VERSETS DU POTAGER
par JEAN DIF
Une version de ce texte est parue dans "Eglogues printanières" - Encres Vives, collection Encres Blanches
L'asperge à tête d’aspic est un ascenseur qui prend son temps pour glisser son pied dans la botte
Le
capuchon blanc de l'endive tire sa candeur de ses noces noires avec l'ombre
Cette moniale en dirait long si elle pouvait parler
Echevelé des orteils le poireau mime un palmier nain
Habillé d'ongles l'artichaut
est une fleur revêche promise à l'écartèlement
des écailleurs feuille à feuille comme on le dépouille
La courge et le potiron sont des plantes grimpantes qui bedonnent
Le haricot qui vient de naître
porte les testicules de son père sur son dos Crosse en main l'embryon
chétif rêve on pourrait le supposer de se hisser au pinacle
de la fougère épiscopale
La
carotte scabreuse et le navet dodu vivent cachés pour être heureux
L'une Quichotte et l'autre Pança ces deux légumes détiennent
la clef du sol qui leur sert de cache-sexe
Qui
sait combien d'amour fut dépensé pour engrosser jusqu'à
parfaite rotondité cette toupie végétale surannée
à la chair filandreuse peu appréciée la rave que des
radis avoisinent comme des poussins leur mère poule
La pomme
de terre émigrée qui ne fut jamais clandestine classée
par les botanistes parmi les tomates dont elle est la taupe se multiplie
enterrée vive en nodules maladifs Rissolés dans du beurre fondu
avec de l'ail et du persil ses tubercules moelleux déclenchent la fête des papilles l'escarmouche des postillons
On
vient d'évoquer le persil Roulette russe du jardinier un plant de
persil un plant de ciguë un plant de persil un plant de ciguë L'un
offre le plaisir du goût et l'autre donne la mort avec la parfaite
innocence des êtres sans intention La légèreté
ciselée de ces vertes ombellifères recèle des trésors
d'ambiguïté pour tout autre que celui qui sait déchiffrer
le secret des herbes
On a aussi parlé des aulx Qui n'imagine pas la terre plus chaude sous un champ d'ail
Autre plante à saveur le thym s'effrite doucement dans l'odeur tendre des jacinthes
La randonnée
d'un rang d'oignons vise on ne sait quel sommet tandis qu'escaladant leurs
tuteurs les gousses pèsent de tous leurs pois On tend parfois la perche
à des plantes qui ne le méritent pas
On croit
que le cornichon sous l'auvent de ses larges feuilles cache sa virilité
pour échapper à l'acier du sécateur castrateur On se
trompe ce légume n'a jamais craint le vinaigre Son index vert au contraire
nous invite à le cueillir avant qu'il ne soit trop tard Le cornichon
c'est certain est plus malin qu'on le dit Il sait que l'obésité
au royaume du concombre et même sous d'autres règnes en rendit
plus d'un amer
Tenue
par un épouvantail en tablier et chapeau de paille une pomme d'arrosoir
donne la becquée aux semis En chatoyantes libations des milliers de
papillons naissent du soleil et d'une source qui rend l'âme Huit couleurs
composent le fard de cette pluie de poche Toutes les gouttes flamboient sans
que l'on sache qui de l'astre ou de l'eau triomphe dans l'arc-en-ciel Les
plus timorés s'extasient devant tant de merveille concentrée
dans une vétille
***
Vers un extrait de Nechaiev dit
Entretien avec Jean Dif
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pour francopolis septembre 2005