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SAID SADDIKI :
Un promeneur heureux en toutes lettres


En ses divers registres, pièces de théâtre et chroniques, quatrains et odes, conversations buissonnières et silences méditatifs, son œuvre est un flot ininterrompu d’une même coulée toujours ruisselante de vie : la passion des belles-lettres. Lorsqu’il s’est éclipsé un esprit fin, comme pour l’imiter, a déploré que le quotient intellectuel moyen au Maroc ait considérablement baissé.

« On n’entend dans les enterrements, écrit Bossuet, que des étonnements de ce que ce mortel est mort ».

Vos adieux ne sauraient être dignes de cet aphorisme qu’une oraison funèbre qu’aurait pu vous prêter en ce midi de juillet où le soleil scellait de vives promesses avec la poésie et la vigne. Vous avez, en effet, rejoint votre famille immortelle, la sainte et l’iconoclaste. Pétrie de pots et de visages, la terre vous offre des étreintes ivres de lumière. Aussitôt, l’adepte du dénuement, le lucide voyant, Al Maâri chemine vers vous, à pas paisibles, pour vous accueillir, étincelles de maximes dans les yeux. Sous le saule, il évoque le roucoulement des colombes et les rameaux compatissants, le déchirement d’être né et le libre penser exaltant, et vous, vous témoignez des mouettes qui sont comme des baisers laiteux sur les vagues quand la nuit engloutit l’océan, et de la mélancolie des alizés. Vous observant regarder longuement son épitaphe, l’auteur de l’«épître du pardon » scande à l’adresse du Tout-Puissant :


« Mon corps est un lambeau qui se coud à la terre
O couturier de l’univers, couds-moi. »


De retour de ses nuits sous la voûte étoilée, Al Moutanabbi s’empresse de vous remercier pour l’hommage que vous rendiez souvent, lors de commerces buissonniers, à ses satires rebelles et à son éloge du désert. Bien qu’agrippé par la fièvre, le poète errant feuillette une constellation de vers que vous avez ciselée avec la rigueur d’un géomètre dans une langue aussi sage qu’inventive. Rapidement, il parraine vos exercices incisifs à l’encontre de l’imposture et la perfidie et pousse un soupir en forme d’aveu à peine voilé :


« Suis-je une pierre ? Pourquoi suis-je insensible à ce vin comme à ces chants ?
Quand j’ai voulu du vin pourpre et pur, j’en ai trouvé, mais d’ami véritable, point »


Vous acquiescez tout en restant fidèle à l’amitié qui est pour vous lumière. Muni de la lampe de Tawhidi, vous cherchez à honorer la dette contractée, à l'égard de Abu Nawas, par vers et jarres interposés. Les paroles d’ici-bas ne s’évanouissent pas dans l’au-delà. La verve se ravive et les fulgurances s’illuminent assoiffées du lait des mamelles de la nuit. Jusqu’au musc de la rosée, serments au beau et au sarment.
A l’aube, Ibn Sahl, sur le rivage andalou interpellé, se réjouit de la multiplication du grain de beauté dont il a splendidement peint le sentier. Aussi, se met-il, par votre voix, à l’écoute du troubadour, l’inlassable pâtre de vos «sept grains de beauté ». Emu su les ruines de Madina Azahra où des fleurs jaillirent les étoiles, Ibn Zaydun vous adresse le salut d’un amant tourmenté qui voit dans la lune luisante le visage éblouissant de sa malaimante. A la lecture du poème que vous opposez aux célèbres vers tressés à la rime announ, l’exilé de Cordoue voit, inconsolé, dans cette lettre de l’alphabet toute la beauté d’une gazelle compagne d’un vin exquis.


Vous voyant arpenter ces espaces limpides, Baudelaire vous propose de flâner avec lui pour humer la jonquille des sonnets loin des odeurs morbides. Sa reconnaissance ne tarit pas à votre égard tant vous avez toujours chéri son régime : «Tout homme bien portant peut se passer de manger pendant deux jours - jamais de poésie ». Au hasard d’un regard, des yeux de jais passent, vous vous souvenez que le bonheur a marché éphémère cote à cote avec vous :


« Un éclair…, puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m’a fait soudainement renaître
Ne te verrai-je plus que dans l’éternité. »


Grâce aux rimes égrenées par Rimbaud, vous retrouvez le chemin du voleur de feu lors de sa bohème aurorale inventant la couleur des voyelles. En souvenir de son invite au dérèglement des sens, jaillissent la féerie des images et l’illumination du verbe, mères de la volupté de goûter au jour qui s’écoule dans l’attente de l’aube infidèle. « A L’aube était midi », fredonnait le fugueur du bateau ivre. Silence.
Foi au poison, Oscar Wilde vous invite à partager vin expiatoire et orgie de calembours. Vous échangez vos jeux d’intelligence en déambulant dans les chemins des allitérations. Lumineuses phrases tranchées à vif pour mettre à mal l’infamie. Seul maître des maux : l’art subtil de la fantaisie qui, par-delà l’amusement, subvertit gracieusement les belles lettres pour livrer un savoir tout à la fois savoureux et acide.
Homme d’humanités, vous ne pourriez épuiser en si peu d’échanges les rencontres avec votre famille ; elle est si nombreuse que jamais rien ne viendra irriter votre humeur. Votre vocation est de célébrer le sublime, à l’instar de Hölderlin : « c’est poétiquement que l’homme habite cette terre ».


Redouane Taouil
pour Francopolis, mars 2006.





 

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Créé le 1 mars 2002

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