« Au milieu des
décombres » : Peindre sur des boîtes d’emballage

L’affiche de
l’exposition itinérante de l’artiste ouverte à Bruxelles et parcourant par
la suite neuf pays de l’Union Européenne (septembre-octobre 2025). Elle a été organisée par The United Nations World Food Program (WFP)
« Le Prix de l'Engagement Spécial de la
cinquième édition des Comer
La Vanguardia Awards a été décerné le 14 octobre 2025 à l'artiste
gazaoui Ahmed Muhanna pour avoir mis en lumière l'utilisation de la faim
comme arme de guerre dans ses peintures, réalisées pendant le conflit à
partir de cartons d'aide alimentaire de WFP servant de support. »
Les Comer Awards sont l'un des prix les plus
importants organisés chaque année par le journal espagnol La Vanguardia
à Barcelone, en hommage à des personnalités et institutions de divers
domaines tels que l'art, la science, la culture et la société, qui
apportent leurs contributions pour inspirer le changement humain et social
à travers la créativité. (14-10-2025)

« Au milieu des décombres
et de la destruction… sont nées ces peintures.
Chaque coup de pinceau était un
cri, chaque couleur un témoignage de douleur et de survie.
J’ai peint malgré la guerre,
malgré la perte de lumière et de matériaux, car l’art est le dernier
vestige de notre humanité.
Voici mes œuvres, nées des
cendres du génocide, du cœur de Gaza. »
(Ahmed Muhanna, dans Theartnewspaper.com, 10 octobre 2025).
***

« Les cadavres des prisonniers palestiniens ont
été remis, leurs traits défigurés, leurs corps brûlés et méconnaissables.
Ces corps ont émergé des prisons de l'occupation
comme d'un enfer silencieux, portant les stigmates de la torture et de la
brutalité.
Quel cœur peut supporter ça ?
De combien de souffrance le monde a-t-il besoin
encore pour admettre que ce qui se passe ici dépasse les limites de
l'humanité ? » (17-10-2025)
***

« Ici à Gaza. Le
carnage efface les visages et laisse la terre témoin de cris inouï.
Une couverture qui
réchauffe l'absence, et révèle le silence des morts.
À Gaza, les déplacements
et la mort étouffent le souffle des gens, et demain reste un mystère comme
une route sombre.
Ces visages, enveloppés de
ténèbres, ne sont pas des portraits au sens traditionnel du terme, mais
plutôt le reflet d'âmes accablées par la mémoire et la déception. Ils
apparaissent et disparaissent dans l'obscurité, tels des fantômes pris au
piège entre la vie et la mort, où le visage humain se mue en un cri visuel
qui exprime une souffrance collective, faisant de la peinture un témoignage
silencieux de douleur et d'absence. » (20-08-2025)
***
« L’espoir
perdu m’appelle » : des histoires qui s’accrochent à la vie
Visages bondés derrière des fils barbelés

« Visages bondés
derrière des fils barbelés… L'espoir perdu m'appelle.
Et le message écrit
au-dessus d'eux s'accroche à la vie, malgré les cicatrices du
désespoir.
Pour chacune des photos
que j'ai prises, une histoire, un récit, et des détails entre l'espoir, la
mémoire et la vie. » (14-11-2025)
***
Retrouvailles après la dévastation

