l’œil du rossignol, à Odessa, des larmes gelées.

Le souffle sous la neige saigne sans abris.

Avec le déferlement des écrans, la guerre explose dans chaque maison, notre sang est contaminé de ruines.

Peut-être qu’une partie de notre histoire gardera une étincelle d’espoir pour un tout autre (re)commencement,

mais aujourd’hui,  aujourd’hui dans sa cage, le rossignol est immolé.

 

15 mars 2022

 

Éditions de Corlevour-Revue NUNC

Ukraine, pivot de l'Europe, éd. Corlevor (mars 2022, 15 €)

 

Voir aussi : la revue NUNC, n°s 50-51 : Dossier Ukraine, pivot de l'Europe

 

Khal Torabully

 

« Tant qu'il y aura une aurore qui annonce le jour, un oiseau qui se gonfle de chant, une fleur qui embaume l'air, un visage qui nous émeut, une main qui esquisse un geste de tendresse, nous nous attarderons sur cette terre si souvent dévastée. » François Cheng

 

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Photo de Khal Torabully, 27 février 2022

 

En cette journée mondiale de la poésie et en ces temps de guerres, poème sur le silence des mots... Il est dédié aux enfants devenus aphones devant notre aveuglement à partir au combat avec le même entêtement...

 

Feuille revenue aux temps,

Suspendue au vent...

Tel ce mot à la bouche de l'enfant

Perdu au cri des mourants,

Aux bottes des puissants.

Demain est un revenant,

Aux décombres de mots suppurants,

Il oublie et nous apprend

Qu'une guerre rôde, en suspens.

L'être oscille entre la peur et le néant.

Cependant, seul le silence comprend

L'espoir revenu au seuil des océans.

Ici, l'absence des mots conforte les malentendants,

Donne une lumière aux non-voyants.

Ici, entre Canaan et l'Afghanistan,

Des voix s'éparpillent, du Yémen suppliant

à Kiev ou à Tripoli sanguinolant.

Entre l'olivier et le flamboyant,

Le silence s'affiche, prévoyant,

Entre le masque et le drone triomphant.

Il annonce ce printemps

Que l'enfant dessine en l'effaçant...

 

©Khal Torabully, 21 mars 2022

 

Lambert Schlechter

 

Ce sont des mots magiques, ce matin je me dis soudain, dis-je à Lu Yu, ce sont des mots magiques : il fait chaud dans ma maison, il n’y a pas de trous dans les murs, le cahier est posé sur le bureau, là où je l’ai fermé hier soir, je n’ai qu’à le rouvrir, rite matinal, et sans gants de laine, dans le vase étroit sept tulipes aux pétales rouges bordés de jaune, les tulipes n’ont pas gelé, ce sont des mots magiques, dis-je à Lu Yu, il n’y a pas de courant d’air dans la chambre, mes mots ne s’envolent pas, mes mots se posent sans peser, mots légers sans importance pendant que tombent les bombes, Rotterdam, Coventry, Hambourg, Dresde, Grosny, Aleppo, une poupée désarticulée parmi les gravats, qui perd la sciure et la laine de copeaux de son ventre, si on voyait le sang on s’alarmerait mais on ne voit pas le sang et on ne s’alarme pas, ce n’est pas prévu dans l’ordre du jour, ça changerait tout s’il y avait du sang sur le blanc de la page, inacceptable contraste, nous existons tous à titre d’exception, toujours, chacun…

 

20 mars 2022

 

Je fais silence, dis-je à Lu Yu, des fois que j’entendrais un élan qui crécelle quelque part dans mon système, mais je n’entends rien, aucun élan n’a l’air de se manifester par son caractéristique crécellement, au quatrième étage il y a un fauteuil rouge en porte à faux qui risque de basculer d’un moment à l’autre dans le vide, parmi les arbustes du boulevard béent des cratères, pas besoin de bèches et de pelles pour enterrer les morts, on égalise la terre et on resème du gazon, en attente d’un autre printemps, puisque c’est ce que les poètes nous font miroiter depuis toujours, que nous vivons de printemps en printemps, et quand refleurissent les cerisiers, ça nous fait des émotions, aujourd’hui, regardant le ciel radieux et prometteur, je l’ai regardé avec méfiance, j’ai regardé le ciel comme à travers des larmes, un peu flou, un peu traître dans son silence, puis le fauteuil avec un fracas sourd s'écrase sur le trottoir.

 

BILLETS POUR LU YU. Le Murmure du monde, vol. 15 (inédit)

 

21 mars 2022

 

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Photo de Mireille Podchlebnik

 

Jean-Pierre Lesieur

 

Connaître Mariopol

 

Je ne connaissais pas Mariopol

je ne savais pas que c’était un port

sur la mer d’azov

je ne savais pas que Poutine ne l’aimait pas

et voulait le rayer de la carte

après avoir fait disparaître un par un

tous ses habitants

toutes ses écoles

tous ses théâtres

tous ses commerces

enfin tout ce qui était encore debout

au milieu d’un champ de ruines.

