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Octobre 2017


CeeJay :

 

« Suis-je rêveur ou rêvé ? »

 

Poèmes extraits du volume

Le prophète du néant

 

CeeJay-LePropheteDuNeant-1

MaelstrÖm éditions, mai 2017

 

Trouver la patience

Qui trouve du concret au néant

Et de l’impalpable au tout

Se déplace avec l’assurance lente et massive d’un continent

Sur le vaisseau des âmes.

 

Aux pieds encore des chaînes infinies à longuement traîner

Préparez-vous à être stupéfiés dans le chaos de la tranquillité

Mains tendues dans la lenteur extrême que le bien met à se faire

La torture de l’esprit et des chairs vient empêcher l’oubli.

 

Au creux des nuits qui disloquent cruelles et incandescentes

Il nous faut être ciel de pierre, homme éruptif

De fer, d’ébène, tendres comme le fruit mûr

Impatient de trouver la patience.

 

El Fana*

Le vent du sable efface le ciel

La kheïma* recouverte est devenue dune

Les yeux brûlent, abrasés

Au vent chargé des poussières d’or du désert.

 

Ces yeux fiévreux s’attardent sur l’horizon traversent les mirages

Promesses d’oasis où l’eau étanche l’âpre soif.

Fendent les nuées de sauterelles qui nourrissent l’affamé

Et le chant entêtant des sirènes du sables qui mène à la folie !

 

Sur un désir béant, inassouvi

Un chemin sans retour

Un sentiment enterré profond dans la poitrine

Ce désert nargue de son néant.

 

Il attend le rouge du vent

Qui changera sa face

Roulera les pierres

Effacera les pistes.

 

Dans l’ampleur bleue du Sahara

Ne reste que l’abîme de silence

 

L’immensité habitée par l’énigme du destin

Après la lame du sable.

 

Dans ce regard l’insondable

Qui dissémine l’encre des ténèbres del Fana

Le bédouin resté fier

Donne sa réplique au destin.

 

Nador – Deuxième jour du Ramadan 2015

 

* El Fana : le néant

* Khéima : la tente

 

 

La voie

Je vais suivant la voie qui me joint au torrent

Je me démembre dans les flots tumultueux

Me désensevelis.

La terre se brise et toutes ses parcelles sont Djebel.

Là sous les arbres, sur un tapis jeté au sol, je me recueille tendrement

L’humilité imprègne pensers et paroles

La paix abreuve le cœur

Sur chaque pierre je dépose un baiser.

J’arpente la poussière du sol à laquelle je rêve d’être mêlé

Tel est mon destin.

 

Nador – 21 juin 2015, le jour le plus long

 

 

Parmi les prophètes

Je suis l’aune qui paye le passage

La pièce d’or sur les yeux du défunt

Dans sa bouche, serrée en sa main devenue pierre.

 

Je suis l’habit qui te vêt

Le voile qui te cache

Le pas qui te pousse en avant.

 

Je suis le sabre qui vengera Sabra

Le châtiment qui lavera Chatila

Le sacrifice des égorgés halal de Jemâa el-Fana,

 

Je suis le sang qui engraisse les sillons

Les larmes qui abreuvent la terre

Le chant des esclaves.

 

Je suis la rose de la mariée

Le sourire de l’enfant

La poignée qui se soulève.

 

Je suis celui qui n’est pas

Qui n’existe qu’en rêve

Je suis l’intransigeant.

 

 

Les imprécateurs

Perdu dans la foule innombrable des imprécateurs

Le poète insurgé

Prince en haillons

Révolté incandescent

Clame la poésie qui pulse de la gorge ouverte de l’innocence

Avec la brutale clarté des mots.

 

Je suis cette chair où palpite le sang commun

Cette chair qui demande asile d’errance en errance

Démantelée aux barbelés des frontières

Écartelée d’intolérance

Bannie, expulsée

Jetée aux oubliettes.

 

J’envoie des poèmes accrochés aux pattes des oiseaux

Qui les sèment à tout vent avec leurs plumes perdues

Je fais front incliné contre le vent mauvais des médisants

Je reste, je marche

J’écoute, je donne

Je survis envers et contre tous.

