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ARCHIVES : CRÉAPHONIE

 

 

 

Novembre-Décembre 2020

 

 

« Je guette le retour du printemps… »

 

Poèmes inédits de Richard Taillefer

 

Avec des peintures de : Marc Chenaye, Patrick Lipski, Christophe Gol

et des photos de l’auteur

 

Calanques près de Marseille. Plagette de Morgiou

 

 

Avant l’orage, avant les mots. Je ne sais si je serai mort demain, ou après-demain. Je ne sais si le monde sera différent. On dit que les dieux jamais ne meurent. Je ferme les yeux, m’enveloppe sous la couverture et ne pense plus à rien.

J’emporte avec moi ces musiques, ces voix proches et lointaines de ceux que j’aime. Dans le jardin, l’arbre aux merveilles, la marguerite oubliée.

Dans les rues une horreur somnambule, en peine lumière envahit tout mon corps. Je croise les mains sur les genoux. Miséricorde d’excès et de torture. Dar-es-Salam !* Où se trouve le Cap de bonne-Espérance ?

Il faut bien continuer à vivre. Les cloches oscillent, hurlent dans la nuit. Les terrasses de tous les Kafés sont inaccessibles à toute imagination. Si ma voix pouvait parvenir jusqu'au ciel. Moi qui n'ai ni dieu ni maître.

Dans ma quarantaine oisive, je guette en vain le retour du printemps.

 

J’observe cette vie qui passe

Et que je ne peux suivre

Telle une ombre dans le noir.

 

* « Dar es-Salaam » signifie « la maison de la paix ».

 

* * *

 

Qu'il est déjà loin le passé ! Que de souvenirs me reviennent ! Si longue est la route de mes songes.

De Marseille à Paris, de Paris à Montmeyan, quelques photos, quelques images dans ma poche tout près du cœur. Que de jours, hélas ! ont fui.

C’est déjà l’automne, un grand vol d’hirondelles s’en va au loin. Demain un clair de lune éblouissant annoncera le retour du printemps.

La table est servie, parents et amis ne sont plus à la fête. Un vent annonciateur s’en vient soulever les quelques rares cheveux qu'il me reste.

À grands pas je marche le long des rives du grand fleuve de la vie.

Le temps passe et passera encore, l’année de mes 20 ans s’efface dans la nuit.

 

Mais à qui va ma pensée,

Si ce n’est celle que j’ai croisé dans mes rêves ?

 

Peinture de Marc Chenaye

 

* * *

 

Ils ont décapé la réalité au court-bouillon de nos illusions. Parfois les dieux se fourvoient, quand on égrène sans cesse le même chapelet de barbaries.

Mes pas ont foulé tous les chemins du monde et je cherche toujours ces promeneurs revenus sur les lieux. Blasphémateurs à petite barbe d'adolescent, sans état d'âme ni doute, chargés de leur ignorance et de leur folie meurtrière, ils s'arrogent le droit de vie et de mort.

 

La gorge tranchée

Un professeur de ce qui fut 

Hier encore un homme

Seul face à son monstre

Le cartable à la main

 

Lorsque l’horreur n’a plus de nom 

Qui peut encore la décrire ?

 

* * *

 

Le souverain jamais ne se lasse de se contempler. Au gré de la brise, il ondule ses manches tel un juge évoquant la juste part du ciel. Il ne faut point parler, ne rien dire, ne rien voir.

On se résigne les uns des autres de ces silences bavards. Parfois, je pense à mon grand-père, toi l’Expert au temps sombre où l’oiseau aux ailes d’aigles posait ses griffes sur le monde.

Il nous faudra rester caché du regard du vulgaire. J’entends, tambours et trompettes dans toutes les rues de nos villages nous annoncer l’orage sur nos têtes.

Mais je vous le demande, qui suis-je, qui sommes-nous ? je ne suis qu’un solitaire qui va et vient. Vieillard aux cheveux blancs, je repose auprès des nuages et je bois tout seul sans un ami pour m’accompagner.

