Autour de l'émission
"Double Je spécial Iasi"
3 ième partie " Médias et culture"
Editura Polirom : Lidia Ciocoiu.
(Photo personnelle : Mariana Luta)
La maison d’éditions Polirom a été fondée
il y a 9 ans à Iasi. Lidia Ciocoiu, 30 ans en est la directrice
éditoriale depuis 7 ans. Iasi est la capitale culturelle de la Roumanie.
On ressent une perte d’optimisme, surtout chez les jeunes. Au bout de 15
ans de transitions, trop d’espoirs ont été déçus,
un courant pragmatique se fait jour: les choses n’ont pas changé.
Liberté, démocratie ... Quelle réalité se cache
derrière ? Les communistes sont toujours au pouvoir, même la
jeune génération est éduquée dans cet esprit.
Oui, il existe la liberté de crier dans la rue son désespoir,
mais au quotidien, rien ne change. Existe aussi la liberté de publier.
Il y a aujourd’hui un malaise intellectuel, l’université reste prisonnière
d’une structure figée, il n’y a pas eu de mai 68. A la révolution,
il n’y a pas eu de changement de politique, après la chute de Ceausescu,
les communistes sont toujours au pouvoir.
Les éditions Polirom publient 2 ou 3 collections où paraissent
des documents sur Ceausescu: biographie, archives du Parti Communiste, des
essais ,des enquêtes., de jeunes auteurs, et aussi des écrivains
français : Amélie Nothomb, Eliette Abécassis, Amin Maalouf,
et des classiques : Flaubert (Madame Bovary), Balzac, Zola.
"On essaie de récupérer la vérité. Je pense
qu’une maison d’édition a comme devoir non seulement d’informer le
public, mais de le former dans cet esprit de vérité et de liberté.”
Editer de la littérature est encore souvent, comme
dans de nombreux pays ex-communistes, un acte militant. La Roumanie sera
en 2005 l’invitée des Belles Etrangères, une manifestation
initiée par le ministère français de la Culture.
« Votez pour la jeune littérature », tel est le
slogan de la campagne de presse lancée par Polirom, une des plus grosses
maisons d’édition du pays, pour promouvoir « Egoproz »,
une nouvelle collection consacrée aux jeunes auteurs. A Bookarest,
elle lance 7 jeunes auteurs, tous inconnus.
Effet de mode ou apparition d’une nouvelle génération ? Il
est trop tôt pour le dire. « Ces jeunes auteurs n’ont pas d’esthétique
commune, explique Lidia Ciocoiu, directrice éditoriale chez Polirom,
mais ils sont tous en rupture avec la génération précédente
qui a écrit sous le communisme. C’est le moment de les publier, car
ces jeunes de 25 à 30 ans sont les derniers à avoir grandi
sous le régime, puis ils ont vécu autre chose à l’âge
adulte, c’est la génération de la transition ». Qu’ils
critiquent les postures idéologiques de leurs aînés ou
décrivent crûment la réalité postcommuniste, ils
consomment la rupture avec la génération de la dissidence :
« le principal point faible de la littérature roumaine contemporaine
est qu’il s’agit de la littérature d’hier, d’avant-hier et des semaines
passées », explique ainsi To Bobe, l’un d’entre eux.
Par ailleurs, dans ce pays où ont fleuri les avant-gardes littéraires
les plus modernistes, comme Dada ou le surréalisme, les anthologies
de poésie font toujours recette. Comme en Slovénie, en Slovaquie
ou en Allemagne, la poésie est une pratique vivante. En témoigne
le nombre important de cercles poétiques et de revues littéraires,
même si ce n’est pas un bon produit pour l’export. Décédé
il y a deux ans, Gellu Naum, une des grandes figures du surréalisme
roumain, ignoré sous le régime communiste, fait l’objet aujourd’hui
d’un véritable engouement de la part du grand public. Même ses
contes pour enfants, écrits à l’époque pour échapper
à la censure, font un tabac.
Côté traduction, en littérature comme ailleurs, le courant
général est à la traduction d’ouvrages anglophones et
d’auteurs reconnus internationalement. On trouve aussi pas mal de romans
traduits du français. Même chez des éditeurs plus petits
comme Pandora, on traduit ce qui paraît dans le « trend »
: Frédéric Beigberger, Marie Darieussecq, Virginie Despente,
Annie Ernaux, Alice Ferney, etc. L’intérêt pour les littératures
des pays voisins reste faible, on ne publie de ces pays pourtant si proches
culturellement que les auteurs reconnus à l’étranger (Milan
Kundera, Bohumil Hrabal, Imre Kertesz, etc.). En matière de traduction,
la tâche est encore énorme pour boucher les trous que la censure
a imposés pendant des années. Aujourd’hui, quinze ans après
la révolution dans ce pays de 22 millions de locuteurs, terre d’une
riche culture et d’un brassage des langues (roumain, hongrois, allemand),
Henri Michaux ou Jean Genet n’ont été traduits que récemment.”
