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ARCHIVES : CRÉAPHONIE

 

Automne 2025

 

 

Jacques Rolland :

 

« le bout du monde est une fable ».

 

Poèmes inédits accompagnés de dessins et peintures

 

 

(*)

 

 

 

J’aime les mots

 

Les mots, je les ravale comme des larmes. Comme ils ne tiennent pas en place dans ma mémoire, je les cache où je peux, entre les pages d'un livre, sous une pile de linges ou dans quelque autre recoin de la maison. Quand je sors je les mets dans un sac que je dissimule sous mon manteau. Je fais attention à ce qu'ils ne s'échappent pas car je dois l'avouer, j'ai honte de mes mots. Je répugnerais à les lâcher dans la nature. Je les entends déjà me poursuivre en criant : C'est lui ! C'est bien lui ! Oyez comme il ment ! Voyez comme il rougit dans sa nudité !

C'est pourquoi je prends soin de n'éveiller aucun soupçon. Je m'emploie sans relâche à étouffer la vérité dans l'œuf, à polir mes sourires de façade, ravauder les hardes de ma panoplie... 

Mes mots ne ressemblent pas à l'idée que les gens se font de moi. Ils ont des élans et des noirceurs qui ne siéent pas aux apparences derrière lesquelles je les ai murés. Il m'arrive quand je suis seul de les convier à ma table pour me rassurer, m'assurer qu'ils ne m'ont pas oublié, m'étonner parfois qu'ils sont plus intelligents que moi.

Mais plus j'avance en âge, en vérité plus l'âge s'avance, plus les ombres s'allongent, plus mes mots me pressent. Alors la gorge nouée, je lâche une bribe, une larme, je concède un mot sous le manteau. Mais un mot tout seul ne dit rien, est non avenu, juste un monolithe qui espère une prose, un poème. Je sens bien que mon sac de mots a des impatiences de mère, qu'il pèse de plus en plus lourd, je sens bien qu'il gonfle, gonfle jusqu'à exploser, jusqu'à noyer le couchant dans une vallée de larmes.

 

***

 

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C'est la saison d'hiver

mon passé ses engelures

les fêlures dans le vers

et mon chant d'alouette

dans le miroir de l'écriture

un petit poème hâtif

dans ma tirelire de plumitif.

 

***

 

Avec l'âge et le temps, la source à laquelle j'ai puisé mes souvenirs, s'est tarie. Je me convaincs de retrouver une mémoire dont il ne reste que des méandres, traces d'un delta noueux où elle s'est noyée, dérivant depuis dans les eaux troubles de l'oubli. Alors je tisse des poèmes avec les fils de la trame d'un tableau dont l'usure du temps a effacé les couleurs. Dans une solitude de naufragé, je me souviens seulement de leur éclat qui magnifiait les portraits et les paysages de mon passé. Ce passé enfoui quelque part où je ne cesserai jamais de le chercher.

 

***

 

La nuit, l'inconscient me traque. Il compose, recompose, maille et démaille mon passé, mes peurs, mes ecchymoses. Fétiches et fantasmes, totems, blessures, remords, manques, espoirs déchus... Ensevelies mes voluptés, refoulées dans les strates au brouillon des souvenirs, marasme et furia de mes tourments. Folle psyché qui se joue du bon sens, des probités, des vertus morales et autres diktats qui le jour me tiennent debout dans ma panoplie d'homme.

La nuit mon inconscient passe aux aveux.

 

***

 

J'aime les mots,

je les frotte dans l'air,

les rabote sur la langue,

je les ponce dans le fil du bois

dont mon cœur se réchauffe

et tous ces vibratos qui se noient

dans le vrombissement de la ruche

composent la petite musique

le petit tableau de ma présence au monde.

J'écris je peins je chante,

chaque mot sur cette partition  

étouffe une bouffée de silence,

repousse un peu plus loin

le vertige de l'existence.

J'aime les mots...

 

*** 

 

Faire surgir le mouvement, dans les mots, les formes... accomplir ce prodige qui propulse au cœur la seule vraie raison de vivre : le mouvement : cet élan vers le haut, porté par l'amour, l'amour qu'exulte la poésie, cette musique rythmée par la veine pulsatile du cœur.

