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Stage d'écriture avec Charles Juliet
« écrire l'intime »


Samedi 11 novembre

Nous sommes une quinzaine autour de la table, quatorze femmes et un homme, issus de la région mais aussi bien au-delà, partageant un coup de coeur pour l'oeuvre de Charles Juliet, ou pour un de ses livres. (Lambeaux )
Lorsqu'il entre dans la salle, je suis d'abord frappée par sa haute taille. Je reconnais le visage, il est plus âgé que sur les photos que j'avais vues. Un sourire gêné, une extrême politesse, on dirait qu'il s'excuse d'être là (ce sera son attitude pendant toute la durée du stage).
Il s'installe au bout de la table. Catherine Maillard, organisatrice du stage, se charge de le présenter (« mais on ne présente plus Charles Juliet ») et d'annoncer le déroulement du week-end, avant de laisser la parole à « Monsieur Juliet ».
Son visage est concentré, comme recueilli. Avant chaque parole il lève les yeux au ciel, laisse de longues plages de silence entre ses phrases. En l'écoutant, je suis frappée par la très grande cohérence entre ce qu'il dit, ce que je connais de son oeuvre, et ce qu'il manifeste là, par sa présence, le positionnement de son corps, sa façon de s'adresser à nous. Et puis il y a sa voix : une voix grave, profonde, caverneuse. Il faut prêter l'oreille pour bien l'entendre, c'est une voix qui ne s'impose pas, ne cherche pas à dominer. Son visage est souvent tendu, son regard dans le vague, comme plongé dans des limbes intérieures dont il ne réussit à émerger qu'au prix d'un effort manifeste.

Dès le début apparaît son désir de mettre son expérience au service des autres. Et c'est cela principalement que je retiendrai de ce stage. L'impression d'avoir assisté à la leçon d'un grand maître. Depuis je n'ai de cesse de relire mes notes, elles me nourrissent véritablement.

Je ne peux garder pour moi cette expérience, car je suis sûre qu'elle peut parler à beaucoup d'autres, voilà pourquoi j'ai choisi de vous livrer les quelques notes que j'ai prises :

« Entre les différentes expressions de la pensée, il n'y en a qu'une qui soit la bonne » (La Bruyère)

L'écriture est difficile. Elle est toujours un tâtonnement en vue d'arriver à mettre en mots sa pensée avec le plus de clarté et de précision possible. Il faut constamment travailler dans un va-et-vient entre écriture et pensée, l'une précisant l'autre. Ne jamais se contenter de l'à peu près, c'est si facile d'avoir recours à une supercherie, une clownerie du langage. Les écrivains sont tous des travailleurs acharnés. Il est important de ne pas se décourager, de ne pas se laisser rebuter par la difficulté. Écrire est cet équilibre permanent entre rigueur et spontanéité.

Il y a pour moi deux modes d'écriture. Dans l'un, on sent en soi quelque chose de confus, quelque chose qui cherche à naître et à quoi on va donner une forme. Dans l'autre il s'agit d'une voix intérieure qui dicte une parole, sorte de « dictée de l'esprit ». Les deux modes peuvent apparaître, chacun à des moments différents où l'un sera privilégié.
C'est à chacun, à force de travail, de trouver son propre mode d'écriture et sa propre voix.
Écrire, c'est tenter de retrouver le rythme de la parole.

On ne peut pas connaître l'autre si on ne se connaît pas soi-même.
Il faut savoir faire preuve de courage.
Je crois que j'ai fait un grand pas en avant le jour où j'ai compris que les combats qui me font honte sont aussi ceux des autres, et où j'ai accepté d'échouer.
En écrivant, on découvre des choses en soi qu'on ne pensait pas posséder. Il s'agit de se livrer tout en se délivrant. C'est aussi un moyen de conserver son vécu, de lutter contre la mort et l'érosion du temps.

***

Après cette introduction, nous avons été invités à réfléchir à notre pratique personnelle de l'écriture : quel type d'écriture, sur quel support, à quel rythme ?
Qu'est-ce que ça m'apporte, qu'est-ce que j'attends de cette pratique ? Quelles sont mes difficultés ?
Chacun ayant produit un texte autour de ces questions, nous avons ensuite été invités à échanger en petits groupes, un rapporteur étant chargé de faire la synthèse des échanges.
Au moment du partage en grand groupe, Charles Juliet écoutait avec attention chaque personne, faisant peu de commentaires. Suite à une question qui lui a été posée par une des participantes, un débat a été ouvert, sur lequel j'ai pris quelques notes, la plupart issues des propos de Charles Juliet :

Pour arriver à l'écriture, il faut faire l'expérience du non-savoir et du non vouloir
Écrire est quelque chose de vital, qui a à voir avec la vie, la mort, le temps qui passe, le besoin de communiquer. Le besoin de communiquer est un besoin vital, aussi fort que le besoin sexuel, par exemple.
Écrire c'est se retrancher pour aller vers.
Ce n'est pas facile de s'autoriser à écrire. N'oublions pas que dans « s'autoriser », on retrouve les mots « auteur » et « autorité ».

