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LECTURE - CHRONIQUE
Revues
papier ou électroniques, critiques, notes de lecture, et coup de cœur de
livres... |
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LECTURES – CHRONIQUES – ESSAIS Hiver 2025 Notes de lecture
de Guénane Cade : Les réflexions d’Ara Alexandre Shishmanian. |
Le Pouvoir de l’ArtEntendre froufrouter les pages d’un
livre, voir sautiller les mots en feuilletant fait encore pâlir le mot numérique
qui, même s’il enfreint désormais toutes les règles protectrices, nous
offre aussi un complément d’infini. Ainsi, la revue Francopolis nous
rappelle, dans son dernier numéro, qu’elle privilégie la poésie mais pas
seulement, elle en appelle à toutes les francophonies, et raffole des
arts… tous les arts. Dans sa bibliothèque automnale elle
nous ouvre un album numérique sur les artistes palestiniens d’aujourd’hui
(1). Un monde apparaît et nous fige, émotion muette. Comment vivre dans un
cimetière ? L’art malgré les ruines, rêver malgré les horreurs. Les
images redonnent vie à l’art des murs détruits, redonnent une mémoire au pays
nié. Des enfants amputés dessinent, colorient, nous font cadeau d’une
insondable résistance, témoignent de l’espoir sous les décombres. Ils
recréent leur monde, défient l’agonie, désamorcent les bombes, nous donnent
envie de croire qu’ils jouent avec les lignes, dessinent en riant. Gaza, ce nom lourd de silence
signifie aussi tout un patrimoine culturel, archéologique. Gaza, ces quatre
lettres venues de l’hébreu retiennent la notion de force. Gaza, une
mémoire à sauver, les poings serrés nous regardons défiler 57 pages où l’art
sublime l’insoutenable, redonne vie à la vie, nous choque et nous réjouit. Mesurer, un instant, le pouvoir
fortificateur de l’art. Chacun regarde, entend avec ce qu’il est, s’égare en
lui-même mais nous habitons tous sur Terre. Vouloir croire que tous les arts
gardent le pouvoir de nous unir. (1) Artistes
palestiniens d’aujourd’hui (dans Bibliothèque Francopolis,
n° 15, automne 2025). *** Toucher l’intranquillité du mondeCe fascinant album numérique gazaoui
a fait clignoter un livre du poète breton Alain Le Beuze où chaque poème est
en lien avec l’art, inspiré par l’œuvre d’un artiste ou issu d’un livre
d’artiste. Ce recueil s’intitule Toucher
l’intranquillité du monde (2), titre où tremble la terre et nous rappelle
que poètes et artistes guettent chaque lueur quand le monde en larmes
tressaute, s’enlise, s’endeuille ou que le passé se cabre. Il nous attrape
par le col, sans une image, à nous de les imaginer, de retrouver la
mémoire de notre estran intime, notre enfance dans les ruines sans
retour. C’était...C’était… le poète relit le passé, les mots
encore encombrés des décombres d’hier, il s’appuie sur les monotypes
d’une artiste qui a enraciné les baraques d’après-guerre de la région
lorientaise. Sans fenêtre elles se tiennent, se soutiennent, se
retiennent… Guerre, mot irréversible, mais poète et artiste redressent
le passé, offrent aux rues cassées un peu d’humanité. Sur le fil
frémissant des souvenirs d’enfance, dans les pages tremblent aussi en silence
le mot Résistance et en écho les noms de tous les jeunes gens assassinés, à
Kerfany-les-Pins en Bretagne et dans tous les maquis de France. Nul marbre nulle croix rien que des fosses d’ombre qu’éclairent des fleurs sauvages... La mer n’oublie pas le vent court sans but et les pins tremblent d’une peur
jumelle… Poésie, ciel sans frontière, les
mots rejoignent aujourd’hui : Ton ciel brûle Marina et tu ne le sais pas… L’exil, ton ultime compagnon, te
prépare d’autres ciels. Ton ciel brûle Marina, l’Europe
tonne déjà dans tes pas. Les mots flambent dans ta voix. Le poète remonte le temps jusqu’à la
nuit néolithique, nous dépose sur l’île morbihannaise de Gavrinis, nous ouvre
son cairn orné de spires malhabiles gravées dans la pierre sèche.
