rencontre avec un poète du monde

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ARCHIVES : VIE – POÈTE 

 Janvier-février 2021

 

Une Vie, un Poète :

 

 

Jean-Claude Crommelinck

alias CeeJay

 

Hommage rendu par Francopolis

avec une sélection de poèmes

 

(suite du numéro précédent)

 

 

Un texte-testament : Palais de glace

 

Poème extrait de Materia prima, bookleg sorti aux éditions maelström reevolution,

la veille même du départ du poète pour « un monde de matière noire de vie ».

 

 

1088 Palais de glace

Il en est des miroirs comme de la mémoire, ils sont déformants, c’est une autre réalité mais elle reste virtuelle, si l’on pouvait se voir avec les yeux des autres, la vision serait toute autre.

Nous reste toujours l’image mentale que nous avons de nous plus jeune et en adéquation avec le souvenir de notre force, de notre poitrine volontaire, ce héros secret qui nous hante et nous permet de vieillir sans nous en rendre compte jusqu’à la rencontre de notre reflet que nous ne reconnaissons pas tout de suite, qui nous déçoit et que nous oublions aussitôt que nous le quittons.

Nous affrontons les jours qui jamais ne se ressemblent quoi qu’on en dise, toujours surpris de l’incroyable qui survient et bien que non préparés nous affrontons l’inattendu avec une soumission qui nous étonne, nous trouble, nous transforme irrémédiablement.

Le retour en arrière n’existe pas, rien ne nous prépare à avancer sans vaciller, et pourtant nous y arrivons sans coup férir et bien que nous ayons connaissance de la mort nous l’ignorons sans nous y préparer comme si nous étions immortels et concoctons des projets bien au-delà de nos espérances de vie. Toujours projetés sur le futur oubliant de vivre le présent et gardant le passé comme bagage de sécurité que nous n’ouvrons que rarement lors de défaillances de notre système d’instinct de conservation.

Les rêves aussi sont des miroirs déformants, quand je songe que je vole, je suis assis dans l’espace et j’ai 17 ans, je me meus par impulsions corporelles et ça file grand train, si je me vois amoureux je dois avoir dans les 25 ans, l’autre est presque toujours flou et s’il ne l’est pas alors je suis un autre. Sinon je me trouve dans des mondes parallèles très semblable au nôtre où je rencontre de gens dont je me souviens très bien du visage et du nom, souvent c’est dans un train et cela semble si réel que ça s’enregistre dans mes souvenirs comme la réalité au point de chercher à les rencontrer dans la vraie vie. Je ne peux me fier à ma mémoire, il m’est arrivé de me rappeler d’une voiture rouge qui en fait était verte et donc je ne pourrais jamais témoigner sur la foi du serment avec ce daltonisme de la mémoire que me ferait jurer mordicus un mensonge de l’esprit.

Les arbres aussi nus renvoient note image, celle de grandeur et de déploiement, une sorte d’hologramme de notre âme ancrée dans la terre-mère les bras aux cieux spacieux, cette énergie que rien d’autre ne nous procure avec cette puissance et qui en même temps n’a ni poids ni consistance mais qui nous envahit tout entier et nous donne des ailes. Cette force spirituelle qui échappe à tous les poncifs, tous les cultes, tous les dogmes, qui nous donne cette sensation de pure liberté et où l’on ressemble le plus à notre conscience, celle que dès la première enfance nous savions entendre.

Les flaques, les flaches, nous renvoient des cieux en creux sur terre, l’image vibrante de nos jambes en raccourcis grossissants, et loin plus bas notre tête profondément noyée dans les concentriques ondes nous regarde comme du fond d’un liquide tombe. Parfois un nuage aquatique passe lentement donnant conscience de ce temps suspendu pour notre regard un instant inquisiteur. Quelques feuilles mortes y jouent les bateaux ivres louvoyant à la dérive passant entre nos pieds invisibles puis la marche continue, notre corps se meut, l’image mentale de nous-mêmes déformée un bref moment par les ondes sales des ornières.