A la question « Écrire, pour quoi faire ? » voilà ce qu'ont répondu (entre autres) les participants :
·   chercher l'essentiel
·   être dans le présent de la vie
·   recueillir des traces de peu qui peuvent faire texte
·   se clarifier, trouver plus de transparence
·   rester vivant
·   se rassembler
·   quitter la tête

Commentaires de Charles Juliet :
Être soi-même ne nous est pas naturel, pas donné, c'est une parole à conquérir. Écrire nous apprend à parler (cf le journal d'Anaïs Nin). On cherche toujours à mieux préciser sa pensée. Mais attention, « le temps se montre sans pitié pour ce qui a été fait sans lui ».
Dire la souffrance est peut-être le plus difficile. Cela exige une gravité et une pauvreté dans la langue. Il ne faut pas un mot de trop.
Il faut savoir entrer en contact avec soi-même, descendre au plus enfoui de soi pour aller à la rencontre de ces choses cachées qui dirigent notre vie.
On n'a jamais que deux ou trois idées dans la vie, qu'ensuite on approfondit. Toutes les grandes oeuvres se répètent.
L'universalité est le critère déterminant de la valeur d'une oeuvre. Il faut savoir tirer l'universel du particulier.
La fonction de l'écrivain, c'est d'abord d'écrire pour soi, puis de trouver les mots qui, à travers son expérience, vont permettre à autrui de se révéler à lui-même.

Cette première journée se termine avec un dernier exercice : se décrire à travers ce qu'on n'est pas et qu'on aurait aimé être (portrait par défaut).


Dimanche 12 novembre


Pour commencer, Charles Juliet nous propose de raconter une peur très forte qu'on a vécu. Le temps de lecture en grand groupe montre que l'expérience a été difficile mais fructueuse. Chaque texte est écouté avec un grand respect. Attentif, Charles Juliet se contente de faire des remarques sur la forme et des suggestions de réécriture en vue d'améliorer le texte. Il nous rappelle la nécessité d'ancrer au maximum le langage dans le concret des choses. Il faut savoir décrire la peur sans la nommer.
« En art, tout ce qui n'est pas nécessaire est nuisible » (Matisse)
Chercher à être vrai, c'est cela qui donne l'énergie poétique. Trouver la nuance exacte. Rechercher la simplicité. Faire attention à ne pas employer systématiquement des mots que l'on aime, car s'ils signifient pour nous beaucoup de choses, ce n'est pas le cas pour les autres. Que chaque mot soit inévitable.

Au cours des échanges, plusieurs points importants ont été abordés :

Sur la question du « mentir vrai » :
Se souvenir, c'est inventer. Inventer, c'est se souvenir.
On peut tout dire de soi, à condition :

-   d'être dans le non savoir et le non vouloir
-   de n'avoir aucune image de soi, d'avoir quitté le regard de l'autre
-   ne pas être dans la complaisance envers soi-même, ne pas chercher à se mettre en avant

« Plus j'ai à dire une chose personnelle, plus j'essaie d'être dans la neutralité »

Atteindre l'universel :
Tout ce qu'on a à dire se retrouve aussi chez les autres.
C'est en creusant sa singularité qu'on atteint l'universel (il s'agit bien de singularité, ce qui est différent de la subjectivité).
On doit nécessairement être dans la neutralité si on veut que le lecteur s'approprie ce qu'il lit.Tchekov disait « Quand on écrit il faut être froid ».
Passer du Moi au Soi, c'est vivre cette révolution intérieure qui fait qu'on meurt à soi-même pour renaître. Après cette mutation, on connaît l'amour, l'empathie, sans être pour autant déconnecté de soi.
Seuls sont grands les écrivains qui nous parlent parce qu'ils ont vécu ce passage.

« J'ai mis longtemps à comprendre que plus un écrivain est universel, plus il est singulier »
 
 

partage du stage (les 11 et 12 novembre 2006 )
à Béhuard (49),
organisé par Aleph Loire
par Sabine Chagnaud
pour francopolis  janvier 2007






 

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Créé le 1 mars 2002

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