rencontre avec un poète du monde

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ARCHIVES : VIE – POÈTE 

 

Une Vie, un Poète :

 

 

Jean-Claude Crommelinck

alias CeeJay

 

Hommage rendu par Francopolis

avec une sélection de poèmes

 

(*)

 

Le 20 novembre, nous avons découvert sur FaceBook le message suivant de l’écrivain David Giannoni :

« Notre tout grand pote et camarade Jean-Claude Crommelynck alias CeeJay vous salue du haut des sphères de là où il se trouve à présent. Il vous aimait.

Salut à toi camarade. Nous poursuivons les luttes communes engagées.

Nous t’aimons. »

 

 

Et aussi, sur le blog des Lettres belges francophones :

Le carnet et les instants – 20.11.2020. L’écrivain belge Jean-Claude Crommelynck, alias Ceejay, est décédé

Le Carnet et les instants nous apprend le décès de Jean-Claude Crommelynck, connu aussi sous le nom de plume de Ceejay, à l’âge de 74 ans. Né à Bruxelles le 10 septembre 1946, Jean-Claude Crommelynck est diplômé de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Peintre, sculpteur, graveur, il était aussi professeur d’art et a exposé dans plusieurs pays, dont les États-Unis, la Suède ou la France.

 

Un hommage vibrant lui est rendu, avec biobibliographie à jour et une video, par les éditions maelström reevolution, qui ont pu sortir, la veille même de son départ pour « un monde de matière noire de vie », une première sélection, en guise de bookleg posthume, Materia prima, de ce que devra être son dernier volume, soumis par l’auteur le 17 novembre.

 

À notre tour, nous sommes nombreux à Francopolis à l’avoir connu et aimé, pour l’homme remarquable qu’il était, pour le poète à voix forte et unique qu’il restera dans l’histoire de la poésie francophone.

Francopolis l’a accueilli avec enthousiasme à plusieurs reprises : au Salon de lecture de septembre 2014, avec des poèmes inédits écrits au festival de poésie de Safi (Maroc), dans la sélection d’auteurs de mars 2016, à la rubrique Gueule de mots de décembre 2016, au Salon de lecture d’octobre 2017 avec des poèmes extraits de son magnifique volume Le prophète du néant, dans les coups de cœur des membres : juin 2014, octobre 2014, avril 2016, septembre 2017

 

Nous signalons ici la parution en mars 2020 de son recueil Arbres de vie, poèmes, aux éditions Le Coudrier, 2020, avec les info-gravures de l’auteur, dont une belle note de lecture de Martine Rouhart peut être lue sur le site de l’association des écrivains belges (AREAW).

 

Ci-dessous, nous avons souhaité le rendre à nouveau présent parmi nous, pour le plaisir de la lecture, par quelques-uns de ses (derniers) poèmes, sélectionnés par nous sur FaceBook ou dans les recueils publiés, ainsi que par un poème-hommage qui lui est dédié.

 

 

À mon ami Poète Jean-Claude Crommelynck

 

Il s'est envolé

comme un oiseau de nuit

vers l'immensité

juste derrière les paupières

et l'ombre bleue à les couvrir

il s'est envolé

en battant des cils

depuis la paume de nos mains

et nos cœurs entrouverts

avec ses mots dedans.

Il s'est envolé

comme un cerf ailé

avec ses grands bois

dressés vers les Dieux

son brame et ses poèmes

à nous prendre et nous consoler.

 


Patricia Ryckewaert

 

 

(*)

« L’imprévu finit toujours par arriver »

(notation accompagnant le poème du 11 novembre).

 

Derniers poèmes postés sur FB du 1er au 14 novembre 2020

(extraits par Dana Shishmanian)

* * *

Suivis d’une sélection de ses poèmes inédits et publiés

(par François Minod)

 

 

Derniers poèmes extraits de FB

 

14 nov.

869 Le gardien des secrets

Nous tentons les arpents qui traversent la route

après les champs sont les bois mystérieux

Le brame du cerf fait trembler les feuilles de la forêt

son cri guttural fend le silence du temple vert

Cloués sur place figés par l’ampleur solennelle

comme en plein recueillement

Reconnectés au vrai nous restons interdits

L’animal hiératique bois levés englobe la clairière

sous les longs cils de son regard ténébreux

Il est fougueusement amoureux

Seuls les hérons perchés sur une patte

dans la vase de la grève du lac n’ont pas fuit

restés immobiles dans le temps suspendu

©CeeJay.

 

13 nov.