Enfin il arrive que ce soit dans les yeux de quelqu’un d’autre que l’on se voie avec douceur et amitié où l’on est beau à nouveau et où l’on accepte les ravages du temps. On est surpris de pouvoir encore inspirer de tels émois malgré l’âge, on se réconcilie avec soi-même et le destin dans ce genre de miroir comme devant l’infini.

 

 

 

« New World : Le bleu meurtrier a fait place au bleu nuit amnésique »

 

Poèmes postés sur FB en octobre 2020

 

Photo de Dana Shishmanian

 

31 oct.

854 Crimes sauvages

Exister encore fait brûler le sang

du fond de l’homme lui vient un sourire

jamais plus il ne sera parqué

dans les immondices du silence

Les uns sont tous ses frères

les autres sont les bourreaux

Les fleurs de printemps sont pour nous

aux autres nous laissons

les chagrins et la putréfaction

Bientôt nous tiendrons le couteau

contre les armes lourdes

les dénonciations et les calomnies.

La paix se cogne aux murs

Une sourde rumeur de crimes sauvages

contre la mort plane par-dessus les murailles

couvertes de barbelés rasoirs

où les lambeaux de chair

de nos frères attendent que leur martyr soit vengé

©CeeJay.

 

 

30 oct.

851 Paix profonde

Frémissent les rondes feuilles de grands nénuphars

sur le calme des eaux caressées

par les longues larmes des saules

Un saut de carpe argentée

vient troubler la quiétude et s’étend

dans les ronds de l’onde qui atteignent les berges

Une libellule est venue se poser sur les pétales d’un lotus rosé

Les pieds rafraîchis chatouillés par les algues

assis sur le bord humide de l’étang

je goûte à cette paix profonde

où nul bruit de guerre n’a encore pénétré

©CeeJay.

 

 

29 oct.

850 Sur le chemin des étrangers

Les râlements sourds

l’éclair rouge des canons

le fracas des immeubles qui s’écroulent

le chien au regard perdu qui tourne

et retourne la poussière

á la recherche d’un parfum connu

le tracé clair des missiles sur l’azur

Comme un silence étrange

á mes oreilles sourdes après l’explosion

et la fumée qui monte du sol froid

comme des signaux indiens

qui disent des mots d’effroi

S’élève un chant nostalgique

surgi d’on ne sait d’où

qui doucement s’éteint

comme s’il n’eut existé

Mélancolique, à l’aube

ce chant a envahi ma tête

il ne me quitte plus

Il est le seul butin que j’ai pu emporter

sur le chemin des étrangers

©CeeJay.

 

 

28 oct.

849 Le trésor

Nous reste à rêver aux Virgile, aux Platon, aux divins

á l’enfance qui fut de paix

et à l’insouciance des années d’après guerre

où s’amuser était un droit, presque un devoir

aux chansons niaises qui nous égaillaient

aux vêtements fous aux couleurs de joies

les slow serrés et les baisers interminables

le twist et le rock et Elvis notre blouson noir

Á nos rêves de futurs fictionnesques

á l’apolitique de nos pensées

á l’inconséquence approuvée

au bonheur de vivre sans se tracasser du reste du monde

á l’égoïsme de la jeunesse et sa frivolité

qui furent bien mérités

voyant ce qu’aujourd’hui nous vivons

Aux bandes de copains de toutes classes et de tout bords

quand on aimait les gens sans poser de jugements

aux papillons, à la flore, à la faune qui existaient alors

Les vacances à la mer étaient le bout du monde

l’on bronzait sur les plages fleuries de parasols

Les pic-Nick en famille, les excursions

les châteaux médiévaux, les églises aux vapeurs d’encens

Aux ruines encore debout résultantes de la guerre

qui n’étaient que des terrains de jeux interdits

où nous aimions nous perdre

aux trous de bombes qui faisaient nos cachettes

sur les chemins de la cueillette des mûres

dont nos mères ménagères

faisaient les confitures qui enchantaient l’enfance

Ce trésor nous reste pour affronter le fracas

De ce vingt-et-unième siècle

de cancers, d’incarcérations, de corruption et d’anéantissement

©CeeJay.