Propos recueillis à l’occasion de l’expo livres "Bookarest 2004”par
Anne Madelain. Article paru dans Le Courrier des Balkans et reproduit
avec leur autorisation.
(http://www.balkans.eu.org/article4535.html)
Au cimetière juif de Iasi
Le cimetière juif de Iasi, capitale de la Moldavie roumaine, date
de 120 ans et renferme plus de 100 000 tombes. Avant la Deuxième Guerre
mondiale, la ville recensait 45 000 Juifs. Pendant la guerre un pogrom fut
mené sous la conduite du général Antonescu, faisant
de très nombreuses victimes parmi les Juifs. De nos jours, la communauté
juive de Iasi n’a plus que 500 membres, sur une population totale de 600
000 habitants. La profanation du cimetière juif de la ville a été
précédée l’an dernier par des actes similaires dans
d’autres villes roumaines.
A la synagogue de Iasi sont donnés des cours d’hébreu et de
Torah. L’Agence Juive a ouvert dans la ville une structure de promotion de
l’aliya où sont également formés des moniteurs.
(http://www.jafi.org.il/agenda/french/index36.asp#4)
Rencontre avec Mr Pincu Kaizerman, président de la communauté
juive de Iasi, et son épouse. Tous deux ont vécu le pogrom
de 1941, Mme Kaiserman nous montre les dalles sous lesquelles reposent les
dépouilles des malheureuses victimes, parmi elles son père
et ses oncles. Malgré l’antisémitisme et le communisme, ils
ont choisi de rester en Roumanie, à Iasi.
- Est-ce que vous vous sentez roumaine ?
Oui, je suis roumaine, j’ai reçu une éducation
roumaine avec des traditions religieuses juives.
- Quel rôle la langue française a représenté dans
votre vie ?
Un grand rôle: la France représentait le pays
à la culture la plus avancée, à la devise si bien connue
"liberté – égalité – fraternité”. Le rêve
de chacun d’entre nous était de visiter Paris, la Ville Lumière.
"
Nota : Un livre à lire sur ce sujet:
CONVERSATIONS A JASSY
Pierre Pachet, ed. Maurice Nadeau, 1997.
En 1996, Pierre Pachet se rend dans le nord de la Roumanie, dans la ville
de Iasi. Ce n'est pas la première fois qu'il va dans un pays que l'expérience
du communisme a écrasé, pour goûter l'atmosphère
qu'on y respire, écouter les gens, se situer par rapport à
cette histoire. Cette fois-ci, les choses tournent autrement : peut-être
parce que le père de Pierre Pachet était lui-même originaire
de cette région de l'Europe. Le voyageur ne se satisfait pas d'essayer
de comprendre ce que ses interlocuteurs ont vécu et vivent, leurs
aspirations malheureuses au bonheur, à la liberté et à
une existence nationale indépendante. Il veut aller plus loin et plus
profond, remonter, en dessous même des malheurs engendrés par
le communisme, jusqu'à l'antisémitisme, jusqu'à la xénophobie
qui a été si longtemps intimement liée au nationalisme
romain. Sous la ville contemporaine de Iasi, il veut revoir la ville de Jassy,
jadis riche d'une forte population juive, et le pogron de juin 1941 tel que
Malaparte l'évoque dans d'inoubliables pages de Kaputt. Au-delà
de l'actuelle province roumaine de Moldavie, il se fait expliquer ce qu'est
la Moldavie indépendante, ce que furent la Bucovine, la Bessarabie
où vivait son grand-père, la Transnistrie où tant de
Juifs furent déportés. Les conversations, les lectures, les
réflexions s'organisent en une enquête sur ce qui a eu lieu
: en 1941, en 1943, en 1947, en 1989. Le lieu où se tiennent ces conversations,
auquel elles veulent se tenir, est marqué par des frontières,
des annexions, des expulsions, des violences contre les anciens voisins.
La tentation y est forte, pour chacun, de rester accroché à
son malheur, à son point de vue.
Siège de la Télévision Régionale : Wanda Condurache
(Photo personnelle : Mariana Luta)
La TVR est installée dans un splendide bâtiment historique :
le palais Sturza, qui fut aussi l’Ecole du Parti Communiste Roumain.
