Avant l’orage, avant les mots. Je ne
sais si je serai mort demain, ou après-demain. Je ne sais si le monde sera
différent. On dit que les dieux jamais ne meurent. Je ferme les yeux,
m’enveloppe sous la couverture et ne pense plus à rien.
J’emporte avec moi ces musiques, ces
voix proches et lointaines de ceux que j’aime. Dans le jardin, l’arbre aux
merveilles, la marguerite oubliée.
Dans les rues une horreur somnambule, en
peine lumière envahit tout mon corps. Je croise les mains sur les genoux.
Miséricorde d’excès et de torture. Dar-es-Salam !*
Où se trouve le Cap de bonne-Espérance ?
Il faut bien continuer à vivre. Les
cloches oscillent, hurlent dans la nuit. Les terrasses de tous les Kafés sont inaccessibles à toute imagination. Si ma
voix pouvait parvenir jusqu'au ciel. Moi qui n'ai ni dieu ni maître.
Dans ma quarantaine oisive, je guette en
vain le retour du printemps.
J’observe cette vie qui passe
Et que je ne peux suivre
Telle une ombre dans le noir.
* « Dar es-Salaam » signifie
« la maison de la paix ».
* * *
Qu'il est déjà loin le passé ! Que de
souvenirs me reviennent ! Si longue est la route de mes songes.
De Marseille à Paris, de Paris à
Montmeyan, quelques photos, quelques images dans ma poche tout près du
cœur. Que de jours, hélas ! ont fui.
C’est déjà l’automne, un grand vol
d’hirondelles s’en va au loin. Demain un clair de lune éblouissant
annoncera le retour du printemps.
La table est servie, parents et amis ne
sont plus à la fête. Un vent annonciateur s’en vient soulever les quelques
rares cheveux qu'il me reste.
À grands pas je marche le long des rives
du grand fleuve de la vie.
Le temps passe et passera encore,
l’année de mes 20 ans s’efface dans la nuit.
Mais à qui va ma pensée,
Si ce n’est celle que j’ai croisé dans
mes rêves ?

Peinture de Marc
Chenaye
* * *
Ils ont décapé la réalité au
court-bouillon de nos illusions. Parfois les dieux se fourvoient, quand on
égrène sans cesse le même chapelet de barbaries.
Mes pas ont foulé tous les chemins du
monde et je cherche toujours ces promeneurs revenus sur les lieux.
Blasphémateurs à petite barbe d'adolescent, sans état d'âme ni doute,
chargés de leur ignorance et de leur folie meurtrière, ils s'arrogent le
droit de vie et de mort.
La gorge tranchée
Un professeur de ce qui fut
Hier encore un homme
Seul face à son monstre
Le cartable à la main
Lorsque l’horreur n’a plus de nom
Qui peut encore la décrire ?
* * *
Le souverain jamais ne se lasse de se
contempler. Au gré de la brise, il ondule ses manches tel un juge évoquant
la juste part du ciel. Il ne faut point parler, ne rien dire, ne rien voir.
On se résigne les uns des autres de ces
silences bavards. Parfois, je pense à mon grand-père, toi l’Expert au temps
sombre où l’oiseau aux ailes d’aigles posait ses griffes sur le monde.
Il nous faudra rester caché du regard du
vulgaire. J’entends, tambours et trompettes dans toutes les rues de nos
villages nous annoncer l’orage sur nos têtes.
Mais je vous le demande, qui suis-je,
qui sommes-nous ? je ne suis qu’un solitaire qui va et vient. Vieillard aux
cheveux blancs, je repose auprès des nuages et je bois tout seul sans un
ami pour m’accompagner.
Les ministres dans leurs conciliabules
négligent les grands principes de liberté. Derrière ces portes closes aux
visages masqués combien de tragédies se succèdent, hélas.
Toujours ne rien dire, ne rien voir,
rester à l’écoute des ordres et contre-ordres des expertises des tout-puissants.
Aux portes de la capitale, les mains unies nous croisons des regards
tournés vers de lointains voyages. Sans un mot nous échangeons des sourires
impuissants.
Voici que l’automne tonne !
J’erre tout seul sur ce sentier jonché
de feuilles
Et comme un vieux cheval dompté, hennis
encore.
* * *
Il ne faut pas mettre ses œufs dans le
même panier de crabes. Un dieu peut en cacher un autre. Aucun sentiment ne
le lie à toi, si ce n’est de te posséder.
Tu n’es ni la muse, ni la prostituée,
mais tout simplement une femme. Ton corps t’appartient comme l’eau de la
rivière qui coule dans tes veines.
Un dieu peut-être existe, mais ne peut
ordonner en toute chose. J’ai vécu toutes les émotions, vos gestes incongrus.
Il m’en est resté une immense tristesse, une profonde cicatrice.
Léda, ne se connaissait pas encore,
Mais son corps entendait déjà surgir,
Le battement des ailes du Cygne noir
Sur ses épaules dénudées

