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Robert
Walser, le vagabond immobile...
par Olangst, (2)
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« Trop pauvre pour se sentir plus riche. »
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Traduction d'un choix de poèmes de Robert Walser
par Olangst
Le traducteur Olangst et son double
La première réaction du traducteur :
« Je crois malheureusement que c'est impossible. Les poèmes de Walser sont des petites choses. Ce n'est pas Rilke, Trakl, Celan ou qui sais-je encore. Ils sont seulement un peu plus relevés et piquants en allemand, ne serait-ce que parce qu'ils sont rimés. »
Entre temps :
« Tout cela me donne un sacré turbin ! Une fois que j'aurai fini ces traductions, je prends congé de Robert pour un bail. Mais toujours quand on trime et souffre, on apprend des trucs. »
Et enfin :
« J'ai la joie immense de t'annoncer que ma traduction walserienne est finie. Quoique. Quoiqu'il y aurait encore des choses à revoir, quelques expressions par ci, quelques césures par là. Mais il est d'un sage de savoir s'arrêter comme disait Aristote. A force de lire, relire et me casser la tête pour traduire cette p… de langue, j'ai apprécié de plus en plus ces poèmes que je ne trouvais pas jojo au début. Comme le dit l'éditeur allemand Petre Härtling: "Ses strophes n'apparaissent pas très audacieuses, mais à les relire on est surpris par les nombreuses ruptures mélodiques et les étonnantes variantes..." Il y manque une dimension épique. Quand on le lit, on regrette Hugo et quand on se plonge dans La légende de siècles, on repense à Walser… »
3 essais de traduction sur le poème «
Au bureau »
Parce que la poésie
est intraduisible en voici la démonstration avec ces 3 essais
de traduction du poème « Au bureau » de Robert Walser.
Au
bureau
(Im Bureau, p.7)
1ère essai de traduction
La lune regarde
à l’intérieur, vers nous
elle me voit pauvre commis
languir sous le regard sévère
du patron.
Embarrassé,
je me gratte le cou.
Jamais rayon de soleil ne s’est
attardé sur ma vie.
La misère est mon destin ;
être obligé de me gratter le cou
sous le regard du patron.
La lune est la blessure
de la nuit,
chaque étoile une goutte de sang.
Si éloigné je sois des fleurs du bonheur,
je suis modestement fait pour lui.
La lune est la blessure de la nuit.
Au
bureau
2ème essai de traduction
La lune envoie un
regard à l'intérieur
Elle m'observe pendant que les pauvres commis
S'étiolent sous le regard impitoyable
Du patron.
Piteux, je me gratte
le cou.
Je n'ai pas appris encore
La clarté du soleil de la vie.
Contraint de me gratter le cou
Sous l'oeil du patron.
L'indigence est mon destin.
La lune comme entaille
de la nuit
Toutes les étoiles sont gouttes de sang.
Distant je suis du bonheur qui fleurit
Pour lequel j'existe si petit.
La lune comme entaille de la nuit.
Au
bureau
3ème essai : traduction par le logiciel Systran
« …j'ai pu tester l'un des logiciels de traduction automatique les plus performants du jour, celui de la communauté européenne. Je t'en donne un échantillon pour que tu puisses, par comparaison, apprécier à sa juste valeur le travail du misérable Olangst. Et encore j'ai aidé notre bougre de robot en découpant correctement les parties du poème. (Entre crochets, les termes que l'obtuse machine ne reconnaît pas.) » Olangst
La lune regarde
à nous à l'intérieur
il me voit comme pauvres [commis]
[languir] sous la vue stricte
de mon [patron].
Je raye confus au col
[la lueur du soleil de la vie]
je connaissais jamais continuels
Le manque est mon destin ;
rayer devoir au col
sous la vue [patron].
La lune est la blessure
de la nuit
|les gouttes de sang] sont tous font une empreinte en étoile.
Si je suis aussi la chance fleurissant lointain,
moi pour cela accorde fait.
Le lune est la blessure de la nuit.
Traduction
de 15 poèmes de Robert Walser
Les
bonnes gens
(Die Guten, p.68)
Ainsi les bonnes
gens sont déjà mortes ?
