Le désert et le cinéma :
magie de l’espace et de l’image.
par
Moha SOUAG.
S’agit-il du lieu
toponymique ou du concept psychologique ? Le désert est
ambivalent. Ce n’est pas une variante du signe, de son signifiant et
son signifié; mais un lieu dit, un point situé sur une
carte et qui porte le nom de Sahara et de plusieurs concepts
philosophique, littéraire et sociologique: le désert, le
vide. Un vide plein de lumière où chacun projette, de
loin, ses fantasmes. Il y a déjà projection. Et comme
partout ailleurs, on ne trouve dans le désert que ce qu’on y
apporte. Car nos joies et nos peines nous accompagnent partout
où l’on va. Autant le désert est vaste pour contenir tous
les imaginaires des hommes autant il est exigu pour rejeter tout ce qui
est faux. Pas de fioritures. Pas de chiqué. Le vent, le sable,
la pierraille, le soleil, la soif et les mirages ne laissent aucune
chance à l’improvisation. « Il
y a le désert–caresse et le désert-détresse. Je
passe toujours de l’un à l’autre. Tous les Sahariens et les gens
qui aiment vraiment le désert connaissent ce double sentiment.
C’est à la fois dangereux et fascinant. » écrit Raymond Depardon dans "Les Cahiers du Cinéma n°429" parlant de son film : «La Captive du désert.»
De quel
désert/Sahara parler ? De celui des cinéastes occidentaux
et consorts attirés par le mystère de ces grandes
étendues désertiques qui ouvrent les bras à
l’imagination de réalisateurs et de scénaristes qui ne
connaissent du désert que les grands boulevards
bitumés, les boyaux effrayants du métro des grandes
agglomérations et des villes surpeuplés qui sont notre
exotisme ? Ou bien celui de Tawfik Salah dans «Les dupes » ,film tiré du roman de Ghassan Kanafani « Rijaloun fi chems
» qui est un piège mortel où les efforts, la lutte
d’un peuple symbolisé par les personnages emprisonnés
dans une citerne et abandonnés à la soif et
à la chaleur mortelle par un guide impuissant ?
Le désert est un
cadre offert au regard du réalisateur pour le remplir : le
cadre-plan et le cadre-désert /lieu sont du temps ; c’est le
temps d’une prise et le temps réel du passage d’une caravane
entre les dunes ocres du désert. Le rapport du nomade avec le
temps, le rapport du réalisateur et du spectateur avec le temps,
ne sont pas identiques. L’un est mercantile l’autre est à fonds
perdus pour ne pas perdre le plus précieux des biens: la
vie. Rien à voir avec le temps de l’art/le temps dollars.
« A propos de Depardon, il était curieux de voir, à
Cannes, l’enthousiasme quasi unanime des critiques européens
pour "La Captive du désert".
Pour nous, nous avons failli mourir d’ennui. » C’est ce qu’un
critique marocain avait écrit reprenant certainement ce qu’il
avait entendu dire ou ce qu’il avait lu et mal assimilé pour ne
pas dire mal digéré du prêt à penser sur
l’exotisme. On aurait accepté cela d’un critique japonais ou
américain dont le temps vaut de l’argent et la vie
réglée au chronomètre que d’un critique marocain
qui passe le plus clair de son temps dans un café plus
désertique que le désert. Il continue en écrivant
: Je cite «Je reprends ici les Cahiers du cinéma n°433
; « Le plaisir
inouï, la caméra montre l’immensité, les couchers du
soleil caressant les dunes, et les chameaux se découpant
à l’infini. » Comme c’est original ! » Fin de
citation ironique. Comme dit l’adage populaire -des couleurs et des
goûts… ! Chacun son désert, chacun son exotisme. Rien ne
justifie de mépriser un peuple ou une civilisation mais ceux, de
chez nous, qui parlent d’exotisme chez les autres, s’attendent-ils
à retrouver dans leur cinéma des personnages ou des
situations aussi idéales qu’ils s’imaginent être eux
mêmes? L’idéal d’une image cinématographique pas
encore imaginée par les intéressés. L’exotisme est
extérieur au spectateur dont la culture a produit le film et non
à celui qui n’a pas encore conquis sa propre image et qui se
confond dans son jugement, à cause des outils d’analyse
empruntés à l’autre, à celui qui cherche
l’exotisme. Souleyman Cissé disait à propos de son film :
Yeelen qu’il l’avait tourné « en
partie contre les films ethnographiques européens, j’ai
voulu répondre à un regard extérieur, à un
regard de savants et de techniciens blancs qui avait parfois tendance
à prendre les Africains pour des objets, pour des animaux, que
l’on montre dans leurs rites un peu exotiques. »
La maîtrise de la
technique cinématographique et des budgets ne sont pas
suffisants pour créer. Il s’agit de conquérir et
d’agrandir la dimension de nos rêves. Dans quel rêve
habitons-nous ? Ce sont des paramètres trop fluctuants qui
donnent au film sa valeur. Je parle des valeurs qui font d’un film une
œuvre d’art, son esthétique, sa technique et son discours ; je
ne dis pas son message. Car on voit chaque jour ce que font les
zélotes et les internautes du message. Cependant, quelle que
soit l’intention des créateurs, certaines contraintes s’imposent
et le film restera une aventure par procuration, le rêve
doublement réalisé par le spectateur dans son fauteuil et
le réalisateur dans les limites du cadre. Le hors-champs posera
toujours problème. Le spectateur du film : Thé au Sahara
de Bertolucci ne vivra pas les tempêtes de sable ni la
présence quasi envahissante des mouches en automne, pendant la
cueillette des dattes, ni la sueur et la chaleur accablante des marches
pénibles sous le soleil. Le spectateur en sera privé. Par
contre il vivra les longues journées ennuyeuses d’une captive,
parce que prisonnière et retenue malgré elle dans le
désert et, à ma connaissance, toute privation de
liberté est bien ennuyeuse même dans le plus beau des
palais du monde. Bertolucci contrairement à Depardon, dans Thé au Sahara,
utilise l’ellipse pendant la traversée du désert
par sa caravane. Cette figure de style qui, en deux ou trois plans,
pendant le montage, plie le temps et l’espace et économise
l’action et l’argent. Deux conceptions du désert et du
cinéma : le mouvement ou l’immobilité, l’action ou
la psychologie ; l’action et la survie en urgence ou le temps de
survivre et l’économie dans les gestes.
Serge Toubiana écrit à propos du film de Raymond Depardon « La captive du désert » : « C’est
un film qu’il faut regarder en prenant son temps, un film comme les
autres sauf que le personnage principal de ce film c’est le
désert. » Le désert apprend la patience et la persévérance.
Pour conclure, la magie du désert ressemble à ses
habitants. Le désert n’appartient à personne car les
nomades n’appartiennent pas à la terre mais à leur
semblable. Ils sont attachés à tout ce qui bouge, rien ne
les attache à la terre ni arbre, ni maison, ni semailles. Tout
leur pays est sur le dos de leurs montures. Ils ne laissent pas de
traces sur le sable car ils savent que tout est
éphémère comme une image de cinéma, on n’en
garde qu’un souvenir souvent plus beau que la réalité car
cette vision vient de plus loin que la réalité. Et, comme
le cinéma, le désert c’est la vie.