Je vous écris sous le
visage de l’anesthésiste, ses mots magiques : C’est fini. Je
vous écris d’une prostration que perce l’aveugle reconnaissance –
Je vis encore. Je vous écris sans autre sensation qu’un désir démesuré
de dormir. Je vous écris des limbes sous morphine, en apesanteur.
Je vous écris au chevet
des immobilisés provisoires – Camus en sanatorium. Je vous écris près
des couchés à demeure – Joë Bousquet en sa chambre ; ces affres où
ils ont conquis leurs forces, leur verdeur, leur taille. Je vous écris,
frappée d’inertie. (…)
Je vous écrivais de nuits recrues
d’anxiété aux marges de l’angoisse. Je vous écrivais en panique,
l’esprit filant à brides abattues vers les ténèbres et ses terres
nauséeuses. Je vous écrivais lorsque la douleur éperonnait le corps
innocent. (…)
Je vous écris du matin
appréhendé. Je vous écris passée à l’antiseptique brun depuis le gros
orteil jusqu’à la pointe des cheveux. Je vous écris, nue, le tablier
stérile noué dans le dos. Je vous écris sous le dernier baiser, le
regard d’amour juste, viatique avant le chariot roulant vers le bloc
opératoire.
Je vous écris avant de
perdre pied. Je vous écris du sommeil abyssal. Je vous écris sans
entendre scie, marteau et propos médicaux. (…)
Je vous écris d’atonie, d’apathie, un pays
glauque et sournois. Je vous écris d’un raz de marée irrépressible. Je
vous écris sans savoir si je trouverai l’issue de ce territoire mouvant
aux frontières étriquées. Je vous écris des maux de ce printemps. Je
vois écris avec mes mots écorchés, stridents. (…)
Je vous écris sous
l’œil indifférent des nuages qui glissent d’un bord de la fenêtre à
l’autre et entraînent un instant bref sur leurs couleurs en
métamorphose. Je vous écris pour dessiner un arbre écarquillant le
ciel. (…)
Je vous écris, armée de
béquilles pour affronter les trottoirs inégaux, les voitures mal
garées. Je vous écris crispée, essayant de m’assoir dans
l’habitable ; fragile, intensément vulnérable. Je vous écris en
dévorant le paysage, le vert des arbres. Je vous écris d’un printemps
inouï. (…)
Je vous écris dans
l’émerveillement des rencontres sans but et sans butoir ; sans
délai ni regard sur la montre. Je vous écris d’étranges rêveries, de
dérives, d’images furtives. Je vous écris de la sève qui s’annonce par
accents minuscules, échos multiples : l’embellie.
Je vous écris dans la
saveur renouvelée de l’écriture des autres, la lecture gourmande, des
mots qui sourdent, jaillissent avec une ardeur inespérée.
J’écris à l’instant.
Colette
Nys-Mazure
2020
(*)
Le tout
petit recueil Lettre d’Atonie de Colette Nys-Mazure
(éditions Jacques Brémond, 2020), au format mini-poche, sur papier
bruni ancien, cousu main, est une merveille rare à garder sur soi tel
un talisman de protection et d’espoir. Une expérience personnelle
extrême se devine entre les lignes, que bien (dont moi-même)
reconnaîtront, pour y être passés également, mais la frêle force du
renouveau tel un perce-neige, est telle qu’elle vous transforme au fur
et à mesure de la lecture, vous êtes entraîné à suivre en fait une
toute autre expérience, spirituelle cette fois, puissante et libre, et
vous n’êtes plus le même au bout de ce parcours. J’ai choisi quelques
textes de ce recueil, que je souhaite partager avec les lecteurs de
Francopolis, en remerciant l’auteure du fond du cœur de me l’avoir
adressé, et de m’avoir permis ainsi ce partage.
Colette
Nys-Mazure, poétesse
et écrivaine belge, a une œuvre riche et généreuse qui ne me semble pas
suffisamment connue et reconnue en France. Nous l’avons accueillie à
Francopolis à quelques reprises : au salon de lecture et dans les coups de cœur d’octobre 2012, dans les vœux de
Nouvel An de janvier 2014 et de janvier 2019, dans les Francosemailles
de décembre 2014.
Pour mieux
faire connaissance avec elle et son œuvre, voici quelques liens sur la
toile : présentation bio-bibliographique à jour, sur le site des écrivains
belges, ainsi que sur celui de la Maison des écrivains et de la
littérature M-E-L.fr,
interviews
récentes accessibles sur youtube : Colette Nys-Mazure,
poète, chrétienne et libre, (janvier 2020) Colette Nys Mazure au Festival Découvrir
Numérique 2020 (juin 2020).
La photo est reproduite du
site du Salon
du livre de Dijon, novembre 2020.
D.S.
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