« On est
pas bien... mais on rêve encore,
et
cela seul suffit pour que le matin se lève. » (12-11-2025)
« Notre histoire a commencé
en 2002, lorsque l'amitié nous a réunis dans les couloirs de la Faculté des
Beaux-Arts de l'Université de Gaza. Nous étions un groupe de jeunes gens
animés par la même passion, peignant nos rêves sur les murs et le papier,
convaincus que la couleur pouvait vaincre l'obscurité.
Nous avons obtenu notre diplôme
ensemble, puis chacun a suivi son propre chemin. Certains sont devenus
enseignants, d'autres photographes, d'autres encore designers, mais nous
sommes restés amis malgré nos existences trépidantes et les aléas de la
vie.
Les années ont passé, la
plupart d'entre nous se sont mariés et ont fondé des familles, selon leurs
personnalités. Nous nous retrouvions de temps en temps, riant, évoquant nos
souvenirs d'université et rêvant de projets artistiques restés inachevés,
faute de temps.
Puis la guerre de 2023 a
éclaté… une guerre sans précédent. Longue et amère, elle a arraché nos
êtres chers et a dépouillé Gaza de ses couleurs vibrantes. Nos rencontres
cessèrent complètement et nous ne nous croisions plus que par hasard au
marché ou aux points de distribution d'aide, échangeant un sourire rapide
et ces mots : « Prends soin de toi. » Après deux ans de séparation, la
nouvelle tant attendue arriva : un cessez-le-feu.
Nous décidâmes de nous revoir –
nous cinq, les survivants qui avions préservé notre amitié. La rencontre
eut lieu chez notre ami Imad Abu Adam, photojournaliste qui avait été
témoin de la guerre à travers son objectif et avait vu des tragédies
inoubliables.
Assis autour d'une table
simple, l'arôme du café embaumant l'air, les rires se mêlant aux larmes.
Imad évoqua les scènes qu'il avait capturées mais qu'il n'avait pu publier,
et nous parlâmes de nos maisons détruites et de nos enfants qui avaient
grandi trop vite.
Mais au milieu de toute cette
douleur, l'espoir renaquit. Nous nous mîmes à parler de l'avenir, de l'idée
d'organiser une exposition collective pour témoigner de ce que nous avons
vécu, de la nécessité de redonner un peu de couleur à Gaza, ne serait-ce que
d'un simple coup de pinceau.
Cette nuit-là était différente.
Ce n'était pas simplement une réunion de vieux amis ; c'était une
rencontre entre la vie et la mort, entre le souvenir et la survie.
Et lorsque nous nous sommes
séparés à la fin de la nuit, chacun de nous a senti que l'amitié était la
seule chose que la guerre n'avait pas pu détruire. » (9-11-2025)
***
Kanda aux cheveux de soie

Deux ans après le commencement
de la guerre génocidaire à Gaza, j'ai reçu la visite d'une petite fille
nommée Kanda, âgée de sept ans au plus.
Elle est venue en tenant la
main de son père, ses grands yeux portant une lumière semblable à l'aube
alors qu'elle essayait de naître parmi les décombres.
Kanda était une belle enfant,
ses cheveux sur son visage étaient comme des fils du soleil touchant la
mer. J’ai plaisanté :
« Et si on échangeait mes cheveux
contre les tiens ? »
Elle a ri timidement, avec la
douceur des enfants dont le rire n'avait pas encore été altéré par la
guerre.
Je lui ai souhaité la
bienvenue, j’ai caressé sa tête, et je lui ai donné une boîte de couleurs
de cire et un papier blanc pour qu’elle commence à dessiner.
Elle s'est assise en silence à
contempler les couleurs, puis elle a levé la tête et m'a dit :
« Oncle Ahmed, je veux que
toi, tu me dessines... Et que tu dessines mes cheveux que tu aimes. »
J'ai souri et j'ai commencé à
dessiner. Elle m'a regardé avec les yeux remplis d'émerveillement, comme si
elle pouvait voir dans le tableau les derniers vestiges de vie qui
subsistaient encore dans ce lieu dévasté.
Quand j'eus terminé, elle fut
submergée d'une joie pure et enfantine, courant vers le portrait comme s'il
s'agissait de son premier trésor.
Je la taquinai de nouveau :
« Maintenant, tu dois choisir :
tes beaux cheveux… ou le tableau ! » Elle me regarda un instant, puis dit
doucement, avec une sincérité bouleversante :
« Je veux mes cheveux... Je
veux la peinture aussi, à mettre dans ma chambre… Je veux toujours me
souvenir de toi, car cette guerre nous a volé tout ce qui est beau. »
Ce moment était plus intense
que toutes les couleurs du tableau.
Kanda ne demandait pas un
tableau... Elle cherchait un nouveau souvenir, que la guerre ne pourrait
jamais lui voler. (29-10-2025)
***
Bessan et son dessin qui représente la guerre