 

 

La passerelle

Je suis sans religion

Soixante-douze vérités ne valent pas la vérité.

 

S’annonce le règne des dévots fanatiques à nouveau

Le carcan de la pensée, l’aventure aux débordements les plus fous.

 

Au sillage de nos pleurs se mêlent les ruisseaux de sang

De ceux qui cheminent sur la route des jours.

 

Quand la robe constellée se dévoile des voix de liberté appellent

Et chacun nous dit un monde meilleur de terres nouvelles.

 

Les étoiles ces petits trous de lumière dans le sol du paradis.

Un jour d’entre les jours…

 

Le Coran proclame que les poètes disent ce qu’ils ne font pas !

Drapés dans un renoncement divin devant le monde confus.

 

Chaque murmure est un instant d’éternité parsemé de désirs

L’opposé de la mort.

 

 

Tercets

Nu-pieds dans le désert

Longuement j’ai marché

Tant de pays traversés.

 

Sur le dos j’ai flotté au courant de l’oued

Sous les cieux défilé

Avec les oiseaux rêvé de voler.

 

Écorché par les ronces au profond des forêts

Baigné par les fuseaux de lumière

Entre les colonnes du temple de feuilles.

 

J’aime le chemin de l’errance

Je n’attends aucune réponse

Je ne cherche que les questions.

 

Mandala, poème rond

Ni règles ni formules

Seul compte : donner.

 

 

Sur les chemins

Sur les chemins

Je m’éloigne.

 

Les directions m’égarent

Toutes les issues sont miennes.

 

Je vais où mes yeux intérieurs me conduisent

Je suis gourmand de l’inconnu.

 

La terre m’accorde son asile

De l’exil je respire le parfum de mes mots.

 

L’errance est liberté, dit que la terre est mienne

Et que partout chez moi je suis.

 

Je le confie en murmure au silence

Car les routes sont jonchées de geôles.

 

Elles ne demandent qu’à engloutir

On ne les évite que sans bruit.

 

Comme les vents je me faufile descendant les sommets

Je tempête, je fraye des passages nouveaux.

 

Et dans les plaines je me calme

Et donne à la douceur.

 

 

L’apaisement

Les mots sont des pierres de jaspe d’améthyste

Je lis le parchemin céleste

Chaque étoile est un glyphe.

 

Les mots de lumière

Loin de la violence

Couverts de sérénité.

 

Il faut pour le décrypter

Les huit yeux d el’araignée

Quand la toile bat la vibration.

 

Du silence ineffable

Où dorment ceux qui sont vivants

J’entends le chant muet des âmes.

 

Mes compagnons d’errance

Me guettent et me traversent

Me tiennent les mains.

 

Couvrent mes yeux

M’entraînent vers des espaces

L’air léger me porte.

 

Il est bon d’être de la chaîne un maillon

La valse commencée

Semble ne jamais finir.

 

Nous tournoyons

Derviches inspirés

Pris d’un vertige de toupie.

 

Le camarade veilleur

Me couvre de son ombre

L’apaisement est entré.

 

 

Suis-je rêveur ou rêvé ?

Rien ne distingue l’azur et l’eau

Si l’on plonge on ne sait si ce n’est dans le ciel

Si l’on pêche peut-être sont-ce des âmes prises aux filets

Si l’on nage le vol des anges nous accompagne

Et les dauphins mythiques sont devenus poissons volants

Sur ce bleu infini

Qui n’annonce nulle terre où reposer

Suis-je rêveur ou rêvé ?

 

 

CeeJay-LePropheteDuNeant-2

 

 

***

 

 

Le poète belge CeeJay (J.C.Crommelynck) est bien connu à nos lecteurs. Sa présence à Francopolis :

Salon de lecture de septembre 2014 (Chronique marocaine)

Cinq poèmes dans la sélection de mars 2016.

Coup de cœur de septembre 2017.

 

Sur cet ample volume de poèmes publié en mai cette année, voir son interview :

https://www.youtube.com/watch?v=xr0_zrsDBVY

 

 

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recherche Dana Shishmanian
octobre 2017

 

Créé le 1 mars 2002

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