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Le mystère des chants Amazighs
au féminin

Par Zaïd Ouchna

Aujourd’hui à Tadighoust - le moyen Ghriss au sud-est du Maroc - cohabitent des femmes de tout âge par assentiment. Les plus antiques sont celles qui ne sont plus qualifiées d’aller fignoler, accroupies dans les champs de Sighnis, pour cueillir deux fois par jour avec leurs serpettes la luzerne sustentant le bétail. Elles restent donc à Ighrem (le bourg) et ne sortent la plupart du temps que sur le seuil des portes. Assises, esseulées sur un vieux coussin à l’ombre ou au soleil ; c’est selon la saison. Elles frottent, presque par impulsion, leurs pieds enflés, et qui ont enfilé rarement des babouches dans des occasions de mariages notamment. Bien que souvent presque aveugles et sourdes, et leurs genoux déclinent de fléchir, elles rendent visite des fois à des voisines de leur âge. Elles se regroupent à quatre ou plus, assises sur des nattes (Agertil) étendues sur le sol. Une compagnie recherchée et convoitée car elle leur permet de remonter le temps, le long d’une vie impitoyable à Tadighoust dans des Igherman : à Aourir, à Mouy, à Lhart, Tazgitt ou à Zenba. De leur génération de huitantagénaires, il reste plus de femmes que d’hommes ; alors qu’elles ont beaucoup plus peiné dans leur existence. Pour elles, les maris, ces compagnons de toujours font désormais partie intégrante de leur passé éteint. Malgré des remarques ironiques et à peine voilées des jeunes, elles se rendent de temps à autre aux cimetières (Bouhrara) pour des pèlerinages de nostalgies. Ne connaissant évidement que leur langue Tamazighet, elles s’affirment toujours dans leur identité avec une belle assurance. Elles ne partagent aucunement les orientations prises par la société actuelle, elles, qui régnaient dans leurs maisons en matrones. Elles réalisent maintenant, et pleinement, qu’elles étaient tout simplement le pivot des activités.
Ce sont elles qui travaillaient, d’abord chez leurs parents et ensuite dans leurs foyers, à l’intérieur comme à l’extérieur des maisons. Elles ont coupé la luzerne matin et soir, récoltaient l’orge, le blé, les olives, les dattes sous toutes leurs cuissons, les cannes de maïs, les galles de tamaris (takwut), le travail de pilon (azduz), la meule (azreg), le transport des fardeaux sur le dos (Azeddam de 30 à 60kg) avec des cordes qu’elles ont eux-mêmes tressée( Agatu) et qui ne les ont jamais quittées. Elles faisaient le tissage des couvertures (Ahendir) et des burnous (Azennar, Abizar.). La corvée des eaux, les ménages et les cuisines étaient leurs besognes exclusives. Elles ont pérennisé les traditions séculaires, elles ont élevé des hommes et des femmes. Elles étaient des mères nourricières.
Maintenant, ce sont leurs chants qui leurs rappellent leurs exploits, car ici chaque tâche est accompagnée par une cantilène propre à la besogne. Travailler en émettant des suites de sons modulés et assortis de l’exercice, chez les hommes d’une part et principalement chez les femmes de l’autre, est une singularité du peuple Amazighe selon mes connaissances. C’est pourquoi toute cette panoplie de vers, de poèmes, de sons, d’izli, de tamawayt, et des chants pratiqués comme rites et différents les uns des autres ne peuvent pas être véhiculés par le seul mot orphelin français «poésie ». Dans ce genre de cas, une langue ne peut pas transmettre ce qu’elle n’a pas. Ce serait trop demandé au mot «poésie » de signifier à la fois toutes les spécifiés Amazighs qui n’existe pas dans la civilisation française comme pour exemple seulement: Izli, Tamawayt, Tagezzumt, Ubuy n Ighef, warru, baybi...etc.
Chaque tâche donc, aussi pénible soit-elle, est accompagnée par un chant précis et dans un rythme propre. Une pratique qui remonte bien entendu à plusieurs siècles loin dans les profondeurs de la civilisation Amazighe. Etant donné sa singularité, quoi de plus normal que de se demander pourquoi ? La réponse à cette question, dans un tel contexte ou le manque de l’argumentation palpable est, on n’en peut plus, avérer ne peut être qu’une aventure. Mais, elle reste tout de même incontournable si on aspire, réellement, à un quelconque avancement. C’est en tout cas une version qui est mienne. Pour tenter de comprendre donc le pourquoi de ce mariage entre la mélodie et la besogne, je me suis penché sur les caractéristiques de ces chants particulièrement :
- La parole
- Le rythme.