La Télévision Régionale est récente, elle a été
créée à l’occasion du cinquantenaire de la Radio, en
novembre 1991. Wanda Condurache a un doctorat en philologie de l’université
de Iasi, elle s’est orientée dans la voie du journalisme, a suivi
une formation en Grande Bretagne en 1993 à BBC Wales, ainsi qu’un
autre formation en France, à FR3 Alsace, elle est la rédactrice
en chef de la TVR de Iasi. C’est elle , alors simple journaliste, qui a organisé
le premier débat en direct lors de la campagne pour les premières
élections libres. "A l’époque, tout le monde débutait
dans la "parole démocratique”, nous comme journalistes, et eux comme
politiciens”. Elle est ensuite devenue la rédactrice en chef politique
de la Télévision.
- Aujourd’hui, vous sentez-vous comme une journaliste libre ?
Oui, nous sommes une station régionale autonome, nous
pouvons bâtir nos programmes sans influence extérieure.
- Comment passe t-on d’une TV "aux ordres” à une TV libre ?
C’est un long chemin pour la télévision roumaine,
les jeunes gens y compris pensaient qu’ils devaient servir quelqu’un. Il
reste beaucoup d’idées préconçues. „
Le cinéma et la culture roumaine : Les Bains Turcs de Iasi.
Construits en 1830, les Bains Turcs de Iasi sont à l’abandon et en
triste état. „Un décor de cinéma”. Heureusement, il
existe un projet de restauration franco-roumain. Le bâtiment abrite
un festival d’art contemporain „Périphérique”, dirigé
par un artiste de Iasi.
Pour nous parler du cinéma et de cette culture roumaine, Bernard Pivot
s’entretient avec Alex Leo Serban.
(Photo personnelle : Mariana Luta)
Alex Leo Serban est né en 1959 à Bucarest,
il est critique de film, auteur, traducteur, artiste. Il est actuellement
le rédacteur en chef de la rubrique cinéma pour "Dilema", hebdomadaire,
et pour "Norii", trimestriel; il est également chroniqueur principal
de film pour les journaux "Libertatea" et "Elle", mensuel, et contribue régulièrement
aux publications culturelles et littéraires principales en Roumanie
("Lettre internationale ", "Observator cultural", "Romania literara", "Secolul
21" etc.).
Cette année, un film roumain a remporté la palme d’or du court-métrage
à Cannes: „Trafic”.
Y a t-il un renouveau du cinéma Roumain ? L’année a vraiment
été formidable pour le court-métrage, la Roumanie ayant
également décroché l’Ours d’Or au festival de Berlin.
" Existe t-il une industrie cinématographique en Roumanie,
qui finance de longs-métrages pour les jeunes réalisateurs
?
Oui, mais c’est toujours une grande compétition. Ceux qui vérifient
les scenarii sont les mêmes qui les proposent, ils sont donc concurrents
entre eux. Les décideurs sont juges et parties
Il y a une tradition cinématographique en Roumanie, un grand réalisateur,
très connu en France, est Lucian Pintilie. Mais le problème
est que l’on ne présente pas de longs métrages aux festivals,
par manque de scénarii.
" Concernant la culture roumaine, y a t-il un effort de l’état
pour promouvoir une politique culturelle ?”
Cet effort est canalisé dans une seule direction: celle de l’Histoire,
où l’on adapte des oeuvres du passé, on réédite
et on traduit des classiques. Il n’y a aucun effort dans les arts contemporains,
aucune création, ni innovation. Et quand il y a un investissement,
il est moyen. Le Musée d’Art Contemporain est abrité dans la
maison Ceausescu, c’est un véritable scandale. De toutes façons,
même si l’on note une effervescence dans la Danse, les Arts plastiques,
il n’y a pas de réel effort de l’Etat. Le Ministère de la Culture
est dirigé par un historien, et sa priorité est le Patrimoine,
pas l’Art Contemporain.
En guise de conclusion... Mariana Luta, assistante culturelle
au Centre Culturel Français de Iasi :
"Mon parcours n’a rien d’exceptionnel. J’ai fait des études de
lettres à l’université « Al. I. Cuza » de Iasi.
En 1990, une petite délégation d’étudiants du département
de français, et dont je faisais partie, est allée à
l’Ambassade de France à Bucarest afin de demander la création
d’un centre culturel français. Ce fut le début de ma vie professionnelle.
J’ai commencé à travailler au CCF lorsque j’étais encore
étudiante. J’ai participé à la création et à
la mise en place de l’établissement. Depuis, je ne l’ai jamais quitté.
En 2002, TV5 m'a proposé le poste d'agent pour la Roumanie. Pendant
plus d’un an, j’ai travaillé donc, parallèlement à mon
poste au CCF, en tant qu'agent TV5 pour la Roumanie.”
Mariana Luta s’occupait de la direction et de la gestion
des projets culturels sur TV5, pour les programmes courants.
