(*)
« L’imprévu
finit toujours par arriver »
(notation accompagnant le poème
du 11 novembre).
Derniers
poèmes postés sur FB du 1er au 14 novembre 2020
(extraits par Dana
Shishmanian)
* * *
Suivis d’une
sélection de ses poèmes inédits et publiés
(par François Minod)

Derniers poèmes extraits de FB
14
nov.
869 Le gardien des secrets
Nous tentons les
arpents qui traversent la route
après les champs
sont les bois mystérieux
Le brame du cerf
fait trembler les feuilles de la forêt
son cri guttural
fend le silence du temple vert
Cloués sur place
figés par l’ampleur solennelle
comme en plein
recueillement
Reconnectés au vrai
nous restons interdits
L’animal hiératique
bois levés englobe la clairière
sous les longs cils
de son regard ténébreux
Il est
fougueusement amoureux
Seuls les hérons
perchés sur une patte
dans la vase de la grève
du lac n’ont pas fuit
restés immobiles
dans le temps suspendu
©CeeJay.
13
nov.
868 L’assèchement
Je n’offre pas de
fleurs
je les laisse à
leur si courte vie
certains pensent
que les petites existences
n’ont pas grande
importance
mais qu’elles sont si
délicieuses
L’avenir semblait
radieux
en dépit des chants
trahis
des rires occultés
et des regards obscurcis
mais…
Pleuvent les bombes
se répandent les gaz
s’affalent les
corps de femmes
d’enfants ensevelis
carbonisés
et nous sous le
poids du lourd souvenir
de notre vielle
guerre
qui pensons à nos
défunts
n’agissons pas pour
faire taire les tueurs
bourreaux et autres
chefs d’états
je n’ai pas
l’intention de mourir indifférent
il reste quelques
fleurs et le chant des oiseaux
pour nous nourrir
le cœur
©CeeJay.
12
nov.-20
867 Héraclite et
Praxitèle
Ils peuvent bien
nous maudire
leur dieu nous a
déjà maudit
pour les
générations des générations
Le fils de la faute
originelle
ayant été le
premier meurtrier
de notre lignée
tuant son propre frère
Les blessures
ouvrent la porte
aux énormes
solitudes
donnent le temps de
lire
les fragments
d’Héraclite
et de se demander
si l’on est un soi-même
s’apercevoir qu’on
en sait si peu
sur tant de choses
importantes
Nous avons eu du si
beau temps
côte à côte à bicyclette
sur les chemins
à travers champs où
l’on s’arrêtait
au pied d’une meule
de paille
et faisions notre
amour dans les parfums de la terre
Figés dans le temps
telle une sculpture de Praxitèle
là où aujourd’hui
les cadavres du jour
ensemencent le sol
et pourrissent au soleil
©CeeJay.
11
nov.-20
866 Lopin oublié
L’élégant reflet
ondulant de l’onde
que le soleil
projette sur le mur blanc
veiné de rosiers
pourpres qui lui donne vie
La fraîcheur des
rives barrées de roseaux
le cri à peine
audible de la mésange
qui trempe son bec
à fleur d’eau
Le ruisseau va son
chemin tranquille
emportant fétus de
paille et feuilles mortes
comme autant
d’esquifs pour la migration
de petits insectes
désireux de parcourir le monde
Parfois un
arbrisseau enjambe le ru
que les écureuils
empruntent pour collecter
les yeux brillants
les fruits secs si convoités
délicieux du côté
interdit
Une vie invisible
foisonnante sur ce petit lopin
ignoré des humains
nous dira un jour
tout ce que nous
avons gâché et perdu
©CeeJay.
10 nov.
