Photo : Kerri Mc Caffety, www.npr.org
Andreï Codrescu, écrivain
américain d’origine roumaine, habite à la Nouvelle-Orléans.
Voici son témoignage
Love note to New Orleans
Mon
cœur se brise en voyant comment ma belle ville coule à pic, tandis
que moi je suis en sécurité à environ 90 miles de distance
et le chagrin de mon âme n’est rien en comparaison avec la souffrance
de ceux qui sont encore à la Nouvelle-Orléans. On reconstruira
la Nouvelle-Orléans, mais ce ne sera plus jamais celle que j’ai connue
et aimée. On l’a souvent comparée avec Venise, pour sa beauté
et sa fragilité, pour son amour de la musique, de l’art et du carnaval.
Siècle après siècle, un monde entier s’est tourmenté
pour que des ingénieurs trouvent une solution pour la survie de Venise,
mais peu ont eu également cette pensée pour la Nouvelle-Orléans.
La
Nouvelle-Orléans a été – et peut-être l’est-elle
encore- un carrefour commercial trépidant, crucial pour le contrôle
des embouchures du fleuve Mississipi, vital pour l’industrie américaine
et pour l’accès au golfe du Mexique.
Jean de Bienville fonda la
ville en 1718, en ces lieux, sans tenir compte des avis de ses ingénieurs
quant aux dangers d’édifier une assise sur un terrain marécageux,
entre le Mississipi, le Golfe du Mexique et les grands lacs du nord. Les
besoins des républiques américaines ont continué à
construire sur le « péché originel » de Jean de
Bienville, nécessitant encore plus d’aménagements visant à
corriger la nature dans l’un de ses plus magnifiques points de convergence.
Les
marécages, qui domptaient autrefois la furie des vents, ont disparu,
victimes des grandes compagnies pétrolières et du réchauffement
du globe. Les mers sont plus chaudes, bonnes gens, et ceci, nous l’avons
choisi ! Faites attention, vous qui niez le réchauffement du globe,
c’est pour de vrai !
La rédemption de la
Nouvelle-Orléans lui vient de sa musique, de sa cuisine, des festivals,
et de sa pauvreté.
C’est ici que fonctionnait
l’un des marchés d’esclaves les plus brutaux d’Amérique, et
c’est encore ici que se finissaient en ce point le plus au Nord, les filières
de trafic d’armes, de rhum et d’êtres humains, en provenance des Caraïbes.
Des esclaves, et ensuite, des réfugiés, des immigrants, des
pirates et des artistes qui étaient à sec, et c’est ici qu’ils
ont apporté la culture de l’Afrique, ou des endroits dont ils s’étaient
enfuis.
La musique de la Nouvelle-Orléans a voyagé en amont du fleuve et elle est devenue la musique de l’Amérique.
Pendant des siècles,
nous avons généré des énergies culturelles et
humaines, mais tout ce débordement n’a apporté à la
ville aucun aménagement foncier, aucune réflexion stratégique
pour le futur, aucun cri collectif d’appel à l’aide pour arrêter
la mort.
Le
génie de l’armée a sauvé héroïquement la
ville au moins au fois, lors des inondations de 1927, mais alors, comme maintenant,
ce fut en réponse à une situation de crise, pas un plan délibéré,
une préoccupation de l’avenir. Et nous voici maintenant, nous noyant
dans les eaux qui nous cernent, sombrant dans nos propres résidus,
dans la pauvreté, dans l’incompétence, dans la cupidité
de nos précurseurs.
C’est le temps des reportages
en direct, des histoires déchirantes, des sauvetages héroïques
et des efforts surhumains d’individus au grand cœur, et des associations
caritatives, fatiguées, mais toujours prêtes à l’action.
Ce n’est pas le temps de la
colère, mais je ne peux m’empêcher de me demander : qu’est-ce
qui survivra de notre culture ? Nous savons déjà qui va payer
pour tout ceci : les pauvres. Comme toujours. Les ordures du pays tout entier
coulent en aval du Mississipi chez eux. Jusqu’ici, ils ont transformé
toutes ces saletés en un chant, ils ont pris sur eux tous les péchés
de l’Amérique.
Mais ce blues maintenant devient trop important.
***
Andreï
Codrescu est professeur de littérature anglaise à l’Université
de l’Etat de Louisiane à Bâton-Rouge. Né en 1946, à
Sibiu (Roumanie), il émigre en 1965 aux USA. Essayiste, poète,
auteur de nouvelles, il est récompensé par de nombreux prix
: George Foster Peabody Award, the ACLU Freedom of Speech Award, Big Table
Poetry Award, the Towson State University Literature Prize, and the General
Electric Foundation Poetry Prize, ses œuvres sont traduites dans le monde
entier. Il est également commentateur à la radio nationale
NPR, où on peut l’entendre dans la rubrique « All things considered
» (Toutes choses considérées) :
« Poète à l’appel » : “Mourning for a Flooded Crescent City”
Maria
Eugenia Caseiro, habite sur cette côte est des Etats-Unis, à
Miami. Le cyclone l’a touchée de prime abord, avant d’aller plus loin
ravager Beloxi dans le Mississipi puis la Nouvelle-Orléans.