 

***

 

Une image contenant art, dessin, arbre, croquis

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Y a des jours comme ça 

t'as beau faire 

voler du temps au temps 

battre le fer

le pavé et la campagne

rien ne sert

pas la moindre bulle de champagne 

ne te monte aux yeux 

pas la moindre étoile aux cieux

pour fendre ton armure.

T'as du mal à joindre les deux bouts de ton poème 

tu tires la queue du diable

le bout du monde est une fable

tu sèmes du vent et du sable 

sans même récolter de tempête 

dans l'eau du bain

s'est noyée

la peau de ton chagrin.

 

***

 

La beauté cache ses blessures 

dans le pli d’un sourire.

Tous les oiseaux du ciel

tournent autour du soleil.

La mer se déride

le vent du large

a la légèreté du bleu…

Vivre encore

retenir le pas

un instant

une aurore

vivre

vivre un jour encore

encore étourdir

la lumière et le vent

courir

courir comme

                  s’il ne servait à rien de mourir.

 

***

 

Une image contenant dessin, peinture, croquis, art

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En marchant contre le vent

et l'aplomb des théorèmes

j'ai débusqué dans ma rue

la perdrix bleue d'un poème.

Elle pelotonnait un rêve

une utopie un sortilège

Oh ! la belle histoire...

je suis prompt à m'émouvoir

je voulus lui plaire mais je

ne trouvai pas trois grains à moudre

pas le moindre mot

pas même un vermisseau

égaré sur le trottoir.

Il faut dire qu'un orage grondait

par tous les pores la terre saignait

toutes les larmes de mon corps

je n'avais pas le cœur à faire des vers.

Pas rancunière pourtant

la perdrix bleue

me donna la clé des chants

but la pluie de mon chagrin

et signa de sa plume

ce petit poème de rien.

 

***

 

Le vent s'essouffle sur Thau

Saint Clair éteint ses feux.

À Py au cimetière 

un chat errant 

fait le gros dos.

Barques et barquerolles 

dansent muettes

sur les eaux vertes

d'un canal

étrange farandole 

pavoisée d'or et de silence.

La nuit tombe... tombe.

À Py au cimetière

un chat errant sur une tombe

dans un rayon de lune

s'amuse d'un arpège.

Le mistral ronge son frein

tombe la neige d'un refrain 

souvenance d'une chanson. 

La nuit est douce

tout est bien il fait bon...

Ça se passe à Sète 

une nuit d'été 

ça se passe dans ma tête.

Sous les pins parasols

un étang se repose.

On devine au loin Roquerols

le vent fredonne la supplique 

d'un vacancier qui se repose.

L'éternité est en chemin.

Qu'importe

il fera jour demain.

 

***

 

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En guise de chansons

Je forme le vœu

 

« … j'aurais sans nul doute enterré cette histoire

Si, pour renouveler un peu mon répertoire

Je n'avais besoin de chansons." G.B.

 

À Florence, Chloé, Colin

 

Je forme le vœu mon âme

que tu paraisses au dernier jour

et me revienne au fond du cœur

la sourdine de ton amour. 

En cette fin de jour,

s'il se peut ma fille

qu'en ma mémoire troublée 

en orbite tournent encore et encore

autour de mon cœur serré

les petites lunes dorées

qui brillaient dans tes yeux

d'enfant rêveur.

Je me souviens qu'elles s'éteignaient doucement

avant de rouler dans les profondeurs

de ton sommeil…

Que j'emporte dans le mien

le tout dernier présent

de ton sourire, de ta tendresse.

Et toi mon fils s'il se peut,

quand sonnera l'heure,

quand mon âme

sans péage ni bagages

aura pris le dernier tram

le train fantôme du dernier soir,

puissé-je revoir une ultime fois

dans un éclat de lumière

l'étonnement, la joie

l'enfance de ton regard,

entendre et voir encore

les battements d'ailes

de ton rire d'enfant.

Ô mes amours

Si je vous abandonne

qu'un dernier rêve me pardonne.