Suspension. Silence des vestiges, la sépulture enferme ses mystères mais accorde à l’éphémère sa durée. L’impatience de l’oubli est abolie. De Gavrinis à Gaza où chaque jour
est un défi, mots et couleurs voltigent sur les ailes de l’art. Pour clore ce
survol de l’intranquillité du monde, accueillons, dans le dernier
poème, un papillon échappé de novembre
finissant... il se pose sur une toile parmi les bruns et les ocres. Art vivant, il se fond et compose
avec l’œuvre. En moi, l’enfant
qui a marché dans les rues illisibles d’une ville en ruines ne peut oublier
les papillons butinant dans les buddleias mauves fleurissant les décombres.
Rêvons que des pluies de papillons pollinisent des fleurs insoumises dans
Gaza délabrée. Mots et couleurs sont fruits où macère la vie,
souhaitons qu’ils nous maintiennent en éveil, nous éloignent des barbaries. (2) Alain Le Beuze, Toucher
l’intranquillité du monde. Editions Sans escale, octobre 2025. *** L’Homme – nécessité et libertéLire Ara Alexandre Shishmanian,
Homme libre (3), et retenir, oui, que nous avons chaque jour plus envie
d’interpeller les dieux. Rappelons que le mot Homme signifie toujours Être
Humain. Explorateur des profondeurs et des
délires libres, AAS, dans sa dernière récolte, nous rappelle que tous les
systèmes mènent à l’inertie, qu’il faut bien oser être fou pour s’opposer,
pour résister, que la contestation est ce qui nous reste de plus vital car
elle seule génère de l’énergie. Il peut l’affirmer parce que son chemin vital
depuis l’origine en lui l’affirme. Bien des humains peuvent attester que tout
système à son paroxysme ne peut que dégénérer, comme toute utopie qui un jour
s’effondre pour ensuite mieux regimber. Tous ceux qui l’ont vécu ou le vivent
en silence savent qu’il est plus facile de régner sur une meute d’aliénés,
d’asphyxiés. Pour le Pouvoir, l’Homme libre est dangereux, non maîtrisable.
Pour que le totalitarisme progresse, pour que se déploient les stratégies de
la terreur, il ne faut pas que l’individu se redresse. La liberté va à
l’envers de l’ignorance et cette lucidité doit accepter d’affronter le
désespoir. AAS a dû longtemps regarder le soleil en face, il nous ramène une
cinquantaine de rayons éclairants et nous le dit avec des mots qui ne
faneront pas. La capacité d’être seul est le
trésor le plus précieux de l’homme.
AAS ne craint pas d’être confiné en
lui-même car rien ne peut atteindre ses ailes et il vole toujours plus haut,
au-delà de l’au-delà. En ce monde désormais inqualifiable, sans mot pour le
dire sinon le maudire, il lui reste la parole dans sa langue à lui. Il ne
craint même pas l’I.A Les ordinateurs sont les yeux de
plus en plus attentifs de l’inconscient qui nous guette. AAS appelle Dieu, l’homme libre
du monde – niant tout ce qui le niait. Nous avons le droit de méditer. Nous savons comme nous échappe
souvent la bonne clé pour la bonne serrure. Il nous offre la réponse : Lorsque vous êtes vous-même votre
propre clé, vous êtes libre. Ces mots-là ont de la gueule même si
le sourire de cette conclusion murmure qu’il faudra chaque jour plus être un
Sur-Homme pour être un Homme. (3) Ara
Alexandre Shishmanian : L’homme : nécessité et liberté.
Extraits d’un journal d’idées, dans Francopolis, automne 2025. ©Guénane
Cade |
(*)Guénane Cade a honoré notre revue d’un groupage
de poèmes inédits à la rubrique Francosemailles (Amazonie
désaccordée, mars-avril
2022), où figure aussi une brève présentation : elle qui a débuté chez
Rougerie, éditeur emblématique à qui elle est restée fidèle, n’aime pas
étaler sa biobibliographie… Mais son art nourri d’empathie et d’une
sensibilité hors du commun transparaît amplement aussi à travers les notes de
lecture qu’elle confie à Francopolis (voir à cette même rubrique,
2025) : nous lui savons gré. |
Notes de lecture de Guénane Cade
Francopolis – Hiver 2025
Créé le 1er mars
2002