Non, non, ils vivent encore, je le sais
fort bien, mon petit doigt me l’a dit ;
toutefois ils me semblent bien disséminés
comme les fleurs que le vent emporte
et disperse tout alentour
comme des vagues.- Est-ce ainsi ? Je peux bien
me tromper, et comme j’aimerais bien
me tromper. L’un ici, l’autre
là-bas, et chacun solitaire, tous
abandonnés, parce qu’il ne reste plus
aucun lien ? Quel tableau
je peints là qui ne peut me réjouir ni
te revigorer ? Allons ce n’est
certainement pas ainsi, et tous habitent
ensemble, sont unis le plus
amicalement du monde, se donnent la main
et se regardent, et au-dessus d’eux
il y a d’adorables nuages blancs
et flotte un bleu clair et frais,
et les vents les poussent tout autour
des étoiles qui sont conçues et voulues
si magnifiquement, et leurs cœurs
sont calmes, et les âmes nobles
emplies d’une patience
toujours égale, et verte est la contrée, et
sainte l’étoile. Jours et nuits
sont comme frères et sœurs, soleil et lune
comme des amants, et tout, tout
est amitié. Les plantes ont des yeux,
parlent avec les hommes, et ces derniers
sont comparables aux fleurs par la profondeur et
la sereine prospérité. Mais où cela se trouve ?
Comment s’appelle ce pays ? Comment peut-on
le trouver ? Regarde juste devant toi
et tu le vois, car les bonnes gens vivent en fait
partout encore, et celui-là connaît la beauté
qui la porte en lui-même.
La
Neige
(Der Schnee, p.103)
La ville entière
est cette nuit
une splendeur blanche de conte.
Doucement je suis sorti
dans la neige, la neige appliquée
pour à l’air libre
lancer des youpis à tue-tête.
Après tout j’invente ainsi des notes ;
pour ces hommes distingués dont je veux être
il ne convient pas de crier sa joie de vivre.
De cela se préoccupent les rustres
qui ne se plient pas aux douces prières.
Ainsi j’allais donc vraiment très
doucement à travers l’éclat absent de la lune,
car il neigeait. La neige n’est pas dure,
bien plutôt tendre, humide et molle ;
Les flocons qui tombent
sont caressants plus que secs.
C’est comme s’ils embrassaient
quelqu’un et comme s’ils le savaient,
comme si la première et douce neige savait
qu’elle ne fait pas mal aux petites joues
qu’elle effleure de son écume.
Si je ne me trompe,
mon étrange manière casanière m’a permit
d’attraper un beau tableau d’hiver !
Elle
et Moi
(Ich und Sie, 173)
Une jeune fille
se tenait en piètre estime
elle était pareille au contentement de soi
d’une cruche remplie à ras bord.
Elle était bien trop timorée et délicate
pour se considérer comme sage.
Une larme coulait de temps à autre de ses yeux.
- Moi non plus je ne prétends pas toujours être pleinement
heureux -
Trop tolérante pour pleurer vraiment,
son âge lui interdisait d’être inconvenante,
la petite larme dit : “ Il ne faudrait pas croire
que je suis incapable de pleurer. ”
- Moi aussi quand je suis triste,
cela ne signifie malheureusement pas grand chose -
Elle prenait la vie comme elle vient
- Moi aussi cette manière de ruse
ne m’est pas tout à fait étrangère - Un jour,
la jeune fille, tout en brodant, me regarda.
Elle fit cela à peu près selon les convenances.
- Moi aussi je regarde de cette façon les gens
Et j’accorde beaucoup d’importance
à ce qu’on ne puisse pas trop m’en tenir rigueur.
De ma carrière, les chemins sont joliment dégagés.
L'archiviste
(Der Archivar, p.209)
Un archiviste en
vint un jour à se dire
qu’il était décidément bien fatigué,
et comme il était à présent pénétré
de l’idée
qu’il avait perdu goût à la vie,
il se dit en lui-même : “ Pauvre de moi,
je chancelles.” Et c’est en effet ce qu’il fit.
Il se sentit défaillir,
ses jambes tremblèrent, le poids du corps
lui fut insupportablement lourd. Dans la forêt
Chantaient estivales les gorges d’oiseaux ;
C’était une clameur jubilatoire et incandescente.
Toute stabilité semblait se dérober,
En son âme, plus la moindre prise.
Avec ironie il sourit, mort.
Comme
hier était beau
(Wie schön war’s gestern, p.173)
Comme les enfants
m’ont semblé beaux hier !
Alors que sous les arbres j’allais et venais,
Je songeais à une jeune fille qui autrefois
A la lumière de la lampe, tandis que nous étions
En toute confiance assis côte à côte, me convia
A lui consacrer ma vie : “ Comme je serais heureuse ! ” Je lui offris
Avec condescendance une camaraderie
Si l’on peut dire bien pesée et paternelle.
