Petits tours de champ 

Vision annotée des airs
que se donne la Francophonie

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Archives : Contes et chansons 

 

Novembre-Décembre 2020

 

L’Ours Jaune.

Un conte de Doina Cernica

 

(*)

Illustration par Ana Constantinescu

 

 

Il était encore un hiver au ciel désert. Inquiète, la Petite Fille regardait la silhouette mince du Lilas et soupirait : il lui paraissait être de plus en plus seul et sans garde contre le vent et le froid. Elle éprouvait une tristesse amère, qui la mena inconsciemment sur les sentiers de la forêt.

La Petite Fille y pénétra sans apercevoir l’entrée noire. Quand la lumière disparut complètement, elle s’arrêta et crut un instant que ce chemin est tout différent. Mais c’était toujours un chemin et elle se mit en route. D’abord, la Petite Fille fut enveloppée par la chaleur, ensuite elle entendit le chant de l’eau. Et quand les ténèbres se dissipèrent, elle sentit deux yeux bruns qui la scrutaient. Devant elle, sur un fauteuil de mousse verte, se tenait un ours couleur de miel. La Petite Fille le regarda avec épouvante et avec joie. Plutôt avec joie. 

– Qui es-tu ?

– Je suis l’Ours Jaune.

Un parfum se levait tout autour. Elle regarda et vit quelques fleurs dans l’herbe verte. Elle s’assombrit. L’Ours l’examinait. Il ne l’avait demandé qui était. Il devinait beaucoup de choses.

– Qu’est-ce que tu cherches ?

La Petite Fille tressaillit et c’est alors, en lui répondant, qu’elle sut :

– Le Soleil.

L’Ours Jaune eut un sourire. Il se leva, s’approcha d’elle et la caressa. Il était bon comme le pain. La Petite Fille enfuit son visage dans la fourrure dorée et commença à pleurer.

  Il languit. Il n’a plus de feuilles. Plus de fleurs. Le vent le heurte. Le froid le fait sécher. Quand le soleil brillait, c’était tout autre chose. Maintenant le Lilas est malade et seul. 

L’Ours grogna tout bas :

  Non. Une petite fille a des larmes pour lui.

Il la prit dans ses bras et le fauteuil trembla, en ouvrant une porte. Ils pénétrèrent dans une contrée au ciel noir d’où poussaient des arbres, quelques-uns vigoureux, d’autres plutôt minces, mais qui tendaient tous une foule de branches, leurs cimes baignant dans une rivière jaune. Ils s’arrêtèrent sur sa rive. L’Ours s’assit et, en la tenant sur les genoux, attendait la question. Qui vint aussitôt :

– Pourquoi les arbres poussent-ils à l’envers ? 

– Ce ne sont pas des arbres. Ce n’est que leurs racines. Nous nous trouvons sous la terre. 

Elle le regarda de ses yeux limpides.   

– Qui es-tu ?

– Je suis l’Ours Jaune.

– Qui es-tu, Ours Jaune ?

– Le Gardien du Soleil.

La Petite Fille se leva d’un bond. Elle aspira longuement de l’air et se laissa tomber à ses pieds. 

– Maintenant, c’est l’hiver. Le ciel est désert. Où est le Soleil ?

– Ici même. Au cœur de la terre. C’est de là que vient la rivière. Les racines boivent son eau brûlante et vivante et la conduisent aux troncs des arbres, là où poussent les boutons qui attendent le printemps. Quand il vient, les boutons s’ouvrent et libèrent les fleurs, pour qu’elles réjouissent du Soleil hissé de nouveau sur le ciel. L’heure de mon repos est venue et alors je flâne à l’aise dans la forêt... 

Le ciel était toujours désert, mais le froid avait commencé à s’en aller, et lorsque la Petite Fille colla sa joue au corps maigre du Lilas, elle entendit son cœur battre lentement et devina la naissance muette des fleurs. Elle le caressa légèrement, souriant au souvenir d’un ours bon comme le pain, à la fourrure couleur d’or, de miel et de soleil. 

 

Version française par Valérie Maillard et Marius Roman 

 

(*)

Doina Cernica : Extrait de son dernier livre de contes, Mierlă neagră pe zăpada albă (Merle noir sur la neige blanche), Suceava (Roumanie) 2020, illustré par Ana Constantinescu, préfacé par Dumitru Radu Popa.

Deux de ces contes (dans la traduction de Dana Shishmanian) ont été accueillis dans Francopolis : L’oiseau voyageur en décembre 2014, et Le Merle noir en novembre-décembre 2019, avec une brève présentation de son œuvre dans ce même numéro.

« Dans un monde des ordinateurs et jeux de toute sorte, automatisés et presque toujours très violents, avec ou sans raison, Doina Cernica apporte une fenêtre ouverte vers l’air libre et propre, apprend aux enfants à découvrir l’essentiel, à savoir justement ce qui ne se voit qu’avec l’âme ou seulement avec les yeux de l’esprit. Ou peut-être, les yeux fermés ! » (extrait de la préface de Dumitru Radu Popa, en ma traduction D.S.)

 

Valérie Maillard, diplômée en lettres modernes à la Sorbonne en 1993, est enseignante dans un lycée à Évry près de Paris. De 1995 à 2018 avec l’association Le Train de la Mémoire, elle a préparé et accompagné des jeunes dans des voyages de réflexion à Auschwitz. Depuis 1999 en lien avec le Burkina-Faso, elle a organisé des échanges culturels avec les élèves de son établissement, participé à la réalisation d’un musée ethnographique à Sapone (près de Ouagadougou).

 

Marius Roman, diplômé ès Lettres de l’Université Ștefan cel Mare de Suceava (2003), fut un fertile traducteur durant ses études – lorsque, entre autres, il traduisit en français, avec Valérie Maillard, professeure à Paris, le conte La Petite Fille et la Tortue de Doina Cernica (2003). Par la suite il prépara un doctorat au Canada. Il vit aujourd’hui en Lombardie (Italie). 

 

Dumitru Radu Popa, diplômé de la Faculté de Lettres de l’Université de Bucarest (1972), critique littéraire, prosateur et essayiste, ayant un volume primé en Roumanie (Panic Syndrome, 1997), est établi aux États Unis depuis 1986, où il est actuellement doyen assistant de la Faculté de Droit de l’Université de New York. Il a lui-même écrit, entre autres, un conte pour enfants petits et grands : Povestea seminţei : Închide ochii (L’histoire de la semence : Ferme les yeux !), 1998. 

 

 

 

Doina Cernica

Recherche Dana Shishmanian

Francopolis novembre-décembre 2020

 

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Créé le 1 mars 2002

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