 

 

26 oct. 2019

1031 New world I (Futur is now !)

Les auréoles des canettes de bière maculent

les cercueils des manifestants morts

sous les coups de brigades gouvernementales.

Amis arbres, il vous suffit de nous survivre

pour avoir l’éternité.

Ils ont fait la mise à jour fatale

qui a tout déglingué

nous sommes tous bons pour un syndrome d’Asperger

avec thérapie comportementale obligatoire

par médias, réseaux « sociaux » et supermarchés

avec inhibiteurs de sérotonine obligatoires

signés Roundup & Bayer

délivrés à domicile par huissiers.

À se demander pourquoi ils ont interdit la cigarette

si ce n’est pour n’avoir qu’un seul responsable officiel de cancer.

La nouvelle culture unique est installée

les anciens qui ont encore la mémoire des lois

sont paupérisés à l’exsangue, bientôt exterminés avant l’heure.

Sont chargés, blessés et tués tout manifestant

médecin, pompier, professeur, pensionné, chômeur et étudiant

c’est le « normal-légal » nécessaire à la sécurité.

Le bleu meurtrier a fait place au bleu nuit amnésique !

©CeeJay.

 

 

27 oct.

848 Dans le silence perdu

Dans cette ère barbare

retentit la clameur des hères asservis

Brisés sont les pactes

usés déjà est ce siècle naissant

La bête qui dirige les hommes

est féroce et bondissante

sur ses proies sans retenue se jette

et exsangues les laisse sur les champs

gisantes pour servir d’engrais

Carnassier carnages d’un bout à l’autre du monde

s’empilent les richesses derrière des murs invincibles

pour seulement quelques uns

Obscène la force armée de l’ordre

violente le peuple sans ménagement d’âge ni de sexe

afin de protéger les ignobles

qui assèchent la terre par de honteux conflits

pour la vider de ses substances vitales

jusqu’à la destruction du monde

Ils poussent à la guerre et à la délation

enseignent la peur de l’autre et la haine

pour mieux nous diviser

et nous vaincre sans gloire

l’on tourne en rond entre les murs

destin de ceux que la vie exila

la voix des aimés finalement s’est tue

et seul parmi les milliers de migrants

esclaves en puissance

notre chagrin lui aussi dans le silence s’est perdu

©CeeJay.

 

 

26 oct.

847 L’impossible terre

Avec des visages et des peaux

tavelées comme les vieilles pierres

les chemins de la terre, sans la migration

ne seraient que des tombes

Nous sommes ce paysage lointain

qui lorsque que l’on s’en approche

s’éloigne comme l’horizon

Á la recherche de l’accueil improbable

de la faille la plus étriquée dans les autres cœurs

Avec pour compagnons

les arbres des forêts profondes

et les petits animaux sauvages

lors que vraiment sauvages sont les humains

dont nous traversons les terres

Nous mangeons les pierres et buvons le sable solitaire

enfonçant nos pas dans l’épaisse poussière

des ruines de la guerre désertant la folie

Voyageurs sans balises

cherchant la terre impossible où renaître encore

©CeeJay.

 

 

25 oct.

845 Festoient les ombres noires

Trébuche la mort

laissant le temps de guerre effarouché et contrit

suivis de nos silhouettes aveugles

dans les rues dévastées

Les dauphins tristes nagent parmi les noyés

et ne font pas de jeux

respectueux des morts dans le silence des flots

Les étoiles couvent de lumière

les dépouilles restées sur terre

étendues dans les vaux victimes des fausses guerres

elles ne verront pas mai le joli mois d’amour

Festoient les ombres noires

avant d’assassiner sous les saules gris

dans les vallées humides

sous le vent qui ulule

©CeeJay

 

 

24 oct.