Par une douce matinée d'hiver à
Gaza, où l'odeur de poudre était omniprésente, la petite Bessan entra dans
mon atelier, tenant la main de son père. Photojournaliste, je l'avais à
peine revu depuis des mois, en pleine guerre. Son visage était marqué par la
fatigue, ses mains tremblaient légèrement, comme accablées par le poids des
images non encore capturées.
Bessan contempla les peintures
accrochées aux murs, des tableaux submergés par des cendres, des symboles
et la douleur. Puis, se tournant vers moi, les yeux grands ouverts, elle
dit timidement : « Oncle Ahmed, je veux dessiner. »
Je lui offris du papier et des
pinceaux, comme je le fais toujours avec ceux qui cherchent à s'exprimer
artistiquement. Elle s'assit par terre et peignit avec la concentration
intense d'une enfant qui sait exactement ce qu'elle veut dire. Elle ne
parlait presque pas, peignant avec une rapidité étrange, comme si elle
craignait d'oublier la scène qui hantait sa jeune tête.
Quand elle eut fini, elle me
tendit la feuille et me demanda d'une voix douce mais assurée : « Veux-tu
que je te dise ce que j'ai dessiné ? »
Je souris et répondis : « Bien
sûr, dis-moi, Bessan. »
Elle dit : « J'ai dessiné les
maisons bombardées… et c'est mon père qui les photographie. Il y va sans
cesse, et je ne l'ai jamais vu pendant la guerre. Il documentait toujours
les ruines. »
Je regardai le dessin et vis
des lignes en zigzag comme des rues dévastées, un ciel gris, et dans un
petit coin, un homme tenant un appareil photo plus grand que lui, et une
petite fille qui lui faisait signe de loin.
À cet instant, je compris que
Bessan n'avait pas simplement peint un tableau ; elle avait peint sa propre
absence, le vide laissé par la guerre entre un père et sa fille, et le
souvenir d'une patrie que les adultes immortalisent avec leurs objectifs et
que les enfants gardent dans leur cœur.
Je tendis la main et lui
caressai la tête en disant : « Ta peinture, Bessan… ressemble à la réalité
plus que tu ne peux l'imaginer. »
Elle sourit timidement, puis
prit la main de son père et partit.
Le papier resta devant moi sur
la table, petit comme son propriétaire, mais portant en lui une douleur
plus profonde qu'une fresque entière. (29-10-2025)
***
Hamed... Un rêve au milieu des bois de chauffage

Chaque matin, avant que l’arôme
du café n’emplisse mon atelier, j’entends le martèlement rythmé du bois.
Là, dans un coin du quartier, est assis Hamed – un enfant maigre, aussi
frêle qu’un rameau d’olivier – qui s’affaire à couper du bois.
Ses yeux brillent de la lumière
du matin, mêlant la timidité des pauvres à la détermination de celui qui ne
possède que l’espoir.
Quand je m’approche, il lève
timidement la tête, me répond à voix basse, puis sourit comme pour
s’excuser de son enfance perdue parmi les bois.
Nous échangeons quelques mots
sur le temps qu’il fait, sur le café qu’il ne boit pas, et sur l’école
qu’il a quittée. Il me dit, serrant les bûches contre sa poitrine :
« Quand je serai plus grand…
je vais retourner à l’école. Je veux devenir ingénieur et construire une
maison pour nous. »
Je retourne à mon atelier,
chargé de bois de chauffage, et avec l'idée d'une nouvelle toile… Le visage
d'Hamed, ses mains gercées, et l'étincelle d'espoir inextinguible dans ses
yeux.
Peut-être ignore-t-il que
chaque matin commence avec sa voix, me donnant une nouvelle raison de
peindre… et une nouvelle raison de croire qu'un rêve, même couvert de
poussière et de sueur, ne meurt jamais. (28-10-2025)
***

©Ahmed
Muhanna
(textes et images extraits de sa page Facebook ;
traduction de l’arabe en français avec
Google)
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