868 L’assèchement

Je n’offre pas de fleurs

je les laisse à leur si courte vie

certains pensent que les petites existences

n’ont pas grande importance

mais qu’elles sont si délicieuses

L’avenir semblait radieux

en dépit des chants trahis

des rires occultés et des regards obscurcis

mais…

Pleuvent les bombes se répandent les gaz

s’affalent les corps de femmes

d’enfants ensevelis carbonisés

et nous sous le poids du lourd souvenir

de notre vielle guerre

qui pensons à nos défunts

n’agissons pas pour faire taire les tueurs

bourreaux et autres chefs d’états

je n’ai pas l’intention de mourir indifférent

il reste quelques fleurs et le chant des oiseaux

pour nous nourrir le cœur

©CeeJay.

 

12 nov.-20

867 Héraclite et Praxitèle

Ils peuvent bien nous maudire

leur dieu nous a déjà maudit

pour les générations des générations

Le fils de la faute originelle

ayant été le premier meurtrier

de notre lignée tuant son propre frère

Les blessures ouvrent la porte

aux énormes solitudes

donnent le temps de lire

les fragments d’Héraclite

et de se demander si l’on est un soi-même

s’apercevoir qu’on en sait si peu

sur tant de choses importantes

Nous avons eu du si beau temps

côte à côte à bicyclette sur les chemins

à travers champs où l’on s’arrêtait

au pied d’une meule de paille

et faisions notre amour dans les parfums de la terre

Figés dans le temps telle une sculpture de Praxitèle

là où aujourd’hui les cadavres du jour

ensemencent le sol et pourrissent au soleil

©CeeJay.

 

11 nov.-20

866 Lopin oublié

L’élégant reflet ondulant de l’onde

que le soleil projette sur le mur blanc

veiné de rosiers pourpres qui lui donne vie

La fraîcheur des rives barrées de roseaux

le cri à peine audible de la mésange

qui trempe son bec à fleur d’eau

Le ruisseau va son chemin tranquille

emportant fétus de paille et feuilles mortes

comme autant d’esquifs pour la migration

de petits insectes désireux de parcourir le monde

Parfois un arbrisseau enjambe le ru

que les écureuils empruntent pour collecter

les yeux brillants les fruits secs si convoités

délicieux du côté interdit

Une vie invisible foisonnante sur ce petit lopin

ignoré des humains nous dira un jour

tout ce que nous avons gâché et perdu

©CeeJay.

 

10 nov.

865 Ce siècle vingt-et-un

L’adversité est ce qui nous lie

L’odeur de la genèse fut ancrée dans nos gènes

et nous tourmente encore même sans la foi

La répression contre le peuple prend son élan

pour déferler sur le monde avec une rage carnassière

telle dans les temps les plus antiques

Beaucoup trop d’humains ont moins d’épaisseur que leur ombre

Notre principale activité est d’ensemencer la terre de nos morts

pour y faire pousser des grains stériles manufacturés

Dans le chaos des guerres économiques le peuple est grand perdant

Nous avions déjà tout dit, inventés tous les charmes

la paix, l’amour inventé le biologique et de nouvelles énergies

Nous avions fait en sorte que tous soient beaux

Boycotté le commerce industriel, inventé le véganisme avant la lettre

volé dans les hypermarchés qui nous volaient

et bien évidemment fumé beaucoup d’herbe

Écouté la folle musique de Woodstock et fait pas mal d’overdoses

Il y a toujours un revers aux médailles

Mais le revers de ce siècle vingt-et-un est plus cinglant que tout

et mondialement plus meurtrier que jamais !

©CeeJay.

 

9 nov.

864 Nous égal Un

Tout est un

si une parcelle s’en écarte

elle entre en système binaire

et rompt le pacte paradisiaque.

En la splendeur du tigre

qui déambule dans la musique du monde

se trouve le chemin.

Le fleuve est un anaconda

qui serpente entre les terres

il a mille rives sur cette immensité.

Là sont des réponses.

Rien n’aidera

que, l’on n’accepte de croire sans savoir

perdus dans les lieux anciens.

Ce ne sont pas les autres qu’il faut instruire

mais soi-même pour devenir entier

parmi les astres de l’univers.

Les choses sont tellement multiples

qu’elles finissent par nous traverser

sans que nous en ayons compris le sens

grandir est imprévisible.

Pour l’homme tuer n’est pas tuer

torturer n’est pas torturer c’est la norme.

Quand on connaîtra le tragique immonde

imposé aux enfants migrants esseulés et perdus

ici dans notre occident

loin des terres que l’on dit barbares

nous serons effarés de nous-mêmes.

On nous a lié l’amour à la mort

tué le langage amoureux

éradiqué la solidarité.

Faisons que reste vivace la fraternité.

©CeeJay.

 

8 nov.-20

863 Revenir en création

« Jour premier

Elohim nomma la lumière Jour

et aux obscurités donna le nom de Nuit

Il fût un soir et un matin »

Une ombre d’homme dans la pénombre

puis de chair et de sang

nu

un humain dans l’éclair vif du matin.