865 Ce siècle
vingt-et-un
L’adversité est ce
qui nous lie
L’odeur de la
genèse fut ancrée dans nos gènes
et nous tourmente
encore même sans la foi
La répression
contre le peuple prend son élan
pour déferler sur
le monde avec une rage carnassière
telle dans les
temps les plus antiques
Beaucoup trop
d’humains ont moins d’épaisseur que leur ombre
Notre principale
activité est d’ensemencer la terre de nos morts
pour y faire
pousser des grains stériles manufacturés
Dans le chaos des
guerres économiques le peuple est grand perdant
Nous avions déjà
tout dit, inventés tous les charmes
la paix, l’amour
inventé le biologique et de nouvelles énergies
Nous avions fait en
sorte que tous soient beaux
Boycotté le
commerce industriel, inventé le véganisme avant la lettre
volé dans les
hypermarchés qui nous volaient
et bien évidemment
fumé beaucoup d’herbe
Écouté la folle
musique de Woodstock et fait pas mal d’overdoses
Il y a toujours un
revers aux médailles
Mais le revers de
ce siècle vingt-et-un est plus cinglant que tout
et mondialement
plus meurtrier que jamais !
©CeeJay.
9
nov.
864 Nous égal Un
Tout est un
si une parcelle
s’en écarte
elle entre en
système binaire
et rompt le pacte
paradisiaque.
En la splendeur du
tigre
qui déambule dans
la musique du monde
se trouve le
chemin.
Le fleuve est un
anaconda
qui serpente entre
les terres
il a mille rives
sur cette immensité.
Là sont des
réponses.
Rien n’aidera
que, l’on n’accepte
de croire sans savoir
perdus dans les
lieux anciens.
Ce ne sont pas les
autres qu’il faut instruire
mais soi-même pour
devenir entier
parmi les astres de
l’univers.
Les choses sont
tellement multiples
qu’elles finissent
par nous traverser
sans que nous en
ayons compris le sens
grandir est
imprévisible.
Pour l’homme tuer
n’est pas tuer
torturer n’est pas
torturer c’est la norme.
Quand on connaîtra
le tragique immonde
imposé aux enfants
migrants esseulés et perdus
ici dans notre
occident
loin des terres que
l’on dit barbares
nous serons effarés
de nous-mêmes.
On nous a lié
l’amour à la mort
tué le langage
amoureux
éradiqué la
solidarité.
Faisons que reste
vivace la fraternité.
©CeeJay.
8
nov.-20
863 Revenir en
création
« Jour premier
Elohim nomma la lumière Jour
et aux obscurités
donna le nom de Nuit
Il fût un soir et
un matin »
Une ombre d’homme
dans la pénombre
puis de chair et de
sang
nu
un humain dans
l’éclair vif du matin.
De la poussière de
sables mouvants
que le vent vient
prendre par la taille
comme un amant
pour accueillir le
jour à sa source.
Toutes les plantes
les arbres et les fleurs
sont emplis de
sagesse.
Il faut se
transformer en vagabond de rêve
se souvenir d’avant
l’avant
être comme le
poisson dans l’onde
et l’oiseau dans
l’air
comme l’eau qui
ruisselle des hauteurs.
Il faut tout
abandonner
s’enfoncer dans les
jungles
que la nature nous
laisse au long de ce voyage.
Découvrir en
silence qui l’on est réellement
pour pouvoir
affronter
bercés par les
murmures d’amour.
le souvenir du
chant des mères
quand nous étions
enfants.
Cesser d’être
cannibale
et ne plus manger
son prochain
car les animaux
sont nos prochains.
Revenir en
création.
©CeeJay.
7
nov. 2020
862
L’inconstant
Ce
soir la lune me regarde avec un visage d’homme
Il
ne lui reste qu’une nuit pour être pleine avec un visage de femme.
Mais
cette nuit c’est un frère qui m’interpelle
avec
une moue énigmatique
et
un regard lointain tourné vers Jupiter
sur
la gauche dans le ciel
et
il n’y a pas d’autres étoiles.
Si
se défaire dans le temps était possible
j’irai
bien converser avec lui
du
soleil et du beau temps
de
la nuit sans bruits où même nos respirations seraient muettes
croiser
nos regards à tâtons dans les brumes de l’inconscience.