Souhaitez-moi

qu'arrivé en gare du terminus

je puisse au fond des nues

habiter une maison sans murs

avec des fenêtres dormantes

sur la mer

et que dans les abysses de mon sommeil

me parvienne quelquefois

l'écho de votre bonheur terrestre.

 

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Le bruit du temps

Y a le jour qui penche 

c'est le bruit du temps 

je n'ai pas douze ans

je revois la mer

et ses voiles blanches.

 

Je revois ma mère 

sur le sable blanc

je n'ai pas douze ans

c'est à Lion-sur-Mer

au bord de la Manche.

 

Papa est en verve

y a du bleu dans l'air

maman est aux anges 

elle a les yeux clairs 

et le ciel dedans. 

 

On a tout le temps

on dort à l'hôtel 

et la vie est belle.

Y a le jour qui penche 

c'est le bruit du temps

 

C'est le bruit du temps 

et dans ma mémoire 

comme un goût de sel

la douceur d'un soir 

au bord de la mer.

 

 

Une image contenant peinture, art, croquis, dessin

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C’est mon histoire et c’est la tienne

C’est mon histoire et c’est la tienne

C’est ma mémoire et c’est le vent

Mes souvenirs sont à la peine

Qui font pleurer les contrevents

 

C’est aujourd’hui c’était hier

Le film est muet ils me reviennent

Je vois ma mère je vois mon père

C’est mon histoire et c’est la tienne

 

Mes souvenirs sont à la peine

Je me souviens au long des quais

C’est mon histoire et c’est la tienne

Ma mère à mon bras me souriait

 

Si fière j’étais son Artaban

Mais comme elle était fatiguée

On allait s’asseoir sur un banc

Compter sur nos doigts les années

 

Elle avait le cœur en goguette

C’est mon histoire et c’est la tienne

Elle savait bien que la nuit guette

Elle m’aimait qu’à cela ne tienne

 

Derrière la vitre où je le vois

Mon père s’en va courbé sur l’âge

À moudre le grain de sa voix

Son souvenir fait grand tapage

 

Il va dans son petit jardin

Rêver à plus grands paysages

Il n’avait pas de plus grand bien

À nous laisser en héritage

 

C’était ma mère c’était mon père

C’est mon histoire et c’est la tienne

C’est aujourd’hui c’était hier

Le film est muet ils me reviennent

 

Passent les jours et les semaines

On a fermé les contrevents

C’est mon histoire et c’est la tienne

C’est ma mémoire et c’est le vent

 

©Jacques Rolland

(pour les textes et les images)

 

 


 

 

(*)

 

Jacques Rolland vit à Villeurbanne. De nombreux poèmes ont été publiés sous son nom ces dernières années dans divers blogs et revues de poésie (papier, en ligne) :  Francopolis, Le Capital des Mots, Ecrits…Vains, Pleutil, La page Blanche,  Comme en Poésie, Les  Cahiers de Poésie, Les Tas de Mots, l’Intemporel, Emmila Gitana, Danger Poésie… Anthologies : Poètes face à la vie ( Éditions de l’Athanor), Du Souffle sous la Plume n°2, n°3, n°5, n°7 (Les Joueurs d'Astres Éditions), Visages de Poésie (Jacques Basse - Anthologie n°5 - Éditions Rafael De Surtis), Lettrae Vox, Almanach de 366 auteurs francophones – calendrier perpertuel (Éditions SéLa Prod…). Ouvrages collectifs : Carte blanche 1,2,3, Résonnances 4&5Agenda 2024, La vie Modalités d’usage (Éditions Jacques Flament). Un unique recueil de jeunesse : Les chants écorchés (L’Athanor 1976).

 

Le groupage de textes poétiques et dessins/peintures publié ci-dessus faut écho à distance de quelques années à celui paru dans cette même rubrique en mai-juin 2021.

Jacques Rolland a été présent à plusieurs reprises dans notre revue, depuis sa création en 2002 (voir son profile dans nos archives Jacques Rolland); je signale tout particulièrement sa participation à la sélection d’auteurs de janvier 2012 dont je faisais également partie…. (D.S.)

 

 

 

Jacques Rolland

Francopolis, automne 2025

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