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  ’’Oublier en avant” de Marlena Braester

Oublier en avant, Marlena Braester, Editions Jacques Brémond, 46 p., 2002, 10 €. Editions Jacques Brémond, Le clos de la Cournilhe, 30210 Rémoulins - Sur - Gardon.


L'eau le désert
Écouter "el agua el desierto"

L’eau le désert

des cris fusent
une voix s'arque
au-dessus de l'abîme
l'écho se courbe
prend la forme de l'abîme
se heurte
s'amplifie
s'écrase
rebondit

sous la voûte de l'écho
l'eau le désert
l'eau le désert

apa deşertului

strigăt după strigăt
strigăt în strigăt
o voce se arcuieşte lung
peste prăpastie
amplă cădere
ecoul se încovoie
ia forma abisului
se zdrobeşte
se adună
din fărâme
ţâşneşte iar

sub bolta ecoului
apa deşertului
apa deşertului
el agua el desierto

gritos brotan
una voz se arquea
por encima del abismo
el eco se curva
toma la forma del abismo
se choca
se amplia
se aplasta
rebota

bajo la bóveda del eco
el agua el desierto
el agua el desierto

(traduction : Nicole Pottier) 


Une poésie en mouvement, un recueil qui se construit au fil de la traversée du désert, dans un voyage qui n’a plus de destination initiale, un poème dont s’est écrit d’abord le dernier mot.  Des pensées recueillies, réfléchies sur elles-mêmes, car le désert les a mûries en un acte de langage sur soi-même, une poétique qui naît du silence des mots, de la soif ardente de la traversée dans une lumière omniprésente et brûlante, du balancement des dunes de sable aux contours éphémères dont le grain n’a plus le poids, de la clepsydre qui s’ensable hors du temps qui devient éternité,  des regs rocailleux aux couleurs ocres qui projettent les ombres, les arquent, courbent les lignes où s’effrite le son, se perd le regard, revient en arrière, oublie en avant.

"Nous les pèlerins " du désert"
Écouter "Nosotros los peregrinos del desierto"

nous, les pèlerins du désert

nous, les pèlerins du désert
- les corps tremblant dans leurs contours -
nos ombres nous précèdent dans la marche
dans sa veillée diffuse
il a soif, le désert
l'horizon est si proche
l'horizon est partout
l'horizon de la soif
nous, les pèlerins du désert
- l'horizons de la soif nous appelle -
les échos précèdent nos voix séchées
les ombres se retournent sur elles-même
échos - chaos qui se retourne sur lui-même
la lumière se concentre
efface les ombres
les voix se concentrent
effacent les échos
restent
l'écho de la lumière
l'ombre de la voix
immense voyelle atone - désert

noi, pelerini ai deşertului

noi, pelerini ai deşertului
cu trupuri tremurând în contururi
umbrele ne preced în mersul pustiitor
în veghea lui difuză
e însetat deşertul
orizontul e atât de aproape
orizontul e pretutindeni
orizontul setei
noi, pelerinii deşertului
- orizontul setei ne cheamă -
ecourile preced vocile noastre uscate
umbrele se reîntorc mereu
ecou-haos care se întoarce pe propriile urme
lumina se concentrează
şterge umbrele
vocile se concentrează
ştergând ecourile
rămân
ecoul luminii
umbra vocii
imensa vocala atonă - deşert

Nosotros, los peregrinos del desierto

nosotros, los peregrinos del desierto
-con los cuerpos temblando en sus contornos-
nuestras sombras nos preceden en la marcha
en su velada difusa
el desierto tiene sed
el horizonte está tan próximo
el horizonte está por todas partes
el horizonte de la sed
nosotros, los peregrinos del desierto
-nos llama el horizonte de la sed –
los ecos preceden nuestras voces secadas
las sombras se vuelven sobre sí-mismas
ecos-caos que se vuelve sobre sí-mismo
la luz se concentra
borra las sombras
las voces se concentran
borran los ecos
quedan
el eco de la luz
la sombra de la voz
inmensa vocal átona - desierto

(traduction : Nicole Pottier)

Voici une invitation à traverser le désert, en une marche lente, silencieuse, isolée, à partager une équipée , en réalité  un pèlerinage, où les ombres traversent la lumière omniprésente, qui sèche les êtres. « Nous les pèlerins du désert » « marchons » « avec lenteur ». Un groupe s’est formé pour ce pèlerinage, voyage aux sources, dans un univers mystérieux voire hostile : les échos précèdent, les ombres se retournent . En même temps que le voyage s’initie, le poème s’écrit. Tous les éléments sont présents : les contours diffus et l’horizon, la lumière et l’ombre de la voix, l’écho de la lumière et le silence,  le désert et la première lettre du livre qui s’ébauche.
Car la lumière possède une intensité particulière qui redessine les arêtes nettes et vives des dunes dans leur contour aigu, cependant qu’elle modèle ces mêmes dunes dans de subtils dégradés. Jeux de lumière où les ombres deviennent encore plus marquées dans un espace où la désolation souligne et renforce l'immensité. Immensité faite de sable qui se joue de l’être humain dans ses tempêtes, dans ses nuits, qui redessine le paysage, qui réécrit le poème, puisque « effaçant les lettres d’un poème déjà écrit ».

