Malcolm de CHAZAL est, sans conteste, le géant de la
littérature (et, en particulier, de la poésie) et de la peinture de l’Île
Maurice.
Et Jeanne GERVAL AROUFF,
plasticienne, poète et critique littéraire bien connue dans l’île-point, eut le privilège d’être
longtemps proche de lui, au point de le fréquenter, d’entretenir avec lui
une correspondance épistolaire régulière, d’être par lui considérée comme
une personne de confiance à laquelle il a légué manuscrits et œuvres non
éditées – et de continuer même, après le départ de l’artiste pour le Grand Tout en 1981, de lui écrire
des missives, empreintes de l’enthousiasme, que dis-je, de la vénération
qu’elle lui voue.
Cette suite de textes écrits par
Jeanne (parmi lesquels nombre d’articles publiés en leur temps dans les
rubriques culturelles des principaux organes de presse locaux) et
entrecoupée d’illustrations a le pouvoir de nous immerger (je crois, le
plus qu’il soit possible) dans l’univers de cet être d’exception, à la
stature maintenant presque « légendaire », dont elle a ardemment
contribué à perpétuer la présence, par l’écrit tout comme par l’action plus
concrète (organisation de manifestations : expositions, événements
commémoratifs).
Elle nous fait, avec insistance,
ressortir combien l’œuvre de Malcolm, qu’elle appelle le mage-mutant, est profondément ancrée dans la chair même de
son pays – et ce en dépit du fait qu’il ait été, à Paris, adoubé en tant
que génie de la littérature
française par Jean PAULHAN et qu’il ait, assez naturellement, intéressé
certains surréalistes français, qui le reconnurent comme l’un des leurs
(tout comme, du reste, il a attiré l’attention de peintres français
célèbres).
Mais, Jeanne GERVAL AROUFF ne cesse
de le souligner, Chazal se situe hors-école. Il est implagiable. Et, s’il est ainsi, c’est qu’il est
« habité » - voire possédé – depuis son plus jeune âge par une
vision (qui est aussi une intuition), celle du LIEN originel. Il n’hésite
pas à faire de la poésie une religion.
Et ce quel que soit son mode d’expression : écriture ou peinture
(lesquelles, à ses yeux, s’équivalent).
Il est le dé-séparateur. L’alchimiste
de l’unité première. Par l’art (mots, couleurs), c’est le visage de Dieu, de l’âme du monde
qu’il cherche et célèbre. Et son médiateur – son médium – n’est autre que
le Nu, le brut de la sensation,
de la perception pleine et entière, instinctive, holistique, qui, seule,
peut être à même de fonder, de sous-tendre la vraie vie.
Rien n’est plus contraire, à ses
yeux, à l’art que l’intellect, l’analyse, l’idée. Car ceux-ci empêchent d’être
pleinement dans la vie, dans le plein-vivre dont seuls les enfants (et
certains esprits tel le sien) n’ont pas encore pu (pour leur bonheur) se
détacher.
Chazal se réclame de la
contemplation, de l’ascèse des grands sâdhus. Mais également, de l’innocence
intense, spontanée des enfants. Son « illumination », il l’a
connue dans le jardin botanique de Curepipe (patrie de mes propres
ascendants maternels) quand, à force de concentrer son regard sur une
azalée, lui est venue la sensation (irréfutable) que la fleur, également,
en retour, le regardait et pénétrait le profond de son être, ce qui lui a
révélé l’unité sacrée de la Vie et du monde.
Chazal est l’homme du sixième sens.
[…] votre
philosophie, à savoir que la Nature
est mystérieusement animée, lui écrit, en 2003, soit 22 ans après sa
disparition, Jeanne Gerval ARouff. Voilà qui en dit long.
Merci à l’exaltation dithyrambique de
cette précieuse disciple !
Car peu de gens, à Maurice comme
ailleurs, semblent avoir réellement compris (ou désiré comprendre) cette
âme vaste et unique donnée par notre pays au monde.
Homme de présence à l’univers s’il en est, l’inimitable Malcolm a bien
failli se trouver jeté dans le gouffre de l’oubli, de l’indifférence totale
par maintes incompréhensions (il n’a jamais pu – ni voulu – venir
« mondaniser » à Paris à l’instar de bien d’autres artistes et
/ou auteurs compatriotes et, à Maurice, il fut longtemps regardé comme un
hurluberlu par son milieu d’origine, la bourgeoisie sucrière, aisée,
descendante directe des colons français et esclavagistes venus d’Europe,
qui produisit, par la force des choses et des rapports de domination
coloniaux, la toute première intelligentsia, passablement conservatrice,
que connut cette petite terre australe).
Son cher pays ne le reconnut, ne le réhabilita que bien après sa mort,
au début des années 2000, et il devint alors un modèle, une référence pour
une flopée d’artistes mauriciens, tant du pinceau que de la plume, dont
beaucoup sont cités dans ce livre, si riche qu’on a du mal à en faire le
tour.
Son originalité ne pouvait que porter en elle un flux de
libération.
Chazal contribua donc, de la sorte, à
l’émergence de la culture et de la fameuse identité mauriciennes, si ce
n’est même, pour aller encore plus loin, indianocéanes. Et, franchement,
ainsi que le dit Gerval ARouff, rien n’aurait pu le rendre plus heureux. Le
LIEN, encore, toujours !
Chazal était l’homme-arc-en-ciel par
excellence.
Et l’océan Indien îlien – ce pont
entre Afrique, Asie et Europe – est une région du monde qui ne ressemble
vraiment à aucune autre. Ainsi que l’avait pressenti – et prédit – l’homme
peu commun, le visionnaire ascète,
le lecteur d’avenir.
Ce livre est une véritable mine
d’informations. Lisez-le !
Patricia Laranco
http://larencore.blogspot.com/
|