Les ministres dans leurs conciliabules négligent les grands principes de liberté. Derrière ces portes closes aux visages masqués combien de tragédies se succèdent, hélas.

Toujours ne rien dire, ne rien voir, rester à l’écoute des ordres et contre-ordres des expertises des tout-puissants. Aux portes de la capitale, les mains unies nous croisons des regards tournés vers de lointains voyages. Sans un mot nous échangeons des sourires impuissants.

Voici que l’automne tonne !

 

J’erre tout seul sur ce sentier jonché de feuilles

Et comme un vieux cheval dompté, hennis encore.

 

* * *

 

Il ne faut pas mettre ses œufs dans le même panier de crabes. Un dieu peut en cacher un autre. Aucun sentiment ne le lie à toi, si ce n’est de te posséder.

Tu n’es ni la muse, ni la prostituée, mais tout simplement une femme. Ton corps t’appartient comme l’eau de la rivière qui coule dans tes veines.

Un dieu peut-être existe, mais ne peut ordonner en toute chose. J’ai vécu toutes les émotions, vos gestes incongrus. Il m’en est resté une immense tristesse, une profonde cicatrice.

 

Léda, ne se connaissait pas encore,

Mais son corps entendait déjà surgir,

Le battement des ailes du Cygne noir

Sur ses épaules dénudées

 

« Léda », tableau du peintre Patrick Lipski

 

* * *

 

Mon enfant, que restera-t-il de cette vie fragmentée ? Il faut continuer à vivre. Ta présence me rend plus humaine.

Tes cheveux commencent à te voiler le front. Demain, nous jouerons près du puits de l’oncle Alexandre. Nous irons chevauchant le vieux cheval de bambou, cueillir des prunes dans le jardin de grand-mère.

Je te parlerai de cet ours qui grogne, du dragon d’or qui se cache au fin fond des montagnes de l’Himalaya.

 

Ce soir

La lune est si claire

Qu’on ne peut s’endormir

 

A mi-voix, je te murmure

Cette chanson qui n’a pas d’âge,

D’une souris verte qui courait dans l’herbe.

 

* * *

 

J’ignore, avant moi les hommes d’autrefois. J’ignore, ceux qui viendront demain. Mieux vaudrait dormir et attendre les rêves d’un heureux rendez-vous.

Mes yeux vous cherchent mais ne peuvent vous rejoindre.

 

Seule avec mon chagrin

Toutes les nuits, J’écoute le bruit du vent et de la pluie.

 

* * *

 

Rien ne nous sépare. Rien ne peut ni ne pourra nous séparer. Dans le silence et dans la fausse clarté du jour, ces visages qui ne peuvent être que le tien et le mien.

C’est l’heure où la lumière vacille. Mes mains à peine posées sur tes genoux. Je ne sais pas mentir, je ne sais qu’être humain. Parfois nous avons franchi la ligne rouge pour nous éprouver, nous déborder. Dévêtus nous nous sommes livrés et abandonnés

 

Dans la complicité d’un regard

Et de ton sourire qui me rassure.

 

« Tendre déconfinement. Le petit Maneken de Pise a trouvé sa maman »

tableau de Patrick Lipski

 

* * *

 

Oisif, je vois les fleurs tomber et pousse de longs soupirs. Demain, qui vivra encore lorsque les fleurs s’ouvriront.

Un beau matin comme les autres, je me suis levé et mes amis avaient disparu.

Je ne me plains, ni de la longueur des nuits, ni de ce silence qui n’en finit pas. De l’autre côté de la rue, un homme à sa fenêtre joue de l’harmonica. Les airs populaires me font toujours couler des larmes.

Je me tourne à demi, le regard fixé sur ma toile où ton visage en vain me poursuit.

 

Lointaine silhouette

Qui s’éloigne sans cesse

Que je ne peux retenir. 

 

* * *

 

Tu croises les mains sur la table. Regarde-toi en silence ! C’est l’heure où les ombres viennent t’éprouver de toute leur miséricorde.

Chute du jour à l’angle de la rue. Tu te souviens du bar Henri, boulevard Lara, des longues parties de billard américain.