« Léda », tableau du peintre
Patrick Lipski
* * *
Mon enfant, que restera-t-il de cette
vie fragmentée ? Il faut continuer à vivre. Ta présence me rend plus
humaine.
Tes cheveux commencent à te voiler le
front. Demain, nous jouerons près du puits de l’oncle Alexandre. Nous irons
chevauchant le vieux cheval de bambou, cueillir des prunes dans le jardin
de grand-mère.
Je te parlerai de cet ours qui grogne,
du dragon d’or qui se cache au fin fond des montagnes de l’Himalaya.
Ce soir
La lune est si claire
Qu’on ne peut s’endormir
A mi-voix, je te murmure
Cette chanson qui n’a pas d’âge,
D’une souris verte qui courait dans
l’herbe.
* * *
J’ignore, avant moi les hommes
d’autrefois. J’ignore, ceux qui viendront demain. Mieux vaudrait dormir et
attendre les rêves d’un heureux rendez-vous.
Mes yeux vous cherchent mais ne peuvent
vous rejoindre.
Seule avec mon chagrin
Toutes les nuits, J’écoute le bruit du
vent et de la pluie.
* * *
Rien ne nous sépare. Rien ne peut ni ne
pourra nous séparer. Dans le silence et dans la fausse clarté du jour, ces
visages qui ne peuvent être que le tien et le mien.
C’est l’heure où la lumière vacille. Mes
mains à peine posées sur tes genoux. Je ne sais pas mentir, je ne sais
qu’être humain. Parfois nous avons franchi la ligne rouge pour nous
éprouver, nous déborder. Dévêtus nous nous sommes livrés et abandonnés
Dans la complicité d’un regard
Et de ton sourire qui me rassure.

« Tendre déconfinement. Le
petit Maneken de Pise a trouvé sa maman »
tableau de Patrick Lipski
* * *
Oisif, je vois les fleurs tomber et
pousse de longs soupirs. Demain, qui vivra encore lorsque les fleurs
s’ouvriront.
Un beau matin comme les autres, je me
suis levé et mes amis avaient disparu.
Je ne me plains, ni de la longueur des
nuits, ni de ce silence qui n’en finit pas. De l’autre côté de la rue, un
homme à sa fenêtre joue de l’harmonica. Les airs populaires me font
toujours couler des larmes.
Je me tourne à demi, le regard fixé sur
ma toile où ton visage en vain me poursuit.
Lointaine silhouette
Qui s’éloigne sans cesse
Que je ne peux retenir.
* * *
Tu croises les mains sur la table.
Regarde-toi en silence ! C’est l’heure où les ombres viennent t’éprouver de
toute leur miséricorde.
Chute du jour à l’angle de la rue. Tu te
souviens du bar Henri, boulevard Lara, des longues parties de billard
américain.
Calanque de Morgiou,
pique-nique en famille, panier en osier et la nappe à carreaux rouges et
blancs. Il y a cette brise légère, caresse maternelle sur ton visage.
Distance imprécise, infranchissable, entre toi et cet autre qui te
ressemble.
Les filles du dimanche t’appelaient «
coco bel œil ». Cet écho, cette voix
qui de loin te parvient. Une absence
qui te ronge, qui t’effleure, qui déjà n’est plus rien et jamais ne te
lâche.
Ne te retourne pas !
Derrière toi, il n’y a que grande peine
du cœur.