Pierre et sable à la fois
Écouter "Piedra y arena a la vez"


pierre et sable à la fois

le sablier
étrangle le désert entier
pierre dans le sable
sable dans la pierre
pierre et sable à la fois
le discontinu et l'insomnie
étranglés
se dénouent les heures
une à une
se dénouent les instants
un à un

suicide
du sablier

sinuciderea clepsidrei

clepsidra
sugrumă întregul deşert
piatră cu miez de nisip
nisip cu miez de piatră

sugrumate
se deznoadă orele
una câte una
se deznoadă momentele
unul câte unul


sinuciderea clepsidrei
Piedra y arena a la vez

el reloj de arena
estrangula el desierto entero
piedra en la arena
arena en la piedra
ambas piedra y arena
lo discontinuo y el insomnio
estrangulados
se deshacen las horas
una a una
se deshacen los instantes
uno a uno

suicidio
del reloj de arena


(traduction : Nicole Pottier)

Dans ce somptueux et écrasant paysage, le voyageur est un corps ramassé en ses sens, une existence qui traverse les temps de la même manière qu’il traverse le désert. Le temps et les repères s’abolissent dans cet univers où nous remontons nos origines. Passé et futur convergent de nouveau dans les dimensions cosmiques du désert – qui est comme une ultime frontière, de fait "une traversée sans présent”.  Pratiquement sans changement pendant quatre milliards d'années, le désert a été longtemps considéré comme "hostile aux humains." Pourtant c'est ici que les expériences existentielles qui ont mené aux trois religions principales du monde - judaisme, christianisme, et Islam – furent possibles. Chacune des trois a commencé dans le désert.
Le désert signifie  à la fois destruction et renouvellement, mort et vie mais tout dépend de la manière dont l'homme appréhende cet environnement. Le désert est un absolu qui contient en son essence la foi en l’homme, un humanisme foncier. Car c'est bien d'une foi qu'il s'agit mais d'une foi perdue dans un monde qui ne s'étonne même plus du silence de Dieu.

Les mythes comme les pierres


Les mythes comme les pierres

les mythes
commes les pierres
quelques lettres non déchiffrées
sèchant au soleil
je tourne la tête
ce mot
- disparu

au coeur de la pierre
la plus dense obscurité
le pouls des pierres
l'instant qui rend
insupportable la cohésion
de la matière:
les grains de sable sont nés
ayant oublié l'unité de la pierre

passe
le spasme de la pierre
passe
l'onde
indolente
de l'heure
sur la dune naissante
restent les mythes
comme les pierres

le temps
les pierres

miturile, ca şi pietrele

miturile
ca şi pietrele
câteva litere nedescifrate
uscându-se la soare
întorc capul
cuvântul acela
- dispărut -

în inima pietrii
cea mai densă obscuritate
pulsul pietrelor
momentul care face
insuportabilă coeziunea
materiei
firele de nisip s-au născut
uitând întregimea pietrii

trece
spasmul pietrii
trece
unda
indolentă
a orei
peste duna abia nascută
rămân miturile
ca nişte pietre

timpul
pietrele

los mitos como las piedras

los mitos
como las piedras
algunas letras sin descifrar
secando al sol
vuelvo la cabeza
esa palabra
- desaparecida


en el corazón de la piedra
la más densa oscuridad
el pulso de las piedras
el instante que hace
insoportable la cohesión
de las materia :
nacieron los granos de arena
habiendo olvidado la unidad de la piedra

pasa
el espasmo de la piedra
pasa
la onda
indolente
de la hora
por la duna naciente
quedan los mitos
como las piedras

el tiempo
las piedras

(traducción: Nicole Pottier)


 Rencontre et confrontation avec une autre dimension où s’inversent les valeurs, où s’épurent les perceptions, les sensations. Une « poésie-érosion » naît des sons, des voix, des visages, des regards. Pas d’interrogation, le désert est une « immense voyelle atone », un commencement au-delà de la voix,  et il faut « garder le souffle » , suivre jusqu’au bout... l’inspiration, dans le silence.
Le désert devient présence, se personnifie, il est l’interlocuteur qui fournit la trame au poème, c’est lui qui écrit le poème qui se transforme alors  en une « mise en scène de l’oubli ». Englouti dans cet infini, le poète témoigne sur lui même, ”fixe le vertige”: découvrant son "humanité”, il l'assume comme seule source possible de sa grandeur.
Le désert dépose lentement ses semences, grains de sables dont la cohésion donnent sa forme à l’existence: ”C’est alors que j’existe, c’est alors que "jeexiste le moins
Dans ce silence où "l'instant n’a plus le poids du grain", l’être recompose son unité, achève le poème dans ce ”terreau fertile” du désert, où pour parler du signifié, il nous faut faire l’économie des mots, vaincre la soif qui nous brûle, et atteindre ainsi l’invisible que seul le coeur peut distinguer.


 « Oublier en avant » est  le récit d’un voyage, de la traversée du désert, à travers les éléments, le temps, la confrontation du poète avec son poème. Ce voyage porte en lui la parole du poète qui imprime son originalité dans un style épuré, concis et d’une grande beauté esthétique.

 ”- Le désert est beau, ajouta-t-il...
Et c’était vrai. J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant quelque chose rayonne en silence...
- Ce qui embellit le désert, dit le petit prince, c’est qu’il cache un puits quelque part...
Je fus surpris de comprendre soudain ce mystérieux rayonnement du sable.

Antoine de Saint Exupéry, le petit Prince.


Nicole Pottier, pour Agonia France, en partenariat avec Francopolis février 2005


Photos personnelles de Marlena Braester
Textes dits par Marta A. Covas, Agonia Espagne – Radio Agonia.




 

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Créé le 1 mars 2002

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