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«Je ne voulais pas débuter par un générique qui fasse
« cinéma », je voulais un début de film sans fioriture,
sans pour autant que cela fasse documentaire, le film
reste une fiction.»
Roman Polanski


Le pianiste, un film de Roman Polanski sorti en salle en 2002 (USA), avec Adrien Brody dans le rôle de Szpilman, pianiste juif polonais à Varsovie, pendant la seconde guerre mondiale.

Ici tout est sobre et signifiant. Les images tendent vers le gris, le rouille, le sépia ; Polanski travaillant son film dans la complexité des comportements humains, il lui est nécessaire de simplifier l'impact des couleurs.

Avec ce long métrage, on pourrait s'adonner à l'envie de parler de Roman Polanski ; de sa vie, de son enfance en Pologne et de son vécu personnel de gamin juif dans le ghetto de Varsovie. Mais... non. Le réalisateur, en professionnel capable de surprendre le public et de ne pas verser dans l'auto-dolorisme, propose l'histoire d'un autre homme ayant connu le ghetto - évitant ainsi de nous abreuver d'un film personnel. En effet, Polanski a adapté le récit que le pianiste Wladyslaw Szpilman a écrit en 1945.


Dans Hors Champ (décembre 2002) Yannick Rolandeau sous-titre son article sur Le Pianiste, Humiliation, humilité ; L'humilité du réalisateur qui décide de s'effacer derrière sa caméra, derrière les images percutantes mais sans tapage de l'histoire vécue par un autre. Il y réussit jusqu'à nous saisir comme rarement. Même avec Tess en 1979, Polanski n'était pas allé aussi loin, aussi fort, aussi universellement. Et c'est la valse macabre de la rue Chlodna, les cadavres qui se décomposent sur le trottoir du ghetto, l'enfant contrebandier tué à coups de crosse alors qu'il tente de s'échapper... Et c'est le père qui s'efface pour laisser passer les officiers nazis... puis ce vieil homme handicapé que les mêmes jettent du haut de la fenêtre, car il ne s'est pas levé quand ils l'ont ordonné. Nous sommes dans l'humble humilié par la barbarie, nous sommes dans la terre (l'humus), là où la transformation s'opère, là où l'air manque ainsi que la lumière, là où ça fait peur, froid... et mal.

« ... rappeler que l'homme est humble1, c'est rappeler qu'il est né de l'humus. Humilier autrui, c'est en revanche non seulement le ramener à l'humus, le réduire à l'humilité de la poussière, des feuilles, du fumier, mais c'est le traiter « plus bas que terre », l'enfoncer dans cette couche primitive où le sol est pourriture et décomposition et dont la vie l'a dégagé. C'est réduire l'être humain à ce qui n'est pas de l'ordre du vivant mais de l'inerte et de l'inanimé, le dépouiller de sa forme et de sa contenance, c'est le mortifier, lui faire sentir les affres de la mort alors qu'il est encore en vie. »
Jean Clair (La Barbarie ordinaire)

L'histoire raconte comment naît le ghetto de Varsovie, comment les Allemands parquent les juifs en ce lieu où les conditions de vie sont effroyables, où la faim et le froid rivalisent, ou les artistes deviennent des esclaves et où chacun porte le brassard qui le tatoue et l'isole de l'humanité. C'est la vie d'un musicien de 28 ans qui devient le témoin de son époque et qui va la traverser en résistant à sa façon, dans sa détermination intime à poursuivre. Contrairement à sa famille, il n'est pas déporté ; avant que les Russes entrent dans Varsovie, à la fin de la guerre, un officier allemand mélomane, l'entendant jouer divinement, lui apporte à manger et lui offre son manteau. Le message est clair : l'officier allemand prisonnier par la suite ne s'en sortira pas. Rares sont les « sensibles » qui en réchappent... justement pour cette raison.

Enfin, le film ouvre sur le pianiste jouant le nocturne de Chopin dans le studio de Radio-Pologne, quand les bombardements éclatent. Les Allemands sont là. Chacun s'enfuit sauf le musicien qui persiste sous le bruit énorme des attaques. Cette obstination, cette résistance intime et presque effrayante donnent le ton de ce qui va suivre. Si le pianiste n'est pas un « résistant » au sens historique du terme, il l'est dans sa nature, dans sa capacité à tenir, à aller très loin dans « la terre » (humiliation et humilité mêlées), sans jamais se perdre, encore moins mourir. Ce n'est pas un héros, c'est un homme. Un humain avec un regard que le cinéaste nous rend pour que le partage soit possible dans l'intimité de chacun. C'est à cet endroit que nous sommes le plus à même de comprendre l'histoire des hommes.

Mireille Disdero.


Notes
1. Homme : Famille d'une racine indo-européenne "ghyom", terre.
En grec khthôn, "terre" et "souterrain"
En latin "humus"
Homo, hominis : homme, créature née de la terre.
(Robert, dictionnaire étymologique)

 

Mireille Disdero pour Francopolis,
octobre 2007.


 

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Créé le 1 mars 2002

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