843 Ne voir que nos ombres

Courage, audace et révolte

sont essentiels à la survie de l’homme

toutes qualités hélas perdues

où du moins oubliées enfouies dans l’amnésie

Le monde s’est étiré, allongé

résonne comme un orage dans un crâne sourd

qu’une main sadique frappe pour l’en extirper

Il y a dans nos yeux une lueur

où se terre la terreur

Nous avons égaré la clé des paradis

ne nous reste plus qu’à danser nus sous le soleil

plonger dans l’océan et oublier « la civilisation »

tourner le dos à l’astre de feu

Et ne plus rien voir d’autre que nos ombres

©CeeJay.

 

 

22 oct.

842 La fin de l’ancien monde

Invisible fond de la noirceur humaine

Les traînées luisantes des limaces

sont des écritures qui montrent le chemin des libertés

Les marécages parcourus sont nos traversées du désert

les monts de ronces sont les temples de nos prières

avec dans la bouche le silex qui désaltère

les culs-de-sac des routes fantômes

sont les lieux de nos repos

les pierres tombales nos couches de fortune

Endeuillés de liberté

la douleur ensevelie sous l’insensibilité du harassement

ombre des ombres la vie s’attend

et notre silence résonne comme un cri dans le lointain

de la vallée où stagnent les nuages de l’aube

La nuit notre corps astral commun

surplombe la canopée

se lie aux étoiles

et prend l’espace infini comme chambre à coucher

Derrière nous dans les villes bombardées

Nos enfants résistants combattent l’invisible

le monde et les médias les traitent de terroristes

et un á un ils meurent déportés

au-delà les murs dressés

entre les quatre coins des miradors

charognes dérisoires si vite oubliées

Ainsi finit l’ancien monde humain

©CeeJay.

 

 

841 Semper Fidelis

Ses yeux sont des sables mouvants

une faille dans le béton glacé

Pour renaître il faut d’abord mourir

Une pensée comme un sabre saillant

La foi au ventre et le diable au front

Un prince stoïque sous le plafond digital

de l’université de Paris 2

un chacal flamboyant dans le désert urbain

l’esprit dévasté par le cyclone

de la nouvelle mentalité

La souffrance est comme un phare

Braqué sur lui dans la nuit

Elle fait tout disparaître

Tant d’écrits vains à écouter

respirer le sable inculte

Des tables de lois scélérates et des codes pénibles

En besoin de démesure

ayant pris l’habitude de sortir d’un trou

pour tomber dans un puits

l’étudiant de ce siècle s’est perdu

dans les dédales d’un autre univers

enfoui secrètement dans ce monde

©CeeJay.

 

 

21 oct.

839 Les ronds de fumée

Nous sommes figés dans l’impossibilité d’agir

et ne savons comment résister

pendant que s’accélère comme dans un film de science-fiction

la prise du monde sous une impitoyable poigne

Annihilation !

Comme un destin auquel nul ne peut échapper

Et je me rappelle avant quand le soir

on faisait des ronds de fumée que l’on regardait s’évanouir vers le ciel

ne pensant à rien d’autre, libres et insouciants

©CeeJay. 2015

 

 

20 oct.

838 Les yeux de flammes

Mes pensers rêveurs vont pieds nus

flâner sur les rizières blanches

á la recherche de l’orient des perles

reflet à nul pareil

avec des mines de l’autre monde

égaré dans le glacier de la mémoire

Á son coucher l’astre qui dore mon front

est l’ultime consolation

Fuit le temps dans les brumes obscures

nous avons vu ce que l’on ne peut croire

Les hommes sont droits et sans visages

avec des corps aux allures échouées

ornés des yeux de flammes

J’aimerais qu’á l’instant de la mort

l’on puisse confondre mes yeux et les étoiles

©CeeJay.

 

 

 

©CeeJay

(extraits par Dana Shishmanian)

 

 

Une vie, un poète

Jean-Claude Crommelynck (alias CeeJay)

Francopolis janvier-février 2021

 

Créé le 1 mars 2002