«
Le passage de l’ouragan Katrina nous a pris pratiquement par surprise en
ce qui concerne sa trajectoire, il a affecté sérieusement un
grand nombre de foyers, et au moment où je vous écris, sa force
météorologique atteint le degré 5, le sinistre arrive
maintenant sur la Nouvelle-Orléans, un état qui malgré
des plans de contingence de ce type, était moins préparé
que nous, car il n’avait pas vu d’ouragan depuis 1965. »
Deux poèmes témoignent de ce désastre et des conséquences qu’elle expérimente :
Un día después Beloxi.
A las víctimas de Katrina en cualquier parte
Un día después Beloxi
.
(A los que aún permanecen en tan larga noche)
Dicen que allá afuera no hay caminos
que vaga un viento helado
y que los giroscopios
han quedado mordiendo la distancia
en la ciudad sin nombre de los espejismos.
Dicen que las arañas se olvidaron de tejer
y que la luna
camina perdida en el mapa de la noche
Dicen que las luces se apagaron
que no hay verdades para recobrar
que ya nadie se preocupa por emitir señales
que la vida no es nada
donde corren a esconderse las palabras.
Maria Eugenia Caseiro
|
Un jour après Beloxi
(à ceux qui sont restés dans une si grande nuit)
On dit qu’au dehors, il n’y a plus de chemins
qu’erre un vent glacé
et que les gyroscopes
ont mordu la distance
dans la ville des mirages qui n’a plus de nom.
On dit que les araignées oublient de tisser leurs toiles
et que la lune
chemine perdue dans la carte de la nuit.
On dit que les lumières se sont éteintes
qu’il n’y a aucune vérité à retrouver
et que personne ne s’occupe plus d’émettre des signaux
que la vie n’est rien
là où les mots courent se cacher.
Maria Eugenia Caseiro
(Traduction : Nicole Pottier)
|
Plusieurs autres traductions
existent et sont consultables sur le texte original en espagnol sur Agonia
: versions en anglais, en allemand, en roumain, en portugais.
«
Là où les mots courent se cacher…. »
Il
est temps que l'Amérique revienne à un niveau de conscience
morale : beaucoup l'écrivent, qui passent par-dessus les simples intérêts
personnels, économiques ou politiques.
En quelques décennies,
l'homme a détruit plus qu'en tous les siècles. La formation
de notre planète a été longue, elle a demandé
plusieurs millions d'années mais si l’on change un ou plusieurs paramètres,
elle peut être détruite rapidement par des réactions
en chaîne. L'homme est un apprenti sorcier qui ne maîtrise rien,
que des suppositions, des allégations. L'homme aurait-il pu créer
l'univers ? Non, mais il peut le détruire.
No hay palabras en la noche
En medio de la tragedia de Katrina
«
Et maintenant cette suprême obscurité
fichée dans le madrier du jour »
Alejandro Drewes (Jens)
Il n’y a pas de mots pour décrire la nuit
cette immense nuit qui emporte et tord les chemins
qui délie le vide démesuré de la mort
Il y a, dit-on, une sorte d’attraction de la mort
comment ne pas comprendre le moment décisif
le désir de se mettre en quête de ce qui fait le moins souffrir ?
Il y a une certaine beauté sinistre, une parenté
qui tend une embûche à l’aile de la parque,
une confusion peut-être,
dans cette lueur inconnue qui réclame
un morceau de pain à se mettre sous la dent
Il y a des anges, dit-on
qui cohabitent dans la ville des démons
et des être vulnérables, qui sur l’arête du temps
retiennent la montre,
et un espoir terrible qui réfute la voix du cœur
animal farouche qui s’accroche indomptable à l’innocence
Il y a dans la nuit un engrangement, un témoignage
une chaîne de graphies
un sursaut de charnières ouvrant les caisses
dans l’espoir hasardeux qui assiste ceux qui aiment.
Maria Eugenia Caseiro
montage photographique réalisée par Veronica Curutchet.
(Traduction : Nicole Pottier)
La
longue nuit dans laquelle est plongée l’Amérique, c'est
aussi la leçon d’une société pervertie et consumériste
car la finalité de l'être s'inscrit bien au-delà des
possessions et des acquis matériels, elle s’inscrit dans cette mort
: nous ne sommes pas éternels, nous ne sommes que des êtres
humains périssables. Mais en l'être humain, peut germer une
graine d'éternité et c'est tout simplement l'amour, car sans
amour, le monde disparaît, il n'y a plus de création.
Tout est lié, il
s'agit là d'une vision globale et c'est pour cela que nous sommes
tous responsables, et nous devons être tous solidaires. C’est aussi
la volonté d’écrire pour lutter contre l’oubli, l’indifférence,
la mort, car chaque jour a son labeur, chaque jour a sa valeur : Quelques
grammes de courage, d’espoir, de sourire … la Vie triomphe.
Paul Eluard
Et un sourire
La nuit n'est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l'affirme
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un coeur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie à se partager.
Paul Eluard, Le Phénix, 1951
===
Nicole Pottier, pour
Agonia France,
en partenarait avec Francopolis, octobre 2005.