Je ne connaissais pas Mariopol

et je ne pourrai jamais la connaitre

elle est morte

au chant d’honneur.

 

21 mars 2022

 

Michel Bénard

 

Mais qui sont ces ignobles

Fossoyeurs des droits de l’homme,

A propos de qui, de quoi,

En fonction de quel droit,

Au nom de quelle loi

Brisent-ils l’écho de nos voix,

En raison de quel pouvoir osent-ils

Déclencher une tragédie mondialisée.

Mégalomanie démesurée,

Insoutenable paranoïa

Aveuglée des fumées de la vanité.

Mais qui sont ces hommes

Plus proches du Léviathan

Que de l’apparence humaine,

Nous rapprochant de l’immonde.

Aucune guerre, aucune violence,

N’ont de justes raisons

Sinon celle de l’aliénation.

Sur ce linceul silencieux ,

Seul perce le cri prédateur,

Le ricanement cynisme

Sidérant symbole du chaos.

Mais qui sont ces créatures

Profanant le sens même de la croix,

Mais qui sont ces hommes

Sans nulle compassion

Pour leurs frères de sang

Portant la mort au fond du regard.

 

 

©Michel Bénard, 30 mars 2022

 

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Photo de Mireille Podchlebnik

 

 

Michel Herland

À nous pauvres humains

(Guerres et pandémies)

 

La suite sans fin des massacres et des guerres

tant de corps amoncelés partout sur la terre

Les rois d’antan censés guérir les écrouelles

préféraient chevaucher et chasser les rebelles

Jusqu’au bout du monde triomphe la violence

Ceux qui fuient les combats cheminent en silence

pleurant leurs proches laissés dans une tombe

ils entendent encore le fracas des bombes

Comment calmer l’inquiétude d’une mère

restée sans nouvelle de ses fils ou du père

(…)

 

©Michel Herland, 31 mars 2022

 

Pour l’intégralité de ce poème, voir notre rubrique Gueule de mots dans ce même numéro.

 

Vladimir Maïakovski

 

Notre dette envers l’Ukraine

 

Connaissez-vous

                  la nuit ukrainienne ?

                                         Que non !

La fumée

           teint son ciel

                         d'un noir étanche.

Incrustées dedans

                   en guise de blason,

Des étoiles

             à cinq branches.

Là où

      la setch zaporogue

                           bouilonnait

De horilka,

              de sang,

                        de vaillance

Des fils

          électriques

                       ont baillonné

Le Dniepr

             qui

                 sur les turbines

                                 s'élance. (…)

Chez le Russe

                le poids de la science

                                         est léger.

Les voisins on peu de prestige

                                        à ses yeux.

Il sait,

       le borchtch ukrainien

                                est bon à manger

Et le lard ukrainien

                       est encore mieux.(...)

Si on insiste,

                 il change de rôle,

Rougit et raconte

                   - qu'à cela ne tienne!-

Quelques anecdotes :

                        ah, qu'elle est drôle,

La langue ukrainienne.

Je te le dis,

             camarade Moskal,

À dénigrer l'Ukraine,

                        ça finit mal!(...)

On ne saurait

                passer au pilon

L'humanité -

                diverses sont

                               ses graines.

Connaissons-nous la nuit d'Ukraine ?

Que non !

 

 

 

Poème publié et présenté par Louis  Chevaillier dans Le 1 Hebdo, N° 388, 16 mars 2022, en la traduction inédite de Luba Jurgenson (signalé par François Minod).

 

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Photo de Mireille Podchlebnik

 

(*)

Le groupage ci-dessous s’est constitué au fil des jours, sans intention préalable, au gré d’échanges informels et amicaux ou par la « bouche à l’oreille », virtuellement parlant… D’autres initiatives sont en cours sur le Net. Nous en signalons ici quelques-unes, dont nous avons connaissance par des cercles d’amis :

Jeudis des mots : http://jeudidesmots.com/mots-de-paix-et-desperance-apres-le-7eme-jour/

Écrivains ukrainiens : Littérature ukrainienne: Ecrivains ukrainiens contemporains: (lettresukrainiennes.blogspot.com)

Textes d’Alekseï Bobrovnikov : « Poutine a promis de nous tuer. Un par un » : Alekseï Bobrovnikov depuis le front en Ukraine (nouvelobs.com)

 

 

Poètes pour l’Ukraine

      Francopolis mars-avril 2022 
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Créé le 1 mars 2002



[1] Poète ukrainien « Un Rimbaud kiévien, mort à l’âge de 22 ans, dans les années 1960 », cité par Andreï Dmitriev dans Le Monde du vendredi 4 mars 2022.