Le genre dans la poésie amazighe
Tableau : Ali Khadaoui
Cette réflexion a pour ambition de
mettre en relief l’articulation existant entre la poésie
amazighe et la vie, articulation solide renforcée par
des siècles d’existence et façonnée
par des comportements et des modes de vie. Lien très
fort donc qui est à la base de la « prolifération
» des genres poétiques amazighes. Oublier de
prendre en considération cette donnée fondamentale,
conduit, inévitablement, à une classification
« aléatoire » où les frontières
entre les « types » poétiques ne sont pas
toujours clairs.
La poésie amazighe est omniprésente
dans les différentes manifestations et activités
des hommes et des femmes amazighes. Elle accompagne l’individu
de sa naissance jusqu’à sa mort : un cycle de
vie avec ses berceuses, ses chants de circoncision, de baptême,
de moisson, de cueillette, de mariage, de danse…
Les modèles classificatoires de la
critique littéraire occidentale réfèrent
à une poésie essentiellement écrite,
codifiée donc et s’inscrivant dans une longue
tradition remontant à la culture gréco-romaine.
L’oralité, propre à la poésie amazighe
et la caractérisant, est un paramètre déterminant
au niveau de la « typologisation » de cette dernière.
C’est un facteur qui permet de mieux cerner un «
genre » poétique amazighe. L’oralité
est synonyme de vie, de dynamisme. L’oralité
dilue la « propriété » poétique,
permet des échanges et des influences réciproques
entre genres. A l’image de la vie, elle brouille les
frontières et restitue, véritablement, la complexité
de la vie et l’impossibilité de la « morceler
» ou de la découper.
Il est vrai que la « poéticité
» de chaque « genre » amazighe n’est
pas la même : la travail sur la langue, les figures
stylistiques, bref l’activité de création
et d’élaboration se retrouve beaucoup plus dans
des « genres » spécifiques plutôt
que dans d’autres. Les « Izlan » (distiques
autonomes au niveau sémantique et syntaxique) des joutes
poétiques sont plus travaillés car le poète
se livre à un exercice de style qui doit « convaincre
» son auditoire. D’autres « izlan »
ont pour fonction de marquer des repères historiques,
signaler des événements importants et faciles
à mémoriser. La « tamawayt » implique
des aires différents et une thématique variée.
Tamdyazt et l’ahellil présentent des similitudes…
Les recherches qui se sont penchées
sur la problématique des « genres » poétiques
amazighes sont rares et partielles : elle ne couvrent pas
tous les « genres » poétiques et ne s’étendent
pas non plus à toutes les communautés amazighes
d’Afrique du Nord et du Sahara. Le niveau prosodique
est le parent pauvre dans ce domaine. D’où l’importance
des recherches et des enquêtes de terrain. A ce problème
s’ajoute les ambiguïtés de la nomenclature
adoptée et qui ne peut satisfaire les caractéristiques
de chaque « genres ».
Pour mieux cerner cette problématiques
des « genres » poétiques amazighes, il
faudrait probablement ne pas perdre de vue un fait qui nous
semble principale : la culture amazighe est essentiellement
orale et sa transmission s’est fait par ce canal durant
des millénaires. C’est, pour des raisons mnémotechniques,
le véhicule de l’histoire des communautés
amazighe et le reflet de leurs modes d’existence et
de leurs croyances.
La définition d’un « genre
» poétique amazighe doit tenir compte de plusieurs
paramètres internes et externes : il s’agit du
rythme, de la mélodie, des facteurs spatio-temporels
et des procédés d’exécution. Enfin
le recours à la « nomenclature » autochtone
et la définition que propose les aèdes sont
incontournables pour une classification moins aléatoire,
plus authentique et mise à l’abri d’une
définition « exogène » qui risque
de fausser la nature et l’essence même du genre
poétique amazighe. Si la poésie amazighe partage
avec celle d’autres cultures des points communs l’inscrivant
dans l’universalité, elle a aussi ses spécificités.
Lesquelles spécificités constituent une richesse
au sein du patrimoine humain. Il ne s’agit pas de «
couler » les genres poétiques amazighes dans
des moules préétablis, ils s’agira plutôt
d’une comparaison qui puisse dégager les spécificités
et les éléments de convergences.
Moha Moukhlis
pour Francopolis,
recherche par Ali Iken
F évrier 2006.
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