De la poussière de sables mouvants

que le vent vient prendre par la taille

comme un amant

pour accueillir le jour à sa source.

Toutes les plantes les arbres et les fleurs

sont emplis de sagesse.

Il faut se transformer en vagabond de rêve

se souvenir d’avant l’avant

être comme le poisson dans l’onde

et l’oiseau dans l’air

comme l’eau qui ruisselle des hauteurs.

Il faut tout abandonner

s’enfoncer dans les jungles

que la nature nous laisse au long de ce voyage.

Découvrir en silence qui l’on est réellement

pour pouvoir affronter

bercés par les murmures d’amour.

le souvenir du chant des mères

quand nous étions enfants.

Cesser d’être cannibale

et ne plus manger son prochain

car les animaux sont nos prochains.

Revenir en création.

©CeeJay.

 

7 nov. 2020

862 L’inconstant

Ce soir la lune me regarde avec un visage d’homme

Il ne lui reste qu’une nuit pour être pleine avec un visage de femme.

Mais cette nuit c’est un frère qui m’interpelle

avec une moue énigmatique

et un regard lointain tourné vers Jupiter

sur la gauche dans le ciel

et il n’y a pas d’autres étoiles.

Si se défaire dans le temps était possible

j’irai bien converser avec lui

du soleil et du beau temps

de la nuit sans bruits où même nos respirations seraient muettes

croiser nos regards à tâtons dans les brumes de l’inconscience.

Pierrot du vingt-et-unième siècle accouplé à l’astre sélène

en un romantisme éclectique durant les nuits

et en adoration devant le soleil dès qu’à l’aube il paraît.

Pressé de tromper le bel amour d’argent

dans ses bras flamboyants

©CeeJay.

 

6 nov.-20

861Prêt a l’apocalypse

Les siècles ici ne s’écoulent pas

le temps a disparu

le présent et le passé sont continus

cela ajoute de la lumière

à la lumière pailletée des particules or

en suspension que le vent vient troubler.

J’ai toujours tant aimé regarder les étoiles

m’évader vers l’infini.

Au bord de la faille du monde

ému et fragile

devant les distances infranchissables

envahi d’une calme modestie

dans ce monde sourd au néant

prêt à l’apocalypse.

©CeeJay.

 

5 nov.-20

860 Jadis au gré du vent

Nous fumions du noir caporal

et rien ne pendait aux gibets

Les champs éclaboussés

du sang des coquelicots

invitaient à s’y rouler

le myosotis nous rendait amoureux

comme un regard de fille

Nous tirions la langue aux vitrines

et l’on courrait riants fort

loin des portes où nous avions sonné

Sous les draps la lampe de poche

projetait une lueur fantomatique

nos nuits s’écoulaient dans les bandes dessinées

et matin pas très frais

le trajet vers l’école nous tirait des relents

Les genoux étoilés d’éraflures héroïques

Le cou haut, front nu

nous sifflions les chansons à la mode

Le soir nous revenions les doigts maculés d’encre

comme après son labeur

noir de suies rentrait le mineur

ramenant dans nos chambres

la romantique amour inventée tout le jour

Picotés dans les yeux par le sable du marchand

à ce moment montaient les peurs monstrueuses

qui s’en allaient mourir dans l’innocent sommeil

peuplé de nos merveilles

©CeeJay.

 

4 nov.

859 Nous allons encore fiers

Ces milliers de martyrs

aux yeux sombres et clos

Les floraisons lépreuses

des haut murs de béton

qui servent de frontières

Croisant les prunelles fauves

des ombres habitants à leurs pieds

couchées sur des gravas

dans l’immobilité de ceux

qui ont lâché toutes prises

et attendent la fin

Les oiseaux comme des anges

rayent le bleu du ciel de leurs ailes de vent

Reflet de leurs désirs en feu

que leur tend le miroir du temps

Le sanglot des mères qui ont perdu l’enfant

Auquel rien ne répond

Les larmes sèches des gosses perdus

inutiles en ce monde glacé

Nous allons encore fiers

CeeJay.

 

3 nov.-20

857 Traversée des pays ignorants

Des touffeurs d’héroïsme

Le baragouin suave des effarés

Le gouffre du tragique contemporain

et l’envie de voir éclater

la si terrible force

intérieure

Tout s’est tu

il n’y a que la voix de la terre

qui se parle à elle-même

l’élégance inouïe des animaux sauvages

Arthur illuminé disant prophétiquement :

« Il y a enfin, quand l’on a faim et soif, quelqu’un qui vous chasse »

Et tu migres sans fin sur les chemins de l’Ignorance

©CeeJay

 

2 nov.