Pierrot
du vingt-et-unième siècle accouplé à l’astre sélène
en
un romantisme éclectique durant les nuits
et
en adoration devant le soleil dès qu’à l’aube il paraît.
Pressé
de tromper le bel amour d’argent
dans
ses bras flamboyants
©CeeJay.
6
nov.-20
861Prêt a
l’apocalypse
Les siècles ici ne
s’écoulent pas
le temps a disparu
le présent et le
passé sont continus
cela ajoute de la
lumière
à la lumière
pailletée des particules or
en suspension que
le vent vient troubler.
J’ai toujours tant
aimé regarder les étoiles
m’évader vers
l’infini.
Au bord de la
faille du monde
ému et fragile
devant les
distances infranchissables
envahi d’une calme
modestie
dans ce monde sourd
au néant
prêt à
l’apocalypse.
©CeeJay.
5
nov.-20
860 Jadis au gré du vent
Nous fumions du
noir caporal
et rien ne pendait
aux gibets
Les champs
éclaboussés
du sang des
coquelicots
invitaient à s’y
rouler
le myosotis nous
rendait amoureux
comme un regard de
fille
Nous tirions la
langue aux vitrines
et l’on courrait
riants fort
loin des portes où
nous avions sonné
Sous les draps la
lampe de poche
projetait une lueur
fantomatique
nos nuits
s’écoulaient dans les bandes dessinées
et matin pas très
frais
le trajet vers
l’école nous tirait des relents
Les genoux étoilés
d’éraflures héroïques
Le cou haut, front
nu
nous sifflions les
chansons à la mode
Le soir nous
revenions les doigts maculés d’encre
comme après son
labeur
noir de suies
rentrait le mineur
ramenant dans nos
chambres
la romantique amour
inventée tout le jour
Picotés dans les
yeux par le sable du marchand
à ce moment
montaient les peurs monstrueuses
qui s’en allaient
mourir dans l’innocent sommeil
peuplé de nos
merveilles
©CeeJay.
4
nov.
859 Nous allons
encore fiers
Ces milliers de
martyrs
aux yeux sombres et
clos
Les floraisons
lépreuses
des
haut murs de béton
qui servent de
frontières
Croisant les
prunelles fauves
des ombres
habitants à leurs pieds
couchées sur des
gravas
dans l’immobilité
de ceux
qui ont lâché
toutes prises
et attendent la fin
Les oiseaux comme
des anges
rayent le bleu du
ciel de leurs ailes de vent
Reflet de leurs
désirs en feu
que leur tend le
miroir du temps
Le sanglot des
mères qui ont perdu l’enfant
Auquel rien ne
répond
Les larmes sèches
des gosses perdus
inutiles en ce
monde glacé
Nous allons encore
fiers
CeeJay.
3
nov.-20
857 Traversée des
pays ignorants
Des touffeurs
d’héroïsme
Le baragouin suave
des effarés
Le gouffre du
tragique contemporain
et l’envie de voir
éclater
la si terrible
force
intérieure
Tout s’est tu
il n’y a que la
voix de la terre
qui se parle à
elle-même
l’élégance inouïe
des animaux sauvages
Arthur illuminé
disant prophétiquement :
« Il y a enfin,
quand l’on a faim et soif, quelqu’un qui vous chasse »
Et tu migres sans
fin sur les chemins de l’Ignorance
©CeeJay
2
nov.
856 Bâtisseurs de
ruines
Ils sont quelques uns à vivre les nuits
Pour oublier les
jours
et d’autres qui
vivent le jour
et ne dorment pas
la nuit
Les temps sont
chaotiques
peu enclins à
donner l’insouciance
Impossible d’attendre
ce qui vient
avec le cœur en
paix
Les derniers
refuges sont détruits
Les murs sont
dressés et se resserrent
il n’y a plus de
fuite, plus d’horizon
nous tombons sans
désir
dans une solitude
commune
la tête emplie de
ténèbres
des lendemains plus
noirs que la nuit
et de
l’indifférence prestige de la faiblesse
Seuls les chiens et
les chats
se foutent du
couvre-feu
pendant que les
hommes vivent dans l’obscur
comme des ombres
Dehors les
bâtisseurs de ruines sont à l’œuvre
©CeeJay.