Calanque de Morgiou, pique-nique en famille, panier en osier et la nappe à carreaux rouges et blancs. Il y a cette brise légère, caresse maternelle sur ton visage. Distance imprécise, infranchissable, entre toi et cet autre qui te ressemble.

Les filles du dimanche t’appelaient « coco bel œil ».  Cet écho, cette voix qui de loin te parvient.  Une absence qui te ronge, qui t’effleure, qui déjà n’est plus rien et jamais ne te lâche.

 

Ne te retourne pas !

Derrière toi, il n’y a que grande peine du cœur.

 

« Place de la fontaine ». Dessin encre plume et aquarelle sur papier de Christophe Gol

 

* * *

 

La mer, ce soleil qui cogne et brûle ton visage. Oubliés les souffrances, tes malheurs et ceux des autres. La nuit ne sera qu’un éclat de rire ou ce cri accidentel d’une porte qui claque. 

Tu ne demanderas plus la permission d’être, libéré de toutes ces contraintes que l’on t’a inculquées depuis trop longtemps.

Je m’émeus de n’être rien d’autre que moi-même, avec cette conviction que toute chose mérite d’être vécue. Jette ton regard de droite à gauche, éprouve cet espace qui s’ouvre à toi.

Cette inquiétude qui t'accompagne et jamais ne te lâche.

 

Ne pas s’arrêter, aller de l’avant,

Sur la longue route de la vie.

 

* * *

 

Elle a dans le regard une déchirure qui vient de loin. Intense et volatile elle va où on ne l’attend pas. Parfois tu crois attraper son ombre mais elle traverse des espaces que tu ignores encore. Dans le trouble de ses nuits, des torrents de larmes emportent tout.

 

Nous nous sommes tant perdus

Pour mieux nous retrouver.

 

* * *

 

Recroquevillée dans l’absence, souffle intime, elle vadrouille le long des artères sombres à la recherche des marchands de rêves, elle qui ne rêve plus depuis si longtemps. À ses côtés tu pourrais traverser toutes les mers agitées. Te perdre dans les pieds de ces vagues déchaînées, traverser le ciel à l’envers.

J’aime sa fragilité qui la rend plus forte, sa tendresse réfugiée au plus profond de son âme déchirée.

Dans le silence de l’ignorance, elle attend une lueur d’humanité. Avec ses mots en pachtoune elle clame la délivrance des femmes contre la barbarie, ses grands yeux noirs tournés vers une aurore endeuillée.

 

Mina, un 11 mai 2019, à bout portant, 9 balles t’ont atteint en plein cœur de Kaboul, à cette heure où le soleil du printemps éclaire une dernière fois ces foulards, (bleu azur, rouge de la révolte, vert de l’espoir) que tu portais en signe de courage contre ces fanatiques sans visage.

 

Toi qui affirmais « qu’une femme forte ne devrait pas avoir peur de la mort. »

 

« Mina ». Œuvre du peintre Patrick Lipski

 

* * *

 

On est si peu de chose disait ma mère. Je suis si peu de chose par la force des choses. Nous avons traversé tant d’années de morne solitude. Mais le ciel inonde mon visage.

Le chemin est long au moment des adieux. J’ai goûté à tous les plaisirs, ne me refusant rien. Mes nuits d’amour, furent trop brèves.

Ce soir « je m’en vais au vent mauvais », « indolent compagnon de voyage ».

Demain, je reviendrai vous voir, je n’ai qu’une parole. Toujours vivant de mes rêves printaniers. On ne peut se résigner, les uns des autres, de ne plus se retrouver. On déplore ces mots superficiels qui nous trahissent.

J’ai gardé mon accent. Quelques vieilles connaissances de mon enfance. Yves, Joseph, Jean-Louis, classe primaire de Montmeyan. La cour de récréation, les batailles de marron d’Inde.

Le paysage reste ! Ce sont les hommes qui changent et s’effacent dans le brouillard des hautes montagnes célestes.