856 Bâtisseurs de ruines

Ils sont quelques uns à vivre les nuits

Pour oublier les jours

et d’autres qui vivent le jour

et ne dorment pas la nuit

Les temps sont chaotiques

peu enclins à donner l’insouciance

Impossible d’attendre ce qui vient

avec le cœur en paix

Les derniers refuges sont détruits

Les murs sont dressés et se resserrent

il n’y a plus de fuite, plus d’horizon

nous tombons sans désir

dans une solitude commune

la tête emplie de ténèbres

des lendemains plus noirs que la nuit

et de l’indifférence prestige de la faiblesse

Seuls les chiens et les chats

se foutent du couvre-feu

pendant que les hommes vivent dans l’obscur

comme des ombres

Dehors les bâtisseurs de ruines sont à l’œuvre

©CeeJay.

 

1 nov.

855 Rien n’est acquis

Cernés comme les guerriers du futur

dans les jeux vidéo

ils déferlent casqués masqués

recouverts de titane

avec de lourdes armes

faites pour abattre des éléphants

et chargent les enfants armés de pierres et de bâtons

dans les rues de la mort puante

Sont oubliés les fusils brisés

des pacifistes de 1940

La justice frappe les insensés innocents

Les forces noires jubilent à demain

d’un rire déferlant à naître

Je suis né de la foudre

par une nuit de tonnerre

plongé dans l’infamie des restes d’une guerre

où le seul domicile fixe des hommes est la tombe

le reste est du vent qui ne nous appartient pas

car rien jamais n’est acquis

©CeeJay.

 

Extraits par D.S.

 

* * *  

 

L'autre rive

A Jamila Abitar                      

 

Je suis de l'autre rive

Sur quelque rive que je sois.

 

Je vais comme les nuages

De l'Occident vers l'Orient

Là où le poème arrive et repart.

 

Sachant où je me rends

Je ne sais jamais si je suis arrivé.

 

Je te parlerai à toi qui ne seras plus

Pour que tu m'entendes à travers l'espace

Te conter l'histoire des autres rives.

 

Je déchiffrerai dans la roche l'écriture du temps

Pour y recevoir des vies de lecture.

 

Nous sommes les anges et les démons

Des dieux que nous avons créés.

Il me faudra traverser l'éternité pour atteindre l'autre rive.

 

 

L'incandescence

 

Ode d'extase

Nimbée de lumière intérieure

Qui se joue en reflets entre ciel et mer

Chatoyants de couleurs et d'éclats.

 

Les ombres imprécises surgissent

Silhouettes chaloupées

Qui dansent le souffle soufi

Dont seul on entend les orgues pulmonaires.

 

Musique du silence

Les poitrines se gonflent

Hoquettent les ventres en rythme saccadé

Et tournent les blanches corolles.

 

Même le bruit du ressac

Devenu inaudible

Fait place au seul souffle

Sur le silence dansent les ombres.

 

Le souffle comme un dôme

Recouvre les danseurs transportés

Par la respiration de l'univers

Dans la pâmoison de la plénitude.

 

Surgissent des cités toutes d'ébène et de marbre

Incrustés d'arabesques ondulantes comme des serpents

Dans le délice secret se révèle la nuit

Au royaume de l'invisible lors des instants de grâce.

 

Sorties du creux profond des mille une nuits

Exilés du temps et de l'espace

Où les voyageurs d'un monde dont jamais la lumière

ne décline

Naissent dans l'incandescence.

 

Guelmin, Maroc

 

Nador

 

Le soleil se brise en aiguilles sur le sable

S'exhale un parfum d'âme inconnue

La nuit venue tu as voyagé vers le matin des mondes.

 

Le regard glacé par la lucidité

Je m'éveille dans une langueur tiède

Comme celles que l'on conserve après l'étreinte

 

Dehors les Medjoubs* vocifèrent

Lançant leurs anathèmes si pleins de vérités

Que nul ne peut atteindre.

 

* Medjoub: ceux qui lancent des anathèmes et vocifèrent dans les rues.

 

Nada - 03 juin 2015

 

 

Ivre d'être libre

 

Il est de vent

De bleu

De mers

De sommets

 

Il est l'ombre de l'ombre

La chaleur du rayon

L'aile du papillon

La faim assouvie.

 

Il est le vin d'ivresse

L'herbe bleue du chaman

Le pas qui écrase le brin

La fleur qui s'étiole.

 

Il nous enjôle

Nourrit

Nourrit nos songes

Rend magique le quotidien.

Il est le vers ivre d'être libre.

 

Extraits de Le prophète du néant,

Maelström Reevolution, 2017

 

Sélection de F.M.

 

 

Une vie, un poète

Jean-Claude Crommelynck

Francopolis novembre-décembre 2020