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Vision de l'écriture

L’écrature !

par Moha SOUAG



Réfléchir sur le début d’une oeuvre c’est un peu comme chercher le mobile du crime pour un juge ou les causes d’une maladie pour un médecin; en parler pour un écrivain, c’est justifier a posteriori un acte perdu dans la confusion des mille et un petits actes qui lui ont donné naissance sans pour autant arrêter le criminel ni soigner le malade. L’acte final correspond-il à l’intention ? La justification correspond-elle à l’acte ? Nul ne le sait.

J’aurais voulu vous dire que j’ai pris la décision d’écrire un mardi matin entre dix heures et dix heures une comme un coup de foudre fulgurant qui aurait fait saigner ma plume d’encre au lieu de sang. Mais je sais que cela n’est pas vrai. Je voudrais bien vous mentir, mais oserai-je me mentir et garder  au fond de mon esprit  ce beau mensonge qui ferait de moi cet être extraordinaire, touché par la grâce des muses en traversant, un beau matin, un champ de blé mûr, un mardi de l’été  1900 quelque chose ? Non. L’écriture est venue insidieusement à travers les récits de mes parents, les chants et les poèmes des fêtes, les contes de mes tantes et les aventures  de mes oncles. C’est un tapis qui s’est tissé à travers le temps et le chuchotement du vent du désert dans les rues de Ksar es-souk et à travers les livres de lecture dans les classes du collège et du lycée ou dans des coins isolés de la maison.  C’est  un travail de ruche, comme disait Gorki dans son livre L’Enfance :
« J’ai l’impression d’avoir été dans mon enfance comme une ruche où des gens divers, simples et obscurs,  apportaient, tels des abeilles, le miel de leur expérience et leurs idées sur la vie; chacun d’eux, à sa manière, enrichissait généreusement mon âme. Souvent ce miel était impur et amer mais qu’importe, toute connaissance est un précieux butin. »

C’était aussi la découverte d’un monde fabuleux à travers cette clé qu’est devenue la langue française; elle m’a permis de découvrir très tôt la littérature mondiale où Dostoïevski et Steinbeck  fréquentaient Voltaire et Balzac et où d’illustres inconnus venaient modestement enrichir un lecteur infatigable et insatiable. Edmond Amran El Maleh écrivait dans son livre « Le Café bleu »:
« La langue nouvelle arrive(...) On en subit le charme, l’attrait du dépaysement. Elle est belle. Etrangère, promesse du désir enfin libéré des tabous et des interdits, fleur et fruit du péché. Nos jeunes gens subjugués,  séduits, osent avec elle ce qu’ils n’ont jamais osé avec leur langue mère, qu’ils aiment, parlent ou écrivent. »

La découverte des richesses de la langue française avec des écrivains comme Ahmed Sefrioui ou Mouloud Feraoun qui exprimaient notre réalité profonde m’a enfin poussé, chaque fois que je lisais au bas de la page de lecture un nom bien de chez nous ,de souhaiter écrire moi aussi et de dire ce que disait nos vieux dans le silence du désert. Ces mots que le vent emportait avant que le temps ne les ensevelissent sous terre avec leur détenteur. Plusieurs années plus tard, quand l’acte d’écrire est devenu conscient, après avoir publié plusieurs textes dans la revue Lamalif entre 1972 et 1979 j’ai décidé d’éditer mes écrits et de continuer  d’écrire pour sauver une mémoire jetée dans les poubelles de l’histoire et de l’oubli. J’avais toujours en tête cet adage de Hampaté Ba qui disait qu’un vieux qui meurt en Afrique est une bibliothèque qui brûle.

 L’écriture est devenue un défi à relever: le défi des hommes et des mots; ni les uns ni les autres ne se laissent  manipuler facilement. Relever le défi de l’ignorance, de l’analphabétisme et surtout le défi de l’indifférence de certaines gens qui se sont érigés en maîtres du savoir et de l’intelligence, détenteurs du pouvoir symbolique au détriment de tous ceux que le savoir académique a oublié et dont la langue et la culture ont été reléguées dans le  folklore et les moussems artificiels pour touristes.

    J’écris aussi pour rendre à la langue ce qu’elle m’a toujours offert: la joie et le plaisir de l’esprit; des moments de grâce où l’on communie avec nos semblables bien qu’ils ressemblent beaucoup plus à Dieu, qui les a crée à son image, qu’à l’homme dont l’image change tout le temps et c’est ce qui fait le plaisir du récit donc de l’écriture.



 
Moha Souag 
pour Francopolis février 2010 
recherche Ali Iken 



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Créé le 1 mars 2002