 

Jour après jour

J’emporte avec moi cette envie de vivre

Immortel voyageur débraillé

Je cours après ma PoéVie

 

©Richard Taillefer

 

Le vieux puits de l'oncle Alexandre

Portrait réalisé par Jean Baptiste

Richard Taillefer. Cofondateur de la revue Poésimage en 1981, il est l’auteur de plusieurs entretiens avec des peintres : Emile Sabouraud, Henri Goetz, Bengt Lindström, Edouard Pignon, Patrick Lipski, Josep Pedrós i Ginestar. Il participe à de nombreuses autres revues. Il est l'instigateur de « Montmeyan en PoéVie », un festival culturel pluridisciplinaire qui se déroule dans son village natal, tous les deux ans au cours de l'été. Publications récentes :

2015 : PoéVie Blues, Éditions Prem'Edit.

2017 : Ce petit trou d'air au fond de la poche, Éditions Prem'Edit.

2018 : On ne s'égare pas dans le sommeil des autres, ZA Édition

2020: Où vont les rêves quand la nuit tombe, Gros textes, la Petite Porte. 

Lire l’article de Martine Roffinella sur son dernier livre paru : Richard Taillefer, « poète de la présence au monde », sur le blog de l’auteure, le 31 août 2020.

 

Richard Taillefer a contribué à l’anthologie Poètes pour Haïti (L’Harmattan 2011) et a été accueilli à Francopolis au salon de lecture de septembre 2012, avec des peintures de Marc Chenaye, et un Portrait littéraire dressé par Patricia Laranco.

Pour faire encore mieux sa connaissance, quelques autres liens sur la toile : le site Poetica, la revue Recours au poème, l’Anthologie subjective de Guy Allix, la revue Ce qui reste, les blogs Patrimages et Larencore de Patricia Laranco, le site du Salon du livre de 2017, etc.

Marc Chenaye. Il rencontre le peintre Émile Sabouraud et le fréquente pendant les 15 dernières années de sa vie. Ces échanges d'idées sur le rôle de la peinture, le confortent dans le sens d'une figuration libre et objective. C'est ce point d'ancrage, ce déclic qui va lui permettre d'évoluer dans ce sens.

En 1981, il devient co-fondateur de la revue Poésimage. Elle est axée sur la poésie, la peinture et la sculpture. Elle organise pendant vingt ans des expositions d'Art Contemporain à Savigny (Melun-Sénart). Parmi les artistes français et étrangers qui participent à ces manifestations, ses nombreuses rencontres avec les peintres Edouard Pignon, Bengt Lindstrom et Henri Goetz influenceront sa perception artistique.

Un travail sériel commence en 1981. De manière basique, la même idée anime ces séries : la confrontation du dynamisme à l'immobilisme.

MARC CHENAYE - e-monsite présente son travail de peinture, de céramiques et techniques mixtes. « Un travail sériel émaille mon parcours : série des tangos, série des nus, série des cascades, série des forêts. »

Patrick Lipski. Artiste peintre plasticien, son travail relève de la Nouvelle figuration. En effet il est figuratif depuis toujours, seul interfère le support qui par sa plastique l’apparente à ce mouvement. Des fenêtres aveugles (peinture séquentielle), les stores (toiles-jalousie), les paravents (œuvres labyrinthes), les bannières (toiles libres appelées hata), les regards en architecture (toiles regard) et actuellement la révélation critique et la mémoire sont les nouveaux supports sensibles des productions présentées. Pour faire connaissance sur son site : http://www.patricklipski.com/Contacts.html.

Christophe Gol : Artiste Peintre, Dessinateur contemporain français - Singulart

Christophe Gol est un peintre passionné dont les œuvres sont exposées dans le sud de la France depuis deux décennies. Axé sur l'exploration d'une vision kaléidoscopique d'un environnement marqué par l'actualité et l'histoire, il combine des éléments de peinture figurative, de graphisme et d'abstraction pour produire des œuvres audacieuses et polyvalentes.

 

 

 

 

 

Créaphonie : Richard Taillefer

Recherche Dana Shishmanian

Francopolis, novembre-décembre 2020

 

 

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Créé le 1 mars 2002