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Catherine Jarrett : Pierre-terre levée

Poèmes récompensés par le prix de poésie féminine Simone Landry
ex aequo avec Laure Cambau  (mars 2015)


D’amble

Moi  je suis
Visage de glaise trempée
L’enfant étrange
Née
D’une caverne
D’une louve grande et
D’un homme
Qui  me veut  déjà
Retenir

Je regarde la louve
Le père
C’est moi qui les unis 

A mon ombre 
S’illuminera la caverne
Y pousseront des arbres 
S’y haussera le ciel

Je serai louve blanche
Et ensemble irons l’amble
Moi et la mère étoile 
Ma grande louve mère
Et les saisons viendront

Certains loups périront
Père m’aimera toujours
Mère souffrira un peu
La glaise aura coulé

J’aurai pris mon visage
De fille puis de femme
Louve racée  épure

Danseuse des cavernes

***

Résister

Il avait intitulé sa photo
RÉSISTER
En lettres majuscules
la photo d’une tour
étranglée

haute noire avec des meurtrières
des jours
et cette brèche
ce sang de lumière
sur l’épaule
et devant le ciel clair

elle tenait   la tour
comme s’élance des pavés ou jaillit du ciment
le pissenlit
comme se campe arrogant  
le rouge-gorge
pomme dans le froid de l’hiver

comme guerroie l’araigne 

comme osseuse
chétive 
les pommettes qui saillent
vivote 
ma belle
au regard dévorant
m’à moi  silencieuse
dans le temps qu’elle écarte
encore
et un jour est gagné
elle a pris trois cuillers de vanille et de lait
ma mère

***

Une terre

Je marche cette terre comme un tapis
À petites foulées
Ou bien paresseusement
Mais inlassablemen


Je marche et racle et de mes pieds soulève
Et de mes mains asperge
Terre sur terre
Sable sur sable

Fluide  épaisse argileuse
Charbonneuse  et semée de copeaux
Coquilles vides coquilles pleines
D’osselets et de vieux squelettes
Toujours dans mes mains tu coules

Terre

Et comme un chien je creuse et cherche
Le trésor du laboureur
Le diamant du joaillier
La brindille-boomerang

Je guette
Espère
Un miracle léger
Une forme perdue
Un peu de toi
Qui pars
Un peu de nous
Un peu de temps

Et je trace en toi des sillons et des fosses
Sème des graines  rêve d’arbres puissants   
Arbres comme poèmes
Irradiant vers l‘éther

mais parfois
terre ancienne
je te lis dans la pierre
rouille
massive
obus casque bastion
ample robe de bure
et capuchon de brume
je te sens glaise et roc
je te lis au-delà d’une cour
et sans l’ombre d’un arbre
mais ils sont tous en toi
le soleil est couchant
l’autoroute se tait
un mamelon flamboie
une poule qui traîne_
tour de guet  ou donjon
fort-ferme  de mille ans
église  basilique

pierre-terre levée
amour pierre tout mêlés   
pierre où porter les paumes
pour les siècles des siècles
et arrêter le temps
laisser jaillir les larmes

du puits à l’eau très fraiche
où trempaient mes cheveux
courait courait l’enfance
par les chambres sans murs
sonnait sonnait l’écho de ses pas dans le noir
sur les dalles blanches
des manoirs
engouffrant le trot des chevaux
trempés  d’un orage imprévu

ta robe était longue
petite fille
et tes mains douces à s’essuyer sous leurs naseaux grondants
et rassurés
le chat t’observait de loin et parfois se roulait sur la terre dégouttant
de tes bottillons lacés
terre rouge et pierre de haut lignage
cheval bondissant dans les nues

terre qui te plies comme une langue
ondoies  digères  intègres
terre mangeuse et géante
et chaude de nos sangs

 

Je félicite chaleureusement Catherine pour ce prix prestigieux, qui récompense ainsi une belle écriture, nerveuse et sensible autant qu’elle est forte et bouleversante. Catherine Jarrett est connue aux lecteurs de Francopolis : tous ses poèmes (dont le premier publié ici, D’amble) ont été retenus dans la sélection d’auteurs de décembre 2014 ; revoir sa présentation sur notre site.

 Dana Shishmanian 
avril 2015

Créé le 1 mars 2002

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