1
nov.
855 Rien n’est
acquis
Cernés comme les
guerriers du futur
dans les jeux vidéo
ils déferlent
casqués masqués
recouverts de
titane
avec de lourdes
armes
faites pour abattre
des éléphants
et chargent les
enfants armés de pierres et de bâtons
dans les rues de la
mort puante
Sont oubliés les
fusils brisés
des pacifistes de
1940
La justice frappe
les insensés innocents
Les forces noires
jubilent à demain
d’un rire déferlant
à naître
Je suis né de la
foudre
par une nuit de
tonnerre
plongé dans
l’infamie des restes d’une guerre
où le seul domicile
fixe des hommes est la tombe
le reste est du
vent qui ne nous appartient pas
car rien jamais
n’est acquis
©CeeJay.
Extraits par D.S.
* * *
L'autre rive
A Jamila
Abitar
Je suis de l'autre rive
Sur quelque rive que je sois.
Je vais comme les nuages
De l'Occident vers l'Orient
Là où le poème arrive et repart.
Sachant où je me rends
Je ne sais jamais si je suis arrivé.
Je te parlerai à toi qui ne seras plus
Pour que tu m'entendes à travers l'espace
Te conter l'histoire des autres rives.
Je déchiffrerai dans la roche l'écriture du temps
Pour y recevoir des vies de lecture.
Nous sommes les anges et les démons
Des dieux que nous avons créés.
Il me faudra traverser l'éternité pour atteindre
l'autre rive.
L'incandescence
Ode d'extase
Nimbée de lumière intérieure
Qui se joue en reflets entre ciel et mer
Chatoyants de couleurs et d'éclats.
Les ombres imprécises surgissent
Silhouettes chaloupées
Qui dansent le souffle soufi
Dont seul on entend les orgues pulmonaires.
Musique du silence
Les poitrines se gonflent
Hoquettent les ventres en rythme saccadé
Et tournent les blanches corolles.
Même le bruit du ressac
Devenu inaudible
Fait place au seul souffle
Sur le silence dansent les ombres.
Le souffle comme un dôme
Recouvre les danseurs transportés
Par la respiration de l'univers
Dans la pâmoison de la plénitude.
Surgissent des cités toutes d'ébène et de marbre
Incrustés d'arabesques ondulantes comme des
serpents
Dans le délice secret se révèle la nuit
Au royaume de l'invisible lors des instants de
grâce.
Sorties du creux profond des mille une nuits
Exilés du temps et de l'espace
Où les voyageurs d'un monde dont jamais la
lumière
ne décline
Naissent dans l'incandescence.
Guelmin, Maroc
Nador
Le soleil se brise en aiguilles sur le sable
S'exhale un parfum d'âme inconnue
La nuit venue tu as voyagé vers le matin des
mondes.
Le regard glacé par la lucidité
Je m'éveille dans une langueur tiède
Comme celles que l'on conserve après l'étreinte
Dehors les Medjoubs*
vocifèrent
Lançant leurs anathèmes si pleins de vérités
Que nul ne peut atteindre.
* Medjoub:
ceux qui lancent des anathèmes et vocifèrent dans les rues.
Nada - 03
juin 2015
Ivre d'être libre
Il est de vent
De bleu
De mers
De sommets
Il est l'ombre de l'ombre
La chaleur du rayon
L'aile du papillon
La faim assouvie.
Il est le vin d'ivresse
L'herbe bleue du chaman
Le pas qui écrase le brin
La fleur qui s'étiole.
Il nous enjôle
Nourrit
Nourrit nos songes
Rend magique le quotidien.
Il est le vers ivre d'être libre.
Extraits de Le
prophète du néant,
Maelström Reevolution, 2017
Sélection de
F.M.
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