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Si proche et si lointaine… l’Amérique
par Nicole Pottier

Le mythe de l’Amérique… après la chute du mur de Berlin, l'écroulement de l'empire soviétique, sommes-nous en train d’assister à l'effondrement de la toute puissance américaine ?  Il y eut le 11 septembre 2001, il y a maintenant les cyclones, dûs en grande partie au réchauffement du globe. Les images  relayées par les télévisions de la planète provoquent un impact  terrible dans les mentalités, car la puissance américaine est une « garantie » pour la puissance européenne, pour les civilisations judéo-chrétiennes, pour tous ceux qui se sont reconnus de tous temps dans ce rêve américain


Photo : Kerri Mc Caffety, www.npr.org

Andreï Codrescu, écrivain américain d’origine roumaine, habite à la Nouvelle-Orléans. Voici son témoignage

Love note to New Orleans

Mon cœur se brise en voyant comment ma belle ville coule à pic, tandis que moi je suis en sécurité à environ 90 miles de distance et le chagrin de mon âme n’est rien en comparaison avec la souffrance de ceux qui sont encore à la Nouvelle-Orléans. On reconstruira la Nouvelle-Orléans, mais ce ne sera plus jamais celle que j’ai connue et aimée. On l’a souvent comparée avec Venise, pour sa beauté et sa fragilité, pour son amour de la musique, de l’art et du carnaval. Siècle après siècle, un monde entier s’est tourmenté pour que des ingénieurs trouvent une solution pour la survie de Venise, mais peu ont eu également cette pensée pour la Nouvelle-Orléans.

La Nouvelle-Orléans a été – et peut-être l’est-elle encore- un carrefour commercial trépidant, crucial pour le contrôle des embouchures du fleuve Mississipi, vital pour l’industrie américaine et pour l’accès au golfe du Mexique.
Jean de Bienville fonda la ville en 1718, en ces lieux, sans tenir compte des avis de ses ingénieurs quant aux dangers d’édifier une assise sur un terrain marécageux, entre le Mississipi, le Golfe du Mexique et les grands lacs du nord. Les besoins des républiques américaines ont continué à construire sur le « péché originel » de Jean de Bienville, nécessitant encore plus d’aménagements visant à corriger la nature dans l’un de ses plus magnifiques points de convergence.

Les marécages, qui domptaient autrefois la furie des vents, ont disparu, victimes des grandes compagnies pétrolières et du réchauffement du globe. Les mers sont plus chaudes, bonnes gens, et ceci, nous l’avons choisi ! Faites attention, vous qui niez le réchauffement du globe, c’est pour de vrai !

La rédemption de la Nouvelle-Orléans lui vient de sa musique, de sa cuisine, des festivals, et de sa pauvreté.
C’est ici que fonctionnait l’un des marchés d’esclaves les plus brutaux d’Amérique, et c’est encore ici que se finissaient en ce point le plus au Nord, les filières de trafic d’armes, de rhum et d’êtres humains, en provenance des Caraïbes. Des esclaves, et ensuite, des réfugiés, des immigrants, des pirates et des artistes qui étaient à sec, et c’est ici qu’ils ont apporté la culture de l’Afrique, ou des endroits dont ils s’étaient enfuis.

La musique de la Nouvelle-Orléans a voyagé en amont du fleuve et elle est devenue la musique de l’Amérique.

Pendant des siècles, nous avons généré des énergies culturelles et humaines, mais tout ce débordement n’a apporté à la ville aucun aménagement foncier, aucune réflexion stratégique pour le futur, aucun cri collectif d’appel à l’aide pour arrêter la mort.

Le génie de l’armée a sauvé héroïquement la ville au moins au fois, lors des inondations de 1927, mais alors, comme maintenant, ce fut en réponse à une situation de crise, pas un plan délibéré, une préoccupation de l’avenir. Et nous voici maintenant, nous noyant dans les eaux qui nous cernent, sombrant dans nos propres résidus, dans la pauvreté, dans l’incompétence, dans la cupidité de nos précurseurs.

C’est le temps des reportages en direct, des histoires déchirantes, des sauvetages héroïques et des efforts surhumains d’individus au grand cœur, et des associations caritatives, fatiguées, mais toujours prêtes à l’action.

Ce n’est pas le temps de la colère, mais je ne peux m’empêcher de me demander : qu’est-ce qui survivra de notre culture ? Nous savons déjà qui va payer pour tout ceci : les pauvres. Comme toujours. Les ordures du pays tout entier coulent en aval du Mississipi chez eux. Jusqu’ici, ils ont transformé toutes ces saletés en un chant, ils ont pris sur eux tous les péchés de l’Amérique.

Mais ce blues maintenant devient trop important.

***

Andreï Codrescu est professeur de littérature anglaise à l’Université de l’Etat de Louisiane à Bâton-Rouge. Né en 1946, à Sibiu (Roumanie), il émigre en 1965 aux USA. Essayiste, poète, auteur de nouvelles, il est récompensé par de nombreux prix : George Foster Peabody Award, the ACLU Freedom of Speech Award, Big Table Poetry Award, the Towson State University Literature Prize, and the General Electric Foundation Poetry Prize, ses œuvres sont traduites dans le monde entier. Il est également commentateur à la radio nationale NPR, où on peut l’entendre dans la rubrique « All things considered » (Toutes choses considérées) :
 « Poète à l’appel » :  “Mourning for a Flooded Crescent City”



Maria Eugenia Caseiro, habite sur cette côte est des Etats-Unis, à Miami. Le cyclone l’a touchée de prime abord, avant d’aller plus loin ravager Beloxi dans le Mississipi puis la Nouvelle-Orléans.
« Le passage de l’ouragan Katrina nous a pris pratiquement par surprise en ce qui concerne sa trajectoire, il a affecté sérieusement un grand nombre de foyers, et au moment où je vous écris, sa force météorologique atteint le degré 5, le sinistre arrive maintenant sur la Nouvelle-Orléans, un état qui malgré des plans de contingence de ce type, était moins préparé que nous, car il n’avait pas vu d’ouragan depuis 1965. »


Deux poèmes témoignent de ce désastre et des conséquences qu’elle expérimente :

Un día después Beloxi.
A las víctimas de Katrina en cualquier parte

Un jour après Beloxi
Aux victimes de Katrina où qu’elles soient.