La langue française... qu’évoque t-elle ?
"je penserai à la douceur, car c’est un mot musical.
Cela reflète un peu la France en fait : un peu de douceur, de musicalité,
et toute une histoire qui est derrière, mais qui n’agresse pas.”
Mersi foarte mult, Mariana !
(Photo transmise par Mariana Luta)
Sur Agonia,
Maria Prochipiuc qui vit à Iasi.
"Je m'appelle Maria, je suis née à la campagne, dans un
village près de Iasi, où je restais chez mes grands-parents,
car mes parents travaillaient à Iasi , mais n'avaient pas de logement
correct. Je ne suis venue à Iasi qu'à partir de ma première
année de collège. Depuis j'y habite et je ne quitte plus cette
ville ,sauf si je pars en vacances ou si je sens le besoin d'un changement
de temps à autre.
Iasi est une ville de conte de fées,la ville des grands écrivains,la
ville d'Eminescu "Luceafarul romanesc"
Iasi est donc la ville de mon enfance, de mon adolescence et de ma maturité,
je me sens comme la fille de cette ville, je ne peux pas la percevoir autrement
que comme un parent plein d'amour, avec sa population d'hommes et de femmes
merveilleux, hospitaliers, et serviables au besoin.
Je n'ai que de vagues souvenirs de la période de mes ("l'étoile
du berger" roumain). Dans cette ville sont nées de grandes personnalités,
elles y ont vécu et y ont développé leurs activités,
non seulement dans le domaine littéraire, mais aussi dans d'autres
domaines. Le grand historien et écrivain Nicolae Iorga a surnommé
Iasi "la ville des églises".(Je reviendrai là-dessus dans un
article sur Iasi) études, car je les ai effectuées par étapes.
Je suis d'un caractère très amical,très rigolotte et
tous ceux qui ont été mes amis au début, le sont encore.
J'ai des amis de collège, depuis l'âge de 12 ans et nous aimons
échanger nos souvenirs chaque fois que nous nous rencontrons. J'ai
aussi beaucoup d'amis plus récents, car j'ai fait mes études
universitaires plus tard . En fait, j'ai des amis de tous les âges,
à cause de mon métier supplémentaire de professeur,
et beaucoup de mes ex-élèves sont mes amis, ils ont maintenant
eux-aussi leur propre famille.
La langue française a eu une influence négative sur moi au
début, négative par ma faute. Quand j'ai voulu commencer mes
études de lettres, j'ai eu besoin de la langue française, or
j'avais fait beaucoup de russe (8 ans) et très peu de français.
J'ai dû renoncer, car je n'étais pas préparée
et comme je suis plutôt orgueilleuse, je ne voulais pas être
une honte!! Plus tard on a ouvert des sections séparées pour
les langues et j'ai pu suivre les cours de l'université sans problème.
J'ai alors fait aussi du français, j'ai passé des examens.
Je suis quelqu'un de passionné par tout ce qui est nouveau, je comprends
le français et je peux le lire, mais je ne peux pas le parler
et ça me donne un état d'infériorité. C'était
au temps où la langue française était la langue étrangère
la plus importante, alors...
Même si l'état actuel des choses en Roumanie ne me convient
pas, j'ai un principe, je la considère comme ma patrie, comme une
mère et je l'aime comme elle est. J'ai toujours souhaité partir
moi aussi pour connaître d'autres pays, mais rien n'aurait pu m'empêcher
de retourner chez moi. La période des élections, oui je peux
la caractériser, qui plus est, certaines personnalités se dessinent
déjà. C'est une période pleine de promesses, je crois
que c'est pareil partout, je ne dis pas que je n'ai pas confiance dans les
gens, mais s'ils restent au niveau des promesses, leurs mots, pour moi, n'ont
aucune valeur.
Le futur, comment dire? il est sombre à beaucoup d'égards.
Cependant j'espère qu'il sera mieux. C'est difficile dans un pays
démoralisé de faire en une journée des miracles, mais
ça dépend de chacun d'entre nous, tous nous voulons ,mais nous
ne faisons rien d'autre qu'attendre."
Merci beaucoup, Maria, merci de tout coeur pour ton témoignage, pour
ta sincérité.
Par Nicole Pottier
Responsable pour
Agonia France
en parténariat avec francopolis
Ceci est la troisième partie de l'article
"" Autour de l'émission Double Je spécial
Iasi"
et vous pouvez lire chez Agonia " La première partie : "francophonie
et Roumanie" qui traite effectivement de l'histoire. C'est une
large introduction historique qui , premièrement définit le
terme de francophonie, ensuite présente les liens historiques
entre la langue française et la Roumanie.
***