Je l’évitai et me mis à écrire avec ardeur.
Ah, que n’ai-je su répondre à ses désirs,
Nous aurions pu être heureux comme des enfants.
Oui, c'est ainsi que nous sommes
(Ja, so sind wir, p.155)
Ô, jeune femme
aimable, si tendre,
avec ton apparence frêle et délicate,
tu résonnais dans la vaste salle,
riche, colorée, bruyante
d’une circonspection maladive.
Ton époux te considérait soucieux.
Dehors dans la lumière grise et froide
allaient et venaient les silhouettes de la ville,
les juvéniles et les vieilles,
et celles qui ne sont ni vieilles ni jeunes.
Tu ne m’as pas laissé voir
beaucoup d’élan en toi.
De pâleur pâlissent
pour ainsi dire
ceux-là, qui se délectent d’eux-mêmes, qui dans
la vie,
à laquelle ils ne se sont au grand jamais donné,
n’aspirent à rien qu’à parcourir un cercle.
Ô, jeune femme aimable, si tendre,
Etrangers, délicats nous sommes et attentionnés et aimables
et bons, et durs.
Il n'était pas gentil
(Er war nicht nett, p.237)
Maintenant il ne
peut plus
se promener comme il lui plaît à travers la beauté
du monde,
plaisanter avec les femmes et dans la lumière de l’aurore,
accorder une attention distraite aux silhouettes qui flânent ;
Maintenant il vit dans une sorte de cloître.
La Maîtresse l’a mis,
là où il peut seulement encore prendre un livre,
afin qu’il s’amende progressivement car il était
désobligeant envers ceux auxquels maintenant
il pense, incessamment même, et elle le sait.
De savoir que cela est ainsi et pas autrement,
elle devient toujours plus belle. Le tourmenter
est doux pour elle.
La
créature
(Die Kreatur, p.245)
La nuit la bête
se glisse dans la forêt,
comme nous elle respire.
L’avez-vous senti
cet être aux mille blessures,
dans les heures calmes de la montagne,
en haut dans l’air froid,
dans cette nature, dans ce caveau ?
Ne te fâches pas contre moi,
sans doute elle aurait injuriée en toi
de tout son être avec moi.
Je te vénère encore !
Tous les gens se querellent,
descendent des sommets de l’insatisfaction
lentement dans la vallée,
sur les petits chemins, étroits
comme des langues, du revirement des sentiments.
Et chacun s’en allait déjà
loin dans ses pensées et dans le petit peu de bonheur
retournait,
prenant congé des chimères.
As-tu vu la bête aux grands yeux
là dans la forêt qui impassible
regardait le combat des Huns ?
Hier soir, j’étais auprès d’elle.
Maintenant je suis assis là.
Les chemins de fer
traversent les terres,
sur la mer filent les bateaux.
Séjour
au château
(Schlossaufenthalt, 230)
Il vivait maintenant
dans un château,
et ça et là il était chagriné,
de n’avoir nulle raison de se plaindre,
être malheureux ce serait un don,
cela glissa de sa bouche délicate,
et il partit ensuite à cheval
dans de ravissants alentours,
après une telle animation il s’assit
rêveur près de la maison et contempla l’humidité
de l’eau, et il pensa plein de haine
en cet imposant taudis
à lui et à son existence jusque là
et il se vit trembler devant lui-même,
s’attacher à cette pensée
qu’il ne pouvait chasser,
incapable de dire quelque chose.
Il aperçut au loin culminer les montagnes.
S’il avait pu se plaindre sérieusement,
des beaux jours anciens !
Mais il n’avait rien vécu
et il était maintenant d’un âge quelque peu avancé.
Le château était en soi merveilleux
On le doit expressément certifier.
La
jolie femme de Thon
(Die schöne Frau von Thun, p.241)
Un petit chat noir
regardait un soir
avec des yeux comme des braises
un mondain délicat qui voulait le caresser.
Dans une petite voiture d’enfant il y avait adorable et docile absolument
un biographe qui grandissait avec une inhabituelle discrétion.
Quand un jour un virtuose assembla sa symphonie,
il frémit presque devant ses facultés.
Un grand professeur me regarda de loin, alors que j’avais à trimer,
je veux dire, écrire et il me vit danser.
Le saucisson, que je mangeais depuis de nombreuses années déjà,
se tenait là dans l’assiette blanche incroyablement appétissant.