Un día después Beloxi
.
(A los que aún permanecen en tan larga noche)

Dicen que allá afuera no hay caminos
que vaga un viento helado
y que los giroscopios
han quedado mordiendo la distancia
en la ciudad sin nombre de los espejismos.

Dicen que las arañas se olvidaron de tejer

y que la luna
camina perdida en el mapa de la noche

Dicen que las luces se apagaron
que no hay verdades para recobrar
que ya nadie se preocupa por emitir señales

que la vida no es nada
donde corren a esconderse las palabras.

Maria Eugenia Caseiro

Un jour après Beloxi

(à ceux qui sont restés dans une si grande nuit)

On dit qu’au dehors, il n’y a plus de chemins
qu’erre un vent glacé
et que les gyroscopes
ont mordu la distance
dans la ville des mirages qui n’a plus de nom.

On dit que les araignées oublient de tisser leurs toiles
et que la lune
chemine perdue dans la carte de la nuit.

On dit que les lumières se sont éteintes
qu’il n’y a aucune vérité à retrouver
et que personne ne s’occupe plus d’émettre des signaux
que la vie n’est rien
là où les mots courent se cacher.

Maria Eugenia Caseiro

(Traduction : Nicole Pottier)

Plusieurs autres traductions existent et sont consultables sur le texte original en espagnol sur Agonia : versions en anglais, en allemand, en roumain, en portugais.

« Là où les mots courent se cacher…. »
Il est temps que l'Amérique revienne à un niveau de conscience morale : beaucoup l'écrivent, qui passent par-dessus les simples intérêts personnels, économiques ou politiques.
En quelques décennies, l'homme a détruit plus qu'en tous les siècles. La formation de notre planète a été longue, elle a demandé plusieurs millions d'années mais si l’on change un ou plusieurs paramètres, elle peut être détruite rapidement par des réactions en chaîne. L'homme est un apprenti sorcier qui ne maîtrise rien, que des suppositions, des allégations. L'homme aurait-il pu créer l'univers ? Non, mais il peut le détruire.

No hay palabras en la noche
En medio de la tragedia de Katrina
 

« Et maintenant cette suprême obscurité
fichée dans le madrier du jour »
Alejandro Drewes (Jens)


Il n’y a pas de mots pour décrire la nuit
cette immense nuit qui emporte et tord les chemins
qui délie le vide démesuré de la mort

Il y a, dit-on, une sorte d’attraction de la mort
comment ne pas comprendre le moment décisif
le désir de se mettre en quête de ce qui fait le moins souffrir ?

Il y a une certaine beauté sinistre, une parenté
qui tend une embûche à l’aile de la parque,
une confusion peut-être,
dans cette lueur inconnue qui réclame
un morceau de pain à se mettre sous la dent

Il y a des anges, dit-on
qui cohabitent dans la ville des démons
et des être vulnérables, qui sur l’arête du temps
retiennent la montre,
et un espoir terrible qui réfute la voix du cœur
animal farouche qui s’accroche indomptable à l’innocence

Il y a dans la nuit un engrangement, un témoignage
une chaîne de graphies
un sursaut de charnières ouvrant les caisses
dans l’espoir hasardeux qui assiste ceux qui aiment.

Maria Eugenia Caseiro 
montage photographique réalisée par Veronica Curutchet.
(Traduction : Nicole Pottier)



La longue nuit  dans laquelle est plongée l’Amérique, c'est aussi la leçon d’une société pervertie et consumériste car la finalité de l'être s'inscrit bien au-delà des possessions et des acquis matériels, elle s’inscrit dans cette mort : nous ne sommes pas éternels, nous ne sommes que des êtres humains périssables. Mais en l'être humain, peut germer une graine d'éternité et c'est tout simplement l'amour, car sans amour, le monde disparaît, il n'y a plus de création.
Tout est lié, il s'agit là d'une vision globale et c'est pour cela que nous sommes tous responsables, et nous devons être tous solidaires. C’est aussi la volonté d’écrire pour lutter contre l’oubli, l’indifférence, la mort, car chaque jour a son labeur, chaque jour a sa valeur : Quelques grammes de courage, d’espoir, de sourire … la Vie triomphe.


Paul Eluard

Et un sourire
La nuit n'est jamais complète
Il y a toujours puisque je le dis
Puisque je l'affirme
Au bout du chagrin une fenêtre ouverte
Une fenêtre éclairée
Il y a toujours un rêve qui veille
Désir à combler faim à satisfaire
Un coeur généreux
Une main tendue une main ouverte
Des yeux attentifs
Une vie à se partager.

Paul Eluard, Le Phénix, 1951



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Nicole Pottier, pour Agonia France,
en partenarait avec Francopolis, octobre 2005.


***


Samedi, 10 septembre, 19h par Zacharie Richard
Levée de fonds au secours des sinistrès de l’ouragan Katrina. Place du Festival, Lafayette, Louisiane.




 

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Vous pouvez les soumettre à Francopolis?

à sitefrancopcom@yahoo.fr.

 

Créé le 1 mars 2002

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