1- La parole :
Les expressions dégagés des chants ne portent généralement pas sur la tâche exercée directement. Elles invoquent plutôt une résignation lointaine ou un épilogue auquel elle se réfère. Elles s’appuient sur l’utilité que pérennise la besogne. Elles s’inspirent également des idées génitrices de la force intérieure pour faire perdurer l’endurance pendant l’accomplissement des travaux. Ce qui nous amène donc à croire, certainement, que le but recherché de ces chants est d’apaiser la douleur due aux tâches pénibles.
2- Le rythme :
Les paroles mentionnées sont chantées dans des airs longs, illuminés et rêveurs. Ils sont accrocheurs par leurs mélodies sacrées et mystifiées pour emmener le chanteur ou l’auditeur loin de l’espace. En respectant le rythme pendant l’ouvrage, la concentration se décale momentanément de l’exercice. Ce qui engendre un oubli substantiel de la peine et de la douleur. C’est donc, à priori, une sorte de presbytère pour se détacher et négliger les souffrances dues aux travaux dures. En guise de conclusion, le chant pendant les travaux n’est pas une banalité et ni une coïncidence , mais une théorie pensée et utilisée pour mieux supporter les peines.

Parmi ces chants nombreux, remarquables et authentiques, j’ai choisi ici celui qui parle de la monotonie et des regrets pour rendre hommage à ces femmes qui ont toujours tenu compagnie à la souffrance le long d’une vie. Il parle de leurs déceptions, de leur chagrin, de leur envie et également du cœur. Ce chant est repris aux durs moments de la solitude et du vide particulièrement pour apaiser la misanthrope.
Je vous en traduis ses premiers vers :
« Je vous annonce que je suis couverte par l’ombre des soucis
Seulement, je vais à l’encontre de mes adversaires par honneur
»
Puis
« Je voudrai être le vent de l’ouest et je transhume
D’un pays à l’autre, jusqu’à ce que je trouve mon préféré
».
(.....)

Ce « poème », qui n’a pas de titre ou alors je n’ai pas réussi à le déchiqueter, est consigné à Aourir (1) par : Mama Hmad Outouhs le 16/9/1967.
Il lui a été transmis par sa mère Itto Hemmou, connue par ses belles paroles dans les rites aux féminins.
C’est un chant repris aux moments des peines, dont le rythme est mystérieux, par la junte féminine exclusivement.

Llah lâadim ar i-gan ighnan amalu
Ghes da ntteddu g mnid n laqwam ur rdigh
A sidna yebrahim i âewni taqerrut
Is i tezrid ayemma g ifassen n taytcin
Awa ayed iga rebbi d ssihl ar itteddu
Ar itsara g tmizar ar tenna ir’ wul
Awa ayd igan lbuhali ttefen tamâratt
Ar itsara g tmizar ar tenna ir’ wul
Ur idd yan ucerrig ula dd sin ad tegnugh
S yighris a nekk igennun tasa iflin
Llligh ger yigenna d lhafet da ttelligh
Nekkin gigh amm lmizan ur nuwid akal
Mrid rebbi d nnabi is ghif i-yeâfa
Iqqim-d lâar i bab-nnes iwt-as aqidun
Mek idd rebbi ayd agh-igan imki i wadu
Numn-is, idd bnadem nudjat i rebbi
Ul-innew ak i bbin igezzarn ak i flint
Tuzzalin, thubbad unna ur k irin
A yasmun-innew mi gigh awnul ad teddud
Allig da ttasigh izem s irbi ur nekkul
Ul-innew, ul-innew wadda t-yuwin
Ad agh-t-id-rarin, mek ugin ismun-agh nâach
A yaâdaw-innew tugey tawla a kwen tagh
Ula yattan, ad tejjujid ighsan i wakal
Allah rebbi a wadda righ mas i tesnuyd lajbal
Ad gnugigh urta righ lmut
Ihuz-d umareg tabuqqalet, grin ibawen tighwelalin
Awa dda righ mani tekkid
Llah lâadim mer idd tattsa n igherman
Kkategh nnig Brahim Uâli(2) aqidun
Awa kem i d-iksen ad am-isrey tikwesmin
A taghwrutt-innew, idd is am-yaru imki !

(1) Un ancien bourg à Tadighoust à 18 km au nord de Goulmima.
(2) un point culminant à la montagne de Baddou.

 

 

Zaïd Ouchna pour Francopolis,
recherche par Ali Iken
mai 2006.





 

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Créé le 1 mars 2002

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