J’en viens à parler maintenant de cette jolie femme de Thon
qui bavardait avec un grand charme avec ses chaussures simplement.
Seul
(Allein, p.222)
Dans une plaisante
et jolie campagne
une petite jeune fille me demanda :
“ Veux-tu être mon fiancé chéri ? ”
“ Je n’aime pas les soucis, grands ou petits ”,
lui répondis-je tendre et raffiné,
“ au demeurant j’ai un cœur de pierre
et te dis de ce fait prestement non. ”
Comme la jeune fille parut étonnée !
Des petits yeux pleins de soleil
et quels jolis bras et quelles gambettes !
Mais apparemment chacun entend aller de son côté.
Poème
extrait des Microgrammes
(Gedicht aus den Mikrogrammen, site internet personnel)
Allez-vous enfin
fermer vos gueules idiotes d’effrontés
ramassis de coquins que vous êtes !
Ce n’est rien que l’envie pure
qui vous fait déblatérer contre mon habit.
Triste vraiment, je vais je viens
et je reste muet, et vous êtes des singes !
Regardez-moi bouche bée comme vous voulez
je ne me fâcherais point contre vous.
De votre insigne impertinence
personne ne dispute.
En dépit de votre avidité pour les flatteries,
vous n’êtes pour moi que des chiens misérables.
De bons à rien tel que vous
je me délecte jusqu’à plus soif.
Arrêtez donc vos bouffonneries
vous bandits, prostituées !
Avec toutes vos menaces et méchancetés
vous pouvez me lécher le postérieur !
Cela vous plairait que je crève ?
Eh bien, par entêtement,
Je demeure en pleine forme,
Souvenez-vous de cela,
Dit ainsi le chien.
Neige
J'ai aperçu
dans le jardin
Quelques petits flocons de neige [les flocons cons !, les flocons cons
!]
Sur la voiture d'une paysanne
Qui allait au marché.
Comme ils sont doux ces timides
Et premiers signes de ce qui
Partout dans le monde est chéri.
Oui, chacun aime cette pensée
Que le printemps va venir.
[Et mon cul ? et
mon cul ?]
Ceux
qui sont seuls
(Die Alleinstehende, p.237)
Inutile je suis
et méconnu,
Je regarde ici dans l’inégalé,
Dans le séduisant et le léger,
Qui me flatte et me bannit.
Ce que pourrait
être ce que
Je trouve beau ici, je ne le comprends pas :
Nobles parfums, vents légers,
Lumière douce et agréable.
Bientôt est
à moi, je voudrais errer,
Marcher avec une jambe alerte,
Auprès d’une chose belle
Ou d’une autre.
Mais plus vite que
je ne pense,
Mon désir s’envole là-bas.
Je me tourne vers moi-même
Pour être satisfait de moi.
Introspection
(Selbstschau, 351)
Parce qu’on n’a
pas voulu que je sois jeune, je fus jeune.
Parce que je devais être souffrant, de nombreuses joies m’ont
flatté.
Parce que cela demandait le plus grand effort de me mettre de mauvaise
humeur,
J’ai cherché et trouvé des chemins qui ne pouvaient pas
mieux tomber ?
Comme j’ai été imprégné d’anxiété,
le courage m’a sourit et m’a fait la fête
Comme on m’a planté là, j’ai appris à m’oublier,
Par quoi j’ai été en position de me baigner dans la vie.
J’ai perdu beaucoup ? De là que j’ai senti les pertes comme un
gain
Dès lors que personne ne peut retrouver s’il n’a rien perdu avant,
Et revoir ce qui avait été perdu est une plus haute propriété
que la présente;
Comme on ne voulait pas me connaître, je me suis occupé
de me connaître moi-même.
J’ai été pour moi-même le médecin le plus
aimant et le plus compréhensif
Comme j’ai trouvé dans la vie de l’adversité, j’ai aussi
attiré à moi des amis,
Et des amis ont fait défaut, et également les ennemis
ont cessés d’être adverses,
Et l’arbre où croissent les plus beaux fruits du bonheur s’appelle
malheur.
Chacun suit sa trajectoire à partir de tout ce qui lui a été
donné
A la naissance, au foyer et à l’école,
Et seul celui qui ne réussit pas à ne pas surmonter a
besoin d’être sauvé.
Jamais n’a besoin d’une aide compréhensive,
A moins qu’aucun accident ne lui arrive de telle sorte qu’on dut le
conduire à l’hôpital.
traduit par Olivier FRESSARD, dit Olangst
fin juillet 2002
olangst@yahoo.fr
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