« Place de la fontaine ». Dessin encre plume et aquarelle
sur papier de Christophe
Gol
* * *
La mer, ce soleil qui cogne et brûle ton
visage. Oubliés les souffrances, tes malheurs et ceux des autres. La nuit
ne sera qu’un éclat de rire ou ce cri accidentel d’une porte qui
claque.
Tu ne demanderas plus la permission
d’être, libéré de toutes ces contraintes que l’on t’a inculquées depuis
trop longtemps.
Je m’émeus de n’être rien d’autre que
moi-même, avec cette conviction que toute chose mérite d’être vécue. Jette
ton regard de droite à gauche, éprouve cet espace qui s’ouvre à toi.
Cette inquiétude qui t'accompagne et
jamais ne te lâche.
Ne pas s’arrêter, aller de l’avant,
Sur la longue route de la vie.
* * *
Elle a dans le regard une déchirure qui
vient de loin. Intense et volatile elle va où on ne l’attend pas. Parfois tu
crois attraper son ombre mais elle traverse des espaces que tu ignores
encore. Dans le trouble de ses nuits, des torrents de larmes emportent
tout.
Nous nous sommes tant perdus
Pour mieux nous retrouver.
* * *
Recroquevillée dans l’absence, souffle intime,
elle vadrouille le long des artères sombres à la recherche des marchands de
rêves, elle qui ne rêve plus depuis si longtemps. À ses côtés tu pourrais
traverser toutes les mers agitées. Te perdre dans les pieds de ces vagues
déchaînées, traverser le ciel à l’envers.
J’aime sa fragilité qui la rend plus
forte, sa tendresse réfugiée au plus profond de son âme déchirée.
Dans le silence de l’ignorance, elle
attend une lueur d’humanité. Avec ses mots en pachtoune elle clame la
délivrance des femmes contre la barbarie, ses grands yeux noirs tournés
vers une aurore endeuillée.
Mina, un 11 mai 2019, à bout portant, 9
balles t’ont atteint en plein cœur de Kaboul, à cette heure où le soleil du
printemps éclaire une dernière fois ces foulards, (bleu azur, rouge de la
révolte, vert de l’espoir) que tu portais en signe de courage contre ces
fanatiques sans visage.
Toi qui affirmais « qu’une femme forte
ne devrait pas avoir peur de la mort. »

« Mina ». Œuvre du peintre Patrick Lipski
* * *
On est si peu de chose disait ma mère. Je
suis si peu de chose par la force des choses. Nous avons traversé tant
d’années de morne solitude. Mais le ciel inonde mon visage.
Le chemin est long au moment des adieux.
J’ai goûté à tous les plaisirs, ne me refusant rien. Mes nuits d’amour,
furent trop brèves.
Ce soir « je m’en vais au vent
mauvais », « indolent compagnon de voyage ».
Demain, je reviendrai vous voir, je n’ai
qu’une parole. Toujours vivant de mes rêves printaniers. On ne peut se
résigner, les uns des autres, de ne plus se retrouver. On déplore ces mots
superficiels qui nous trahissent.
J’ai gardé mon accent. Quelques vieilles
connaissances de mon enfance. Yves, Joseph, Jean-Louis, classe primaire de
Montmeyan. La cour de récréation, les batailles de marron d’Inde.
Le paysage reste ! Ce sont les
hommes qui changent et s’effacent dans le brouillard des hautes montagnes
célestes.
Jour après jour
J’emporte avec moi cette envie de vivre
Immortel voyageur débraillé
Je cours après ma PoéVie
©Richard
Taillefer

Le vieux puits de l'oncle Alexandre
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